Emile Durkheim

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Emile Durkheim,
père de la sociologie française
Qu’est-ce qu’un fait social ?
Comment observer un fait social ?
Texte à l’appui :
Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique,
Paris, PUF, Coll. Quadrige, 1987, 149 p. (extraits)
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Introduction.
Avec les auteurs allemands Max Weber et Georg Simmel, Emile Durkheim est considéré
comme l’un des pères fondateurs de la sociologie. Si sa sociologie n’est plus dominante
actuellement, elle a néanmoins très fortement marqué la sociologie française et internationale.
Repères biographiques
1858 : Naissance à Epinal (Lorraine). Fils d’un rabbin, il reçoit une éducation dans la tradition
juive. Il apprend l’hébreu, fréquente l’école rabbinique. Il y a une longue tradition familiale de
rabbins, mais Durkheim ne suit pas cette voie.
Etudes : Ecole Normale Supérieure, agrégation de philosophie.
1885 : séjour d’une année en Allemagne au cours de laquelle il se familiarise avec la
philosophie et la morale allemande.
1887 : Chargé d’un cours en science sociale et pédagogique à Bordeaux.
1893 : thèse : De la division du travail social.
1896 : fonde la revue l’Année sociologique.
1906 : Il est nommé professeur.
1913 : sa chair de professeur s’appelle officiellement « science de l’éducation et sociologie ».
1917 : Décès. (Il n’a pas supporté la mort de son fils intervenue lors de la retraite de Sibérie
en 1915.)
Durkheim et la sociologie française.
Durkheim est un personnage clé dans la sociologie française. Il lutte pour la reconnaissance
de la sociologie comme science. Le contexte est difficile : la sociologie est fortement
critiquée. On craint qu’elle ne produise du désordre social. Progressivement, il réussi
cependant à l’imposer grâce à trois éléments :
Fondation d’une revue : l’Année sociologique.
Une « équipe » qui se monte autour de la revue l’Année sociologique. C’est un véritable
réseau de sociologues. M. Mauss (voire la séance 4), Fauconnet, Simiand, Lévy-Bruhl,
Halbwachs (voire la séance 1), Hubert, Bouglé, Bourgin...
Les membres de cette équipe occupent des positions institutionnelles stratégiques : chairs
universitaires, Sorbonne, Ecole pratique des Hautes Etudes (Mauss, Hubert), Collège de
France (Mauss), ENS1 (Halbwachs) dans des disciplines variées (philosophie, science de
l’éducation, etc.)
1 École Normale Supérieure.
L’école durkheimienne, c’est à la fois l’imposition d’une science, la construction d’un réseau
institutionnel, et la fondation d’un organe d’édition.
Contexte historique.
La IIIème République est une époque de tourments politiques (obsession de l’unité nationale
– 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine –, la crise du boulangisme, la Commune de Paris,
l’Affaire Dreyfus...) et une époque où se posent d’importantes questions sociales (le
mouvement ouvrier, les lois sociales, l’industrialisation, la problématique de l’école,...)
La démarche de Durkheim s’inscrit dans un contexte politique, économique et social précis, et
ses études cherchent toutes des réponses à la crise de la société, aux tensions, à l’éclatement
du lien social, à la cohésion sociale, comme en témoigne l’un de ses concepts-clé : l’anomie.
& L’anomie est l’absence de normes, de règles ou de lois.
Républicain convaincu, il adhère à la IIIème République et à l’importance de l’école laïque.
Convaincu de l’importance de l’école dans la socialisation et dans la survie de la République,
il milite pour une école (primaire) laïque, gratuite et obligatoire.
Eléments de sa méthode sociologique.
La sociologie est encore toute jeune. Dans son ouvrage célèbre : Les règles de la méthode
sociologique, il s’attache à en démontrer les préceptes de base :
Préciser en quoi la sociologie est une science.
Montrer que la sociologie est une science distincte des autres.
Les Règles sont loin d’être le livre le plus significatif de E. Durkheim. Il doit son succès à la
polémique qui a surgi autour d’une des affirmations qu’il contient : « il faut considérer les
faits sociaux comme des choses ». La polémique est telle qu’il est obligé de revenir à
plusieurs reprises sur cette phrase pour se justifier. (Voir les préfaces aux éditions successives
des Règles).
Les Règles restent très marquées par leur contexte de parution : c’est une époque (1894) où la
sociologie n’est pas encore établie, elle doit encore faire ses preuves. D’où ce livre qui
rappelle des points de méthodes qui sont parfois d’une banalité surprenante !
