DE L’ÉCONOMIE SOCIALE
AU QUÉBEC ET AU CANADA
par Stéphane Racz
Note de l’auteur : Stéphane Racz, est titulaire d‟un troisième cycle en droit public et est doctorant en
science politique à l‟Institut d‟Études Politiques de Bordeaux. Il est directeur général adjoint du
Syneas, syndicat employeur d‟associations intervenant dans le secteur social et médico-social.
Co-publication
Centre d‟étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS)
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)
Université du Québec en Outaouais (UQO)
Série : Recherches numéro 49
ISBN : 978-2-89251-389-9
Mars 2010
Ce cahier est issu des liens établis entre le Québec et la France de nos centres de recherche dans le
domaine de la coopération et de l‟économie sociale.
2
Sommaire
Préface…………………………………………………………………………………………….
3
Introduction……………………………………………………………………………………..……
4
PREMIÈRE PARTIE : L‟INVENTION DE L‟ÉCONOMIE SOCIALE AU QUÉBEC………....
7
1-1 La mise sur agenda de l‟économie sociale…………………………………………………....
7
1-1-1 La fenêtre d‟opportunité…………………………………………………..………..
7
1§ La primeur de l’expression…………………………………………….....…….
7
2§ Le sommet de 1996……………………………………………....…………..
8
1-1-2 Le compromis fondateur…………………………………………………..………….
10
1-2 La formulation de l‟économie sociale………………………………………………..……….…
11
1-2-1 L‟entreprise, fondement de l‟économie sociale québécoise………......…………..
11
1§ La définition de l’économie sociale……………………………....…………….
12
L’opérationnalisation de la définition……………………...…….…………….
13
1-2-2 Une dimension politique diffuse…………………………..………….…………..
13
1§ Une volonté de transformation sociale………………....……….……………..
14
2§ Une charge politique aseptisée……………………...………..…….…………….
15
DEUXIÈME PARTIE : LA MISE EN SCÈNE DE L‟ÉCONOMIE SOCIALE…...……………….
17
2-1 L‟incarnation de l‟économie sociale…………………………………………………………….
17
2-1-1 La constitution d‟un groupe d‟intérêt……………………………..………………….
17
1§ Une filiation gouvernementale………………...………..……...………………
17
2§ Une structure fédérative…………………………..……...……………………….
19
2-1-2 L‟institutionnalisation des relations entre le gouvernement et l‟économie sociale....
20
1§ Une mise en place progressive d’institutions dédiées à l’économie sociale……..
20
2§ Un plan d’action consacré à l’économie sociale………………………….......
21
2-2 La promotion de l‟économie sociale……………………………………………………….……
22
2-2-1 L‟expression d‟une hégémonie……………….………………………………….….
22
1§ La coopération …………………………..………………………………….…
23
2§ Le communautaire…………………………...………………………...................
24
2-2-2 Une démarche revendicative……………………………………………..………….
25
TROSIÈME PARTIE : L‟APPROCHE FÉDÉRALE DE L‟ÉCONOMIE SOCIALE………….......
26
3-1 L‟irruption de l‟économie sociale…………………………………………………………….....
26
3-1-1 L‟introduction politique fédérale de l‟économie sociale……………………………
27
3-1-2 Une formulation nouvelle…………………………………….…………………......
28
3-1-3 Un processus définitoire évolutif……………………………………………………
29
3-2 La politique publique de l‟économie sociale……………………………………….……………
30
3-2-1 Une politique publique limitée…………………………………………..…………..
30
3-2-2 Une politique publique écourtée………………………………………………….....
31
1§ Un modèle inadap……………………………………………...……………….
31
2§ Une «social economy» évanescente………………………………………………
32
Conclusion………………………………….……………………………………………………..
34
Ouvrages essentiels…………………………………………….………………………………….....
