Napoléon épisode 9 : Le repos du monde Vous avez sans doute gardé en mémoire ce que Bonaparte déclarait aux français le 8 mars 1800 : "Vous allez combattre, et je ne combattrai jamais que pour le REPOS DU MONDE." Ce "repos du monde" nous allons commencer à l'apprécier. Il faut savoir que Bonaparte AIME la guerre. Il dira à Roederer qu'il aime ça, qu'il est fait pour ça, c'est son habitude, son existence. D'autre part, il en a besoin à 2 points de vues : Pour son prestige qu'il veut tout le temps redorer, et pour des questions d'argent. Je voudrais que vous compreniez bien ce qui se passe dans cette affaire de politique extérieure. La révolution avait fait le 22 mai 1790, un pas extraordinaire, grâce à Robespierre qui avait obtenu des constituants cette déclaration étonnante : "la France renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes " *** Voir : Constitution de 1791, Titre VI, Des rapports de la Nation française avec les Nations étrangères ou Décret de Déclaration de paix au monde, 22 mai 1790 *** Jusqu'à cette proposition de Robespierre, il était entendu que le monde était une jungle internationale, où les états se dévoraient, où les petits étaient mangés par les gros. Tout à coup, Robespierre essayait de faire faire ce pas en avant énorme de la civilisation. La France donnait l'exemple d'une nation qui disait : "Moi, c'est fini j'arrête les guerres de conquête." Malheureusement, les girondins ont renversé tout ça. Ils avaient décidés qu'il fallait faire la guerre pour des raisons d'argent. Car, les trésors de l'église étaient épuisés, les assignats n'étaient plus assez couverts, et surtout, la classe bourgeoise ne voulait pas faire les frais de la révolution, puisqu'elle l'avait faite pour ne pas payer ! Il fallait donc trouver l'argent à l'étranger. D'où la politique monstrueuse, de reniement, des girondins. Cette politique monstrueuse de conquête et de reniement c'est la politique aggravée que Napoléon a choisie. Voici un détail très curieux, que j'ai découvert presque par hasard. dans un article de la "Décade philosophique" du 1er nov. 1799. Ce journal c'était le journal de l'institut, le journal des "idéologues". Comme l'institut préparait la candidature de Bonaparte à la toute puissance, alors, juste avant le coup d'état, le 1er nov. 1799, ce journal usa de tous les arguments possibles contre le directoire pour le discréditer et mettre Bonaparte à la place. Ils avaient osé dire : "la politique extérieure du directoire nous condamne à la perpétuité de la guerre." ***La décade Philosophique, littéraire et politique, Huitième année de la république, Ie trimestre, N°4, An VIII, 10 Brumaire, p 248 suite le 20 Brumaire p313*** Mais cette politique extérieure du Directoire, c'était pour une part Bonaparte qui l'avait imposée. Donc, ce que ce journal dénonçait chez le Directoire c'était la politique même que Napoléon utilisait à l'extérieur, et aggravée comme je viens de vous le dire. Où en sommes-nous, maintenant ? A la prise du pouvoir par Bonaparte, l'Autriche est fatiguée. Battu à plusieurs reprises, elle fini par traiter. Elle accepte le traité de Luneville en fév. 1801. A Luneville, elle accepte les conditions de Campo-Formio. Sa tentative de résistance a été inutile. L'Autriche gagne la Vénétie, un état indépendant, que Bonaparte vole pour l'offrir en compensation. L'Autriche stoppe pour "reprendre son souffle". Et la Russie ? La Russie était contre nous depuis 1798 quand elle avait vu l'expédition d'Egypte qui semblait menacer son flanc sud. La Russie avait subit des échecs militaires graves à cause de Massena en 1799. Maintenant, elle quittait la coalition mais sans avoir signé la paix avec la France. Le Tsar était Paul 1er. Paul 1er, pour des raisons trop longues à expliquer ici, tournait contre l'Angleterre. Ca va lui couter son trône. Paul 1er va être assassiné par une conjuration de Boyards. les boyards, ça signifie "les gros négociants", ce sont les notables de la Russie, ceux qui tiennent la banque et le commerce. Les notable voient Paul 1er en rupture avec l'Angleterre. Or, leurs trafics avec l'Angleterre étaient la source de leurs profits. Ils vont donc tuer Paul 1er avec la sourde complicité de son fils, Alexandre. A ce moment là, 1801, à l'Est la France n'a rien à craindre. Et du coté de l'Angleterre ? Là, nous assistons à quelque chose d'assez curieux. 