C’est aussi un livre qui représente toute une tradition révolue de la sociologie française. La
sociologie française s’est actuellement tournée vers le qualitatif, la compréhension, la
phénoménologie.
Les Règles représentent cependant une rupture épistémologique dans la pensée scientifique
européenne. C’est le passage de la pensée cartésienne – manière de conduire sa pensée – à une
méthode scientifique pour aborder le réel. Plus qu’une méthode, c’est une réflexion
épistémologique dont l’objet est la légitimation d’une science.
La légitimité de cette science repose sur un préalable : déterminer la spécificité de son objet.
D’où le chapitre 1 : qu’est-ce qu’un fait social ?, et le chapitre 2 : comment observer les faits
sociaux ?
Se pose ensuite la question de l’accumulation du savoir : c’est la question de l’introduction du
raisonnement expérimental. Du point de vue contexte scientifique, il est très important de
rappeler le développement des autres sciences de la nature qui ont fait triompher la méthode
expérimentale. cf. la biologie et les expériences de Claude Bernard. Les sociologues de cette
époque centrent donc leurs réflexions méthodologiques autour de la question de
l’expérimentation en sociologie et la manière de résoudre le fait qu’il est très difficile de
procéder à des expériences en sociologie.
Qu’est-ce qu’une expérience ?
& Une expérience consiste à reproduire un phénomène en agissant sur certains paramètres
connus pour en comprendre d’autres.
Il faut isoler des phénomènes que l’on veut expliquer (les variables dépendantes) et les
phénomènes qu’on maîtrise (variables indépendantes). L’expérience consistera alors à faire
varier les variables indépendantes pour voir comment varient les variables dépendantes.
& La variable dépendante est celle dont le chercheur essaie d’expliquer les variations.
& La variable indépendante est celle dont on essaie de mesurer et de comprendre l’influence
sur la variable dépendante. (il est parfois difficile d’isoler des facteurs d’influence)
Exemple d’expérience : la congélation de l’eau (variable dépendante). On prend un verre
d’eau. On isole deux types de variables indépendantes : la pression atmosphérique et la
température. On soumet le verre d’eau à différentes pressions atmosphériques, et on regarde si
cela est suffisant pour faire geler l’eau. On soumet le verre d’eau a différentes températures et
on regarde si cela est suffisant pour faire geler l’eau. On fait ensuite varier température et
pression atmosphérique ensembles pour voir si seule la température entre en jeu dans la
congélation ou si la pression atmosphérique joue également un rôle.
Qu’est-ce que le raisonnement expérimental ?
La plupart du temps, l’expérimentation n’est pas possible en sociologie. Ce que propose E.
Durkheim est alors non pas l’introduction de l’expérimentation dans la sociologie, mais
l’introduction du raisonnement expérimental. Il parle d’expérimentation indirecte. Ce qui est
important, ce n’est pas une technique et des procédures, mais une logique de pensée. Par
exemple en recourant à la comparaison : on recensera des phénomènes similaires, on les
observera en essayant de dégager leurs similitudes, et leurs différences. Voir comment telle
configuration entraîne tel résultat.
Ä Par exemple : l’importance de la sociabilité dans le rendement au travail (variable
dépendante). On observe plusieurs équipes de travail. L’une continue de travailler sans
modification du contexte de travail. On introduit des changements dans le contexte de travail
(variables indépendantes) des autres équipes de travail. Chez les unes, on essaye, par exemple,
d’augmenter les pauses ou de modifier les horaires de travail. Chez une autre, on organise des
réunions hors du travail (café, repas, etc.) de façon à ce que les membres d’une équipe
apprennent à mieux se connaître – donc à augmenter la sociabilité au sein d’une équipe de
travail. On observe à nouveau le rendement au travail de chacune des équipes observées et on
voit quelles modifications dans le contexte de travail entraînent quelles modifications du
rendement au travail.
E. Durkheim réintroduit la notion de cause qui est fondamentale pour lui. Ce que la sociologie
essaye de mettre à jour ce sont des relations de causalité : une cause X entraîne un effet Y.
Enfin, parce l’objet de la sociologie est spécifique, il doit être expliqué de façon spécifique. Il
faut expliquer le social par du social. Le raisonnement scientifique comporte donc plusieurs
étapes : définition de l’objet, classification, explication et preuve.
Qu’est-ce qu’un fait social ?
