chapitre 7 Design et stratégie, la fonction transformatrice du design

chapitre 7
Design et stratégie, la
fonction
transformatrice du
design
Gérer la fonction design au niveau stratégique, c'est gérer la contribution du design au profit en
rapprochant la politique de design de la formulation de la stratégie ; définir la responsabilité et le
leadership attribué au design et sa contribution à la culture de l'organisation ; rechercher des
opportunités pour des innovations en design et multiplier les manifestations des identités design
de l'entreprise. Sur la matrice d'intégration du design, ce troisième niveau du design management
vise à établir des liens entre design et fonction communication, design et direction générale.
Les entreprises modèles dans le domaine du design stratégique sont celles qui considèrent le
design comme une compétence clé : c'est le cas d'Apple. Elles sont de deux types : celles où le
design a toujours joué un rôle stratégique par la volonté du fondateur et celles où le design joue
progressivement un rôle de plus en plus important.
Nous pouvons prendre, comme exemples du rôle stratégique « inné » du design, toutes les
entreprises qui ont été fondées par un designer entrepreneur dans la mode ou le textile, dans la
distribution, dans le mobilier contemporain. On peut citer Marimekko, Habitat, Ikea, Herman
Miller, Cassina, Castelli, Alessi, Braun, Olivetti mais aussi plus récemment Dyson en Grande-
Bretagne. Toutes ces entreprises ont en commun d'avoir une stratégie globale du design qui fait
pénétrer l'esprit du design dans tous les processus de l'organisation, dans sa communication et
ses produits.
Pour la firme Olivetti créée en 1908, graphisme, conditionnement, produits, architecture et publicité sont des activités vues
comme autant de manifestations de l'identité de l'entreprise. Cette philosophie repose sur toute une organisation du design
dans l'entreprise et une tradition formalisée de collaboration avec les meilleurs architectes pour la réalisation des usines et des
produits. Elle prévoit l'intégration de ces concepteurs dans la hiérarchie de l'entreprise au comité de direction, la protection de la
créativité des designers installés à Milan, et non près
de l'usine, pour qu'ils oeuvrent sur d'autres projets et gardent leur rôle prospectif
dans l'entreprise.
[Alessi 1998]. L'entreprise italienne Alessi a travaillé au cours de son histoire
avec les plus grands designers mondiaux. Successeur de son père Carlo et son
oncle Ettore, Alberto Alessi arrive dans l'entreprise en juillet 1970 avec une vue
utopique de l'art multiplié. Il développe sa propre marque, véritable manifeste
culturo-théorique d'une nouvelle civilisation visant à offrir aux consommateurs de
masse de véritables objets artistiques à des prix bas.
Le modèle du design « acquis », qui est celui de Sony ou de Philips, montre la
valorisation progressive du design dans l'entreprise. Pour Sony, cette valorisation
est liée à la personnalité de l'un des fondateurs Akio Morita qui, à la suite du
lancement du walkman dans les années 1980 par une équipe de projet, crée un
centre de design PP - résumé pour Product, Présentation, Proposai, Promotion -
regroupant plus de cent trente designers. Dès 1984, ce centre de design, ratta
ché au siège, est organisé selon une logique consommateur et non par structure
de produit.
Chez Philips, l'arrivée de Robert Blaich comme directeur du design coïncide avec
le renforcement du pouvoir des designers vers 1980. Il existait déjà un départe
ment de design central avec un directeur du design rattaché à la direction géné
rale et des designers répartis dans le monde. La direction est réorganisée et le
service recentralisé autour de six responsables du design organisés non plus par
pays mais par produit (cf. schéma chapitre précédent). La réorientation de la
gamme produits et des processus de lancement de produits nouveaux aboutit à
une gestion de l'innovation autour de trois forces égales : marketing, production,
design. Et l'on donne au design une vraie force d'anticipation des marchés en
créant des comités de recherche prospective et des ateliers à thèmes où l'on fait
venir des experts externes en design afin de développer des concepts qui seront
présentés deux fois par an à la direction générale.
Ce troisième niveau du design management ou celui du design dans la stratégie de l'entreprise est aussi
celui des décisions pour gérer la cohérence entre les projets de design : design des produits, design de
l'identité institutionnelle et design de l'espace, espace de travail ou espace commercial. Mais à ce niveau,
le design management a aussi un rôle à jouer dans la transformation de la vision de l'entreprise et de sa
relation avec son environnement. Nous aborderons successivement la place du design dans la gestion de
l'identité puis sa place dans le changement organisationnel et dans la définition de la mission de l'entreprise.
La place du design dans la gestion de l'identité
La communication symbolique repose en amont sur l'élaboration du projet d'entreprise et sur des choix
stratégiques clairs. La réalisation d'un programme d'identité visuelle ou d'un aménagement de l'espace exige
en effet une définition précise des objectifs stratégiques et la formulation explicite des valeurs de l'entreprise.
Ce n'est qu'à cette condition que le design est susceptible de faciliter le dialogue entre l'entreprise et son
environnement.