1/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde Les dirigeant de l'Angleterre, qui sont des commerçant avant tout, s'étaient dit pragmatiquement : Les français sont à Anvers, c'est très dangereux. *** voir : Felix Beaujour - Du traité de Luneville, 1801 *** Bonaparte disait lui-même qu'Anvers était "comme un pistolet braqué sur l'Angleterre". mais si on pouvait s'arranger avec lui, avec un bon traité commercial, même si les français restent à Anvers, nous pourrions coexister pacifiquement, pendant un certain nombre d'années. M. Georges Levèbvre, dans son très bon livre de 1965 sur Napoléon a une formule que je vais vous répéter ici, car je la trouve excellente : "Cette paix sera une expérience d'hommes d'affaires." *** Georges Lefèbvre - Napoléon, édition 1947, p103 *** C'est exactement ça. Les hommes d'affaires britannique qui sont au pouvoir essayent de négocier. En 1786, la France avait signé avec l'Angleterre un traité de commerce. Il était peut être plus avantageux pour l'Angleterre que pour la France. *** voir : traité Eden-Rayneval (Eden Agreement) du 26 sept. 1786 *** Les banquiers et négociants anglais se disent que si Bonaparte acceptera un traité de commerce, plus la peine de se battre. Donc, le 24 mars 1802, suite à la poussée des Tories contre les Whig au pouvoir, la paix d'Amiens est signée. S'en suit une sérieuse accalmie sur le continent. Mais ça risque de ne pas durer. Bonaparte le sait d'avance. Deux raisons à cela : 1) Les Anglais désirent un traité de commerce avantageux. Or, Bonaparte est le délégué des notables, c'est à dire des négociants en particulier. Les négociants français ne veulent à aucun prix d'un traité désavantageux comme celui de 1786. Ils ont mis Bonaparte là où il est pour faire des bénéfices. Ils veulent donc une politique économique ultra protectionniste. Si jamais Bonaparte avait eu l'idée d'une politique de libre échange, il aurait perdu sa clientèle de notables. Il sait d'avance que si les Anglais n'ont fait la paix que pour avoir un bon traité commercial, ils ne l'auront pas. 2) Il a cette phrase cynique qui nous révèle le fond de sa pensée, il s'adresse à Roederer : "Mon cher, elle (l'Angleterre) ne doit pas la vouloir (la paix) car nous sommes maitres du monde. *** voir: Mémoires de PL Roederer, Tome 3, p353, 1854 *** Et bien cet homme qui déclare "nous possédons trop de chose", vous allez voir comment il va se comporter après les 2 paix qu'il a signées : il va essayer d'en avoir encore plus. La paix de Luneville était à peine signée qu'il impose de force au royaume indépendant de Naples, la présence de 3 garnisons françaises. La menace militaire est toujours la politique de Bonaparte. Bonaparte c'est : "obéissez ou je tire !" Menacés, 3 ports de Naples vont accepter des garnisons françaises. Très peu de temps après il s'empare du Piémont. Jusqu'alors, il y avait la république Cisalpine, l'état satellite qu'il avait crée. Mais il n'avait pas touché au Piémont. Brusquement, 3 mois après Luneville, la Piémont devient une "division militaire française". On n’ose pas encore parler d'annexion. Mais cette fiction ne durera pas longtemps. Le 11 sept. 1802, le Piémont est annexé. *** voir : République Subalpine *** En mai 1802 l'île d'Elbe a été prise par Napoléon. Là il y a