EEC Congrès Budapest 2004 Mihály Kránitz:
La théologie du dialogue
1
La théologie du dialogue
1. Les témoins de l’Église primitive
La première manifestation des chrétiens au milieu d’une autre religion est le discours
de Pierre qui ouvre l’annonce de l’Évangile, le jour de la Pentecôte à Jérusalem (Ac 2,14-36).
L’objet du kérygme est la résurrection de Jésus; son but est un appel aux juifs afin qu’ils
reconnaissent la divinité de Jésus.
Les Actes font mention de l’hostilité des grands-prêtres, jaloux de leur influence sur le
peuple (Ac 5,17), ainsi que l’opposition des sadducéens, parti politique et religieux attaché au
Temple est opposé à toute innovation religieuse (Ac 4,2). Par contre les pharisiens, des
partisans du messianisme, vont se montrer favorables aux hébreux”, des chrétiens attachés à
la patrie juive, au Temple et à Moise. Mais leur opposition se tourne contre les chrétiens
hellénistes, indifférents à l’égard du Temple et de la Loi. À la lecture des Actes, nous
constatons que la communauté chrétienne de Jérusalem a continué à participer à la vie de son
peuple d’origine et à la prière au Temple. Cependant, elle avait conscience de former une
communauté particulière avec sa vie propre et ses réunions (Ac 2,42 et 46).
Au lendemain de la Pentecôte, les chrétiens de Jérusalem n’étaient pas directement
persécutés mais ils étaient surveillés, tracassés, voire parfois inquiétés par l’autorité juive.
2. L’ouverture aux païens
La mission chrétienne s’est développée trés rapidement dans le monde païen. En lisant
les Actes des Apôtres, nous savons la suivre dans le monde occidental. En ce qui concerne le
Moyen-Orient, nous ne disposons pas d’un document semblable aux Actes, mais la mémoire
des communautés chrétiennes a retenu de nombreux détails. Grâce à cela, Eusèbe de Césarée
peut nous parler de l’évangélisation de la Transjordanie, de l’Arabie, de la Phénicie, etc. Dès
les origines chrétiennes d’importantes communautés se sont formées en Syrie et en
Mésopotamie. Par ailleurs l’évangélisation du littoral méditerranéen a mis le message du
Christ en contact avec les fidèles des cultes grecs et romains (Ac 8,27; 10,1). Pierre n’a pas
hésité à proclamer l’ouverture de la communauté chrétienne aux païens (Ac 10,44-48). C’est à
Antioche de Syrie, un grand centre de culture hellénistique, que le message évangélique a fait
EEC Congrès Budapest 2004 Mihály Kránitz:
La théologie du dialogue
2
sa premiére véritable rencontre avec les cultes païens (Ac 11,20). Nous assistons à la
formation d’une première communauté de chrétiens venus du paganisme. C’est aux fidèles de
cette communauté que les païens vont donner le nom de chrétiens, c’est-dire „les partisans
de Chrestos” (Ac 11,26). Pareille sonance politique montre que, s 42, les milieux
romains considéraient les disciples de Jésus comme une secte messianique. Ainsi, douze ans
après la Pentecôte, Rome donne un témoignage officiel sur l’existence des chrétiens. Antioche
devient le centre de l’expansion du christianisme en terre païenne. Sous l’impulsion de la
mission chrétienne des juifs zélés ont tenté d’apporter eux aussi un message aux païens. (Ac
13,48; 14,1).
À Lystres Paul fait un discours d’un style nouveau. Dans son exhortation, il demande
aux habitants de Lystres de se détourner de leurs idoles et de se convertir au Dieu vivant (Ac
14,15, 1Th 1,9). À ses auditeurs païens, Paul adresse un langage qui reprend plusieurs
données des religions cosmiques: Dieu est le créateur de l’univers; il donne la pluie, les
saisons et la fertilité (Ac 14,15 et 17). Il s’agit d’un langage biblique que l’apôtre adapte aux
fidèles des cultes de fertilité du Proche-Orient habitués à une religion dans laquelle les mytes
et les rites de fécondité jouent un rôle essentiel.
La seconde orientation du discours paulinien met en relief les attributs de Dieu: son
impassibilité, sa puissance créatrice, sa providence bienfaisante. La double articulation du
discours de Paul à Lystres est un indice précieux qui met en évidence une stratégie
missionnaire du dialogue en vue de faire pénétrer l’Évangile dans le monde culturel et
religieux hellénistique.
