F. Chappuis
introduction
Le principe du diagnostic moléculaire par PCR
(Polymerase chain
reaction)
est d’amplifier de manière exponentielle, par réplica-
tion enzymatique, une portion spécifique du génome (ADN ou
ARN) dont la séquence est au moins partiellement connue, pour atteindre la li-
mite de détection. Les méthodes les plus utilisées sont la PCR classique et la PCR
en temps réel ou
real time
-PCR. Cette dernière présente plusieurs avantages sur
la PCR classique : 1) résultat quantitatif ; 2) meilleures sensibilité et spécificité ; 3)
diminution des risques de contamination (une seule étape) et 4) automatisation
(grand volume d’échantillons traités).
Les applications de la PCR sont nombreuses et cette technique est couramment
utilisée dans de nombreux domaines : microbiologie, génétique, cancérologie… L’uti-
lisation de la PCR en médecine des voyages est pour l’instant marginale, bien
qu’essentielle dans certains contextes cliniques qui sont revus dans cet article.
fièvre au retour de voyage
La prise en charge schématisée d’un patient fébrile de retour de voyage et
l’utilité de la PCR dans ce contexte clinique sont résumées dans la figure 1. Pour
une approche plus précise et complète de l’approche clinique d’un voyageur fé-
brile, le site www.fevertravel.ch est recommandé.
Fièvres virales hémorragiques
Les fièvres virales hémorragiques (FVH) sont des fièvres causées par des virus
associés à un risque variable de manifestations hémorragiques. Les agents étio-
logiques principaux font partie des filovirus (par exemple : Marburg, Ebola), aré-
navirus (par exemple : Lassa, Junin, Machupo), bunyavirus (par exemple : fièvre de
Congo-Crimée) et flavivirus (par exemple : fièvre jaune, dengue). Certains de ces
virus (par exemple : Marburg, Ebola, Lassa, Congo-Crimée) ont un fort potentiel
de transmission interhumaine,1 imposant des mesures de sécurité très strictes
pour le transport des échantillons et les analyses. Les Hôpitaux universitaires de
Indications for PCR in travel medicine
The use of PCR-based molecular diagnosis in
travel medicine remains limited to specific
indications such as clinical suspicion of some
of the viral hemorragic fevers (e.g. Ebola,
Marburg), differential diagnosis between En-
tamoeba histolytica (pathogen) and E. dispar
(non pathogen) in the stools, and parasitolo-
gical diagnosis of cutaneous leishmaniasis. The
scope of indications is likely to expand in the
coming years with the development of tech-
niques (e.g. multiplex PCR) able to identify
several pathogens from a single sample. Sim-
plification and cost-reduction of molecular
techniques, which would allow for more equi-
table access to these diagnostic tools in coun-
tries where the targeted diseases are highly
prevalent, pose major technological and ethi-
cal challenges.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 991-4
L’utilisation du diagnostic moléculaire par PCR
(Polymerase
chain reaction)
dans la médecine des voyages est limitée à
des indications spécifiques comme la suspicion clinique de
certaines fièvres virales hémorragiques (par exemple : Ebola,
Marburg), le diagnostic différentiel entre
Entamoeba histoly-
tica
(pathogène) et
E. dispar
(non pathogène) dans les selles,
et le diagnostic parasitologique de la leishmaniose cutanée. La
palette d’indications va certainement s’élargir dans les années
à venir, avec le développement de techniques (par exemple :
PCR multiplex) capables d’identifier plusieurs agents pathogè-
nes sur le même échantillon. La simplification et la réduction
des coûts des techniques moléculaires, permettant ainsi un
accès plus équitable à ces outils diagnostiques dans les pays
les maladies ciblées sont fortement endémiques, constituent
un défi technologique et un enjeu éthique majeurs.
Place de la PCR en médecine
des voyages
mise au point
Dr François Chappuis
Service de médecine internationale
et humanitaire
Département de médecine
communautaire, de premier recours
et des urgences
HUG, 1211 Genève 14
Revue Médicale Suisse
www.revmed.ch
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Genève (HUG) disposent depuis 2007 d’un laboratoire
P4D (diagnostic) : le Centre national de référence pour les
infections virales émergentes (CRIVE), fonctionnant sous
l’égide de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)
(http://virologie.hug-ge.ch/centres_reference/ crive.html). La
PCR, disponible pour les fièvres de Lassa, Congo-Crimée,
Ebola et Marburg au CRIVE, est la méthode de choix pour
diagnostiquer ce groupe de FVH en raison de ses sensibi-
lité et spécificité élevées et de l’absence de culture virale
préalable.
