Une introduction à la théorie KAM Application au système solaire ? Philippe Robutel IMCCE-CNRS-Observatoire de Paris Plantons le décor 1954 : Kolmogorov énonce un théorème portant sur la stabilité des systèmes hamiltoniens presque intégrables 1962, 1964 : Moser puis Arnold en démontrent deux versions Une conséquence : “il est bien possible que le système solaire soit quasi-périodique” Et donc que les orbites des planètes soient stables Plantons le décor 1954 : Kolmogorov énonce un théorème portant sur la stabilité des systèmes hamiltoniens presque intégrables 1962, 1964 : Moser puis Arnold en démontrent deux versions Une conséquence : “il est bien possible que le système solaire soit quasi-périodique” Et donc que les orbites des planètes soient stables Kepler (1571-1630) : mouvements périodiques a, e, I, !, ⌦ constants Newton (1643-1727) Gravitation : Soleil + 1 planète : 2 corps --> Mouvement keplerien : stable Soleil + n planète : Interactions gravitationnelles entre les planètes (et les comètes) : les perturbations s’accumulent et peuvent détruire le système ! 2 questions scientifiques fondamentales du XVIII : - La loi de Newton régit elle bien le mouvement des planètes ? - La stabilité du système solaire est elle garantie malgré les interactions entre les planète ? Perturbation planétaires : a, e, I, !, ⌦ ne sont plus constants Les éléments elliptiques des planètes sont animés de mouvements : - à courtes périodes (périodes orbitales des planètes : ordre de l’année) - séculaires : longues périodes (siècle) ou non périodiques (termes polynomiaux en t) ex : précession des orbites Un problème fondamental : les inégalités dans le mouvement de Jupiter et de Saturne Jupiter s’approchait du Soleil (diminution de son demi-grand axe) alors que Saturne s’en éloignait Evolution séculaires des demi-grands axes ? Kepler décrivait en 1625 qu'ayant examiné les observations de Régiomontanus et de Waltherus, faites vers 1460 et 1500, il avait trouvé constamment les lieux de Jupiter & de Saturne plus ou moins avancés qu'ils ne devaient l'être selon les moyens mouvements déterminés par les anciennes observations de Ptolémée & celles de Tycho faites vers 1600. De la Lande "Abrégé d'Astronomie" (1774) Travaux d’Euler (1748, 1752) et de Lagrange (1766) : calculs incorrectes mais novateurs sur les équations différentielles En 1773 Laplace montre que : Les demi-grands axes des planètes n’ont pas de variation séculaire (par un calcul des variations moyennes) Laplace montrera plus tard que ces “inégalités” dans les mouvements de Jupiter et Saturne sont dues à des combinaisons de termes périodiques : 2nJ 5nS T ⇡ 900 ans Mouvement des inclinaisons et des noeuds : Lagrange (1774 ----1778) Développements au plus bas degré yj = tan Ij exp(i⌦) 0 1 0 a1,1 ẏ1 B .. C B .. @ . A=@ . ẏ6 a6,1 yj = 6 X p=1 p,j ··· ··· ··· 10 1 y1 a1,6 .. C B .. C . A@ . A y6 a6,6 exp(isp t) Evolution Q.P. des noeuds et inclinaisons Mouvement des excentricités et des périhélies : Laplace (1775) Application de la méthode de Lagrange xj = ej exp(i!) 0 1 0 b1,1 ẋ1 B .. C B .. @ . A=@ . ẋ6 b6,1 xj = 6 X p=1 p,j ··· ··· ··· exp(igp t) 10 1 x1 b1,6 .. C B .. C . A@ . A x6 b6,6 Evolution Q.P. des excentricités et périhélies Théorème de stabilité de Lagrange-Laplace Les demis-grands axes n’ont que des variations à coutes périodes. Ils sont bornés Les excentricités et inclinaisons ont des variations quasipériodiques. elles sont bornées Pas d’intersections