ÉPIDÉMIOLOGIE DES CANCERS DU TUBE DIGESTIF A

Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (10)
cette étude épidémiologique que les malades malgaches,
originaires des hauts plateaux pour la majorité d’entre eux.
RÉSULTATS
I - Les cancers du tractus digestif supérieur
Les cancers de l’œsophage ont été découverts dans 16 cas.
Il s’agissait de 16 hommes dont l’âge moyen était de 57,5
ans (extrêmes 42-80 ans).
Ages 41-50 51-60 61-70 71-80
4 6 4 2
- 13 fois on était en présence d’un carcinome épidermoï-
de, toujours invasif. 2 fois d’un adénocarcinome du bas
œsophage et 1 fois d’un sarcome.
- Les localisations étaient les suivantes : bouche de
Killian 1 cas, tiers supérieur de l’œsophage 2 cas, tiers
moyen 3 cas, tiers inférieur 9 cas, lésions étagées 1 cas.
Les cancers gastriques ont concerné 72 malades, (52
hommes et 20 femmes) dont l’âge moyen était de 57 ans
(extrêmes : 16 et 84 ans).
Ages 10-20 21-30 31-40 41-50 51-60 61-70 71-80 81-90
H 0 1 5 8 12 19 5 2
F 1 1 1 3 6 7 0 1
L’examen histologique montrait :
- 63 fois la présence d’un adénocarcinome toujours invasif.
- 4 tumeurs sous muqueuses dont 3 leimyosarcomes et 1
tumeur de nature mal précisée.
- 5 lymphomes gastriques primitifs non hodgkiniens :
ÉPIDÉMIOLOGIE DES CANCERS DU TUBE DIGESTIF
A MADAGASCAR
Apport de 14000 endoscopies effectuées au Centre Hospitalier
de Soavinandriana à ANTANANARIVO
M. PEGHINI(1), P. RAJAONARISON(2), J.L. PECARRERE(3),
H. RAZAFINDRAMBOA (4), J. RICHARD (5), D. MORIN (5).
1 - Médecin des Hôpitaux des armées, spécialiste des maladies digestives
Centre Hospitalier de SOAVINANDRIANA - BP 6 Bis ANTA N A -
NARIVO MADAGASCAR.
2 - Médecin commandant - Centre hospitalier de SOAVINANDRIANA.
3 - Spécialiste des hôpitaux des armées, chef du service de biologie et
d’anatomo-pathologie à l’Institut Pasteur d’ANTANANARIVO.
(4) Chirurgien Viscéral - Centre Hospitalier de SOAVINANDRIANA.
(5) Chirurgien des Hôpitaux des armées - Centre Hospitalier de
SOAVINANDRIANA.
Les cancers du tube digestif sont très inégalement répartis
dans le monde et subissent des variations d’incidence dans
le temps.
Le développement de l’endoscopie digestive dans les
régions intertropicales permet de trouver de plus en plus
souvent et de plus en plus tôt les cancers digestifs.
Nous rapportons les cancers du tube digestif diagnostiqués
par l’endoscopie haute et basse au cours des 5 dernières
années, chez des malgaches au centre hospitalier de
Soavinandriana d’Antananarivo.
MÉTHODOLOGIE
De septembre 1990 à mars 1995, 12000 endoscopies hautes
et 2000 endoscopies basses ont été effectuées par une même
équipe au Centre Hospitalier de Soavinandriana d’Anta-
nanarivo.
Les malades sont des consultants externes ou des hospita-
lisés, provenant des divers services du Centre hospitalier de
Soavinandriana, des Centres Hospitaliers Universitaires
d’Antananarivo et plus rarement des formations sanitaires
de l’intérieur de Madagascar. La plupart de nos malades
vivent en milieu urbain. Nous ne prendrons en compte dans
RÉSUME
189 cancers du tube digestif ont été découverts chez 128
hommes et 61 femmes malgaches au cours de 14000
endoscopies hautes et basses effectués dans les 5 der-
nières années au Centre Hospitalier d’Antananarivo.
L’âge moyen des malades est de 55 ans. Le cancer colo-
rectal (95 cas) qui prédomine sur le rectum (58%) est la
localisation la plus fréquente, devant le cancer gastrique
(72) et œsophagien (16 cas).
L’ a p p o rt de l’endoscopie digestive explique cette fré-
quente découverte des cancers du tube digestif (en par-
ticulier recto-coliques) à Antananarivo.

Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (10)
45 fois de haute malignité et 1 lymphome de type MALT
de faible malignité « Centrocyte-like».
Enfin on note 1 métastase gastrique sous cardiale d’un
adénocarcinome colique chez une femme de 66 ans.
Les localisations étaient les suivantes : sous cardiale 16
cas, corps gastrique 16 cas, angulaire 1 cas, antrale 30 cas,
étendue 9 cas.
Les cancers duodénaux ont été mis en évidence chez
6 malades ( 5 hommes et 1 femme) d’âge moyen 51 ans
(extrêmes 14-72 ans).
Il s’agissait de 3 adénocarcinomes, de 2 lymphomes malins
non hodgkiniens et d’une tumeur carcinoïde.
II - Les cancers colo-rectaux
Ils ont concerné 95 malades (55 hommes et 40 femmes)
dont l’âge moyen est de 54 ans (extrêmes 32-80 ans)
Ages 31-40 41-50 51-60 61-70 71-80
H 3 22 11 12 7
F 5 13 11 9 2
Tous étaient des adénocarcinomes. Les localisations étaient
rectales 55 fois, charnière recto-sigmoïdienne 8 fois,
sigmoïde 13 fois, côlon gauche 9 fois, côlon transverse 2
fois, côlon droit 4 fois et cœcum 4 fois.
COMMENTAIRES
En dehors du cancer œsophagien fréquent en Afrique du
Sud et de l’Est, l’Afrique intertropicale et Madagascar sont
considérés classiquement comme zone de faible incidence
pour les cancers du tube digestif; si le cancer gastrique était
souvent signalé, les cancers colo-rectaux étaient plus
rarement diagnostiqués.
Les bouleversements des habitudes alimentaires en milieu
urbain et l’essor des techniques d’exploration ont modifié
ces données et les cancers du tube digestif font désormais
partie du paysage pathologique quotidien de madagascar.
Cancers œsophagiens
L’incidence du cancer de l’œsophage varie significative-
ment d’une région du monde à l’autre. Ces variations
suggèrent que les facteurs étiologiques ne sont pas uni-
voques.
Le Sud et l’Est de l’Afrique sont des régions à risques
élevé, en particulier au Zimbabwe et au Transkei où le
cancer de l’œsophage est la tumeur maligne la plus fré-
quente chez l’homme. D’importantes séries ont été rappor-
tées chez les Noirs d’Afrique du sud (240 cas en 10 ans
dans un hôpital de Pretoria) (9) et au Soudan (226 cas en 7
ans) (2). Sa prévalence est plus faible en Afrique de
l’Ouest (61 cas en 5 ans au Sénégal) (5) et surtout à Mada-
gascar où nous ne rapportons que 16 cas sur 12000 endos-
copies hautes effectuées sur près de 5 années.
Le cancer œsophagien touche en France 15 à 30 fois plus
souvent l’homme que la femme. Le sex-ratio est également
élevé (2 à 4) en Afrique du Sud et de l’Est ainsi qu’au
Sénégal (2,5). Dans notre étude nous n’avons retrouvé que
des hommes.
La fréquence du cancer augmente avec l’âge. En France,
exceptionnel avant 35 ans, l’âge moyen de survenue est de
65 ans; dans les séries africaines du Sud et de l’Est il est de
50 à 55 ans.
La moyenne d’âge de l’étude sénégalaise était nettement
inférieure (48 ans). A Madagascar l’âge moyen des mala-
des présentant un cancer œsophagien est de 57,5 ans dans
notre série.
Le cancer œsophagien est dans 95% des cas un carcinome
malphigien épidermoïde. 13 de nos 16 cas sont de ce type
soit 80%.
Dans l’étude dakaroise, on avait été frappé par la fréquen-
ce (30%) et l’âge moyen très bas (37 ans) des cancers loca-
lisé au niveau de la bouche de Killian, ce qui devait être
rapproché de la fréquence des anneaux muqueux du haut
œsophage (38 cas de syndrome de Plummer-Vinson retrou-
vés sur 15000 endoscopies hautes).
A Madagascar 1 seul des 16 cancers œsophagiens siège sur
la bouche de Killian et nous n’avons retrouvé que 5 Plum-
mer-Vinson sur 12000 fibroscopies.
L’alcool et le tabac, principaux facteurs de risque dans les
pays occidentaux peuvent être retenus chez tous nos mala-
des.