Malaria (paludisme)
La malaria doit être suspectée et investiguée chez tout
patient fébrile de retour de pays tropical. Le diagnostic re-
pose sur l’examen microscopique du frottis sanguin et de
la goutte épaisse, parfois complété par un test de détection
antigénique rapide. La microscopie permet également de
diagnostiquer l’espèce de
Plasmodium
(
P. falciparum, vivax,
ovale, malariae
ou
knowlesi
) et de rechercher certains facteurs
de gravité : quantification du nombre d’érythrocytes infec-
tés (parasitémie), présence de schizontes circulants ou de
neutrophiles avec pigments malariques.
La PCR est un outil plus sensible (seuil de détection :
0,004 parasite/ml) que la microscopie (seuil : 5-20 parasites/ml),
mais ce seuil de détection plus bas n’a pas démontré d’avan-
tages dans la pratique clinique.2 En effet, la sensibilité de la
microscopie ou des tests diagnostiques rapides est excel-
lente, pour autant qu’ils soient effectués par des personnes
compétentes et qu’ils soient répétés jusqu’à trois reprises
(par exemple : toutes les douze heures) en cas de persistan-
ce de la fièvre. De plus, les résultats de ces tests sont dis-
ponibles plus rapidement. Il existe néanmoins des indica-
tions reconnues pour la PCR, surtout dans les domaines de
l’épidémiologie et de la recherche (tableau 1).3-5
En pratique, la PCR pour la malaria s’effectue sur un échan-
tillon de sang EDTA (1 ml) et en deux étapes : 1) détection
de
Plasmodium
(pan-plasmodium), puis 2) identification de
l’espèce de
Plasmodium
. Le test est disponible à l’Unité de
diagnostic moléculaire de l’Institut de microbiologie du
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne
(www.chuv.ch/dml/dml_home/dml_imu_home/dml_imu_
contact.htm) ou à l’Institut tropical et de santé publique
suisse (Swiss TPH) à Bâle.
Autres étiologies
Après exclusion de la malaria, la recherche des autres
étiologies «classiques» de fièvre de retour de voyage repo-
se sur les hémocultures (fièvre entérique), les sérologies (par
exemple arboviroses, leptospiroses, rickettsioses) et par-
fois l’imagerie (abcès amibien hépatique). Un test antigéni-
que rapide est depuis peu disponible pour le diagnostic de
la dengue. Ce test détecte la présence de l’antigène spéci-
fique NS1 avec des bonnes sensibilité et spécificité dans
les premiers jours de fièvre.6 Mise à part la recherche de
rickettsies sur biopsie cutanée (tache noire, pétéchie), dis-
ponible au CHUV, et de certaines affections cosmopolites
(par exemple : fièvre Q, bartonellose, influenza), il n’existe
actuellement pas de test PCR disponible en routine pour
la prise en charge clinique des voyageurs fébriles après ex-
clusion de la malaria.
diarrhées
L’investigation de la diarrhée du voyageur (aiguë (L 5
jours) ou persistante) repose sur l’examen des selles, plus
précisément : 1) la culture bactérienne (de routine :
Salmonella
sp,
Shigella
sp et
Campylobacter
sp) ; 2) l’examen microscopi-
que des selles pour la recherche d’œufs ou larves d’hel-
minthes et kystes ou trophozoïtes de protozoaires, avec ou
sans coloration et 3) la recherche d’antigène spécifique (par
exemple :
Giardia intestinalis
). La recherche simultanée de
plusieurs parasites par
real time
-PCR multiplex est une ap-
proche très prometteuse mais pas encore disponible en
Suisse pour une utilisation de routine.7,8
Entamoeba histolytica/dispar
La seule indication actuelle à l’utilisation de la PCR dans
la diarrhée du voyageur est la différenciation entre
Entamoeba
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Figure 1. Algorithme diagnostique simplifié de
la fièvre de retour de voyage et indications à la
Polymerase chain reaction (PCR)
Indication à la PCR : (+) : rare (situations spécifiques) ; +++ : méthode diag-
nostique de première ligne.
Nég.
Patient fébrile
Non
Oui PCR
+++
PCR
(+)
PCR
(+)
Pos.
Recherche autre étiologie : Hémocultures
Détection antigénique
Microscopie (sang, moelle…)
Sérologies
Imagerie
Signes
hémorragiques
Recherche de
malaria
Détermination espèce
Facteurs de gravité
Recherche fièvre virale
hémorragique
Domaines Indications
Epidémiologie Détermination de la proportion d’une population
infectée par Plasmodium sp
Diagnostic clinique Détermination de l’espèce de Plasmodium si doute
à la microscopie (par exemple : infection mixte)
ou si discordance avec épidémiologie
Recherche Distinction recrudescence – réinfection
Recherche de marqueur moléculaire de résis-
tance à certains antipaludéens
Standard de référence dans les études de valida-
tion de tests diagnostiques
Assurance de qualité Détermination de l’espèce de Plasmodium
Tableau 1. Malaria (paludisme) : indications au diag-
nostic moléculaire par Polymerase chain reaction
(PCR)
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histolytica
(pathogène) et
E. dispar
(non pathogène) lorsque
l’examen microscopique révèle la présence d’
E. histolytica/
dispar
.9 En effet, ces deux espèces sont morphologiquement
identiques, à la très rare exception de la présence d’érythro-
cytes dans le cytoplasme signant la présen ce d’
E. histolytica
.