un détail assez amusant que je tiens à vous apporter. Cette île, c'était peu de chose, mais il y avait tout de même des mines de fer, aussi Napoléon espérait en tirer bénéfice. Lors de l'annexion, il charge Louis Alexandre Berthier (son homme à tout faire) d'organiser un voyage de remerciements à Paris des principaux notables de l'île d'Elbe. Voici ce qu'il va dire à Berthier : "Je les autorise à m'adresser un petit discours, où ils parleront du plaisir qu'ils ont d'être annexés à la France. Vous leur ferez remettre 300 frs à chacun." *** voir : Correspondance de Napoléon 1er, Tome 7, lettre au général Berthier du 3 juillet 2/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde 1802, N° 6160, p506, 1861 Attention ici Guillemin en rajoute un peu *** En Italie, la Cisalpine va être transformée en janvier 1802. Jusqu'à présent la république Cisalpine était en apparence un état indépendant, mais sous domination française. En jan 1802, on va la déclarer "république Italienne." Italienne ? Tout à coup, l'Italie du nord devient une république italienne. C'est une menace très précise. Cette république Italienne, ne comprend pour l'instant, que le nord de la péninsule, mais le reste pourrait suivre. Et sous quel règne ? Celui de Bonaparte qui vient de se faire nommer président de la république Italienne à Lyon. Il a amené les italiens à Lyon pour montrer qu'il les tenait dans sa main. C'est à Lyon qu'on a décidé qu'il serait le président de la république italienne. *** voir : Consulte de Lyon du 11 au 26 jan. 1802 *** L'Italie ou la France, pour lui, à ce moment là, c'est là même chose. Quand il s'agira de déléguer un ambassadeur auprès du Pape il va choisir son oncle (qui n'a que 6 ans de plus que lui) le cardinal Joseph Fesch. Celui ci sera ambassadeur, à la fois de la France et de la république italienne à Rome. Donc en Italie : - 3 garnisons françaises dans des ports Napolitains. - On s'est emparé du Piémont. - prise de l'île d'Elbe. Quand au Pape, on lui a déjà pris un morceau, mais il y en aura d'autres. La Suisse maintenant, puisqu'elle nous intéresse particulièrement. La France l'a envahie à partir de 1798. On avait volé les 30 millions du trésor de Berne pour financer l'expédition d'Egypte. On s'était battu en Suisse puisque les Austro-Russes y étaient. Il y avait eu les victoires de Masséna en 1799, naturellement les troupes françaises n'avaient pas évacuées. Bonaparte estimait que la Suisse devait lui appartenir. C'était important militairement et stratégiquement. Il voulait également les ressources du pays. Il avait imposé aux suisses l'acte de Malmaison le 29 avril 1801. Le 27 octobre 1801, de son chef, il renvoie la Diète, c'est à dire la réunion générale que les suisses avaient constituée. Il la fait dissoudre par le général Louis Antoine Choi de Montgay. Ecoutez ce qu'il dit à Talleyrand :"Il n'y a pas de milieu entre une Suisse amie de la France (c'est à dire docile) et pas de Suisse du tout. Il faut que ma médiation soit acceptée. s'ils m'obligent à ce coup de force, c'en est fait de la Suisse." dit il. *** voir : correspondance de Napoléon 1er, Tome 8, Lettre 6339, 23 sept 1802, Au citoyen Talleyrand, p58, 1861 *** Les délégués suisses vont arrivés aux Tuileries chapeaux bas pour recevoir les ordres du fameux 'médiateur'. Bonaparte va 'demander' à la Suisse une alliance militaire. En plus il prend un morceau de la Suisse : le canton du Valais qu'il érige en république 'indépendante'. Il veut y envoyer Chateaubriand comme ministre. Chateaubriand prendra ça très mal. Qu'est ce que c'est que cette 'république de marmottes' ? disait Chateaubriand. Puisque c'est une indépendance fictive, le Valais sera rapidement annexé. D'autre part les suisses seront obligés de mettre 16 000 hommes à disposition de Bonaparte. Voici sa proclamation du 30 sept 