En 49, le concile de Jérusalem règle définitivement la question de la circonsicion des
païens et décide que les païens devenus chrétiens ne sont tenus qu’à l’abstention de viandes
immolées aux idoles, de viandes étoufées et de la fornication (Ac 15,19).
Au lendemain de la Pentecôte les apôtres et disciples de Jésus ont cherché leur voie en
vue de la mission chrétienne. Conscients de l’accomplissement des prophéties messianiques
par la vie, par la prédication, par la mort et par la résurrection du Christ, ils se sont d’abord
tournés vers le peuple élu, afin de lui annoncer la Bonne Nouvelle. Mais face à l’hostilité d’
une partie du peuple juif et sous l’impulsion de Paul, la mission chrétienne s’est tournée sans
hésiter vers le monde hellénistique gréco-romain. Dans le monde méditerranéen elle a réussi à
faire une implantation rapide de l’Evangile.
EEC Congrès Budapest 2004 Mihály Kránitz:
La théologie du dialogue
3
3. La défense chrétienne au IIe siècle
Au cours du IIe siècle, les païens défenseurs de la pensée religieuse hellénistique ont
vu le danger que représentait pour elle la religion chrétienne. Ils se sont dressés contre la
nouvelle religion. Des lettrés comme Celse et comme Porphyre ont exploité toute la richesse
de la philosophie grecque et ils ont scruté les traditions juives afin de s’opposer au Christ.
L’apologie chrétienne est un phénomène du IIe siècle. Elle avait un but juridique en
relation avec le statut du christianisme. Elle condamnait les moeurs païennes, le culte des
idoles, le culte des souverains et les pratiques des religions à mystères. En même temps elle
visait un objectif missionaire: présenter aux païens et aux juifs l’Evangile de Jésus-Christ.
Elle constituait un message de conversion.
Chez Clément d’Alexandrie, nous trouvons les premiers lineaments d’une théologie
des religions. Il affirme sans hésiter que la Providence divine veut rendre le salut accessible à
tous les hommes. Lui aussi, élevé dans le paganisme, formé à la philosophie grecque, Clément
fait un choix décisif. Il devient chrétien. Il ne renie pas sa formation platonicienne. Sa
réflexion sur la préparation évangélique l’amène à distinguer deux voix. Il y a la préparation
juive par Moïse et par les prophètes. Une seconde voie existe: la philosophie représente pour
les Grecs une économie parallèle à la Loi.
Origène est un chrétien éduqué dans la foi par son père qui meurt martyre. A ses yeux,
le Christ est le seul Sauveur. Platonicien lui aussi, formé à la culture hellénistique, il reconnaît
la valeur de la philosophie mais il se montre plus réticent que Clément. La doctrine chrétienne
est une force divine capable de transformer l’homme. Tout en admettant que la philosophie a
permis à une élite d’approcher de la vérité, Origène porte le débat sur les faits: la conversion
du monde par le Christ. Au mysticisme païen, il oppose l’initiation chrétienne et la
connaisance de Dieu par Jésus, véritable Révélateur. Au lieu de limiter la confrontation entre
christianisme et culture païenne à des simples discussions entre lettrés, Origène se met à
construire un système théologique dont l’ébauche se trouve dans son Péri archôn (De
principiis) composé à l’âge de 40 ans. Il a rédigé le Contre Celse, réponse d’un catéchète au
Contre les Chrétiens d’un païen cultivé de la fin du IIe siècle. Le Contre Celse est une oeuvre
missionnaire, fruit d’une vie consacrée à l’exégèse de la Bible et au premier essai d’une
théologie chrétienne.
EEC Congrès Budapest 2004 Mihály Kránitz:
La théologie du dialogue
4
4. Les chrétiens et la religion impériale
Au cours du IIIe siècle, au lendemain de la célébration du millénaire de Rome en 247,
l’Empire cherche de nouveaux facteurs de cohésion et d’unité. Le trait le plus marquant des
IIIe et IVe siècles est le sacré: sacralisation de l’Empereur et de l’Empire.
Au milieu de cette société païenne émerge un nouveau sacré fondé sur le Christ,
Kyrios Christos opposé au Kyrios Kaisar. Les chrétiens ne rejettent pas l’Empereur, ils le
respectent. Ils prient pour lui et pour l’Empire. Mais ils refusent l’adoratio et tous les gestes
fondés sur la sacralisation du pouvoir. Les persécutions vont sanctionner ce refus mais elles
vont constituer indirectement un véritable moteur de l’expansion du christianisme. Attiré par
la vie des chrétiens et par la force mystérieuse des martyrs et des saints, les païens rejoignent,
en nombre toujours plus grand, l’Eglise catholique. Déja manifestée au niveau de la vie
quotidienne, la victoire du sacré chrétien reçoit une reconnaissance officielle par la conversion
de Constantin et par l’avènement de l’Empire chrétien.
