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Par Jean-Pierre Salvetat, président de l’Association culturelle Méditerranée
France-Turquie.
Un premier paradoxe
Citation de Nicolas Sarkozy , souvent reprise: « Si la Turquie était en Europe, cela se
saurait »…
Comment l’européanité de la Turquie de la Turquie peut-elle être contestée alors que… :
1) Les traités
- Elle fait partie de l’OCDE depuis 1948
- Elle est membre fondateur du Conseil de l’Europe depuis 1949, alors que celui ci
est d’ailleurs présidé par un turc depuis le 1er janvier 2010.
- Elle fait partie de l’OTAN depuis 1952 alors que ce traité, hors les EU et le Canada,
ne comporte que des pays européens.
- Elle a signé les accords d’Ankara en 1963 dont l’art. 28 prévoit à terme, une
adhésion à l’UE.
- Elle a signé en 1995 avec l’UE un traité d’union douanière.
- Ses décisions de justice sont soumises à la Cour européenne de Justice.
- Elle participe à plusieurs programmes militaires européens.
2) La vie sociale
- Galatasaray a gagné une coupe d’Europe de football.
- Toutes les fédérations sportives et de loisirs font parties des fédérations
européennes.
- Et, chose importante, Istanbul été désignée « capitale européenne de la Culture
2010 ».
Il y a là un paradoxe et une première incompréhension.
I- 6 siècles de relations diplomatiques, culturelles et commerciales franco-turques
1) Le XVème siècle : début des relations .
Dès cette époque, le duc de Bourgogne, avait adressé un représentant auprès du Sultan, qui
écrivit d’ailleurs le premier lexique franco-turc.
2) Le XVIème siècle : l’approfondissement des relations.
- Bajazet II envoie un émissaire pour proposer une alliance à Louis XII.
- Avec François Ier et Soliman, les rapports s’accélèrent.
En 1526, François Ier envoie un émissaire, Frangipani, proposer un front contre les
Habsbourg.
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En 1528, un nouveau représentant, Antonio Ricon, va instituer avec la Porte, une alliance
franco-ottomane autour de la guerre de successions de Hongrie.
En 1535, le premier ambassadeur officiel, Jean de la Forest, est nommé. Il est accompagné
de Guillaume Postel, extraordinaire personnage, que l’on retrouvera plus tard. Au cours de
cette ambassade, un premier accord de capitulation est signé avec le Sultan, donnant à la
France des privilèges dans les domaines commerciaux, juridiques et religieux et assurant à
l’ambassadeur de France la préséance sur les autres ambassadeurs.
Peu après, des actions communes vont intervenir entre les flottes françaises et ottomanes,
le capitaine Polin va embarquer sur les galères de Barberousse. La flotte française va
d’ailleurs hiverner à Istanbul en 1537. Français et ottomans vont mener ensemble le siège de
Nice en 1543, à la suite duquel la flotte ottomane va hiverner à Toulon.
En 1546, importante ambassade à Istanbul de Gabriel d’Aramon, reçu par Soliman avec une
suite imposante de scientifiques, théologiens et artistes, qui seront les premiers
orientalistes.
Parmi eux, des hommes remarquables :
- Guillaume Postel, dont c’est le deuxième voyage. Ce sera le premier exemple de tolérance
et d’entente entre chrétiens et musulmans .Théologien, il souhaitait une réunion de tous les
humains dans une monarchie et une religion universelles, Bible et Coran guideraient les
hommes. Il a publié « De la république des turcs » avec une étude des mœurs , et de
l’organisation civile et militaire des ottomans. Il y juge les turcs supérieurs aux chrétiens
dans le respect de la justice et la fidélité à la parole…
- Pierre Belon, une des personnalités scientifiques les plus importantes du XVIème siècle,
père de l’anatomie comparée, en même temps qu’ami de Ronsard. Il a suivit l’ambassade
auprès du Sultan, a parcouru le levant de 1546 à 1549 et a publié d’importants ouvrages
comportant des observations sur l’histoire naturelle, l’archéologie, les mœurs et
l’ethnographie.