Les autres méthodes permettant la distinction de ces deux
espèces sont insuffisamment sensibles (sérologie), validées
(tests antigéniques) ou disponibles (culture et analyse des
isoenzymes).
L’attitude pragmatique de la plupart des cliniciens est
de traiter les patients infectés par
E. histolytica/dispar
par un
amoebicide intratissulaire (par exemple : métronidazole)
suivi d’un amoebicide intraluminal (par exemple : paromo-
mycine) en cas d’amibiase invasive, ou seulement par un
amoebicide intraluminal en cas d’excrétion de kystes asymp-
tomatiques. Le recours à la PCR est donc optionnel chez la
plupart des patients porteurs d’
E. histolytica/dispar
, mais est
fortement conseillé chez les patients à risque augmenté
d’amibiase sévère, comme les femmes enceintes ou les
patients immunosupprimés (par exemple : prise de corti-
coïdes). Une autre indication probable de la PCR est l’ex-
clusion d’
E. histolytica
chez les patients allant au devant d’une
immunosuppression importante, par exemple lors d’un bilan
prégreffe. La PCR est également indiquée en cas d’infec-
tions répétées ou résistantes.
En pratique, les selles natives peuvent être envoyées à
l’air ambiant en courrier normal au laboratoire de parasitolo-
gie au Swiss TPH à Bâle. Le coût de l’analyse est de Frs 180.–.
leishmaniose cutanée
La leishmaniose est une protozoose intramacrophagique
associée à trois formes cliniques principales : la leishma-
niose viscérale (kala-azar), cutanéo-muqueuse et cutanée.
La leishmaniose cutanée est une dermatose ulcérée ou no-
dulaire présente en Amérique, Europe, Afrique et Asie. Dans
la plupart des régions endémiques, plusieurs espèces de
leishmanies coexistent et sont associées à des risques de
complications (par exemple : dissémination) et à des -
ponses aux traitements différents.10 La PCR est la méthode
diagnostique de choix de la leishmaniose cutanée.11 C’est
une méthode plus sensible que l’examen histopathologi-
que ou la culture d’une biopsie de la lésion. De plus, la PCR
permet le diagnostic d’espèce et donc de choisir le traite-
ment le plus adéquat pour le patient.
En pratique, une biopsie «punch» (2-4 mm) du bord de
la lésion cutanée peut être envoyée à l’air ambiant dans du
NACL 0,9% au laboratoire de parasitologie moléculaire du
Swiss TPH à Bâle. Il est également possible d’envoyer une
lame sur laquelle a été étalée du tissu «gratté» au scalpel
du bord de la lésion.
conclusion
L’utilisation du diagnostic moléculaire par PCR dans la
médecine des voyages est limitée à des indications spéci-
fiques comme le diagnostic étiologique de certaines FVH,
le diagnostic différentiel entre
E. histolytica
et
E. dispar
et le
diagnostic parasitologique de la leishmaniose cutanée. La
palette d’indications va certainement s’élargir dans les an-
nées à venir, avec le développement de techniques (par
exemple : PCR multiplex,
micro-arrays
) capables de diagnos-
tiquer plusieurs agents pathogènes à partir du même échan-
tillon. Il est important de rappeler que l’identification d’acides
nucléiques d’agents pathogènes par PCR signale la présence
d’une infection mais pas toujours d’une maladie. Il est donc
essentiel d’interpréter les résultats à la lumière de la pré-
sentation clinique. La simplification et la réduction des coûts
des techniques moléculaires constituent en outre un enjeu
fondamental et éthique, afin de permettre un accès plus
équitable de ces outils dans les pays les maladies ci-
blées sont fortement endémiques.
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Implications pratiques
Les indications du diagnostic moléculaire par Polymerase chain
reaction (PCR) dans la médecine des voyages sont actuelle-
ment limitées mais vont certainement s’élargir dans les an-
nées à venir
La PCR est la méthode de choix pour le diagnostic étiologi-
que de certaines fièvres virales hémorragiques et de la leish-
maniose cutanée
La PCR ne remplace pas l’examen microscopique du frottis
sanguin et de la goutte épaisse dans le diagnostic du paludisme
(malaria) chez un voyageur fébrile
La PCR est actuellement la seule méthode fiable, validée et
disponible pour distinguer Entamoeba histolytica (pathogène)
d’E. dispar (non pathogène) dans les selles
>
>
>
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* à lire
** à lire absolument
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