1802 : "Habitants de l'Helvétie, revivez à l'espérance" je ne puis rester insensible aux maux qui vous accablent. "la médiation dont je me charge pour l'Helvétie est un bienfait de cette providence." *** voir Thibaudeau - Mémoires sur le consulat: de 1799 à 1804, 1827, p354 *** Concernant la Suisse, il y a un autre détail important pour la politique intérieure de Bonaparte. A Roederer le 30 décembre 1802, soit peu de temps avant l'acte de médiation du 19 fév 1803, il explique à voix basse : "En contentant la masse, je fais trembler les patriciens. En leur donnant l'apparence du pouvoir, j'oblige les patriciens à se réfugier près de moi pour en obtenir la réalité" "Ce système m'a réussi en France." *** Oeuvres du comte P. L. Roederer, tome 3, p459, 1854 *** 3/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde Vous avez vu ce qu'il a fait en Italie et en Suisse, l'Allemagne maintenant : Les Autrichiens ont signé le traité de Lunéville, reprenant celui de Campo Formio, offrant la rive gauche du Rhin à la France en échange de la Vénétie. Mais il faut des compensations pour les gens de cette région qui n'ont plus de pouvoir, ces princes qui ont été dépossédés. Ces compensations sont indiquées par Bonaparte, il leur dit : Vous avez des principautés ecclésiastiques avec des 'princes-évêques'. La 'république' française, dont il est le représentant, vous donne l'exemple : saisissez les biens ecclésiastiques. Ces princes évêques n'ont aucune raison d'être prince en même temps qu'évêque. Cela représente 21 millions de florins de rente annuelle. Prenez-les. D'autre part, il y a des villes libres... et le mot "libre" est un mot qui exaspère Bonaparte. Il y avait 51 villes libres, il n'en restera que 6 après qu'on ai arrangé les choses dans le Recès de la Diète d’Empire de Ratisbonne (25 fev 1803). Talleyrand y fera ses trafics habituels, il parait qu'il en tirera 10 ou 12 millions. Mais pour bien comprendre ce qui se passe en Allemagne, il faut connaitre un détail qu'on trouve dans un livre dont je m'étonne qu’on n’en parle pas d'avantage. C'est un livre de 1913, intitulé : Napoléon Sténographié. C'est Alfred Marquiset qui a publié ce livre. Ce sont des notes prises pendant les séances du conseil d'Etat par un conseiller d'état dont Marquiset n'a pas réussi à définir l'identité. Ce serait probablement le banquier Le Couteulx de Canteleu, mais sans certitude. Ces notes ont été prise rapidement par Le Couteulx, on y 'entend' Bonaparte parler au conseil d'Etat. En 1804, lors d'une des séances, alors qu'on prépare l'Empire, Bonaparte discute de l'emblème à choisir pour son Empire. Il sera question d'un éléphant et d'un aigle (qui sera choisi) mais également d'un lion. Bonaparte le décrit comme suit : "Un lion étendu sur la carte de la France, la patte à demi levée et prête à dépasser le Rhin, avec cette légende : 'Malheur à qui me cherche' ." *** Revue des deux mondes, 82ème année, 6ème période, Tome IX, 1er mai 1912, p365 ensuite publié par Alfred Marquiset - Napoléon sténographié au Conseil d'État 1804-1805, p29, 1913 *** Le recès de Ratisbonne, c'est Napoléon qui est en train de préparer son remue-ménage de l'autre coté du Rhin, car il a l'intention de passer le Rhin. "Malheur à qui me cherche" me chercher pour lui c'est tenter de s'opposer comme on peut à ses tentatives d'expansion. Je ne pense pas que l'image du Lion soit celle qui convienne, je préfèrerais la pieuvre avec ses tentacules. Car tout ce que nous allons voir avec cette histoire napoléonienne, ce sont les tentacules, non pas certes de la France, mais de Napoléon, qui telle une pieuvre va essayer de prendre tout ce qui passe à sa portée. Une pieuvre je dirais... compliquée d'un vampire. Vous avez déjà vu ce qu'il fit en Italie du nord: Ramasser millions sur million. "C'était un artiste" comme disait