
Eléments d’épidémiologie bioanthropologique
L’anthropologie du vivant : objets et méthodes  - 2010 29
Alain FROMENT
Dans l’Antiquité, les microbes étaient inconnus mais le rôle pathogène 
de l’environnement était bien connu, comme en témoigne certaines 
étymologies  («  malaria  »  mauvais  air,  «  paludisme  »  maladie  du 
marécage). L’école pastorienne, récusant la notion de génération 
spontanée, a posé l’équation « un germe une maladie », et mis en 
évidence l’importance du « terrain », c’est-à-dire des idiosyncrasies 
individuelles. Avec la période moderne, cette notion est arrimée à la 
découverte du polymorphisme génétique, mais aussi des « traits de 
vie » personnels. 
Au début du XXe siècle, l’anthropologie médicale, ou pathologique, 
est considérée comme une branche de l’anthropologie physiologique, 
et donc de la biologie pure. Cette anthropologie physiologique, après 
l’ouvrage de synthèse de Damon (1975) a évolué vers des champs 
spécialisés, comme l’adaptation à l’altitude ou, sujet plus négligé, 
l’endocrinologie comparative. Dans un effort récent, l’anthropologie 
biomédicale tente d’intégrer l’interaction entre facteurs biologiques 
et sociaux. Autrefois réunies, les deux Anthropologies, biologique et 
culturelle, forment à présent deux entités. Pourtant, dans l’espèce 
humaine,  toute  maladie,  qu’elle  soit  infectieuse  ou  non,  a  son 
«histoire naturelle», c’est-à-dire un agent, une écologie, un terrain, et 
un cursus, mais aussi son «histoire sociale», c’est-à-dire le contexte 
sociologique et économique de son apparition, de sa transmission 
et de son devenir. Il s’agit donc d’un processus bioculturel toujours 
complexe et systémique (Froment et al. 2007). 
C’est en ce sens que, selon l’angle choisi, on peut parler de deux 
anthropologies médicales, l’une relevant de l’emboîtement de champs 
appartenant surtout à l’Anthropologie culturelle : Ethnosciences > 
Ethnobiologie  >  Ethnomédecine  +  Ethnopharmacologie  (Guerci, 
Conigliere  2003).  Dans  ce  domaine,  les  anthropologues  de  la 
santé  peuvent  expliciter  leur  démarche  sans  faire  appel  à  la 
biologie  (Fainzang  2001).  L’autre  acception  de  l’Anthropologie 
épidémiologique  est  du  domaine  de  l’Anthropologie  biologique : 
Ecologie  humaine  >  Ecomédecine  >  Anthropo-épidémiologie. 
L’épidémiologie  bioanthropologique  a  pour  mission  d’intégrer  ces 
deux démarches.
Si  l’anthropologie  biologique  a  indiscutablement  une  dette  envers  la 
médecine, puisque depuis  ses  origines, que ce  soit  en  France ou à 
l’étranger, elle a été créée et animée par des médecins, la réciproque 
n’est, curieusement, pas vraie : la bioanthropologie n’a en effet, pendant 
le siècle et demi qui a suivi sa fondation, guère contribué à la médecine. 
C’est seulement depuis les années 1990 que, sous le nom de médecine 
darwinienne, s’esquisse une synthèse  avec  les  acquis  de  l’évolution 
humaine  (Williams,  Nesse  1996  ;  Stearns,  Koella  2008,  McKenna 
et  al.  2008;  O’Higgins,  Elton  2008).  A  la  différence  de  la  médecine 
classique,  la  médecine  darwinienne  s’intéresse  au  «  pourquoi  »  et 
non au « comment » de la maladie et raisonne au niveau de l’espèce 
davantage qu’à celui de l’individu. Car si la maladie procède avant tout 
du « colloque singulier », d’un problème individuel, la médecine n’a 
pas érigé en système cette réexion sur la nature de la maladie en la 
portant au niveau de l’espèce humaine toute entière, en tant qu’entité 
zoologique, ni en terme de populations. Il faut pour cela s’éloigner 
de la recherche d’une causalité immédiate, pour se placer dans une 
perspective  évolutive,  notamment  en  termes  d’adaptations (et  de 
mal-adaptations) et de compromis (trade-offs). 
C’est  en  parasitologie  et  en  infectiologie  que  le  recours  au 
darwinisme  a  d’abord  abouti  à  la  notion  de  coévolution  entre 
hôte et pathogènes (Ewald 1996). Et l’épidémiologie, qui ne se 
limite évidemment pas à l’étude des maladies transmissibles, a 
de grands bénéces à tirer de cette perspective évolutionniste, 
en intégrant les problématiques de l’anthropobiologie, comme la 
notion de diversité génétique, et les outils de l’éco-anthropologie, 
basée sur l’approche holistique, les réseaux, la causalité non-
linéaire, pour interpréter les interactions entre l’environnement 
pathogène  et  le  corps,  tant  biologique  que  social  (Benoist 
1968). 
Mots-clés : médecine darwinienne, anthropologie biomédicale, épidémiologie
Problématique
Les anthropologies épidémiologiques