Première partie La forme identitaire professionnelle spécifique

Première partie
La forme identitaire professionnelle spécifique
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La notion d’identité est de plus en plus utilisée comme concept rassembleur
interdisciplinaire qui permet d’étudier des phénomènes aussi hétéroclites que les problèmes
d’immigration, les conséquences de la maladie d'Alzeimer, l’identification en
mathématiques, la démographie identitaire, l'identité vocale chez l'étourneau, l’identité
sexuelle, etc1. C’est un concept à la définition molle qui permet d’englober sous cette
notion, des postulats divers. L’identité est multiple, elle peut être individuelle, collective,
culturelle, nationale, ethnique, etc. Elle est simultanément mouvante et perçue comme
identique. Selon Pierre Tap, par exemple, il n’est d’identité que:
« paradoxale, lieu, réel ou imaginaire, et source de conflits et d’illusions,
espaces délimités aux frontières changeantes, temps reconstruits par la
mémoire ou jalonnés par les projets et utopies » (Tap, 1986 : 11).
Selon l’acteur ou le corps social étudiés, le terme d’identité réfère à des réalités
distinctes. Certains chercheurs s'intéressent d'abord à l'identité individuelle, c’est-à-dire à la
construction du sujet. Piaget (1932), par exemple, s’est attardé sur la construction de
l’identité de l’individu depuis l’enfance. D’autres se sont davantage penchés sur l'identité
collective au sens de collectivité nationale, ethnique ou religieuse (par exemple, Elbaz, et
al, 1996). Le terme se soumet de moins à moins à une utilisation au singulier. Les identités
sont territoriale, nationale, sociale, sexuelle, professionnelle, individuelle, etc.,
interchangeables et complémentaires. Elles sont revendiquées, toujours invoquées,
rarement mises à jour dans ce qu’elles ont de plus fondamental : leur nature, leur
spécificité, leur territoire.
La référence au terme d’ ‘identité’ dans le cadre de cette thèse n’est ni fortuite ni un
effet de mode. La recherche de terrain et les lectures théoriques ont fait émerger d’une part,
l’importance, pour le groupe des journalistes, de l’appellation de ‘journaliste’ et d’autre
part, un florilège de propos prônant l’unité du groupe et la défense de son territoire
spécifique qu’il considère être le journalisme. Ce processus de dénomination et de
construction de soi en tant que groupe renvoie à la construction souvent délicate de ce que
le groupe espère être une définition simultanément intériorie par ses membres et
1 Ces thèmes sont repris du programme du colloque international et interdisciplinaire, intitu
‘Identité (s)’qui s’est tenu, à Poitiers, en janvier 2002 (Actes du colloque Identité(s), 2004).
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défendable collectivement par rapport aux autres acteurs de la société. Il fallait donc, pour
l’analyse, trouver un concept performatif qui permette de retracer les discours2 du groupe
des journalistes et de qualifier l’importance de la construction de son image. Le terme
d’identité correspond à ces nécessités.
Mais le groupe des journalistes ne se construit pas une identité quelconque. Il
monopolise davantage une identité de nature professionnelle. Bien que des chercheurs
estiment, comme nous le verrons ultérieurement, que l’unité du groupe des journalistes ne
peut être posée, que les pratiques professionnelles, les statuts, les contextes de travail les
séparent, il est prétendu ici que les journalistes produisent collectivement un ‘discours’
spécifique, cette production discursive impliquant, comme nous le détaillerons au cours de
ce chapitre, l’ensemble des discours des instances représentatives du groupe, des membres
journalistes et enfin des traces discursives qui émergent des pratiques professionnelles.
Cette production les lie au-delà de leur appartenance individuelle à des entreprises
médiatiques particulières, de leurs statuts spécifiques et de leurs trajectoires personnelles. Il
est posé que le groupe s’est construit un territoire, une image de lui-même qui le fédère et
qu’il projette vers le reste de la société. C’est son identité professionnelle qui est le nœud
constitutif et structurant du groupe des journalistes et qui lui donne une certaine forme de
permanence, malgré les changements incessants auxquels il fait face.