Louis Madelin. Il s'occuper de tableaux et de statue, il les prenait. Maintenant entre les traités de Lunéville, Amiens et ce qui va se passer en 1803, le "vampire" travaille. Il a obtenu de la "république" italienne dont il est le patron, une fourniture de 33 millions par an. On fera lever des impôts car Napoléon veut 33 millions par an. D'autre part, il y a le Portugal et l'Espagne, deux pays riches. Napoléon va donc organiser une sorte de rupture apparente entre l'Espagne et le Portugal. Il a dans la main Manuel Godoy car c'est l'amant de la reine et le roi Charles IV obéit à ce que veut Godoy. Bonaparte s'arrange avec Godoy en lui disant de menacer d'une guerre le Portugal. Comme la guerre n'éclatera pas, on dira aux Portugais : "Si vous voulez qu'on ne vous attaque pas, et que la France n'intervienne pas, versez 20 millions !" Ca y est le Portugal va verser 20 millions. *** voir indemnités du traité de Badajoz, 6 juin 1801, guerre des oranges. Auguste Fournier - napoléon the first, p210, 1910*** Bonaparte vient d'apprendre qu'il y a des galions d'or qui arrivent de façon régulière en Espagne, qui gagne beaucoup d'argent avec ses colonies d'Amérique latine. Dès qu'il sait qu'un Gallion arrive, il demande à Godoy de signer un papier stipulant que "la France" touchera tous les mois 6 millions. Cela fait 72 millions par an ! Soit 288 millions de 4/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde francs en 1968 (341 millions d'Euros en 2013) Du coté de la "république" Batave établie en Hollande, encore une fausse république, il y aura en permanence un corps expéditionnaire français, à la charge de la Hollande. Cela fera faire des économies à Napoléon, puisque ses propres troupes occupantes seront entretenues par l'occupé. Tout ce "vampirisme" s'accompli sous le signe du traité de Lunéville qui dans un de ses articles garantissait expressément l'indépendance des républiques Cisalpine, Helvétique et Batave. Alors on ne peut que donner raison à une certaine note de la chancellerie autrichienne qui dira en 1805 : "Le repos de l'Europe (je suis content qu'ils aient écrit cela car cela répond comme un écho à ce que Bonaparte a écrit en 1800) "Le repos de l'Europe est troublé quand une puissance s'attribut des droits d'occupation et de protection qui ne sont assurés par aucun traité, quand elle emploie la force et la crainte pour dicter ses lois à ses voisins et quand elle reparle des droits de la victoire après la paix les a éteints." *** voir : Gaffarel - Campagnes du Consulat et de l'Empire p139, Note du cabinet de Vienne du 12 sept 1805, 1892 *** Cela n'empêche pas Napoléon de faire cette déclaration cynique le 13 mai 1804 : "toute l'Europe me rend la justice que je ne me mêle des affaires intérieures d'aucun État" *** Correspondance de Napoléon 1er, Tome 9, p455, lettre N° 7746, 13 mai 1804, Au citoyen Talleyrand, 1861 *** Avec ce commentaire souriant dans les mémoires de Lucien :"Je les connais les français, ils adorent avoir à leur tête un prince qui les mène de temps en temps voler à l'étranger." Enfin, en principe c'est la paix. Les historiens nous disent que Bonaparte a inauguré son règne par deux traités de paix : Lunéville et Amiens et jusqu'en 1803 c'est la paix. C'est la paix si on met de coté les expéditions coloniales. En 1802, il y a l'expédition coloniale de St Domingue, dont je vais bientôt vous parler. Ce n'est pas la constituante ni la législative qui avait libéré les esclaves noirs. C'est Robespierre. C'est lui le 4 février 1794, qui avait dit que la république ne pouvait pas tolérer des esclaves dans ses colonies. *** voir : Décret n°2262 de la Convention nationale du 16 jour pluviôse, an second de la République Française, une & indivisible, qui abolit l'esclavage des nègres dans les colonies. (4 fev. 1794)*** Le lobby colonial