Forum Med Suisse 2012;12(3):54–55 54
HigHligHts 2011 : Pat Hologie
Tu mor Budding dans le carcinome colorectal:
une vedette sur le banc des remplaçants?
Alessandro Luglia, Gieri Cathomasb
a Klinische Pathologie, Institut für Pathologie, Universität Bern
b Kantonales Institut für Pathologie, Liestal
Introduction
Quel joueur disponible est le meilleur pour gagner le
match et doit donc être envoyé sur le terrain par l’en-
traîneur, cela fait souvent l’objet de discussions très
animées chez les fans de football. Elles le sont tout
a utant aujourd’hui encore pour la question de savoir
quels sont les facteurs pronostiques les plus impor-
tants du carcinome colorectal (CCR). Il ne s’agit mal-
heureusement ici pas d’un match, mais souvent de vie
ou de mort. Chaque année, en Suisse quelque 4000 per-
sonnes ont un CCR et 1600 en meurent. L’ introduction
d’une chimiothérapie adjuvante a nettement amélioré
la survie à 5 ans, mais chez le patient individuel la
question se pose encore de savoir s’il prote d’un trai-
tement adjuvant ou si tout autre traitement est inutile
[1, 2].
Les stades tumoraux selon l’Union Internationale
Contre le Cancer (UICC), basés sur l’expansion de la
tumeur d’après la classication TNM, sont aujourd’hui
encore la solide colonne vertébrale de l’estimation
du pronostic. Un important paramètre est l’absence
(stade II) ou la présence de métastases ganglionnaires
(stade III); ce dernier stade se traite généralement par
chimiothérapie adjuvante de nos jours. Il s’est cepen-
dant avéré qu’un sous-groupe de patients au stade II a
une évolution tout aussi défavorable, voire pire que
ceux ayant des métastases ganglionnaires, et il serait
maintenant important que ces patients à haut risque
reçoivent un traitement adjuvant, mais sans en expo-
ser un grand nombre inutilement.
La classication TNM comporte déjà le degré de diffé-
renciation (grading, G) d’autres descripteurs (facul-
tatifs) tels qu’invasion lymphatique (L), veineuse (V)
et périneurale (Pn). D’autres facteurs sont venus s’y
ajouter, dont la conguration du front de la tumeur
(inltratif ou expansif), la perforation de la séreuse,
lesdits tumor deposits (foyers tumoraux isolés dans
le tissu péricolique) ou l’expansion de l’atteinte cir-
conférentielle [3]. La liste des marqueurs immunohis-
tochimiques et moléculaires examinés est encore plus
longue [4]. Ces derniers ont pris de la valeur surtout
comme marqueurs prédictifs de la réponse à un trai-
tement ciblé. Mentionnons la recherche de la muta-
tion K-RAS qui permet de n’attendre une réponse à un
traitement anti-EGFR (cétu ximab, panitumimab) que
dans le type sauvage. D’autres marqueurs molécu-
laires pronostiques sont les mutations B-RAF et l’ins-
tabilité des microsatellites. De nombreux autres mar-
queurs, surtout immunohistochimiques, décrits dans
la littérature ont souvent le même destin tragique: ils
sont abandonnés à cause du manque de reproductibi-
lité, de validation et de standardisation, parfois peut-
être à tort.
Nous tenons à présenter ici un marqueur morpholo-
gique pronostique archi connu mais souvent sous-estimé,
le Tumor Budding (TBU) ou bourgeonnement tumoral.
Dénition et aspects pathogénétiques
du Tu mor Budding (TBU)
Le TBU est déni comme la preuve microscopique de
cellules tumorales isolées ou en groupes (jusqu’à 5 cel-
lules au maximum) dans le front d’invasion du carci-
nome [5]. Il faut le distinguer de la conguration du
front tumoral, jugée sur le faible grossissement. Un
budding dit signicatif (high grade) se trouve dans
20–40% des CCR (g. 1 x). Biologiquement, le bour-
geonnement tumoral est l’expression morphologique
d’une transition épithélio-mésenchymateuse (EMT),
qui est une importante condition de l’inltration de la
tumeur dans les vaisseaux lymphatiques et sanguins
[6]. Les cellules s’isolent après la perte de molécules
d’adhésion (par ex. E-cadhérine) pour préparer le
stroma environnant à leur invasion en libérant des en-
zymes (par ex. métalloprotéines matricielles comme
MMP2 ou MMP9) et d’autres signaux. Fait surprenant,
les cellules ayant ce phénotype mésenchymateux montrent
une très faible prolifération, ceci malgré un potentiel
d’agression accru des cellules tumorales i ndividuelles.
Il semble donc que d’autres facteurs entrent en jeu au
front d‘expansion, à savoir la réponse immunitaire lo-
cale et le rapport entre les bourgeons tumoraux (buds)
comme «attaquants» et les lymphocytes CD-8 positifs
comme «défenseurs» [7].