37
3
Préface
La renaissance de l‟économie sociale au Québec fait l‟objet de plus en plus de recherches et de
publications de la part d‟auteurs qui y voient une ponse de la société civile à un environnement
économique déstabilisant. Ce foisonnement académique permet peu à peu de préciser la notion
d‟économie sociale, traçant son périmètre et identifiant ses caractéristiques. L‟objet de ce texte est de
participer à l‟explication de ce phénomène en invoquant la sociologie politique pour identifier les
intérêts qui président à la destinée de l‟économie sociale ainsi que les mécanismes et les acteurs à
l‟origine de son irruption dans le paysage politique. Il s‟agit ainsi de présenter le processus
d‟émergence de l‟économie sociale au Québec en tant qu‟objet/sujet politique, portée par des acteurs
qui lui donnent une voix et un corps pour exister dans le débat public et participer à la production
du(des) politique(s).
Cette appréhension, singulière dans la recherche sur l‟économie sociale, implique deux choix
méthodologiques :
- la présente recherche n‟a pas vocation à positionner l‟auteur sur ce qu‟est ou ce que doit être
l‟économie sociale. L‟économie sociale décrite est l‟économie sociale identifiée et produite
par des acteurs pour répondre aux attentes des pouvoirs publics et ainsi bénéficier d‟une
reconnaissance formelle. C‟est la présentation d‟une économie sociale, construite au bénéfice
d‟une certaine visibilité publique, dans laquelle se reconnaissent plus facilement certaines
composantes (la famille associative) et moins d‟autres (coopératives, mutualistes,
communautaires). C‟est la raison pour laquelle le document se focalise sur l‟expression des
premières au détriment de celle des secondes.
- L‟économie sociale décrite dans le document est l‟économie sociale pensée et dite par les
acteurs concernés ; c‟est le récit d‟un choix, d‟une formulation et d‟une mise en scène. La
collecte d‟information est par conséquent centrée avant tout sur les éléments du discours
produit par ces acteurs, et non sur des enquêtes auprès des réseaux et des praticiens.
Ce document s‟inscrit dans une démarche doctorale plus globale ; il a ainsi pour objectif, au-delà de la
présentation d‟un processus, de poursuivre le débat sur l‟institutionnalisation de la notion d‟économie
sociale, non pour en mesurer la réussite ou la pertinence, mais pour en comprendre les mécanismes et
les enjeux.
4
Introduction
La notion de l‟économie sociale se construit au dix-neuvième siècle lors de la révolution industrielle,
en réaction aux excès du capitalisme naissant et déstructurant. Face à la remise en cause de l‟ordre
social existant et l‟érosion des solidarités traditionnelles naît l‟idée d‟une économie humaniste,
intégrant dans son champ la dimension sociale et plaçant l‟être humain au cœur de son attention1.
Cette invention se trouve rapidement qualifiée de sociale, se distinguant par ce qualificatif de
l‟économie capitaliste (dans une perspective entrepreneuriale) et de l‟économie politique (dans une
perspective académique). L‟économie sociale renvoie ainsi davantage à un mode de pensée, sinon une
idéologie, qu‟à un concept appréhensible et synthétique. Est labellisé d‟économie sociale tout ce qui
correspond à une mise au service de l‟économique auprès du social. « L‟économie sociale a pour
principe la volonté humaine, elle cherche à satisfaire nos aspirations vers la justice et recherche les
moyens pratiques de donner aux hommes le bien-être et l‟aisance matérielle. Son rôle principal est de
défendre les personnes et les droits de chacun, de donner aux meilleurs travailleurs ; à l‟industrie qui
naît, les moyens de se développer ; aux malheureux, le moyen de travailler ; aux faibles et aux
infirmes, assistance et protection »2.