était fou furieux contre lui. Mais finalement les esclaves étaient libérés. La libération avait été réelle à St Domingue. Ce fut la 1ère république noire indépendante avec Toussaint Breda Louverture à sa tête. Louverture avait collaboré avec les français pour chasser les anglais et les espagnols de St Domingue Mais Louverture désirait entretenir des liens économiques étroits avec la France. Pas question pour Bonaparte d'accepter qu'il y ait une république noire indépendante. Il a à coté de lui le lobby colonial qui a repris du poil de la bête, avec à sa tête, sa femme, la créole Joséphine. Adolphe Thiers raconte dans son "Histoire du consulat et de l'Empire" que des conseillers disent à Bonaparte : Vous désirez faire rentrer en France les royalistes émigrés. Mais quand ils rentreront ils demanderont des indemnités car on leur a pris une partie de leurs biens. Alors Thiers dit : "Nombreux étaient ceux qui conseillaient à Bonaparte d'indemniser les émigrés en rétablissant l'esclavage car un grand nombre d'entre eux avaient eu des possessions à St Domingue." *** Adolphe Thiers - Histoire du Consulat et de l'Empire, Volume 1, p414, 1845 *** Dans les mémoires de Molliens ont trouve une troisième raisons d'envahir St Domingue : Les armateurs avaient envie de reprendre le commerce avec St Domingue à l'aide d'une "foule d'objets que la délicatesse de notre luxe repousse mais qui font le luxe des pays moins avancés." *** Mollien - Mémoire d'un ministre du trésor public, Tome 1, p333, 1898 *** 413 Tout cela à condition que les ex-esclave se laissent faire. Bonaparte a encore une autre raison 5/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde de lancer son expédition militaire sur St Domingue, c'est l'affaire de Rennes, le début d'insurrection militaire à Rennes. Il n'y a plus de guerre, donc les officiers dangereux ne sont plus en Allemagne, ils sont rentrés en France. Ca serait très bon d'envoyer les fortes têtes se faire tuer à St Domingue, peut être aussi par le climat, le 83ème de ligne en particulier. Ce régiment avait suivi le colonel Simon aux ordres de Bernadotte. C'est par lui qu'avait été lancé l'appel à toutes les armées de France. Le 83ème ira à St Domingue et n'en reviendra pas. Dernière raison, le caïd Bonaparte a l'esprit de famille, le sens de la solidarité tribale. Sa petite sœur Pauline s'est mariée avec Charles Victoire Emmanuel Leclerc. Comme Bonaparte trouve ce mariage insuffisant, on va lui offrir une sorte de principauté coloniale. On va reconquérir St Domingue, non pas pour permettre à ses noirs d'être libres, mais pour donner à Pauline beaucoup d'argent. Cela va se produire sournoisement. On envoie un corps expéditionnaire qui fait une proclamation pour expliquer aux noirs qu'il ne faut pas s'inquiéter. La voici, le 8 nov 1801 : "Que craindriez vous des républicains que nous sommes Si on vous dit : Ces forces sont destinées à vous ravir votre liberté, répondez : La République nous a donné la liberté, la République ne souffrira pas qu'elle nous soit enlevée." *** Correspondance de Napoléon 1er, Tome 7, p315, N°5859, Proclamation, 1861 *** Toussaint Louverture comprend bien ce qui se passe. Il va donc s'opposer militairement au débarquement des 30 000 français qui arrivent. Il sera battu, signera un armistice, Bonaparte lui refera le coup qu'il avait fait à Frotté (le vendéen qui avait eu l'imprudence de croire à la sincérité de Bonaparte qui lui avait offert un sauf conduit et qui fut tué dès qu'il fut pris.) De même, le général Jean Baptiste Brunet écrit le 7 juin 1802 à Toussaint Louverture : Venez me voir, "vous y trouverez la franchise d'un galant homme qui ne fait d'autres vœux que pour la prospérité de la colonie et pour votre bonheur personnel" *** Mémoires du Général Toussaint Louverture, p79, 1853 *** Dès que Louverture sera chez Brunet, on le saisira et on le mettra sur un bateau. Envoyé en France, il mourra au fort de Joux le 7 avril 1803. Bien entendu, l'esclavage et la traite des noirs sont rétablis par Bonaparte le 27 mai 1802. *** Bulletin des lois de la République Française,3ème série, Tome 6, p329, N° 1609 Relative à la traite des noirs et au régime des colonies, Brumaire An XI, 1802*** Mais l'expédition de St Domingue va mal tourner. Il faudra l'abandonner à cause de la fièvre jaune. 