Au Ve siècle, l’Eglise est devenue libre et elle se développe dans un monde dans
lequel le paganisme est en déclin. Elle s’étend au milieu d’une culture façonnée par la
philosophie grecque, par la pensée hellénistique et par les religions antiques. Elle voit les
dangers de la culture païenne mais elle regarde avec admiration Rome, Alexandrie, Athène et
Antioche. Elle ne refuse pas lettres païennes et elle ne prononcera aucune condamnation
officielle à leur égard. Mais elle refuse les dieux païens et leurs cultes.
Si les premiers siècles chrétiens étaient peu enclis au compromis avec une culture
contraire à la foi et à la morale de l’Evangile, la paix de l’Empire va modifier les perspectives.
Les confusions du christianisme et du paganisme à son déclin sont moins dangeureuses.
5. Chrétiens, juifs et païens
Depuis la première diffusion de l’Evangile, les chrétiens se trouvent en face des juifs
et des païens, qui manifestent à la foi refus et hostilité à l’égard de la nouvelle religion. Dans
l’Empire, la religion est une religio licita. Conscients des origines juives de la foi chrétienne,
les Apologistes et les Pères de l’Église des IIe et IIIe siècles se réclament de Moïse et des
Prophètes mais ils insistent sur l’accomplissement des promesses messianiques par Jésus. Ces
EEC Congrès Budapest 2004 Mihály Kránitz:
La théologie du dialogue
5
discussions entre juifs et chrétiens ne constituent pas une véritable polémique, cependant plus
d’une foi les chrétiens accusent les juifs de contribuer à l’opposition des empereurs contre eux
et de rallier le camp des persécuteurs.
La controverse doctrinale du IIe au IVe siècle est conduite par des écrivains venus de
la Gentilité. Le débat tourne autour de la christologie, de la Loi et du véritable Israel.
A la fin du IVe siècle la situation va changer. Dans ses huit homélies contre les juifs
prononcées à Antioche en 386-387 Jean Chrysostome demande aux Chrétiens de cesser leur
fréquentation des synagogues et leur participation aux fêtes juives. En fait, les païens tentent
d’ utiliser les juifs contre les chrétiens. L’exemple le plus frappant en est l’empereur Julien
entre juifs et chrétiens, un durcissement se manifeste. Aussi, dès la fin du IVe siècle les
polémistes chrétiens multiplient les arguments dans lesquels ils défendent les dogmes
chrétiens à la fois contre les juifs et contre les païens.
La position des chrétiens à l’égard des religions païennes est bien différente. La
première évengélisation a déja solidement implanté la religion du Christ dans l’Empire. Dès le
IIe siècle, le monde païen commence à réagir: tentatives de persécutions, calomnies, railleries
et, bientôt l’attaque directe de Celse. Les chrétiens se défendent. L’ère des Apologistes qui
réfutent les calomnies et répondent aux accusations. Les Pères grecs formés dans l’hellénisme
ne renient pas les malheurs de la philosophie platonicienne et stoicienne. Les Apologistes
latins suivent une voie plus juridique. Devant les empereurs, ils plaident leur loyalisme des
chrétiens et démontrent leur force de cohésion pour l’empire. Héritiers de la tradition
biblique, les chrétiens refusent tout contact avec les idoles. La polémique est menée sans
ménagement tout au long des IIe et IIIe siècles. Elle a d’ailleurs un aspect catéchétique:
empêcher les convertis de retourner dans les temples païens et de participer aux sacrifices et
aux libations. Le culte chrétien refuse tout contact avec les cultes païens.
Dans la ville d’Alexandrie, capitale de l’hellénisme, se fait la rencontre de la foi
chrétienne et de la culture antique, de l’Evangile et des cultes méditerranéens. Au cours de
quatre siècles, les chrétiens ont insisté sur le côté maléfique, déficient voire indigne du
polithéisme antique. L’apologétique a débuté par des réponses aux calomnies et aux attaques
des païens, ainsi qu’aux actes des persécuteurs. Durant quatre siècles ce dialogue est resté un
duel et un affrontement de deux communautées avec des comportements souvent fort variés.
1 / 12 100%