Les spécificités de prise en charge en soins palliatifs à domicile Une équipe restreinte A l’inverse des équipes hospitalières, constituées d’une quinzaine d’infirmiers qui se relaient, le noyau d’intervenants au domicile est beaucoup plus réduit. L’équipe d’un cabinet étant la plupart du temps restreinte (2 ou 3 praticiens), cela permet à chacun d’instaurer une relation privilégiée avec le patient, qui se renforce chaque jour davantage. Le patient se confira davantage à un visage familier, qu’il connaît bien, et en qui il a une grande confiance. Ce climat privilégié permet au patient de parler librement de ce qu’il vit, de ses difficultés. Chaque soignant, de par son caractère, son vécu, sa sensibilité, recueillera une vision unique de la situation. La mise en commun des informations permet de mettre en évidence les multiples facettes d’un patient, d’une situation, d’un contexte familial. A l’inverse, ce nombre réduit d’intervenants peut aussi restreindre la richesse de la vision du patient. En effet, il y aura moins d’approches différentes qu’en secteur hospitalier. . Le soutien de l’entourage L’infirmier est également à l’écoute de l’entourage proche du patient (famille, amis, voisins, intervenants). Leur témoignage est très précieux concernant des patients qui n’osent ou ne peuvent s’exprimer. Le soutien des proches est un aspect essentiel dans le cadre de soins palliatifs. Le temps octroyé au delà du temps de soins est quantitativement très important. Ces échanges informels ont lieu partout, dans le couloir, autour d’un café, dans la cuisine, ou parfois sur le pas de la porte. Eloigné de tout cadre rigide, ils n’en demeurent pas moins précieux pour tous. Il permettent de suivre l’évolution de chacun des membres de la famille, son cheminement vis à vis de la maladie, de la mort. Ce regard permet de dépister un appel à l’aide, un syndrome dépressif. Il est fréquent d’orienter les proches vers le médecin lorsque ceux ci ne trouvent plus le sommeil, ne tiennent plus physiquement, ou psychologiquement. L’immersion dans l’univers du patient L’infirmier, en se rendant à domicile, découvre l’univers du patient. Cela lui permet de mieux connaitre son mode de vie, les difficultés liées aux déplacements, à la configuration des locaux, aux contraintes familiales, sociales, ou à un contexte de vie plus ou moins difficile. Nombre d’observations faites au domicile permettent d’intervenir de façon beaucoup plus judicieuse et pertinente. Les passages infirmiers sont également une immersion dans l’intimité d’une famille, d’une relation, avec tout ce que cela implique. Savoir respecter l’intimité de chacun est indispensable, et nécessite une certaine finesse dans la démarche soignante. Il est important que les familles se sentent entourées, mais gardent leur identité, leur singularité, leur intégrité. L’entrée du soin au domicile doit épargner ce noyau précieux qu’est l’intimité Une vision de la réalité De par ses passages fréquents, quotidiens, l’infirmier est face à la réalité de la situation, dans toute sa complexité. Loin d’une vision « édulcorée » , sous ou sur évaluée par la distance que peuvent avoir certains intervenants extérieurs. En effet, beaucoup d’éléments ne sont pas relatés par les familles ou le patient lors des entretiens médicaux. Cette réalité plus cachée, plus discrète, ne peut l’être à long terme, auprès des soignants que l’on côtoie chaque jour. Les masques tombent, les mots osent se poser, s’exprimer, au fil du temps, au grès de la confiance, et de la complicité qui s’est instaurée. Cette réelle immersion dans un vécu, un quotidien, est un atout majeur, porteur d’une connaissance non négligeable de la situation. L’incontournable évaluation L’évaluation de la situation et des moyens à mettre en œuvre fait parti intégrante de la prise en charge globale. Evaluer les besoins matériels est un aspect essentiel : le lit médicalisé, le matelas adapté à la prévention d’escarre, les coussins de positionnement, sont parfaitement connus de l’infirmier, qui discerne facilement le matériel le plus adapté. Le médecin traitant fait d’ailleurs bien souvent appel à l’infirmier concernant cet état de lieux, et le matériel nécessaire au domicile. L’évaluation clinique est réalisée à chaque passage, et l’accent est bien sur mis sur la douleur : La réglette EVA permet d’évaluer rapidement la douleur. Le questionnaire DN4, simple d’utilisation, permet d’estimer