37 000 soldats français sont morts donc Leclerc et cette colonie sera définitivement perdu pour la France. L'Angleterre maintenant. On va se battre ou pas ? Les anglais n'y tiennent pas, malgré leurs déception au niveau économique. Nous avons la dessus des renseignements très sérieux, notamment Françoit Crouzet et son " L'Économie britannique et le Blocus continent al " (1958). Il nous apprend ce qui s'est passé en Angleterre du temps de Napoléon. L'année 1802 a été marquée en Angleterre par une expansion économique sans précédent. Donc bien qu'ils n'aient pas eu du coté de la France le traité de commerce qu'ils désiraient, les anglais ne souhaitaient pas la guerre. Mais Bonaparte la veut, mais sans passer pour l'agresseur. Il veut obtenir d'être attaqué pour justifier la "défense" du peuple français. Il va donc procéder par des menaces et des provocations. La menace : il va faire écrire par Talleyrand aux anglais : "Prenez garde à ne pas forcer le premier consul à conquérir l'Europe Le premier coup de canon peut créer subitement l'empire gaulois." *** Correspondance du duc d'Enghien (1801-1804) et documents sur son enlèvement et sa mort, Volume 1, p241, 1904 (citation complète étude 1928)*** A bon entendeur, salut ! Et les anglais entendent fort bien. D'autre part, il va faire publier au journal officiel le 30 jan 1803 un rapport qu'il a demandé au général Horace Sébastiani. Il avait envoyé ce général au proche Orient, à Constantinople et en Egypte. Ce rapport était secret. Mais il le fait publier dans le moniteur (journal officiel). Il est rempli d'insulte contre 6/7 Napoléon épisode 9 : Le repos du monde l'Angleterre et d'indication de ce qu'on leur prépare contre elle militairement. *** Panckoucke - le moniteur Universel, année 1803, jan Jun, p523 *** C'est une provocation inouïe. Un ami à moi, Jean Massin, qui a fait un très bon almanach impérial dit : "incroyable maladresse de Bonaparte» Pas du tout ! C'est calculé, c'est une provocation. De même on va dire que les anglais refusent d'évacuer Malte. Effectivement, ils refusaient car la napoléon s'était emparé de tout ce que vous savez depuis 1802. Les anglais disaient : "Tant que vous ne reviendrez pas sur vos positions du traité de Lunéville, nous garderons Malte." Du reste, Napoléon dira à Bertrand à St Hélène : "Malte était un prétexte, c'était une affaire économique" Le 18 février, Bonaparte va faire une scène à Charles Whitworth, l'ambassadeur d'Angleterre à Paris. Whitworth dira au cabinet britannique qu'il ne peut pas reproduire les termes de charettier dont s'est servi le 1er consul, le papier diplomatique ne les souffre pas. Puis le 13 mars, de nouveau une insulte à Whitworth, il demande ses passeports, c'est la rupture. C'est le commencement d'une guerre qui ne se finira pas. 11 ans de guerre. Quelque soit le mépris que nous pouvons avoir pour un homme comme Talleyrand, nous sommes obligé de lui donner raison quand il écrit : "Désormais ce n'est plus la France qui fait la guerre c'est Napoléon qui fait la guerre au moyen du peuple français." Rendez vous compte des choses : Un spécialiste en hold up géant s'est emparé de la France et c'est au moyen de la France qu'il va poursuivre sa carrière de meurtres et de pillages. Seulement le drame, c'est que ce caïd, les tueurs dont il dispose, c'est des conscrits français. 7/7