Les conditions épidémiologiques du cancer œsophagien à
Madagascar semblent très proches de celles des pays occi-
dentaux (âge élevé, très large prédominance masculine,
rôle de l’alcoolo-tabagisme). Ce cancer ne semble toutefois
pas très fréquent à Antananarivo.
M. PEGHINI, P. RAJAONARISON, J.L. PECARRERE,
H. RAZAFINDRAMBOA, J. RICHARD, D. MORIN
519

Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (10)
Cancers gastriques
L’incidence du cancer de l’estomac a considérablement décru
dans les pays industrialisés, du fait d’une modification des
comportements alimentaires. Inégalement réparti dans le
monde, son incidence est classiquement faible en Afrique.
En fait ce cancer semble fréquent chez le Noir africain, 115
cas en 10 ans dans un hôpital de Pretoria (9), 57 cas en 3 ans
au Nigeria (4), 170 cas en 5 ans à Dakar (5) où il est de loin
le plus fréquent des cancers du tube digestif.
A Madagascar, une première étude a retrouvé 38 cancers
gastriques sur 3300 endoscopies pratiquées de 1987 à 1990
(8). Nous en rapportons 72 cas sur 12000 endoscopies
effectuées dans les 5 dernières années.
L’âge moyen du diagnostic est en France de 70 ans. Il est
de 53 ans au Nigeria et au Sénégal. Notre étude malgache
montre un âge moyen de 57 ans avec 12% des cas des
patients de moins de 40 ans.
Le sex-ratio est proche de 2 dans la plupart des pays : il est
de 2,6 à Dakar ainsi que dans notre étude.
Le cancer superficiel de l’estomac représente une forme
particulière de cancer à marche lente, de bon pronostic, ne
dépassant pas la sous-muqueuse. Il représente 5 à 15% des
cancers gastriques dans les séries européennes et près de
50% au Japon. A Dakar 5,7% des cancers gastriques
étaient des cancers superficiels (5). Nous n’avons retrouvé
aucun cancer superficiel dans notre étude.
Le cancer gastrique est dans 90% des cas un adénocarci-
nome. (88% dans notre série). 3 adénocarcinomes sur
moignon de gastrectomie ont été retrouvés.
Les lymphomes malins non hodgkiniens gastriques repré-
sentent la localisation la plus fréquente des lymphomes
malins digestifs : 1 à 8% des tumeurs malignes de l’esto-
mac selon les séries. Dans notre étude, nous retrouverons 5
lymphomes sur 72 cancers gastriques soit 7% des cas. Les
salaisons, les fumaisons et les fritures sont des fac-teurs
favorisants du cancer gastrique. La conservation par le
froid semble être un des facteurs expliquant la baisse de
l’incidence de ce cancer dans les pays industrialisés.
En milieu urbain malgache, en particulier sur les hauts
plateaux, c’est le riz qui est la base de l’alimentation et la
conservation par le sel ou la fumée n’est guère de mise.
Madagascar est vraisemblablement une région de basse
incidence pour le cancer gastrique.
Tumeurs duodénales
Notre étude étant basée sur le diagnostic endoscopique des
cancers, seules les tumeurs duodénales accessibles à l’en-
doscopie sont colligées. Aucune particularité épidémiolo-
gique n’a été retrouvée chez nos 6 malades, en dehors d’un
âge moyen peu élevé de 51 ans.
Cancers colo-rectaux
Le cancer recto-colique, au premier rang de la pathologie
cancéreuse en France, est classiquement rare en Afrique
intertropicale, moins fréquemment retrouvé que le cancer
gastrique. Il est pourtant loin d’être exceptionnel et d’im-
portantes séries ont été publiées : 258 cas retrouvés au
Sénégal en 15 ans dans une étude rétrospective (3), 81 cas
à Madagascar sur 8 ans (6), 62 cas en Côte d’Ivoire en 12
ans (1), 57 cas chez les sud-africains noirs en 10 années
dans un hôpital de Pretoria (9), 71 cas sur 3000 endos-
copies basses effectuées en 5 ans à Dakar (5). 95 cas ont
été diagnostiqués à Antananarivo, dans un seul hôpital sur
2000 endoscopies basses pratiquées dans les 5 dernières
années.