- Jérôme Morant, qui a navigué aux côtés de Barberousse et qui a fait un récit de ses
voyages, comportant une description précieuse d’Istanbul.
- Antoine Guiffroy, qui a écrit « un état de la cour du Grand Turc », d’un grand intérêt
géographique, historique et ethnographique.
- Jean Chesneau, chargé d’affaires auprès de la Porte et secrétaire d’Aramon, rédacteur du
« Voyage de Monsieur d’Aramon ».
- Nicolas de Nicolay, artiste, dessinateur et graveur, qui fera connaître le Levant avec des
portraits des personnage ottoman de l’époque.
La collaboration franco-turque se poursuit à la mort de François Ier avec Henri II. La flotte
française sera avec la flotte ottomane à la prise de Tripoli, ces opérations en Méditerranée
se poursuivant en 1551, 1552 et 1553, ces deux dernières attaquant la Corse.
A noter, outre les représentants du Roi de France, la présence d’un flamand, Ghislin de
Resbecq, à Istanbul de 1582 à 1589, qui loue la discipline, la priorité du mérite sur la
naissance, l’absence de phénomène de classe et le sens de la solidarité des turcs.
Le XVIème s. est intéressant car il montre comment deux régimes, au-delà des conceptions
religieuses, le « Souverain très chrétien » et « l’Ombre de Dieu sur terre », peuvent au nom
d’intérêts communs, collaborer, se connaître et se respecter : lettre de Soliman à François
Ier l’appelant « mon frère ».
Et en sens inverse, Jean Bodin à la fin de ce siècle : « Pourquoi discuter d‘une évidence qui
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s’impose aussi éclatante au jugement universel? S’il existe quelque part une autorité digne
du nom d’empire ou de monarchie authentique, c’est bien le sultan qui la détient entre ses
mains… combien il serait plus juste de considérer comme héritier de l’Empire Roman le
sultan des turcs ».
3) Le XVIIème siècle : la collaboration se poursuivra, depuis Henri II,
avec un développement des échanges commerciaux.
En 1669, un événement important pour la culture française : « l’école des jeunes de
langue », crée aux frais d’abord de la Chambre de commerce de Marseille, avec l’envoi tous
les 3 ans, de 6 jeunes enfants de 10 ans, instruits à Istanbul par les capucins, afin de servir de
drogmans. En 1721, ils seront 10 qui étudient d’abord à Paris, au lycée Louis le Grand, puis
envoyés à Istanbul vers 15 ou 16 ans. Pendant la Révolution, les capucins seront expulsés et
l’école est transférée à Paris, et donnera naissance à l’INALCO, la fameuse « Langues O ».
Un grand drogman : Antoine Galland.
De 1670 à 1675, secrétaire particulier de l’ambassadeur de France auprès de Mehmet IV, il
l’accompagne en Thrace, Macédoine, Asie Mineur, Ionie et îles égéennes. Il revient à Smyrne
en 1678, où il observera que sur les quais, on parle français avec l’accent marseillais!. En
1679, il est chargé de mission pour ramener livres, objets d’art et établit un catalogue de
productions locales à exporter en Europe. Ce sera aussi le traducteur des « Mille et une
nuits », conte d’origine persane.
4) Le XVIIIème siècle : le déclin de l’empire ottoman s’accentue, les relations franco-turques
passent par des hauts et des bas, sans jamais, cependant, de graves hostilités. Les rapports
culturels et économiques vont encore s’approfondir.
Sur le plan de la politique extérieure:
- En 1739, signature du traité de Belgrade entre l’Empire ottoman et l’Autriche-Hongrie, qui
sous la médiation de la France, sauvegarde les intérêts des turcs.
- En 1756, retournement des alliances de Louis XV au profit de l’Autriche, qui sera accentué
lorsque Louis XVI épousera une autrichienne.