la probabilité d’une douleur neuropathique. L’outil ALGOPLUS permet d’ évaluer la douleur aigue chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale. L’évaluation est bien sur réalisée avant et après la mise en place des antalgiques, afin de réajuster le traitement si cela est nécessaire. Dans le cas de douleurs induites par les soins, elle sera faite avant, pendant, et après le soin effectué. Les différents traitements Nombre de traitements concernant la douleur sont actuellement disponibles en ville et les praticiens disposent d’un panel assez large. Des traitements à libération prolongée peuvent être utilisés par voie orale ou trans dermique, ce qui est d’un grand confort d’utilisation. Les réticences concernant l’usage des morphiniques en ville ont nettement reculé ces dernières années. Ceux-ci sont donc administrés lors de douleurs intenses, sous diverses formes. Le recours à la PCA est facilité par l’intervention de différents prestataires de services la mettant à disposition, et assurant la formation des infirmiers si nécessaire. Ces pompes de très petite taille permettent au patient de préserver sa mobilité et sa liberté de mouvement. La mise en place de ces traitements par voie intraveineuse est possible, sachant que tout le matériel nécessaire est disponible en ville sans aucune difficulté. L’infirmier libéral assure la surveillance continue des dispositifs intraveineux, et reste joignable jour et nuit afin de sécuriser le patient, et d’intervenir si besoin (retour veineux obstruction de cathéter ou de chambre implantable.) Cette astreinte étant une obligation légale La réactivité Elle pourrait sembler moins importante qu’en structure, or il n’en est rien, et à domicile, la prise en charge est réajustée très rapidement. L’état clinique du patient, de par son évolution, nécessite une évaluation régulière de la part du soignant. Au jour le jour, l’équipe adaptera la fréquence de ses passages, et le niveau de prise en charge. Face à une douleur insuffisamment soulagée, l’infirmier libéral entre en lien sans délai avec le médecin traitant, ce qui lui permet d’effectuer une nouvelle prescription rapidement. L’infirmier peut ainsi mettre en place le nouveau traitement et en évaluer l’efficacité. Cette rapidité nécessite un travail en réseau organisé, mais surtout l’implication active de chaque professionnel. La plupart des médecins traitants établissent de manière anticipée des protocoles écrits afin de réajuster le traitement lorsque cela s’avère utile. De même, si la demande de soins s’intensifie, le cabinet de soin multipliera ses passages, et fera parfois appel à d’autres collègues afin de parfaire l’amplitude de la prise en charge. Concernant les interventions d’aide ménagères, et auxiliaires de vie, une augmentation des besoins est toujours signalée à l’assistance sociale de secteur travaillant en mairie. Celle ci travaille souvent en étroite collaboration avec les cabinets libéraux, et permet d’augmenter rapidement les heures d’intervention au domicile, afin de soulager les proches et les aidants. La souplesse Le soignant doit rester ouvert à la demande du patient, la souplesse étant une qualité à part entière. La qualité de vie du patient reste la priorité dans un contexte tel que les soins palliatifs. Difficile de prévoir l’état d’un patient à l’avance, et c’est au jour le jour que celui-ci pourra vivre ce qu’il souhaite, au gré de son corps, de sa douleur, de son état, des visites de ses proches. Le respect des temps familiaux, des petits plaisirs est capital. Il est fréquent de concilier les contraintes d’une tournée avec ces petits moments de vie si précieux . Permettre à la personne en fin de vie de vivre ces instants à distance des soins semble être important. La souplesse a donc un intérêt non négligeable dans l’approche soignante, et les passage soignants ne sont donc pas figés, rigides. Cette souplesse a également sa place lors des soins. L’usage de la musique, de la télévision ou de la discussion permet, par la distraction, de minimiser certaines douleurs induites. Les proches peuvent intervenir, ils sont accueillis chaleureusement lors des soins, ne sont pas exclus, comme cela peut être le cas en structure. Ormis bien sur si cette présence est génératrice d’angoisse. De même, le choix de l’heure d’un soin a toute son importance. L’amplitude horaire de l’infirmier libéral permet une certaine flexibilité dans la planification