Le sex-ratio légèrement supérieur à 1 dans toutes les séries
est égal à 1,4 dans la notre. L’âge moyen des malades afri-
cains est nettement inférieur à celui des pays industrialisés :
46 ans en Côte d’Ivoire, 47 et 50 ans dans les 2 études
sénégalaises avec 30% de malades de moins de 40 ans, 52
ans à Madagascar.
Dans notre étude l’âge moyen est de 54 ans avec seulement
8,5% des patients de moins de 40 ans.
La localisation rectale est prédominante : 58 % dans les 2
études sénégalaises, et le même pourcentage (55 cancers
rectaux sur 95 cancers recto-coliques soit 58%) dans notre
étude à Antananarivo. Mais cette répartition est sans doute
biaisée dans notre étude et celle de Dakar par le fait que
l’exploration endoscopique du côlon est le plus souvent
incomplète. Les maladies inflammatoires du côlon ( recto-
colite hémorragique, maladie de Crohn) sont encore excep-
tionnelles à Madagascar. Les adénomes recto-coliques sont
les précurseurs habituels du cancer, la filiation adénome-
cancer est étayée par des arguments solides; la prévalence
des adénomes est parallèle à celle des cancers : 66 sujets
porteurs d’un polype adénomateux (37 hommes et 29 fem-
mes sex-ratio : 1,3) ont été retrouvés dans cette étude,
3 patients avaient des polypes multiples (présence de 2
polypes) et une polypose adénomateuse a été mise en
EPIDEMIOLOGIE DES CANCERS …
520

Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (10)
521 M. PEGHINI, P. RAJAONARISON, J.L. PECARRERE,
H. RAZAFINDRAMBOA, J. RICHARD, D. MORIN
évidence; Les adénomes sont localisé au rectum dans 60%
des cas, mais le même biais d’exploration existe que les
cancers. Dans les 95 adénocarcinomes recto-coliques
lieberkühniens, aucun polype associé n’est retrouvé, ce qui
corrobore le caractère le plus souvent solitaire des polypes
adénomateux (multiples chez 40% des sujets en France). Il
est intéressant de comparer le chiffre de prévalence des
adénomes coliques dans notre étude malgache (66 porteurs
d’adénomes sur 1800 adultes explorés soit une prévalence
de 3,8%) à celui d’une étude effectuée à Dakar il y a 7 ans
sur une même population hospitalière (5) où la prévalence
des polypes adénomateux n’était que de 1,8%. Ces chiffres
restent bien en deçà de ceux observés dans les pays indus-
trialisés (10%), évaluation épidémiologique sur une popu-
lation non hospitalière. La prévalence de l’adénome et du
cancer colo-rectal à Antananarivo semble 2 fois plus
importante qu’à Dakar sur une population comparable. La
consommation de graisses animales et la pauvreté du régi-
me en fibres végétales sont reliées à la fréquence du cancer
colo-rectal. Ces données permettaient classiquement d’ex-
pliquer la faible incidence de ce cancer en zone intertropi-
cale où l’alimentation était classiquement riche en fibres
végétales, ce qui était réel il y a 20 à30 ans. De nos jours,
outre la disparité régionale très grande des régimes, les
habitues alimentaires en milieu urbain se sont considéra-
blement modifiées s’accompagnant le plus souvent d’un
appauvrissement de l’alimentation en fibres végétales et
d’une consommation plus importantes de graisses anima-
les. En milieu urbain malgache, l’alimentation reste tou-
jours largement dominée par le riz et ces modifications
semblent moins évidentes. Et surtout le développement de
l’endoscopie basse va permettre un diagnostic plus précoce
et plus fréquent du cancer recto-colique. Le cancer colo-
rectal semble fréquent à Madagascar et il est aujourd’hui le
premier cancer digestif.
CONCLUSION
Les cancers du tube digestif ne doivent plus être considérés
aujourd’hui comme rares à Madagascar. 189 cancers ont été
découverts en moins de 5 années par l’endoscopie dans une
seule formation hospitalière d’Antananarivo. La survenue
de ces cancers chez des sujets plus jeunes que les pays
industrialisés (moyenne d’âge de 55 ans dans notre étude)
semble être un trait caractéristique de la pathologie
néoplasique en zone intertropicale. Le cancer recto-colique
est fréquent à Madagascar et représente aujourd’hui le
cancer digestif le plus souvent rencontré. L’ a m é l i o r a t i o n
des techniques de dépistage explique la plus grande facilité
avec laquelle ces cancers sont diagnostiqués.
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