L'araignée sociale ou l'entraide par l'indifférence
Mis à jour le lundi 18 décembre 2000
Moins elles s'intéressent les unes aux autres, mieux elles vivent ensemble. Plus elles
s'ignorent, mieux elles coopèrent... Les araignées sociales constituent un mystère. Leur mode
de vie, à lui seul, paraît déjà singulier. Des 35 000 espèces constituant cette branche des
arachnides, l'immense majorité sont solitaires et tolèrent mal la présence d'un congénère
dans leurs parages. Seule une quinzaine d'espèces d'araignées, cantonnées aux régions
intertropicales, se sont organisées en sociétés. Ainsi Agelena consociata, petite créature
d'Afrique équatoriale dont la longueur n'excède pas 8 millimètres.
Fortes de plusieurs centaines d'individus, ses colonies s'ébattent dans de grands nids de
soie. Femelles et mâles, jeunes et moins jeunes, tous y vivent et s'y reproduisent, selon des
moeurs qui diffèrent grandement de celles des autres sociétés d'arthropodes. Alors que les
abeilles ou les fourmis présentent une spécialisation en castes, tous les membres d'une
communauté participent ici à l'ensemble des activités. De même, la plupart des insectes
sociaux échangent des informations sous une forme ou une autre - sans quoi, sans doute,
aucune collaboration ne serait possible entre eux. Rien de tel chez ces araignées. Pour
coopérer, nul besoin, semble-t-il, de dialoguer : il suffit de se supporter.
PÉRIODE DE « TOLÉRANCE »
Comment sont apparus, au cours de l'évolution, ces rares et étranges cas de socialisation ?
On s'est longtemps demandé s'ils ne provenaient pas d'un allongement de la période de
« tolérance », ce bref épisode de vie communautaire que partagent toutes les espèces dans
leur prime jeunesse. Contrairement aux insectes, en effet, les araignées ne connaissent pas
de stade larvaire : elles sortent de l'oeuf sous l'aspect d'un adulte miniature. Pendant quelque
temps, elles optent alors pour la collectivité, tissent ensemble une petite toile et s'unissent
pour attaquer leurs proies. Mais les espèces chez lesquelles la dispersion des jeunes est la
plus tardive ne sont pas, pour autant, particulièrement apparentées aux espèces sociales.
Pour expliquer l'origine de celles-ci, il faut trouver autre chose.
Prudents, les chercheurs se bornent à deux constatations. D'une part, la quinzaine d'espèces
d'araignées concernées appartiennent à des lignées distinctes, au sein desquelles elles se
révèlent très proches parentes d'espèces solitaires - ce qui signifie que le processus de
socialisation peut apparaître rapidement. D'autre part, elles sont toutes localisées dans des
régions tropicales, ce qui suggère que les conditions écologiques qui y règnent, en assurant
une grande quantité de proies, ont joué un rôle déterminant dans cette évolution.
Selon l'hypothèse actuellement la plus en vogue, la richesse du milieu constitue donc une
condition sine qua non pour que des araignées solitaires - chez lesquelles l'agressivité entre
individus est inversement proportionnelle à la quantité de nourriture disponible -, puissent
amorcer une organisation communautaire. Une fois le pas franchi, cette façon de vivre
présente d'indéniables atouts. Reconstruction rapide de la toile après le passage des pluies,
économie individuelle dans la production de soie, capture commune de grandes proies : les
arguments ne manquent pas pour vanter les avantages adaptatifs de cette vie en société. Ou,
plutôt, de son ébauche.
Comment, en effet, concevoir une société véritable dont serait exempte toute forme de
communication ? Pourtant, Agelena consociata comme ses cousines exécutent bel et bien
leurs tâches collectivement. Un paradoxe que les éthologues expliquent tant bien que mal, en
s'appuyant sur le concept d'auto-organisation.
« Chez les araignées sociales, la coopération peut s'expliquer, au moins partiellement, par le
fait que les individus sont incapables de faire la distinction entre le produit de leur propre