libératrices de leur origine, à des représentations plus régulatrices et fonctionnelles5. Cette lente
banalisation se trouve exacerbée par la rupture du début des années 70 : la crise économique implique
un nouveau positionnement des acteurs, l‟État en premier lieu. Celui-ci abandonne peu à peu son rôle
d‟État providence, se détachant de certaines missions pour les confier à des structures privées.
Limitant l‟accès à l‟argent public, il incite les organismes de droit privé, quels qu‟ils soient, à
rechercher des fonds sur le marché.6
En France, le Groupement national de la coopération (GNC), qui fédère les structures coopératives
françaises, et la Fédération Nationale de la Mutualité française (FNMF), union de mutuelles, partagent
le constat que la crise qui frappe la France et son impact sur la société menacent le mode de
fonctionnement des organisations qu‟elles représentent. Forcées de s‟adapter à un environnement de
plus en plus difficile et concurrentiel, ces dernières risquent de privilégier la dimension économique de
leur activité au détriment de leur vocation sociale. Mutuelles et coopératives ont en commun le fait de
fonctionner « autrement », autrement que les règles imposées par le modèle capitaliste. « Alors qu‟elle
désignait des approches contestataires de l‟économie politique en voie de formation, (l‟économie
sociale) va éclater en domaines et méthodes adaptées à l‟étude de sous-ensembles d‟activités et
d‟acteurs, en référence au noyau central que constitue l‟économie des économistes. Elle est ainsi
segmentée, ces fragments n‟ayant en commun que de fonctionner… autrement »7.
L‟originalité des modèles coopératif et mutualiste puise ses fondements et sa légitimité dans l‟histoire
de l‟entrepreneuriat collectif du dix-neuvième siècle. Ces organisations s‟inscrivent dans une logique
duale : elles sont tout autant entreprise (elles développent une activité économique) et institution (au
service d‟un projet). La finalité n‟est donc pas économique, comme c‟est le cas pour les entreprises
dites capitalistes, mais sociale. C‟est cette dualité qui constitue l‟originalité du modèle d‟entreprendre
des structures d‟économie sociale, et c‟est ce modèle qui se trouve menacé. A l‟épreuve de la crise
économique et sociale, l‟adaptation nécessaire de ces structures au nouvel environnement peut se
réaliser au détriment de leur singularité8. Le modèle mutualiste et coopératif est vécu comme une
dynamique, une expérimentation et une recherche. Saisi par un environnement contraignant, le modèle
est confronté au risque d‟isomorphisme institutionnel9. Claude Vienney souligne que ces entités « sont
parvenues à se regrouper pour chercher des réponses communes aux transformations de leur
environnement qui remettaient en cause leur originalité »10. Elles doivent trouver une réponse
commune parce que le système en place et ses acteurs ne sont pas à même - ou ne veulent pas -
rechercher cette réponse. C‟est l‟absence de représentation ou la faiblesse d‟une représentation
fragmentée qui les rapproche. Le 11 juin 1970, le GNC et la FNMF signent un protocole d‟accord qui
symbolise leur nécessaire rapprochement en vue de trouver une solution commune. La mise en place
d‟un comité de liaison symbolise la réunion des mouvements mutualistes et coopératifs. En 1976
la famille associative rejoint le regroupement. L‟adjonction de cette nouvelle composante se réalise
par la mutation du comité qui devient le Comité National de Liaison des Activités Mutualistes
Coopératives et Associatives (CNLAMCA). Le comité organise les 20 et 21 janvier 1977 un colloque :
« Vingt millions de sociétaires, 800 000 emplois ». L‟allocution d‟ouverture du Président annonce
l‟objet de cette manifestation : « Ce colloque réunit publiquement pour la première fois les
représentants des composantes de ce qu‟on peut appeler l‟économie sociale ».
Par ailleurs, fin 1974, une réunion rassemble Pierre Roussel, trésorier national de la MGEN, Antoine
Antoni, secrétaire général de la Confédération des SCOP, René Teulade, président de la MRJFEN,
5Jean-Louis Laville, Action publique et économie solidaire, un cadre d’analyse, in Jean-Louis Laville, Jean-Philippe
Magnen, Genauto C. De Franca Filho, Alzira Medeiros (dir.), Action publique et économie solidaire, une perspective
internationale, Erès, Paris, 2005, p. 35 puis p. 39.
6Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, Paris, 2004, p. 100.
7 Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, Paris 2004, p. 76.
8Christophe Fourel (dir.), La nouvelle économie sociale, Efficacité, Solidarité, Démocratie, La Découverte et Syros, Paris,
2001, p. 14 et suivantes.
9Philippe Chanial et Jean-Louis Laville, L’économie sociale et solidaire en France, in Jean-Louis Laville, Jean-Philippe
Magnen, Genauto C. De Franca Filho, Alzira Medeiros (dir.), Action publique et économie solidaire, une perspective
internationale, Erès, Paris, 2005, p. 59 puis p. 61-62.
10Claude Vienney, L’économie sociale, La Découverte, paris, 1994, p.115