- Malgré cela, lors du traité imposé à l’Empire ottoman en 1774, après que la Russie ait
remporté une guerre, la France va s’opposer au partage de l’Empire ottoman proposé par
Catherine II, puis face au danger russe, va contribuer à l’amélioration des armées ottomanes.
- Avec la Révolution de 1789 et surtout la proclamation de la République, changement dans
le personnel diplomatique français à Istanbul. Les nouveaux représentants vont s’efforcer
d’y développer la pensée des philosophes du XVIIIème, et surtout tenter de renouer
l’alliance contre l’Autriche, redevenue l’ennemie. Mais l’alliance ne fonctionnera plus
comme deux siècles plus tôt, car la priorité des turcs est maintenant la Russie.
- Accroc dans nos relations, Bonaparte ayant lancé en 1798 la campagne d’Egypte, terre
ottomane.
Mais les rapports franco-turcs vont rapidement redevenir excellents, Napoléon envoyant dès
1802 à Istanbul le général Sébastiani qui va pousser la Turquie contre les russes et organiser
la défense d’Istanbul contre les anglais. L’aide française à la marine et à l’armée ottomane
sera développée à le fin du siècle, en particulier avec le personnage pittoresque qu’est le
comte de Bonneval, qui après avoir modernisé l’artillerie, va se convertir à l’Islam et se faire
enterrer dans le jardin du couvent des derviches de Galata.
Sur le plan culturel et commercial :
- A noter la présence de deux drogmans importants : Denis Cardone qui passera 20 ans à
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Istanbul et deviendra interprète du roi pour les langues orientales, et Jean-Michel de
Venture, un marseillais, secrétaire- interprète de l’Ambassadeur de France, qui occupera
ensuite la chaire de turc à l’Ecole Orientale.
- En 1720 se place le voyage de Mehmet Celebi (Mehmet Effendi), ambassadeur de la Porte
auprès du roi, qui va en ramener un livre passionnant et sera séduit par l’imprimerie, alors
absente en terre d’Empire. A son retour, il obtiendra du Grand Vizir l’ouverture d’une
imprimerie à Istanbul en 1727.
- A la même époque fonctionnera une imprimerie à la Maison de France, tournée vers la
diffusion d’activités scientifiques.
- En 1740, Louis XV a obtiendra du Sultan la signature d’un nouveau traité de capitulation qui
remplacera celui de 1535.
5) Le XIXème siècle
Ce sera le siècle des contrastes : début de siècle difficile en raison de la sympathie
européenne autour de la libération de la Grèce, puis rapports cordiaux à partir du milieu du
siècle autour de la fraternité d’armes née de la guerre de Crimée.
Mais de toute façon, les rapports culturels et économiques se sont accrus, dans un sens
comme dans l’autre, les réformes du Tanzimat de l’Empire Ottoman portant la Turquie vers
les idées européennes, et surtout françaises, en matière politique. Mais les occidentaux
abuseront aussi de l’affaiblissement de l’Empire.
Mouvements de la France vers la Turquie :
- Sur le plan de l’éducation à travers les nombreuses congrégations qui donneront
naissance à de nombreux établissements toujours en activité : St Joseph, St Michel,
St Benoît, Notre-Dame de Sion, St Pulchérie à Istanbul, St Joseph à Izmir.
Tout ceci augmenté au XXème siècle, par des universités où l’enseignement se fera
partiellement ou complètement en français (Universités de Galatasaray et de
Marmara), qui font d’Istanbul la ville au monde non francophone où le français est le
plus pratiqué dans l’enseignement secondaire et supérieur.
- D’innombrables visiteurs viennent en Turquie : écrivains et poètes (Pierre Loti,
Lamartine, Théophile Gautier, Gérard de Nerval…), architectes, peintres, médecins
et commerçants.
- Sur le plan de la santé : Hôpital français de Taksim, de Galata, Hôpital de la Marine
et dispensaires.
- L’Ecole militaire impériale s’organisera sur le modèle de Saint-Cyr et recevra des
missions militaires françaises.