Une science existe par la spécificité de son objet. Les autres sciences ont des objets
spécifiques : la physique étudie les phénomènes physiques, la biologie les phénomènes
biologiques, etc. Ce qu’observe la sociologie, ce sont les faits sociaux. La grande
préoccupation d’E. Durkheim est de séparer la sociologie de la psychologie, mais aussi et
surtout, rompre avec le raisonnement idéologique. La sociologie n’a pas pour objet des
concepts, des idées, mais des faits. Les philosophes, à l’inverse, raisonnent à partir de
concepts.
Ä Par exemple la démocratie : il faut distinguer le jugement de valeur, l’idée que se fait X ou
Y de la démocratie et l’observation d’un régime démocratique. Ainsi, A. de Tocqueville
n’écrit pas un livre sur sa conception de la démocratie, il se livre à une observation de la
démocratie en Amérique et en France.
Le fait social n’est pas un fait de la conscience individuelle. Ce sont les faits, idées, pensées
agissements qui nous viennent de l’extérieur.
Le fait social est une chose.
Cette expression des Règles est aussi célèbre qu’elle a été mal comprise. Le fait social n’est
pas une idée, il n’est pas l’idée qu’on se fait de quelque chose, il nous est extérieur. Les idées
nous sont intérieures, les choses nous sont extérieures. La sociologie n’est pas la philosophie,
ni la morale, ni un jugement de valeur. Il faut observer les faits de l’extérieur, se mettre à
distance. Or, cela nous est difficile, car nous vivons dans le monde que nous observons. Il
nous faut donc rompre avec les prénotions. En d’autre termes, il convient d’écarter les
préjugés, les idées fausses, ce qui semble être une évidence.
Ä Par exemple: Le physicien ne se fie pas à une impression de chaleur, il regarde son
thermomètre.
Deux œuvres importantes dans l’œuvre d’E. Durkheim.
La division du travail social. (1893)
Dans cet ouvrage, E. Durkheim mène une étude sur les différents types de liens sociaux. Il
recours à la comparaison entre sociétés différentes et montre comment on passe d’une
solidarité mécanique, dans les sociétés qu’on appelle encore à l’époque « primitives », à une
solidarité organique dans les sociétés modernes.
& La solidarité mécanique se fonde sur l’identité des individus d’une même société. Ils sont
ensembles parce qu’ils se ressemblent.
& La solidarité organique se fonde sur la complémentarité des individus. La division du
travail des société modernes fait que chacun a une tâche spécifique et différente dans la
société, les individus se complètent à la manière des organes d’un corps (on retrouve la
métaphore de l’organisme).
Le suicide. (1897)
C’est une splendide étude qui applique les préceptes des Règles de la méthode sociologique
(même si a posteriori, on a un peu critiqué l’usage des statistiques, cf. Halbwachs !). E.
Durkheim montre comment on peut analyser un fait qu’on classait comme psychologique (le
suicide, acte individualiste par excellence) en tant que fait social en introduisant des variables
de type social et voir comment évoluent les suicides en fonction de ces variables (saison,
habitat, sexe, intégration sociale, rythme de vie, etc.).
La grande innovation de cet ouvrage est le recours massif aux statistiques, la quantification du
phénomène « suicide ».
Bibliographie indicative
Les règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F., rééditions multiples.
Education et sociologie, Paris, P.U.F., rééditions multiples.
De la division du travail social, Paris, P.U.F., rééditions multiples.
Le suicide, Paris, P.U.F., rééditions multiples.
Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, P.U.F., rééditions multiples.
Aron Raymond, Les étapes de la pensée sociologique, Paris Gallimard, 1967.
Baudelot Christian et Establet Roger, Durkheim et le suicide, Paris, P.U.F., 1984.
Coenen-Huther J. et Hirschhorn M., Durkheim, Weber, vers la fin des malentendus, Paris,
L'Harmattan, 1994 (actes du colloque)
Duvignaud J., Durkheim, Paris, P.U.F., 1965.
Filloux Jean-Claude, Durkheim et l’éducation, Paris, P.U.F., 1994.
Lukes S., Emile Durkheim : his life and his work, Londres, Penguin Press, 1973.
Nisbet Robert, The sociology of Emile Durkheim, Oxford, Oxford University Press, 1974.
Steiner P., La sociologie de Durkheim, Paris, La Découverte, 1995.
Turner S. (éd.), Emile Durkheim, Sociologist and Moralist, Londres, Routledge, 1993.
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