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La Mésopotamie et la Bible
par Michèle-Ann Pillet
La fulgurance des conquêtes d’Alexandre marque la fin du Proche Orient ancien. La bataille
de Gaugameles en 331 av. J.C. à l’est de l’antique Ninive se termine par la défaite de Darius
III. Au cours des années suivantes, Alexandre poursuit sa route victorieuse vers l’Indus
s’appropriant ainsi l’Empire perse dans sa totalité puis, de retour à Babylone, il meurt en 323.
Ses généraux se partagent alors le fruit de ses conquêtes.
Le général Séleucos, devenu satrape de Babylonie, fonde la dynastie des Séleucides. Ayant
épousé une princesse persane, son fils Antioche Ier est donc d’ascendance perse. C’est à lui
que le prêtre babylonien de Marduk, Bérose, dont le nom Bel re usu signifie « Dieu est mon
berger », inspiré par le savoir de son temps et des vieilles légendes, écrit que le plus illustre
des sept sages, un personnage antédiluvien nommé Adapa, aurait reçu des dieux la
connaissance des principes de l’univers. Afin de faire progresser les arts et les techniques,
c’est-à-dire les composantes de la civilisation, lécriture serait le don aux humains d’un
homme-poisson qui, sa mission accomplie, replonge dans son élément d’origine.
C’est sous le règne de cette dynastie que la Mésopotamie entre dans la sphère hellénistique.
La Palestine, rattachée à l’Egypte depuis longtemps, passe en 198 av. J.C. sous la tutelle des
Séleucides après leur victoire à Panion contre les Ptolémée qui la gouvernaient depuis 301.
En effet, le général Ptolémée avait fondé une dynastie en Egypte. C’est à Alexandrie, où réside
une importante colonie juive, que la Bible est traduite en grec vers 270 afin de satisfaire la
curiosité du souverain Ptolémée II philadelphe et de son entourage très cultivé. La Lettre
d’Aristée relate cette traduction qui concerne les cinq premiers livres, la Torah en hébreu.
Soixante-dix savants juifs y auraient participé, ce qui explique son nom de Septante. Si elle
donne lieu à de grandes réjouissances à Alexandrie, elle provoque la crainte des religieux de
Jérusalem pour l’avenir du Livre. La Bible hébraïque est une compilation de 24 livres réunis
en trois parties : la Torah, les Prophètes, les Ecrits. Sa rédaction débute après
l’alphabétisation de la Judée au VIIIe siècle et s’achève au IIe siècle av.J.C.
La Septante pénètre donc le monde gréco-latin au IIIe siècle avant notre ère, contribuant par
son monothéisme fervent à former la pensée occidentale. Porteur d’un message universel, le
monothéisme est également le fondateur de l’identité du peuple juif et de son originalité.
Le livre des Maccabées relate les rapports houleux en Palestine entre Antioche IV et les juifs
au cours du IIe siècle av. J.C., dus à sa volonté brutale de vouloir absolument les helléniser en
supprimant tout signe de judéité tels la circoncision, la casherout et le respect du Shabbat. Il
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profane même le temple de Jérusalem en y plaçant une statue de Zeus et en lui rendant un
culte. N’étant pas rédigé en hébreu mais en grec, le livre des Maccabées ne figure pas dans la
Bible hébraïque.
Réminiscences et légendes
Peu à peu, l’oubli étend son voile sur une civilisation plusieurs fois millénaire. Les récits
bibliques, les textes grecs et les écrits latins les citant, ainsi que les rares témoignages de
voyage sont les seuls éléments de connaissance du Proche Orient ancien.
Par exemple, dans la Bible hébraïque, Nimrod le premier roi postdiluvien, décide de
construire la tour de Babel en cas de nouveau déluge et fonde Ninive. Jonas y séjourne ainsi
que Tobie. Nahum et Sophonie prophétisent sa chute. De nombreux textes grecs
mentionnent sa défaite par les Mèdes et les Babyloniens.
Au VIe siècle, dans deux poèmes d’Alcée (639-562) dédiés à son frère Antiménidas,
mercenaire grec chez les Babyloniens, le nom de Babylone apparaît pour la première fois. Il
enflamme l’imaginaire.
La reine Samouramat a régné sur l’Empire assyrien de 810 à 806 pour assurer la régence de
son fils au décès de son époux Shamsi-Adad V. Ce fait a donné lieu aux légendes sur
Sémiramis. Dans la Bibliothèque historique, Diodore de Sicile, auteur grec du Ier siècle av.
J.C., cite un texte de Ctésias de Cnide Sémiramis serait la fille de la déesse syrienne
Derceto mi femme mi poisson. Abandonnée par sa mère à sa naissance, élevée par des
colombes puis par des bergers qui la nomment Sémiramis, ce qui signifie « vient des
colombes », elle serait la fondatrice de Babylone, cité éblouissante par ses dimensions et son
rayonnement. Au Ier siècle ap. J.C., l’historien et moraliste romain Valère Maxime met en
scène une Sémiramis qui aurait étouffé une révolte « en dévoilant aux insurgés un soupçon
de sa somptueuse nudité ».