Rôle pronostique du Tu mor Budding
De très nombreuses études de ces dernières années se
sont intéressées à l’association TBU et paramètres cli-
nicopathologiques. Indépendamment du stade tumoral
global, le TBU semble être associé à un stade T supé-
rieur avec invasion de vaisseaux lymphatiques et san-
guins, de même qu’à la présence de métastases gan-
glionnaires et à distance. Plusieurs études multivariables
viennent en outre à l’appui de l’indépendance pronos-
tique du TBU sur le stade TNM [8, 9]. En conséquence
de quoi le TBU a été ajouté dans la dernière classica-
tion de l’OMS comme nouveau facteur pronostic ofciel
du CCR [3].
Alessandro Lugli
Les auteurs ne
déclarent aucun
soutien nancier ni
d’autre conit
d’intérêt en
relation avec cet
article.
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HigHligHts 2011 : Pat Hologie
Tu mor Budding dans le diagnostic courant
En pratique courante, le TBU peut intervenir dans la prise
en charge du patient dans les 3 situations suivantes:
Carcinomes pT1 dans les polypectomies
Les carcinomes invasifs dans les polypectomies sont la
plupart du temps des découvertes fortuites. Ces carci-
nomes pT1 présentent un risque faible, mais évident
d’avoir déjà fait des métastases ganglionnaires [10].
Dans plusieurs études, le TBU en plus d’autres critères
histologiques tels que stade tumoral, invasion de vais-
seaux lymphatiques et sanguins ou profondeur de l’in-
ltration dans la sous-muqueuse s’est avéré être un
bon marqueur de la probabilité d’une éventuelle métas-
tase ganglionnaire et du même fait d’une résection
chirurgicale à envisager [11, 12].
Tr aitement adjuvant du CCR au stade II
Comme cela a été présenté en introduction, les CCR de
stade II peuvent évoluer de très différentes manières
malgré l’absence de découverte de métastases gan-
glionnaires. Plusieurs études ont montré qu’un très im-
portant budding implique un mauvais pronostic et peut
donc inuencer dans une grande mesure la décision
d’effectuer une chimiothérapie adjuvante chez un pa-
tient ayant un CCR de stade I [13, 14].
TBU à la biopsie
Dans les 2 situations ci-dessus, le TBU est examiné sur
le matériel réséqué ou les polypectomies. Il a cependant
été démontré il y a plusieurs années déjà que dans les
biopsies prélevées avant l’opération, la mise en évi-
dence de nombreux bourgeons tumoraux était en cor-
rélation avec un envahissement ganglionnaire conrmé
par la suite dans les pièces de résection [15]. Du fait
qu’il va de soi que les biopsies ne se font pas sur le front
d’invasion mais au milieu de la tumeur, le budding in-
tratumoral (ITB) a été opposé au budding péritumoral
(PTB). Les études les plus récentes conrment que l’ITB
peut être utilisé pour juger de la prise en charge pré-
opératoire, notamment en ce qui concerne les éventuelles
métastases ganglionnaires [16].
Discussion et perspectives
Une question se pose, celle de savoir pourquoi le TBU
n’est pas beaucoup plus largement utilisé de routine
pour la planication du traitement. Comme c’est si sou-
vent le cas la raison en est l’absence de standardisation:
au moins 4 différents systèmes de scoring sont décrits
dans la littérature et tous ont montré qu’ils sont en cor-
rélation avec le pronostic [8, 9, 13, 14]. Mais il manque
un système d’appréciation unanimement reconnu, tel
que nous le connaissons d’autres examens, par ex. le
comptage des mitoses dans des champs microscopiques
très précisément dénis (high power elds, HPF), tel qu’il
s’est imposé dans de nombreuses tumeurs. Une telle
standardisation devrait permettre d’utiliser le bour-
geonnement tumoral dans le diagnostic et la prise en
charge des patients de routine ou, comme dans l’image
présentée en introduction, ne pas laisser le TBU sur le
banc des remplaçants mais l’exploiter dans l’évaluation
du CCR comme le meilleur joueur pour la décision cli-
nique.
Correspondance:
Prof. A. Lugli
Leiter Klinische Pathologie
Institut für Pathologie
Universität Bern
Murtenstrasse 31
CH-3010 Bern
alessandro.lugli[at]pathology.unibe.ch
Prof. G. Cathomas
Chefarzt
Kantonales Institut für Pathologie
Kantonsspital Liestal
Mühlemattstrasse 11
CH-4410 Liestal
gieri.cathomas[at]ksli.ch
Références
Vous trouverez la liste des références en ligne sous www.medicalforum.ch
en annexe à l’article.
Figure 1
Tu mor Budding dans le CCR: A: vue du front d’invasion d’un adénocarcinome du côlon
(HE, 50x). B: détail avec cellules tumorales bien reconnaissables (isolées et en petits
groupes [buds]; HE, 400x). C: immunohistochimie avec anticorps anti-cytokératine (CK22)
permettant une meilleure visualisation des cellules cancéreuses (400x).
AB
C
Tumor Budding beim kolorektalen Karzinom: ein Spitzenspieler auf
der Ersatzbank? /
Tumor Budding dans le carcinome colorectal: une vedette sur le
banc des remplaçants?
Literatur (Online-Version) / Références (online version)
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