Apparue comme émanation de l‟économie politique, l‟économie sociale rassemble rapidement de
nombreux entrepreneurs qui veulent faire « autrement », tentant au nom d‟idéaux indistincts des
expériences locales pour répondre à des besoins sociaux. « Il est intéressant de remarquer que
l‟économie sociale n‟est jamais, au cours du XIX° siècle, célébrée comme une entité. Ce sont ses
rameaux qui sont porteurs d‟identi »3. Illustration d‟un mouvement collectif et résistant, l‟idée de
l‟économie sociale peu à peu s‟efface au profit de ses composantes, coopératives, mutuelles,
associations, mais aussi syndicats et fondations. Cette décomposition laisse à la société contemporaine
un double héritage : une notion surannée tout d‟abord, expression d‟un imaginaire puissant et dépassé4
; des composantes orphelines ensuite, forces économiques livrées à elles-mêmes. Ces dernières vont
peu à peu se construire une identité, au gré des évolutions sociales et économiques du XXème siècle.
Les coopératives et les mutuelles vont ainsi connaître une phase de forte intégration dans l‟économie
générale d‟après-guerre, se fondant naturellement dans le processus de reconstruction et bénéficiant
ensuite de la croissance soutenue qu‟on qualifiera plus tard de « trente glorieuses ». Cette intégration,
synonyme de développement, s‟est aussi traduite par un affaiblissement des spécificités de ce type
d‟organisation. Celles-ci ont en effet modifié leurs représentations fréquemment alternatives ou
1Charles Gide dépeint l‟économie sociale sous la forme d‟un allégorie, l‟imaginant cathédrale : «Dans la grande nef j‟y
mettrais toutes les formes de libre association qui tendent à l‟émancipation de la classe ouvrière par ses propres moyens ;
dans l‟un des deux collatéraux tous les modes d‟intervention de l‟État, dans l‟autres toutes les formes d‟institutions patronales
; dans les chapelles du chœur tous les saints laïques dont la mémoire survit dans les œuvres qu‟ils ont fondées ou dans les lois
qu‟ils ont inspirées, les vingt-huit pionniers de Rochdale, les Owen, les Buchez, les Leclaire, les Dollfus, les Godin, les
Raiffeisen, les Shaftesbury, les Wieselgreen, pour ne citer que les morts- et en bas, dans la crypte, l‟enfer social, tout ce qui
concerne les plus misérables, « ce dixième submergé » dont parle Charles Booth, tout ce qui sert à les aider dans la bataille
qu‟ils soutiennent contre les démons, contre les puissance du mal qui se nomment paupérisme, alcoolisme, tuberculose et
prostitution ». Charles Gide, L’économie sociale, 1905, Paris, p. 41.
2T. Villard, cité par Alfred Neymarck, Vocabulaire manuel d’économie politique, Armand Colin, Paris, 1898.
3André Gueslin, L’invention de l’économie sociale, idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France
du XIX° siècle, Economica, 1998, Paris p. 381.
4Claude Vienney, interrogé sur la définition et le champ de l‟économie sociale, répondait ainsi à la question « Dans quelle
mesure le concept parvient-il à s‟affirmer ? » (Questionnaire du CIRIEC, 1989) : « Sur le plan scientifique, faible (…) ; sur le
plan politique, moyenne (…) ; dans le grand public, nulle (…). ». Claude Vienney, Qu’est-ce que l’économie sociale ?, p.39,
RECMA, p.38-41.
5
libératrices de leur origine, à des représentations plus régulatrices et fonctionnelles5. Cette lente
banalisation se trouve exacerbée par la rupture du début des années 70 : la crise économique implique
un nouveau positionnement des acteurs, l‟État en premier lieu. Celui-ci abandonne peu à peu son rôle
d‟État providence, se détachant de certaines missions pour les confier à des structures privées.
Limitant l‟accès à l‟argent public, il incite les organismes de droit privé, quels qu‟ils soient, à
rechercher des fonds sur le marché.6
En France, le Groupement national de la coopération (GNC), qui fédère les structures coopératives
françaises, et la Fédération Nationale de la Mutualité française (FNMF), union de mutuelles, partagent
le constat que la crise qui frappe la France et son impact sur la société menacent le mode de
fonctionnement des organisations qu‟elles représentent. Forcées de s‟adapter à un environnement de
plus en plus difficile et concurrentiel, ces dernières risquent de privilégier la dimension économique de
leur activité au détriment de leur vocation sociale. Mutuelles et coopératives ont en commun le fait de
fonctionner « autrement », autrement que les règles imposées par le modèle capitaliste. « Alors qu‟elle
désignait des approches contestataires de l‟économie politique en voie de formation, (l‟économie
sociale) va éclater en domaines et méthodes adaptées à l‟étude de sous-ensembles d‟activités et
d‟acteurs, en référence au noyau central que constitue l‟économie des économistes. Elle est ainsi
segmentée, ces fragments n‟ayant en commun que de fonctionner… autrement »7.