possible des orbites planétaires : stabilité perpétuelle Le Verrier (1840, 1841) soulève le problème des petits diviseurs dans la construction du système séculaire des planètes intérieures Ces termes acquièrent par l'intégration de très petits diviseurs ; et ainsi il en résulte, dans les intégrales, des termes dus à seconde approximation, et dont les coefficients surpassent ceux de la première approximation. Si l'on pouvait répondre de la valeur absolue de ces petits diviseurs, la conclusion serait simple : la méthode des approximations successives devrait être rejetée Poincaré (1854-1912) Entre autres choses ... - Conclut que : les séries de perturbations utilisées par les astronomes pour représenter le mouvement des planètes ne peuvent converger sur un ensemble ouvert de conditions initiales. - Mais, ces méthodes peuvent fournir une très bonne approximation des mouvements sur un temps fini. Les termes de ces séries, en effet, décroissent d'abord très rapidement et se mettent ensuite à croitre ; mais, comme les astronomes s' arrêtent aux premiers ternes de la série et bien avant que ces termes aient cessé de décroître, l'approximation est suffisante pour les besoins de la pratique. La divergence de ces développements n'aurait d' inconvénients que si l'on voulait s'en servir pour établir rigoureusement certains résultats, par exemple la stabilité du système solaire. L’écart entre la solution “exacte” S la nième approximation Sn évolue comme : Rn = S Sn = O ("n n!) Rn ! 1, mais est minimum pour n = " 1 20 1 "= 100 10 log10 (Rn ) 0 R" -10 -20 -30 -40 -50 0 50 100 n 150 200 250 300 1 ⇣ =O " 1/2 e 1/" ⌘ Liste des ingrédients Petites perturbations Approximation successives Petits diviseurs divergence des séries Un modèle réduit de la théorie des perturbations Système dynamique très simple : itérations d’une application sur le cylindre Application non-perturbée : rotation sur le cylindre f0 : R/Z ⇥ R (x, y) ! 7 ! R/Z ⇥ R (x + ↵, y) La dynamique sur le cylindre est donnée par les itérations de f0 f0n (x, y) = (x + n↵, y) courbe invariante (x, y) = (✓, y0 ) dynamique ✓ 7 ! ✓ + ↵. Translation de vecteur ↵ Si ↵ 2 R r Q : Les trajectoires sont denses sur les cercles Si ↵ 2 Q : Nombre fini de points sur les cercles : périodicité Perturbation de l’application : u : R/Z ! R f" : R/Z ⇥ R (x, y) ”régulière” et " un petit paramètre ! 7 ! R/Z ⇥ R (x + ↵, y + "u(x)) f"n (x, y) = (x + n↵, y + " n X1 u(x + p↵)) " p=0 n X1 u(x + p↵) bormée ? p=0 courbe invariante (x, y) = (✓, y0 ) dynamique ✓ 7 ! ✓ + ↵. courbe invariante Translation de vecteur ↵ (✓, y0 + "v(✓)) dynamique ✓ 7 ! ✓ + ↵ v existe t’elle et à quels conditions ? (✓, y0 + "v(✓)) courbe invariante f" (✓, y0 + "v(✓)) = (✓ + ↵, y0 + "v(✓) + "u(✓)) = (✓ + ↵, y0 + "v(✓ + ↵)) u(✓) = v(✓ + ↵) v(✓) équation aux différences Développement en séries de Fourier Si u(✓) = X k2Z uk e 2i⇡k✓ et v(✓) = X k2Z vk e2i⇡k✓ si k = 0 : u0 = 0 et v0 arbitraire 8k 2 Z : e2i⇡k↵ 1 v k = uk u0 = si k 6= 0 : e2i⇡k↵ 6= 1 et vk = Z 1 u(✓)d✓ = 0 Moyenne nulle 0 uk e2i⇡k↵ 1 e2i⇡k↵ 6= 1 8k 2 Z () ↵ 2 R \ Q Donc, si u est de moyenne nulle et si ↵ X uk e2i⇡k✓ v(✓) = v0 + 2i⇡k↵ e 1 ⇤ k2Z Convergence de la série ? est irrationnel Petits diviseurs e 2i⇡k↵ 1 Si ↵ 2 R r Q : e2i⇡k↵ 1 6= 0 mais aussi petit que l’on veut Pour tout ↵ irrationnel , il existe une infinité de nombres rationnels p/q (q > 0) tels que |↵ p/q| < 1/q 2 Si ↵ est un nombre diophantien 9C > 09r |e2i⇡k↵ 2 tels que 8 p/q 2 Q (q > 0), on