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trouver une chaîne de connaissances à l’aide des nombres. Si 3 et 12 sont donnés, on peut les
relier en proportion continue par leur moyen terme 6. De même, si 3 et 48 sont donnés, on
trouve d’abord leur unique moyenne proportionnelle 12, et puis 6 qu’est la moyenne
proportionnelle entre 3 et 12, ensuite 24 qu’est la moyenne proportionnelle entre 12 et 48, si
bien que l’on trouve enfin une série de la proportion continue de 3 jusqu’à 48. Ce que propose
cette méthode n’est pas « de retenir la série des nombres », malgré son usage de ceux-ci, mais
de réitérer un processus épistémologique en général de trouver un moyen terme entre les deux
pour saisir enfin toutes les connaissances dans leur série, et en ce sens, cette méthode est une
mise en œuvre de la proposition de la Règle VI, c’est-à-dire qu’il faut toujours commencer par
chercher les plus simples et les plus absolus selon l’ordre d’une série (AT X, 381, 2-6). On
peut reconnaître que la méthode proposée par la Règle VI ne s’en tient pas à la mathématique,
parce que les vérités les plus simples et les plus absolues à chercher, selon les Règles VIII et
XII, ne sont les mathématiques elles-mêmes, mais ce sont les vérités fondamentales et
unitaires de toutes les connaissances que les Regulae appellent naturae simplices. Les natures
simples sont, en un mot, les choses cosidérées à l’égard seulement de notre entendement, et la
nature en l’occurrence désigne essence ou quiddité de la chose connue. Mais, à y regarder de
plus près, toutes les connaissances sont tirées des semences de vérités mises en l’esprit,
comme nous l’avons vu, et ce qui a mis ces semences en nous est la nature, selon la Règle IV
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Les natures simples comptent parmi les vérités les plus simples mises en notre esprit par la
nature. Plus précisément, elles donnent la forme par excellence aux vérités que notre esprit a
tirées de leurs semences et constituent l’unité minimale et naturelle de toutes les vérités
connaissables. Elles sont « la forme par excellence », parce que, étant absolues, elles
s’affranchissent de toute dépendance à l’égard d’autrui, et elles sont l’unité minimale de
toutes connaissances, parce que, étant les plus simples, elles ne peuvent plus être
décomposées. Ainsi, par leur origine et par leur forme, on pourrait dire que les natures
simples sont les vérités les plus naturelles à l’égard de notre esprit qui les connaît. Si elles
sont les vérités naturelles sur les choses à connaître, y a-t-il leur équivalent naturel sur la
chose connaissante ? C’est la lumière naturelle mise en notre esprit (Reg. VI, AT X, 383, 13-
14). On ne peut ou ne doit rien ajouter à cette lumière (Reg. IV, AT X, 373, 1), mais il faut la
développer pour trouver la chaîne de toutes les sciences et pour juger mieux en diverses
occasions de la vie (Reg. I, AT X, 361, 18-21). En somme, tout ce qui est nécessaire aux
connaissances de vérités, c’est-à-dire les vérités à connaître et la fonction de l’esprit qui
s’exerce pour les connaître, est préalablement mis en notre esprit dès la naissance. Les
Regulae visent à expliquer ce processus sériel de connaissances de vérités qui se déroule à
l’intérieur de l’esprit, à savoir, comment chercher, seulement avec la faculté naturelle de
l’esprit, les vérités naturellement mises en l’esprit.
La Règle XII décrit sommairement l’application générale de la méthode découverte par
la mathématique à travers les natures simples. Celles-ci, absolues et indépendantes les unes
des autres, sont les vérités connues de soi, au point que plusieurs natures simples (par ex.
lignes, angles, étendue) peuvent composer une seule nature (par ex. triangle), ou qu’elles
relient des vérités relatives qui dépendent d’elles, en les médiatisant. Bref, les natures simples
servent de moyen terme ou commune mesure qui mettent en rapport deux ou plusieurs choses
pour faire voir à l’esprit la chaîne possible de toutes connaissances.
Les natures simples sont ainsi les vérités connues entièrement à l’intérieur de l’esprit :
mais comment peut-on connaître les choses à son extérieur ? C’est par les figures qui
médiatisent les corps du monde et les connaissances de l’esprit. Les figures sont un attribut
simple et commun à tous les corps, de sorte qu’elles sont capables, pense l’auteur des Regulae,
d’exprimer tous les corps auxquels correspond chacune de leurs variations formelles. Il pense
numerorum », AT X, 215, 2-4.
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Reg. IV : « prima quaedam veritatum semina humanis ingeniis a natura insita », AT X, 376, 12-13.