Ce chapitre entend explorer le concept d’identité professionnelle en s’attardant plus
spécifiquement sur celui de forme identitaire professionnelle spécifique (Dubar, 2000), bien
que les notions d’identité collective ou d’identité au travail auraient pu paraître parfois plus
adéquates, de telle sorte qu'il devienne utile à un examen empirique de l'identité du groupe
des journalistes du Québec.
Cette thèse reconnaît donc au champ de l’activité professionnelle la capacité de
construire une identité spécifique au groupe des journalistes du Québec. En ce sens,
l’identité n’est pas comprise comme un concept flou mais bien comme une réalité
construite par les chercheurs et le milieu professionnel, opérationnalisable pour les fins de
la recherche. Le recours à certains auteurs (Dubar, Sainsaulieu, Camilleri, Blin, etc…) a
2 Nous verrons, plus en détail, que la mention du terme de ‘discours’ renvoie en premier lieu et,
pour l’instant, à une unité de communication associée à des conditions de production déterminée
(Maingueneau, 1996 : 28).
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permis de dégager plusieurs noyaux durs qui sont susceptibles de cadrer le concept et
d’ébaucher quelques pistes de découverte empirique de la forme identitaire du groupe des
journalistes du Québec et de son évolution historique. Les références, majoritairement
issues de la sociologie des professions, ont été combinées aux recherches réalisées en
sociologie du journalisme. Cette combinaison est volontaire et tente de faire un pont entre
les différents points de vue présentés sur le groupe professionnel et de les arrimer aux
perspectives diverses concernant le groupe des journalistes. Enfin, le recours indifférent à
des auteurs américains et européens de sociologie du journalisme se justifie par la
démarche entreprise. Dans le cadre de cette recherche, le propos est clairement destiné à
une analyse de la situation québécoise, mais il cessite, pour se construire, d’intégrer les
apports des recherches étrangères sur le sujet. Cette approche se risque donc au mélange
des conceptions et des points de vue nationaux sur les groupes de journalistes afin de mieux
cerner les enjeux de la forme identitaire du groupe des journalistes et ce, dans le contexte,
spécifiquement occidental3, dans lequel il évolue. Nous rejoignons, à ce sujet, les propos de
David Weaver,
« Comparing journalists across national boundaries and cultures is a game of
guesswork at best. There are so many characteristics, attitudes, and
behaviors that could be said to depend on the specific situation that some
would argue against any attempt to look for more general patterns and
trends. Yet there are also similarities that seem to cut across the boundaries
of geography, culture, language, society, religion, race and ethnicity. Not all
journalistic (or human) experience is unique to a particular time and place »
(Weaver, 1998 : 455)
Cette première partie est organisée de telle sorte qu’elle permette de présenter la
notion d’identité et sa spécification professionnelle en s’attardant sur le processus de
formation identitaire et en discutant de l’utilisation du concept de ‘professionnel’ dans une
recherche portant sur les journalistes. Ces remarques permettent de présenter quelques
fondements de la forme identitaire professionnelle du groupe des journalistes et de préciser
sa nature historique, son ancrage dans un ensemble d’interactions, sa structuration autour
de la défense du territoire et de l’expertise professionnels et enfin ses tentatives de
3 Il est supposé ici que le groupe des journalistes du Québec partage avec d’autres groupes
nationaux, tels que les groupes britannique, étatsunien ou français, des caractéristiques communes
qui peuvent parfois transcender leurs différences spécifiques.
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pérennisation grâce aux processus de socialisation et de formation de ses membres et de
représentation collective par le biais des instances de régulation du groupe. Finalement, le
dernier chapitre de cette partie présentera les pistes de recherche privilégiées dans cette
étude sur la forme identitaire professionnelle spécifique du groupe des journalistes du
Québec, des pistes qui permettent de percevoir cette forme dans un contexte de changement
et surtout de retracer les manifestations de la forme identitaire au travers de la production
discursive du groupe.
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