Dans la Bible, Babylone la prostituée est à l’opposé de Jérusalem la sainte.
Plus proche de nous, Benjamin de Tudèle, rabbin du XIIe siècle, grande figure de la
géographie médiévale, visite les ruines de Ninive et ses descriptions sont d’une grande
précision.
En 1621, Pietro della Valle est le premier européen à recopier des inscriptions perses de
Persépolis. A la fin du XVIIIe siècle, le botaniste André Michaux rapporte de son voyage au
Proche Orient une stèle de donation kassite, trouvée près de Bagdad et conservée depuis à la
Bibliothèque nationale sous le titre de « caillou Michaux. »
Un patrimoine opulent
Ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons prendre pleinement conscience de l’ampleur de cet
héritage étonnant, un demi-million de tablettes et près de deux millions d’objets. Le résultat
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des fouilles archéologiques sur plus de 170 ans a été longuement médité et assimilé. Ce retour
aux sources de notre civilisation, c’est à Paul-Emile Botta que nous le devons. Consul de
France à Mossoul en 1842, ce grand et fin lettré fut désireux de retrouver la Ninive biblique.
Ses premières fouilles se révélant décevantes, il ouvre un autre chantier à une quinzaine de
kilomètres de Mossoul et met à jour le palais du roi assyrien, Sargon II, à Dur-Shurakin, la
Korsabad actuelle.
Ses envois à Paris entraînent la création du musée assyrien au Louvre en 1847. Aussi, les
cruels ennemis des Hébreux se voient alors donner une place de choix. Ignorant que les
Assyriens ne représentent qu’un épisode d’une longue et passionnante histoire, l’étude des
antiquités orientales se nomme assyriologie. Peu de temps après, Ninive et Nimrud, la Kalhu
biblique, sont fouillées par un Anglais.
Ainsi, à quelques encablures de l’endroit Alexandre avait porté un coup fatal à l’empire
perse, provoquant le naufrage de la civilisation mésopotamienne, une renaissance
s’accomplit.
Tels ces orants aux yeux grands ouverts sur
l’inconnu, les archéologues voient surgir
d’une longue rêverie sableuse une foule de
témoins silencieux d’un passé tout
empreint de mystère. Minuscules ou
immenses, ces morceaux de matière cèlent
une pensée qui serait à jamais demeurée
secrète sans le courage farouche d’une
pléiade de savants, véritables héros d’une
épopée inouïe qui s’étend sur une
cinquantaine d’années : le déchiffrement de l’écriture cunéiforme. Alors, sur la grande scène
du temps, l’histoire peut enfin nous conter comment s’édifièrent les fondements de
l’évolution sociale et du progrès humain.
Retour aux sources
Au loin, dix mille ans se profilent dans le décor varié du Proche-Orient que les processus
géologiques, l’eau, la glace et le vent ont modelé.
Le Zagros sépare l’Iran des basses terres de Mésopotamie et joue un rôle important dans
l’histoire extrêmement fluctuante de cette région. Au sud des montagnes de Turquie et d’Iran,
s’étendent les plaines de Mésopotamie entre le Tigre et l’Euphrate. Arrien, auteur de
l’Anabase d’Alexandre au Ier siècle ap. J.C. utilise pour la première fois le mot Mésopotamie,
« le pays entre deux fleuves », qui traduit en grec le mot akkadien « birit narim ».
Fig 1 - Orants
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Le long de la Méditerranée, la Syrie, le Liban, Israël présentent des chaînes montagneuses
également. Une faille nord-sud forme la vallée du Jourdain.
Le mont Ararat accueillit sur son sommet l’arche de Noé. En décembre 1872, George Smith
présente à la Société d’Archéologie de Londres, en présence de Gladstone, le premier
ministre, la traduction d’une tablette relatant un récit sumérien similaire au déluge
hébraïque, même dans les détails. Cependant, la cause diffère.
Pour les Sumériens, le monde se présente comme une voûte céleste reposant sur la terre.
Cette terre est un disque plat flottant sur une mer qui l’entoure. Sous la terre, une sombre et
mystérieuse plique de la voûte céleste, les enfers. Le tout forme une sphère posée dans une
mer immense, la mer primordiale, Nammu, dont le nom signifie « la mère qui donne
naissance au ciel et à la terre » An et Ki. Au départ, An et Ki ne font qu’un, une sorte
d’immense montagne dont le sommet est le ciel et la base la terre. De cette union naît Enlil, le
dieu de l’atmosphère et du vent. Il sépare An de Ki. An emporte le ciel et Ki garde la terre.