L'entreprise selon sa stratégie choisit un type d'identité graphique institutionnelle [Olins 1989, 1974] :
identité monolithique, si elle adopte un seul nom et un seul style visuel
partout où elle se présente,
identité d'endossement, si elle souhaite fédérer un ensemble d'entreprises
et affirmer sa présence en tant que groupe,
identité de marque, si l'entreprise choisit d'exister par ses différentes
marques.
Le design graphique et le design d'environnement interviennent au niveau intermédiaire dans la construction
d'une image, entre le niveau du diagnostic et de l'identité et avant celui de l'audit ou du contrôle de l'image
perçue. Les designers graphiques ou d'environnement ne créent pas des images. Ils créent des formes qui
reflètent la personnalité d'une organisation. Le design graphique est ce que l'on veut être, l'identité ou la
personnalité, ce que l'on est, l'image ce que l'on parait être. Le graphisme reflète l'identité ou la personnalité,
il aide à construire une image positive (figure 7.1).
L'identité graphique d'une organisation
Le graphisme - de marque, d'entreprise, d'organisation - est une forme visuelle qui
résulte de l'organisation d'un ou de plusieurs des éléments suivants :
le logotype ou choix de caractères d'imprimerie ou le dessin particulier de
lettres constituant un ensemble typographique personnalisé,
l'emblème, élément facultatif du graphisme. L'emblème comprend un ou
plusieurs sous-éléments suivants :
couleur : tout graphisme a une couleur souvent plusieurs et une version
en noir et blanc
sigle ou lettre initiale ou groupe de lettres initiales constituant une
abréviation : IBM
symbole ou forme figurative ou abstraite choisie pour personnaliser le
graphisme
cartouche ou forme permettant d'enfermer certains ou tous les éléments
visuels d'un graphisme de manière à mieux les organiser et à en faciliter
l'utilisation.
Différentes organisations de la forme graphique sont possibles. Par exemple, Coca-Cola est représenté par un
logotype et une couleur, Renault
par un symbole seul, Citroën par un symbole et un cartouche.
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Le graphisme sigle est un choix difficile mais il est possible de créer avec des lettres ou un nom un style
graphique reconnaissable. Il existe plusieurs types d'écriture : la calligraphie, l'écriture typographique,
l'écriture pictographique avec symboles. La typographie est aussi souvent associée à une ligne qui vient
renforcer l'écriture typographique. [Delorme 1991]
Les mots par ailleurs sont des images. Il ne faut pas croire que choisir entre un graphisme à dominante
typographique et un graphisme à dominante symbolique revient à choisir entre un mot et une image. Les
lettres sont des dessins. Certaines lettres ont un langage architectural symbolique. Le graphisme à
dominante symbolique, plus facilement mémorisable est souvent préféré au nom. Il existe deux grandes
catégories de symboles : les symboles abstraits et les symboles figuratifs. Les symboles abstraits sont
des formes comme le rond, le carré, le rectangle, le triangle ou d'autres formes moins prégnantes comme
le losange, le blason, l'ovale, l'hexagone, le parallélogramme. Certains graphismes de marque ont des
formes géométriques originales : exemple Carrefour. Pour choisir un symbole abstrait, il peut être
souhaitable d'utiliser les symboles les plus universels et les plus facilement mémorisables comme le
rond ou le carré. Mais en réaction à la prolifération de ces formes abstraites, qui banalisent les codes
graphiques d'un univers concurrentiel, on voit se dessiner une tendance vers un retour aux racines et aux
formes descriptives. On distingue deux degrés dans le caractère figuratif d'un symbole : le symbole
associatif qui décrit le produit ou l'activité de manière directe, le symbole allu-sif qui décrit le produit et
l'activité de manière indirecte. Il existe plusieurs types de symboles descriptifs.
Par exemple, le produit pilote de l'entreprise, un outil symbole de l'activité de
l'entreprise, des graphismes avec un animal (Ferrari), des graphismes avec un
végétal (Apple), des graphismes avec des éléments naturels comme la coquille,
les étoiles, les cristaux de neige, et des graphismes avec des fi gures (trident Club
Méditerranée, diligence Hermès).
La qualité d'un graphisme s'analyse selon deux critères : la qualité intrinsèque de la forme visuelle, son
équilibre, son accent, la relation fond / forme et la qualité extrinsèque, sa qualité fonctionnelle, reflet de
l'identité de l'organisation de son histoire et de son métier, son caractère distinctif. Un équilibre est à
trouver entre différenciation et nécessité de perception d'appartenance du signe à l'univers en question.
Exemple le Crédit Agricole et le métier de la banque et son caractère systémique. La richesse d'un
graphisme peut s'apprécier par sa facilité d'utilisation et par ses possibilités de déclinaison publicitaire et
architecturale. Mais la qualité essentielle d'un graphisme est de communiquer les objectifs de
l'entreprise à son marché cible.