L‟originalité des modèles coopératif et mutualiste puise ses fondements et sa légitimité dans l‟histoire
de l‟entrepreneuriat collectif du dix-neuvième siècle. Ces organisations s‟inscrivent dans une logique
duale : elles sont tout autant entreprise (elles développent une activiéconomique) et institution (au
service d‟un projet). La finalité n‟est donc pas économique, comme c‟est le cas pour les entreprises
dites capitalistes, mais sociale. C‟est cette dualité qui constitue l‟originalité du modèle d‟entreprendre
des structures d‟économie sociale, et c‟est ce modèle qui se trouve menacé. A l‟épreuve de la crise
économique et sociale, l‟adaptation nécessaire de ces structures au nouvel environnement peut se
réaliser au détriment de leur singularité8. Le modèle mutualiste et coopératif est vécu comme une
dynamique, une expérimentation et une recherche. Saisi par un environnement contraignant, le modèle
est confronté au risque d‟isomorphisme institutionnel9. Claude Vienney souligne que ces entités « sont
parvenues à se regrouper pour chercher des réponses communes aux transformations de leur
environnement qui remettaient en cause leur originalité »10. Elles doivent trouver une réponse
commune parce que le système en place et ses acteurs ne sont pas à même - ou ne veulent pas -
rechercher cette réponse. C‟est l‟absence de représentation ou la faiblesse d‟une représentation
fragmentée qui les rapproche. Le 11 juin 1970, le GNC et la FNMF signent un protocole d‟accord qui
symbolise leur nécessaire rapprochement en vue de trouver une solution commune. La mise en place
d‟un comité de liaison symbolise la réunion des mouvements mutualistes et coopératifs. En 1976
la famille associative rejoint le regroupement. L‟adjonction de cette nouvelle composante se réalise
par la mutation du comité qui devient le Comité National de Liaison des Activités Mutualistes
Coopératives et Associatives (CNLAMCA). Le comité organise les 20 et 21 janvier 1977 un colloque :
« Vingt millions de sociétaires, 800 000 emplois ». L‟allocution d‟ouverture du Président annonce
l‟objet de cette manifestation : « Ce colloque réunit publiquement pour la première fois les
représentants des composantes de ce qu‟on peut appeler l‟économie sociale ».
Par ailleurs, fin 1974, une réunion rassemble Pierre Roussel, trésorier national de la MGEN, Antoine
Antoni, secrétaire général de la Confédération des SCOP, René Teulade, président de la MRJFEN,
5Jean-Louis Laville, Action publique et économie solidaire, un cadre d’analyse, in Jean-Louis Laville, Jean-Philippe
Magnen, Genauto C. De Franca Filho, Alzira Medeiros (dir.), Action publique et économie solidaire, une perspective
internationale, Erès, Paris, 2005, p. 35 puis p. 39.
6Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, Paris, 2004, p. 100.
7 Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, Paris 2004, p. 76.
8Christophe Fourel (dir.), La nouvelle économie sociale, Efficacité, Solidarité, Démocratie, La Découverte et Syros, Paris,
2001, p. 14 et suivantes.
9Philippe Chanial et Jean-Louis Laville, L’économie sociale et solidaire en France, in Jean-Louis Laville, Jean-Philippe
Magnen, Genauto C. De Franca Filho, Alzira Medeiros (dir.), Action publique et économie solidaire, une perspective
internationale, Erès, Paris, 2005, p. 59 puis p. 61-62.
10Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, paris, 1994, p.115
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