a 1| > 4C/|k|r |↵ p/q| > C/q r 1 Existe t’il des nombre diophantiens ? Le nombre d’or ' = (1 + 8 p/q 2 Q on a : |' p 5)/2 est diophantien p p/q| > 1/( 5q 2 ) L’ensemble des nombre diophantiens est de mesure (de Lebesgue) pleine dans l’ensemble des réels Si ↵ est un nombre diophantien |vk | < |uk ||k|r 1 /(4C) |e2i⇡k↵ 1| > 4C/|k|r 1 Si les uk décroissent suffisemment vite, la serie converge La vitesse de décroissance dépend de la régularité de u Si u est indéfiniment dérivable : décroissance rapide 8 p 2 N, 9 Cp > 0 tel que |uk | < Cp |k| |vk | < Cp0 |k|r X uk e2i⇡k✓ converge pour p assez grand 2i⇡k↵ e 1 ⇤ p 1 k2Z Si u est analytique sur la bande |=(✓)| < |vk | < C 0 |k|r 1 e |k| |uk | < Ce |k| p Remarques ↵ diophantien et décroissance assez rapide des uk par tout point (x0 , y0 ) passe une courbe invariante : (x, y0 +"v(x)) indépendamment de " Ces courbes se déduisent les unes des autres par translation verticale La dynamique est identique sur chaque courbe : ✓ 7 ! ✓ + ↵ Ce n’est pas un cas perturbatif car l’équation u(✓) = v(✓ + ↵) est linéaire v(✓) Un exemple moins simple R/Z ⇥ R g" : (x, y) ! 7 ! R/Z ⇥ R (x + y, y + "u(x)) Si " = 0 : les cercles y = ↵ sont des courbes invariantes Mais la dynamique dépend du cercle : orbites denses ou discretes Si " 6= 0 on cherche des courbes invariantes (x, y) = (✓ + "w(✓), ↵ + ✏v(✓)) Dynamique : ✓ 7 ! ✓ + ↵ ↵, v, w? u(✓ + "w(✓)) = w(✓ + 2↵) v(✓) = w(✓ + ↵) w(✓) 2w(✓ + ↵) + w(✓) u(✓ + "w(✓)) = w(✓ + 2↵) 2w(✓ + ↵) + w(✓) Fonctions implicites dans un espace fonctionnel Résolution itérative de l’équation avec un noyau de la forme u(n) (✓) = w(n) (✓ + 2↵) 2w(n) (✓ + ↵) + w(n) (✓) équation aux différences : diviseurs e 2i⇡k↵ w = w(0) + · · · + w(n) + · · · 1 2 Si ↵ est diophantien, 9 "⇤ : 8 " < "⇤ , la méthode converge (x, y) = (✓ + "w(✓), ↵ + ✏v(✓)) mais 9 "⇤ : 8 " < "⇤ , certaines courbes invariantes par g0 (cercles) sont détruites d’autres sont seulement légèrement déformées en courbes invariantes pas g" (x, y) 7 ! (y cos x, y sin x) Systèmes hamiltoniens Le système di↵érentiel sur R2n : ṙ = F(r) ssi si on pose r = (q1 , · · · , qn , p1 , · · · , pn ) 9 H(q1 , · · · , qn , p1 , · · · , pn ) tel que : r 2 Rn et S 2 Sn+ (R) : Sr̈ = q = r, p = ṙ 8 > q̇j > > < > > > : ṗj = = rr U (r) 1 H = p · Sp + U (q) 2 Problème des n corps : n X ||pi ||2 H= 2m i i=1 X 1i<jn Gmi mj ||ri rj || ṙi 2 R3 , pi = mi ṙi @H @pj @H @qj Oscillateur harmonique ẍ = ↵2 x p2 + ↵ 2 q 2 H(q, p) = 2 q = x, p = ẋ : p (✓, I) ! (q, p) = ( 2↵I sin ✓, p 2↵ 1I cos ✓) est canonique (préserve de formalisme hamiltonien) : dq ^ dp = d✓ ^ dI 0 H(q, p) = H (✓, I) = ↵I ˙✓ = @H = ↵, I˙ = @I @H =0 @✓ Fréquence du mouvement Solutions : (✓(t), I(t)) = (✓0 + ↵t, I0 ) Si t = 1, on retrouve l’application f0 Pendule ẍ = Si ↵ = 0 Solutions : ↵2 sin x avec ↵2 = g/l ˙✓ = @H = I, I˙ = @I @H =0 @✓ Fréquence du mouvement (✓(t), I(t)) = (✓0 + It, I0 ) Si t = 1, on retrouve l’application g0 Si 0 6= ↵ << 1 : perturbation (✓1 , ✓2 , I1 , I2 ) 2 T2 ⇥ R2 T = R/(2⇡Z) Solutions : I12 I22 H(✓, I) = + 2 2 (✓(t), I(t)) = (✓10 + I10 t, ✓20 + I20 t, I10 , I20 ) = (✓0 + It, I0 ) vecteur fréquence ⌦ = (I1 , I2 ) Si 9 k 2 Z2 \ (0, 0) : k · ⌦ = 0 Sinon ⌦ est résonant : orbite périodique sur T2 ⌦ est non-résonant : orbite dense sur T2 I12 I22 H(✓, I) = + + "h(✓1 , ✓2 , I1 , I2 ) 2 2 ✓j = ✓j0 @W 0 0 + " 0 (✓ , I ) + O("2 ) @Ij Ij = Ij0 @W 0 0 " 0 (✓ , I ) + O("2 ) @✓j Flot au temps 1 du système hamiltonien d’hamiltonien "W 02 02 I I H 0 (✓0 , I 0 ) = 1 + 2 + "h̄(I10 , I20 ) 2 2 I˙j0 = @H 0 0 0 (✓ , I ) = 0 0 @✓j h̄(I1 , I2 ) = (2⇡) 2 Z 2⇡ 0 Z 2⇡ h(✓1 , ✓2 , I1 , I2 )d✓1 d✓2 0 0 @H @h 0 0 0 0 ˙✓0 = (✓ , I ) = Ij + " 0 (I ) j 0 @✓j @✓j I12 I22 H(✓, I) = + + "h(✓1 , ✓2 , I1 , I2 ) 2 2 ✓j = ✓j0 @W 0 0 + " 0 (✓ , I ) + O("2 ) @Ij Ij = Ij0 @W 0 0 " 0 (✓ , I ) + O("2 ) @✓j Flot au temps 1 du système hamiltonien d’hamiltonien "W 02 02 I I 2 1 2 0 0 0 0 0 +" R(W, H) H (✓ , I ) = + + "h̄(I1 , I2 ) 2 2 @W 0 @W 0 @W ⌦· = I1 0 + I2 0 = h̄ 0 @✓ @✓1 @✓2 W =i X k2Z2 \(0,0) ⌦ hk (I) ik·✓ e k·⌦ h diviseurs ... pas trop petits C C vecteur fréquence diophantien : |k · ⌦| > = et r > 2 r r |k| (|k1 | + |k2 |) La mesure du complémentaire des vecteurs diophantiens dans R2 est nulle On itère la transformation jusqu’à l’ 1 02 02 I I 2 H 0 (✓0 , I 0 ) = 1 + 2 + "h̄(I10 , I20 ) +" R(W, H) 2 2 Compétition entre la décroissance des " 2n et l’accumulation des petits diviseurs Ces questions sont au coeur des théories KAM. Un énoncé de type KAM H(✓, I, ") = H0 (I) + "H1 (✓, I, ") sur Tn ⇥ Rn - l’application fréquence est non-dégénérée : I 7 ! rH0 (I) : est un di↵éo. - régularité de H1 Pour une perturbation assez petite, la majeure partie des tores invariants nonrésonants du système non-perturbé subsistent en étant faiblement déformés. Le flot du système est linéaire sur ces tores. La mesure du complémentaire de la réunion des tores invariants du problème perturbé tend vers zéro (quand ") tend vers zéro) Ij = Ij0 + "fj ( ✓j = j + "gj ( 1, · · · 1, · · · , n) , n) ˙ j = !j Tores T2 qui séparent l’espace (dim. 4 + intégrale première = R3 ) En dim. sup. possibilité de di↵usion Théorème de Nekhoroshev (1977) : |I(t) I(0)| < "b pour 0 t < " 1 exp(" a ) a, b > 0 KAM et le système solaire Le problème de Kepler est dégénéré : les résultat précédents ne sont pas applicables Généralisation d’Arnold aux systèmes dégénérés (1963) Arnold 1963 : application à 2 planètes dans le plan (+ Soleil) énoncé à n planètes dans l’espace (sans démonstration) Robutel 1995 : application à 2 planètes dans l’espace (+ Soleil) énoncé à n planètes dans l’espace sans démonstration Féjoz, Herman 2004 : application à n planètes dans l’espace (+ Soleil) Chierchia, Pinzari 2010 : application à n planètes dans l’espace (+ Soleil) Enoncés du type : pour des masses planétaires, des excentricités et des inclinaisons assez petites, la plupart des trajectoires sont quasi-périodiques (stables sur des temps infinis). Le “assez petites” ne correspond à aucun système planétaire raisonnable ! Simulations numériques (Laskar, Robutel, Guzzo, ...) : - Le mouvement de Jupiter et Sature (dans le problème des 3 corps) est indiscernable d’un mouvement quasi-périodique (comme dans KAM) - L’instabilité est quasiment indétectable dans le système (Soleil, Jupiter, Uranus, Neptune) Mais, le système solaire intérieur (planètes telluriques) est instable ! - Laskar (1989) : l’orientation des planètes telluriques est perdue en 100 Ma - Laskar, Gastineau (2009) : collision possible entre Venus et Mercure (5 Ga) Quelques références bibliographiques Ghys, Résonances et petits diviseurs (www.umpa.ens-lyon.fr/~ghys/articles/kolmogorov.pdf) Laskar, 1992, La stabilité du système solaire, in Chaos et Déterminisme, A. Dahan et al, eds Seuil, Paris Laskar, 2012, Is the Solar System stable ? (http://arxiv.org/pdf/1209.5996v1) Morbidelli, 2002, Modern celestial mechanics. Taylor \& Francis, London. (http://www.oca.eu/morby/celmech.pdf)