investissements peut être considérée
comme des actifs susceptibles d'être
cédés, à l'instar d'une machine ou
d'un bâtiment. On peut vendre une
marque, mais pas le capital humain
concentré dans la tête des salariés.
Les vraies richesses se
mesurent-elles?
La richesse, telle que le PIB la
définit se mesure par les flux
monétaires. Cette évaluation est
certes d'une importance centrale dans
une économie fondée principalement
sur les échanges monétaires, mais
elle a nécessairement les défauts de
l'évaluation monétaire. Lui échappent
d'abord toutes sortes d'activités
créatrices de richesse et qui
concourent au bien-être sans être
pour autant rémunérées, comme le
bénévolat ou le travail domestique.
En outre, la monnaie jette le voile de
la neutralité sur la nature des
dépenses, comme sur leur répartition:
100 euros dans la poche d'un pauvre
ont la même valeur que dans celle
d'un riche, même si cette somme
contribue davantage au bien-être du
second.
La «qualité» des dépenses est tout
aussi indifférente: les installations de
portes blindées, les assurances contre
le vol ou les appointements des
gardiens de prison augmentent le
PIB, au même titre que les achats de
parasols, de places de concert ou la
construction d'une école. Et
l'acquisition d'un 4X4 contribue plus
au PIB que celle d'un vélo. C'est le
marché qui, dans nos sociétés, établit
les valeurs, et non quelque grand
planificateur.
Mais, pour autant, le marché est
défaillant à établir certaines valeurs.
Les nappes phréatiques n'ont pas de
prix et leur pollution par une
agriculture productiviste n'est pas
décomptée à la production de cette
dernière. Au contraire, celle-ci
contribue d'autant plus au PIB qu'elle
a rendu l'eau du robinet imbuvable au
point de relancer la vente d'eau
minérale! Les dégâts écologiques de
la croissance ne lui sont à aucun
moment décomptés. Comme si les
activités productives pouvaient tirer
sans limite sur les ressources
naturelles et rejeter indéfiniment ses
pollutions dans la nature.
D'où les tentatives pour promouvoir
une conception pluridimensionnelle
de la richesse. Une conception qui ne
se limite pas aux flux monétaires,
mais prend en compte tout un capital
naturel, humain et social que le
marché ne valorise pas ou est
incapable de valoriser, tout en
contribuant pourtant au bien-être
d'aujourd'hui et à la prospérité de
demain. Mais ces tentatives pour
quantifier une richesse élargie,
enrichie en quelque sorte, doivent
nécessairement s'affranchir des
évaluations monétaires fournies
directement par le marché. Or, les
économistes ont depuis longtemps
échoué à trouver un autre étalon de la
valeur que la monnaie. Dès lors, tout
espoir de mesurer «les vraies
richesses» doit être mis au rancard.
Les indicateurs de développement
humain, de bien-être ou de
développement durable traduisent
donc nécessairement des systèmes de
valeurs et de préférences plus ou
moins implicites. Comme le souligne
Jean Gadrey, ces indicateurs «ne
prétendent pas à la neutralité» . C'est
pourquoi leur légitimité ne peut leur
être conférée que par le débat, non
seulement scientifique, mais aussi
politique. Cette difficulté est aussi ce
qui fait leur intérêt: en cherchant à
définir de nouvelles conventions de
richesse, elles enrichissent le débat
démocratique sur ce qui fait la qualité
d'une société.
Quand les multinationales
compliquent les choses
- Le déploiement des
multinationales ajoute encore une
couche d'opacité dans les comptes
nationaux. La notion d'économie
nationale est fondée sur la résidence
sur le territoire national des agents
économiques. Elle conduit à négliger
la structuration de l'économie
mondiale par les firmes
transnationales. Alors que les
comptes nationaux sont affectés, et
même parfois sensiblement faussés,
par les stratégies de ces firmes. A
travers notamment, les «prix de
transferts» auxquels une filiale vend
des prestations à une autre filiale, une
multinationale peut en effet localiser
ses profits là où cela l'arrange: quand
les prix de transferts sont élevés, la
filiale qui vend enregistre des profits
et celle qui achète des pertes, et vice
versa quand ils sont bas. L'impact de
ce mécanisme se mesure
particulièrement en Europe aux cas
de l'Irlande et du Luxembourg. Ces
deux pays ont le plus profité de la
terrible concurrence fiscale qui s'est
installée sur le Vieux Continent
depuis 1993. On glose souvent dans
la littérature économique sur
l'extraordinaire réussite économique
de l'Irlande, mais une bonne part de
cette performance n'est en réalité que
le reflet des pratiques peu orthodoxes
d'optimisation fiscale des
multinationales, principalement
américaines comme Dell ou
Microsoft. Elles concentrent en
Irlande le profit de leurs opérations
en Europe, pour pouvoir le rapatrier
aux Etats-Unis en ne payant que
l'impôt sur les bénéfices très bas
demandé par l'Etat irlandais. Si on en
croit les chiffres du PIB, c'est-à-dire
la richesse produite sur place,
l'Irlande serait devenue le 4pays le
plus riche d'Europe (et le second au
sein de l'Union européenne), après le
Luxembourg, la Norvège et la Suisse,
et cela en moins de quinze ans. Mais
une autre statistique permet de
détecter la supercherie: celle du
revenu national brut, c'est-à-dire la
richesse qui demeure effectivement
dans le pays: en Irlande, l'écart est de
5 600 euros par habitant et par an.
Soit 15 % du PIB qui quitte chaque
année ce pays pour rejoindre des
cieux plus cléments! En l'occurrence
essentiellement les Etats-Unis.
L'Irlande, qui s'est sans conteste
beaucoup enrichie, n'est plus
cependant que le 7pays européen par
le revenu par habitant...
Guillaume Duval
PIB et bien-être ne vont pas de
pair
Il faut toujours regarder les
graphiques à deux fois, voire trois.
Au premier coup d'oeil, le premier
graphique montre une divergence
inquiétante entre l'évolution du
produit intérieur brut (PIB) par
habitant américain et celle de l'indice
de santé sociale (ISS), qui agrège
différents indicateurs sociaux en
matière de santé, d'éducation, de
chômage, de pauvreté, etc. Mais un
examen plus attentif de la
construction de cet indicateur révèle
qu'il est borné par construction (sa
valeur ne peut dépasser 100), alors
que le PIB peut potentiellement
progresser indéfiniment. Il est donc
logique que la divergence entre les
deux courbes s'accroisse, et non
qu'elles évoluent en parallèle comme