Mouvements de la Turquie vers la France :
- De nombreux ottomans fréquentent les écoles de Paris ;
Ainsi Edhem Pacha, qui sera grand vizir en 1857, a fait ses études en France depuis
l’âge de 14 ans. De même Derviche Pacha, qui deviendra ministre de la guerre.
Beaucoup d’ingénieurs turcs sont formés à Paris à l’Ecole Centrale ou à l’Ecole des
Mines.
- Est même fondée à Paris en 1857 une Ecole Impériale Ottomane, qui sur 3 ans
d’étude, est dirigée par un turc avec du personnel français.
En synthèse de ces rapprochements culturels, ouverture en 1868 à Istanbul du Lycée
Impérial Galatasaray. Il réunit des élèves musulmans, chrétiens et juifs, avec plus de 600
élèves dès la seconde année.
Second « âge d’or » des relations franco-turques: la Guerre de Crimée .
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Ce fut une guerre très dure, qui en 1854-1855 opposera l’Empire Ottoman et ses alliés
français et anglais à la Russie: 70 000 morts au combat, 50 000 blessés, 150 000 malades
dont beaucoup moururent.
La France comptera pas moins de 95 615 morts.
La fraternité d’armes renforcera l’amitié entre la France et la Turquie et a eu aussi beaucoup
d’influence sur l’organisation hospitalière turque. En effet 80% des victimes furent soignées
dans la région d’Istanbul, réparties en pas moins de 16 hôpitaux fonctionnant avec du
personnel médical français et des médecins et des étudiants de l’Ecole Impériale de
Médecine Ottomane.
6) le XXème siècle
Sans entrer dans l’analyse plus politique des opinions françaises et européennes à laquelle je
viendrai pour l’époque contemporaine, quelques évènements paraissant importants au
début de ce siècle.
Le mouvement « Jeunes Turcs ».
Souvent jeunes officiers venant de Thrace, ou membres de l’élite ottomane, c’étaient des
admirateurs des philosophes français du XVIIIème siècle , rousseauistes, positivistes et
partisans de la sécularisation. Ils ne voulaient cependant pas la disparition de l’Empire
comme les révolutionnaires de 1789 mais une monarchie constitutionnelle.
Ils ont été un moment important des relations culturelles franco-turques car ils ont été très
nombreux à s’installer à Paris pendant une vingtaine d’années. Ce n’en pas pour eux une
ville étrangère et ils résidaient au Quartier Latin, en particulier rue des Ecoles et rue Monge,
Et fréquentaient aussi bien la Sorbonne que les cafés du quartier.
Ce mouvement « Jeunes Turcs », pourtant bien sympathique à nos yeux, devait cependant
se révéler désastreux pour la Turquie :
- Il a entraîné l’Empire Ottoman à faire le mauvais choix en s’alliant avec l’Allemagne durant
la guerre de 1914-1918.
- Celle-ci sera à l’origine du massacre des arméniens en 1915.
- Son chef, Enver Pacha, devenu ultra-nationaliste, se lancera dans l’aventure du
panturquisme après la guerre et fut tué en 1.920 au Tadjikistan.
Il est nécessaire de rappeler que si Mustafa Kemal fut au début proche du mouvement
« Jeunes Turcs », il s’en détachait rapidement, fut l’adversaire d’Enver Pacha et, s’il fut lui
aussi inspiré par les idées des philosophes français du XVIIIeme siècle, son évolution jusqu’à
la création de la République turque, se fit sans lien avec le mouvement Jeunes Turcs.
Les accords d’Ankara de 1921
La France a été la première puissance européenne à entrer en pourparler avec le
gouvernement kémaliste et à traiter directement avec lui en reconnaissant la Turquie
Républicaine, alors que le Sultanant n’avait pas encore été aboli.
Si Mustafa Kemal, pétri des idées des philosophes français, ne vint qu’une fois en France, en
1910, il entretint des rapports et des relations d’amitié avec la plupart des hommes
politiques et des chefs militaires français de l’époque, notamment le maréchal Lyautey et le
colonel Mougin, Edouard Herriot et le président Albert Lebrun.
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