des soins. Un pansement qui serait effectué de préférence le matin en milieu hospitalier peut tout à fait être programmé en fin de journée si cela est une demande du patient. Un moment calme, choisi, permet au patient de garder une certaine liberté et un contrôle de ce qu’il vit. Le soin sera mieux perçu, mieux intégré, voir moins douloureux, tant physiquement que moralement. La disponibilité A domicile, le patient évolue dans son cadre de vie, ce qui pour lui est très rassurant, à l’inverse de l’univers hospitalier qui peut être source de peurs ou d’inquiétudes. Or la présence permanente de professionnels en structure peut s’avérer très sécurisante lorsque les difficultés surviennent. Il est donc capital d’expliquer au patient qu’il peut bien sur avoir recours au téléphone si cela est nécessaire. L’infirmier libéral est très souvent amené à faire plusieurs visites par jours au domicile du patient afin d’évaluer la douleur, d’administrer des antalgiques, d’effectuer positionnements et surveillance. Cela est souvent ignoré du patient et de sa famille, qui voient là un dérangement inutile du praticien. Il est donc important de les sécuriser, et de prévoir en accord avec le médecin plusieurs passages infirmiers, selon la complexité de la situation. Pour exemple, dans le cadre d’un patient très algique, l’infirmier libéral peut être amené à effectuer des injections sous cutanées de morphine toutes les 4 heures. Nombre d’infirmiers se déplacent la nuit si nécessaire, et certains cabinets consacrent l’essentiel de leur activité aux soins de nuit. Tout cela est parfois méconnu du public et de nombreux praticiens eux mêmes. Le développement des soins à domicile a été très important ces dernières années, et les infirmiers libéraux se sont adaptés à la demande de soins, ainsi qu’a l’amplitude horaire que cela nécessite. Le partage des connaissances L’infirmier libéral a un rôle d’information et d’éducation à part entière. Ainsi, lors des échanges avec le patient et ses proches, il va cibler très rapidement les différentes connaissances à apporter. Concernant la douleur, l’éducation à toute sa place. La prise de antalgiques doit être la plus judicieuse possible. Pour cela, il est essentiel de connaître les délais et durées d’actions de chaque antalgique, ainsi que leur pic d’action optimale. Ceci permet d’anticiper la fin de l’effet antalgique et de planifier une nouvelle prise médicamenteuse. Définir avec le patient les circonstances et moments de la journée ou la douleur est la plus intense permet d’adapter la prise des antalgiques en conséquence. L’observance du traitement est un point capital. Les visites régulières de l’infirmier permettent de veiller à la prise correcte et régulière des traitements, de dépister les erreurs ou oublis éventuels. Etablir un « plan de prise » sur papier peut être un support visuel intéressant, le patient ou sa famille peuvent ainsi s’y référer lorsque cela est nécessaire. Ce support permet de faire une synthèse claire des différentes prescriptions, qui peuvent être multiples. Lorsque le patient est alité, la prévention des troubles de décubitus nécessite bien souvent l’intervention des proches. Expliquer l’intérêt des changements de position réguliers, veiller l’apparition de rougeurs, effleurer doucement les points d’appuis. Ces connaissances sont délivrées dans une relation de confiance, de complicité. L’entourage est bien souvent amené à prodiguer divers soins de confort( soins de bouche, massage, positionnement) ; transmettre la gestuelle, les conseils, les connaissances nécessaires à cela est un vrai moment de partage avec eux. Au delà des conseils, l’infirmier libéral est souvent celui à qui se posent les questions qui n’osent pas se poser ouvertement, concernant la mort, l’agonie, la souffrance, la conscience de celui qui s’en va. « Comment vais-je savoir si c’est fini ? », « comment savoir s’il a mal ? », « est-ce qu’il entend encore ce que je lui dis ? » . La formation Qu’il travaille à domicile ou en structure, l’infirmier peut et doit se former de façon régulière, mais cela demeure une démarche personnelle de sa part. En structure, le cadre de service peut en initier la demande, en accord avec la politique et les besoins du service. Les formations peuvent être limitées en raisons des contraintes budgétaires, ou du manque de personnel. L’offre qui s’adresse à l’infirmier libéral est très riche et variée, certaines