Enlil et Ki vont organiser le monde et créer d’autres dieux : Enki, le dieu de l’intelligence, les
Anunnaki, dieux supérieurs du soleil, de la lune, des étoiles, etc… et les Igigi, des sous-dieux,
leurs serviteurs pour les taches terrestres.
Harassés de travail, un jour les sous-dieux cassent leurs outils et se mettent en grève. Pour les
remplacer, Enki, crée des humains à partir d’argile humectée par le sang d’un sous-dieu
sacrifié donnant ainsi une parcelle de divinité à ces créatures. Les humains forment alors une
véritable ruche dont le bourdonnement indispose Enlil. Afin de mettre fin à cette nuisance, il
décide de déclencher le déluge les faisant de la sorte retourner à leur argile. Pour préserver
les acquis de la civilisation, Enki en sauve un avec sa famille, tout comme Dieu dans le récit
biblique de Noé.
La tablette traduite par Georges Smith fait partie de l’Epopée de Gilgamesh qui relate la
quête d’immortalité du célèbre roi sumérien. C’est le chef d’œuvre littéraire le plus ancien.
Ainsi, une mémoire d’argile toute en fragilité libère les écrits bibliques du carcan théologique
de la vérité révélée. Une émotion affleure au souvenir des intelligences mutilées, des progrès
scientifiques freinés, sans compter les terrifiants bûchers. Une remontée du temps, au fil des
millénaires, permet de découvrir que la pensée hébraïque s’enracine dans celle des divers
peuples composant la civilisation mésopotamienne.
Sumer
Après la lente évolution appelée révolution néolithique, les communautés créées,
s’assemblent, se forment en villages, se répandent vers les plaines mésopotamiennes,
réfléchissent face aux aléas du climat et inventent l’irrigation. Au VIIe millénaire, les premiers
récipients de pierre apparaissent, puis ceux de terre cuite permettant, par leur facture,
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d’identifier les différentes cultures qui se développent : Hassuna, Samarra puis Halaf. Dans le
sud de la Mésopotamie, la culture d’Obeid se déploie et s’étend vers le nord. Se déroulent
alors l’évolution des villages, la mise en place d’une civilisation urbaine.
C’est à cette véritable révolution que le nom de Sumer est lié. Les Sumériens sont arrivés du
Sud Est vers le IVe millénaire. Leur langue ne peut être rattachée à aucune autre. Une osmose
s’établit avec les ethnies déjà sur place et tout un patrimoine s’élabore dont l’occident héritera
ultérieurement : l’invention de l’écriture qui introduit l’humanité dans l’histoire, l’essor
technologique, politique et économique. A la période des nomades suit celle des cités-états
qui dès leur origine se mettent chacune sous la protection d’un dieu tutélaire, témoignant
d’un sentiment religieux, cette impression nébuleuse qu’il y a au-delà du visible une autre
réalité avec laquelle il faut prendre contact pour donner à sa vie une cohérence. Ce sentiment,
qui a dû exister depuis l’aube des temps, va ici s’habiller de visible et calquer l’au-delà sur
l’ici-bas. Alors s’ore une symbiose entre religion et culture. Ce sera une constante dans
toute la civilisation mésopotamienne et plus tard dans la culture hébraïque.
Les cités-états s’étendent sur le territoire de Sumer, le nord de la
Mésopotamie et la Syrie. Intermédiaire entre le dieu titulaire et le
peuple, le roi-prêtre règne sur la cité. Il est responsable de la justice,
des travaux publics et assume la fonction de chef de guerre. En effet,
l’état de conflit est permanent entre les cités pour des parcelles de
terre. Cette grande effervescence dans le pays de Sumer causera la fin
des petits microcosmes théocratiques.
Un exemple
Un conflit séculaire entre la cité de Lagash et d’Umma, pour la
revendication d’un territoire, est arbitré par le roi de Kish en faveur
de Lagash et une zone frontalière est établie.
Un des célèbres roi de Lagash, Ur-Nanshe, est un roi bâtisseur en particulier de temples pour
les divinités principales de la cité, Ningirsu et sa sœur Nanshe. Ningirsu est une divinité
agraire dont le symbole est une bêche. Nanshe est la divinité de la justice sociale, de la
prophétie et de la pêche. Son symbole est le poisson et le pélican. Sur un relief votif, une
inscription relate les hauts faits du roi et « la réception de bois provenant de Dilmun
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». La
Mésopotamie manquant de matières premières telles la pierre, le bois, les métaux, les pierres
précieuses et semi précieuses, avait développé le commerce fluvial.
Vers 2465, sous le règne d’Akurval, fils d’Ur-Nanshe, le vieux conflit se rallume et le roi
d’Umma devient roi de Lagash. Mais, Eannatum, fils d’Akurval, reprend le sentier de la
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Barein actuel
Fig 2 - Roi-prêtre dans
sa nudité rituelle
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