Salomon Resnik. Les trois catégories se suffisent donc à elles-mêmes, elles ne font pas appel
à quelque chose qui, par rapport à elles, serait, en quelque sorte, externe.
Donc les catégories, si vous voulez c’est vraiment tout ce à quoi on a à faire. Quand on veut
pouvoir penser on s’appuie sur les catégories qui sont : priméité, secondéité, tiercéité. On
s’est amusés avec les différents noms que Peirce pouvait leur donner parce que il aimait bien
considérer leurs différences dans des conditions d’utilisation un petit peu différentes. Mais
voici les trois noms, des néologismes, qu’il donnait pour la priméité, secondéité, tiercéité dans
certaines occasions.
La priméité il l’appelait aussi l’orience, c’est quand même plus beau, — je voulais garder ce
terme, mais j’ai eu peur que ça soit beaucoup plus obscur que priméité — ça vient du latin
orior, se lever, naître, sourdre, d’où origo, la source, origines, les origines, etc. Bon brisons
là, orience pour la priméité mais en tous les cas, c’est ce qui surgit, ce qui jaillit, ce qui est
nouveau. Au fond c’est ça, s’il y a une idée qu’on peut associer à priméité, c’est quand même
ce qui est nouveau. À peine c’est surgi, si c’est là, si ça s’installe ce n’est plus nouveau, ce
n’est plus la priméité.
La secondéité, c’est très intéressant, il avait calculé ses mots : la secondéité il appelait ça
l’obsistance. C’est bien ça, obsister, un mot qui n’existe pas, bien entendu. Mais enfin il l’a
fabriqué. Alors bon, sistere c’est ce verbe latin qui est un déterminatif de stare. Obsistere
signifiait devant, s’opposer à. Obsistere c’était se tenir comme ça, et le ob comme vous le
savez c’est se tenir en face de. L’idée de objectum, c’est jeter devant, le ob a cette idée de
devant mais avec une opposition, c’est ça il me semble que ob a ce sens-là. L’obsistence si
vous voulez c’est se tenir en face de, obsister, ce qui est quand même très intéressant comme
idée. L’obsistence nécessite qu’on soit en face de. Si vous voulez l’exister pose d’autres
problèmes parce que l’exister c’est se tenir hors de : se tenir hors de soi, c’est le sens
d’‘exister’. Alors on pourrait dire mais pourquoi il a pas dit absister, j’ai déjà parlé de ça… la
différence de ces deux prépositions « ex » et « ab ». Vous savez que ex ça veut dire hors de,
hors de quelque chose sans limites et le ab c’est quelque chose hors de la limite de la chose.
Ce qui fait que quand on dit ab il faut que la chose même ait une frontière, si la chose n’est
pas délimitée il n’y a pas de ab. Par contre il peut y avoir du ex. Bon, ça fait partie des petites
choses qui peuvent permettre de lire certains mots, de voir ces racines qui ont leur propre
intérêt. Alors l’exister c’est quelque chose qui n’impose pas de limites, par contre l’obsister…
il ne pouvait pas dire absister parce que c’était déjà tout se donner puisque se donner la
délimitation c’était même plus la peine de définir l’existence on peut se tenir seul. Mais
l’obsister, lui, nécessite simplement que quelque chose soit en face de soi, et implique ce
dédoublement d’où d’ailleurs l’idée de secondéité, de la dyade et de toutes ces choses-là.
Donc l’existence implique tout ça et j’avais beaucoup insisté cette année quand même sur le
caractère… l’existence est le fondement même de la négation puisque en quelque sorte l’idée
de « autre » qui est l’idée inhérente à l’idée de secondéité : le « autre » c’est le « non-cela »,
c’est ça l’idée de « autre ». Il y a là toute une série de choses qui sont très proches : la
négation, l’existence, on peut dire l’existence est fondée sur la négation. Ce sont des choses
qu’on voit dans les phénomènes identificatoires, où l’on peut dire que c’est au niveau de
l’image que se joue la négation puisque dans ces formes d’identification imaginaires, dans la
forme de l’identification imaginaire, le stade du miroir, on dit à l’autre « ôtes-toi de là que je
m’y mette ! » : c’est ça le fondement même de l’identification ; dans l’identification on nie
l’autre de l’image. On voit bien qu’il y a là tout un système de rapports très intéressants entre
existence et agressivité puisque au bout du compte « ôtes toi de là que je m’y mette ! », si
c’est pas une formule agressive, je veux bien être pendu et l’existence c’est quelque chose qui
est, comment on pourrait dire ça, « jouer des coudes », il faut être face à quelque chose
s’opposer à quelque chose d’autre pour exister. On voit bien qu’il y a là toute une dimension