formations pouvant être diplomantes (Diplômes universitaires). L’infirmier perçoit des indemnisations qui lui permettent de financer en partie ces différentes formations. La mise à jour des connaissances est absolument essentielle dans tous les domaines, et les soins palliatifs en sont une illustration. L’accès à la connaissance est très varié et accessible à tous : revues professionnelles, sites internet, ouvrages dédiés à l’exercice de la profession, à la prise en charge de la douleur, conférences, congrès douleur, etc.. Aussi, chacun peut intégrer la formation à sa pratique, selon ses besoins et ses disponibilités. Une remise en question La plupart des infirmiers libéraux sont amené à se questionner concernant leur pratiques. Cela est d’autant plus vrai concernant les soins palliatifs, car cette prise en charge est loin d’être neutre. Loin des réunions formalisées, et cadrées, ces questionnements sont bien souvent partagés entre collègues, et les points de vus de chacun y sont pleinement entendus. De nombreux libéraux n’hésitent plus à décrocher leur téléphone, et à demander conseil à leurs collègues, aux cabinets voisins, aux intervenants du secteur, aux collègues titulaires de diplômes universitaires. La connaissance s’échange, se partage, et diffuse ainsi de façon informelle, mais non moins réelle. Loin de cultiver la suffisance, c’est bien empreint d’humilité que la plupart exerce leur profession, et tente d’améliorer les prises en charge. L’après décès En structure de soins, l’après décès répond à une organisation précise, et les proches sont portés par l’équipe, qui va les guider dans chaque étape, jusqu’au départ du corps. A domicile, les proches sont seuls, et l’infirmière est souvent la première appelée suite au décès du patient. Des soins au corps du défunt, de l’aide apportée aux proches pour les démarches administratives, du soutien, de l’écoute, des gestes au choix des mots, les initiatives de l’infirmière lors de cet instant ont toute leur importance. Le travail d’équipe Au domicile, de nombreux intervenants se croisent, et se connaissent bien souvent car travaillent sur le même secteur géographique. Communiquer les informations entre catégories professionnelle différente est indispensable . Chaque regard porté sur le patient est différent, de par la singularité de chacun, et les différents domaines de compétence. Au delà des rencontres au domicile, les échanges téléphoniques sont essentiels. L’outil internet est également intéressant, et les mails entre cabinet infirmiers et médecins libéraux sont extrêmement fréquents. L’équipe, bien que non réunie physiquement, est non moins réelle, et les différents vecteurs de communication permettent de la faire exister pleinement. Conclusion La prise en charge de patients en soins palliatifs à domicile est d’autant plus riche qu’elle demande au professionnel d’aborder le patient dans toutes ses dimensions, ses aspects, au sein même de son lieu de vie. Cette immersion nécessite de grandes facultés d’observation, d’adaptation, et permet de mieux comprendre et évaluer le vécu du patient et de ses proches, au quotidien. L’infirmier libéral est un maillon indispensable à la prise en charge à domicile. Il n’est jamais seul, et comme pour tout projet de soins, c’est souvent à la richesse des échanges avec l’équipe pluridisciplinaire que l’on doit les meilleurs résultats. Les compétences et l’implication de chacun sont absolument indispensables. Chaque praticien doit se sentir pleinement investi de son rôle, tout en faisant preuve d’une remise en question permanente : rester objectif lors de l’évaluation, entendre l’appel du patient, se former régulièrement. Face au patient en fin de vie, le soignant, qu’il soit hospitalier ou libéral, donne plus que jamais le reflet de lui même, tant au niveau personnel que professionnel, les deux étant indissociables. L’attitude soignante est intimement reliée aux valeurs propres à chaque individu. Ainsi, l’humanité et l’humilité sont des qualités qui ont une place toute aussi importante que les compétences et la connaissance. Loin de tumultes de l’ego, des quêtes de pouvoir, de domination, ou de reconnaissance, les soignants de terrain font peu de bruits, mais donnent sans doute beaucoup d’eux même dans ces accompagnements empreints d’humanité et de solidarité. « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit ». Saint François de Sales Isabelle gaillard