Le système d'identification visuelle est un programme qui relie des composantes visuelles d'une firme
d'une manière distinctive, cohérente et économique. La différence entre un système d'identification
visuelle et un graphisme réside dans la complexité et le nombre des supports d'utilisation du graphisme,
mais aussi dans la volonté de créer une cohérence par l'unicité du message et d'imposer des normes
graphiques à tous. Un livre de normes récapitule, sous forme de classeur, les différentes solutions
graphiques. Assez onéreux il présente cependant l'avantage de donner un caractère très officiel au
changement de graphisme. Les différents chapitres du livre de normes suivent l'inventaire de base de
l'espace visuel de l'entreprise : éléments de base du graphisme, papeterie, documentation promotionnelle
et technique, véhicules, communication bâtiments et produits. Une entreprise peut choisir de mettre
l'accent sur un chapitre du livre de normes selon sa stratégie et son métier. L'informatique permet
d'intégrer les normes graphiques directement dans les ordinateurs du personnel utilisateur.
Le design de l'espace de travail et commercial
Une autre composante de l'identité est le design des espaces et bâtiments. Les bâtiments nécessaires à
toute entreprise peuvent se diviser en deux catégories : l'espace de travail : bureaux, siège social et
usines et l'espace commercial : stand d'exposition, boutiques, agences. L'intérêt des entreprises pour
l'architecture s'explique par l'impact d'une architecture originale en termes d'image et d'une architecture
fonctionnelle en termes de rentabilité. L'architecture devient un média permanent de l'organisation. Une
architecture fonctionnelle améliore la rentabilité immobilière et se met au service de la politique de
ressources humaines.
L'entreprise danoise Novo, spécialisée dans le diabète, considère que le Design
de l'espace de travail est stratégique en matière de gestion des ressources
humaines : si le personnel trouve ses postes de travail attractifs, elle espère que
cela stimulera sa créativité.
Par ailleurs, l'entreprise change dans ses structures. La fluctuation des organisations implique une
redistribution fréquente des hommes et des espaces et engendre de ce fait un nécessaire flexibilité
de l'architecture. L'aménagement intérieur a un impact sur la performance : des secteurs entiers de
l'économie et des services comme la banque ou la distribution découvrent une nouvelle forme de
concurrence où l'ambiance de l'espace commercial devient un atout en matière d'image et de
rentabilité commerciale.
Le design de l'espace de travail a pour fonction élémentaire de loger l'entreprise. Considérer
l'architecture de l'espace de travail uniquement sous cet angle conduit souvent à ne voir en celui-ci
qu'une charge financière non productive que l'entreprise doit minimiser. La notion même de design
n'apparaît que dans le cas où l'entreprise dépasse cette vision de l'espace de travail comme une
simple charge et apprécie l'espace de travail par son impact sur l'efficacité de l'activité qui s'y
déroule. L'architecture contribue à rationaliser la production et le système technique de l'entreprise
ou à véhiculer et à valoriser son image. L'architecture est alors l'un des aspects de la politique de
communication de l'entreprise à l'égard de ses publics et de son personnel. Elle peut se prolonger en
utilisant la même symbolique à l'intérieur du bâtiment et ainsi devenir la manifestation spatiale et
visuelle d'une culture d'entreprise et d'un système de gestion. Par exemple, le rapprochement des
partenaires autour d'un même espace favorise la communication informelle de socialisation et la
fluidité des processus. La qualité d'une architecture s'analyse à la fois par la qualité de l'intégration
de la forme dans son environnement et par la qualité de la forme elle-même. De nombreuses
réalisations architecturales récentes sont le résultat de ce dialogue de la forme avec son
environnement.
La relation de la forme avec la spécificité de l'entreprise est souhaitable. L'objectif est de concevoir
une enveloppe extérieure qui soit en harmonie avec l'activité qui s'y déroule à l'intérieur et qui
sublime la lisibilité du processus de fabrication. Une architecture adaptée à l'entreprise doit, pour
être fonctionnelle, pouvoir évoluer avec elle. Une architecture donne le spectacle de la technologie
avec la structure de la forme du bâtiment qui joue un rôle dominant et visuel. Cette approche
rationnelle de la forme, en fonction de la spécificité de l'entreprise et de l'évolution de ses besoins
dans le long terme, conduit encore à d'autres améliorations : modularité des façades, économie
d'énergie, espace communication.
La conception d'un espace de travail se divise en trois sous-ensembles : distribution des fluides,
aménagement de l'espace et sélection du mobilier. Les entreprises demandent de plus en plus de
services, de télécommunications, de climatisation et d'équipement informatique, ce qui conduit à
l'apparition de nouvelles possibilités d'autonomie, de contrôle individuel des fonctions et
d'automatisation (conditionnement d'air, éclairage, ventilation et informatique à partir du poste de travail
individuel). On assiste au développement de l'immeuble intelligent qui contrôle son fonctionnement,
dispose d'un niveau élevé d'information et permet la même flexibilité que pour l'enveloppe extérieure.
L'immeuble intelligent est un immeuble économique à gérer, au sein duquel il est agréable de travailler.
L'entreprise choisit ensuite une configuration de l'espace intérieur qui exprime un certain style de
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