quelques contraintes dans la traduction du discours direct du franc

Anna DUTKA-MAŃKOWSKA
Uniwersytet Warszawski
a.mankowska@uw.edu.pl
QUELQUES CONTRAINTES DANS LA TRADUCTION
DU DISCOURS DIRECT DU FRANC¸ AIS EN POLONAIS :
LE CADRAGE ´
ENONCIATIF ET LE CONNECTEUR MAIS
AU D ´
EBUT D’UNE R ´
EPLIQUE
INTRODUCTION
Nous voudrions pr´
esenter quelques cas de contraintes qui s’observent
dans la traduction du discours direct du franc¸ais vers le polonais. Nous
envisageons les s´
equences dialogales dans le discours litt´
eraire, et en par-
ticulier le verbe neutre dire, dans le discours citant et le connecteur mais,
au d´
ebut d’une r´
eplique.
Nous admettons que des « param`
etres culturels qui se refl`
etent dans
l’organisation collective du discours » (Guillemin-Flescher 2003 : 9 sv)
permettent une analyse des textes parall`
eles et comparables. Certains
ph´
enom`
enes (p. ex. l’explicitation) reconnus comme propres au processus
de traduction, rel`
event ´
egalement des contraintes propres `
a la culture
d’accueil (Becher 2010 : 14), y compris des strat´
egies dans la construction
du discours et des tendances stylistiques. D’autre part, « la repr´
esentation
ordinaire » (Chevalier, Delport 1995 : 9) que le traducteur se fait du monde
repr´
esent´
e dans le texte qu’il traduit, bas´
ee sur des ph´
enom`
enes cognitifs,
est responsable des ressemblances entre les traductions d’un texte vers
diverses langues.
Dans une perspective contrastive anglais-franc¸ais, L. Gournay (2013)
a montr´
e en franc¸ais une relation tr`
es ´
etroite entre l’incise et le discours
cit´
e, et elle a plaid´
e pour une s´
eparation nette en franc¸ais entre les pa-
roles du personnage et le r´
ecit. Nous montrerons que le choix des verbes
de dire dans l’incise dans la traduction en polonais s’appuie sur une
126 ANNA DUTKA-MAŃKOWSKA
interpr´
etation du sens dans le discours cit´
e, laquelle favorise une plus
grande homog´
en´
eit´
e. Le passage vers le polonais, contrairement au texte
de d´
epart, t´
emoigne des liens entre les paroles des personnages et le r´
ecit.
En ce qui concerne des r´
epliques introduites par mais, la reconstruc-
tion en polonais se fait avec des moyens linguistiques tr`
es diversifi´
es,
souvent sans un ´
equivalent de ce marqueur. Des expressions situ´
ees dans
l’´
enonc´
e concourent `
a modifier le sens en pr´
esentant une opposition ren-
forc´
ee, et mˆ
eme un affrontement, ou, au contraire, une opposition faible.
Dans deux premi`
eres parties nous admettons l’approche linguistique
et dans la partie finale nous pr´
esenterons les r´
esultats compte tenu de la
cr´
eativit´
e du traducteur.
Les textes traduits ont ´
et´
e publi´
es dans la deuxi`
eme moiti´
e du XXes.
et au d´
ebut du XXIes. Nous consid´
erons qu’ils sont soumis aux mˆ
emes
contraintes, mˆ
eme si les textes de d´
epart, retenus pour les ph´
enom`
enes
´
etudi´
es, datent aussi du XIXes.
1. LE CADRAGE ´
ENONCIATIF – LE DISCOURS CITANT DANS
LA TRADUCTION
1.1. LE CHOIX DU VERBE DE DIRE DANS LES INCISES
Nous envisageons les cas o`
u le verbe dire n’est pas traduit par son
´
equivalent lexical – un verbe de base wić/powiedzieć/rzec.
Les traits s´
emantiques des verbes introducteurs peuvent ˆ
etre d´
ecrits
dans ce cas comme qualifiant l’acte de parole, et cette qualification peut
ˆ
etre ajout´
ee au pr´
edicat, p. ex. un adverbe de mani`
ere, ou bien int´
egr´
ee
au pr´
edicat (Hanote 2004 : 541). Les verbes introducteurs constituent
« un commentaire (modal) ´
emanant de l’´
enonciateur-origine » (Poncharal
2003 : 86), un commentaire qui porte sur la prise de parole et qui est
pris en charge par l’´
enonciateur rapporteur. Le contenu du discours cit´
e
est reli´
e`
a la situation d’´
enonciation rapport´
ee ou au r´
ecit o`
u elle figure.
Ainsi le DCnt1oriente-t-il la lecture du DCit´
e.2
1Abr´
eviations : DCnt – discours citant, DCit´
e – discours cit´
e, TD – texte de d´
epart,
TA – texte d’arriv´
ee.
2A. Rabatel (2014) postule de distinguer le sujet modal qui est une instance de valida-
tion et l’instance de la prise en charge ; ces instances divergent dans le discours. Nous ne
suivrons pas cette proposition.
QUELQUES CONTRAINTES DANS LA TRADUCTION DU DISCOURS DIRECT... 127
La position finale ou imbriqu´
ee du DCnt est quali´
ee par Danon-Boi-
leau (1982 : 64) comme descriptive : l’´
enonc´
e citant ne fait que qualifier le
DCit´
e et il n’est pas assert´
e (il d´
epend du DCit´
e). Postpos´
e, le verbe dire
ne sert plus `
a construire une occurrence de parole, il identifie seulement
la source ´
enonciative rapport´
ee. Par contre, les verbes s´
emantiquement
riches contribuent au sens du DCit´
e et ils explicitent l’attitude du locu-
teur cit´
e.
Nous avons constat´
e (voir aussi Dutka-Mańkowska 2010) qu’en TA
dominent les verbes qui qualifient les relations entre les ´
enonciateurs et
l’´
evaluation de l´
enonciateur citant de l´
echange en cours, p. ex. odeprz,
odpowiedzieć,odrzec (r´
epondre, r´
epliquer), spytać (interroger), zwrócić się,
zagadnąć (s’adresser), odezwać się (prendre la parole), et de la mani`
ere
de dire (verbes suprasegmentaux), p. ex. krzyczeć (crier), jęknąć (g´
emir),
mruknąć (grommeler), pisnąć (piailler, crisser), zawołać (appeler, hurler),
wypalić (dire brusquement).
Les verbes d’action sont peu nombreux (ils d´
ecrivent les gestes,
l’expression du visage qui accompagnent les mots) : skrzywić się (faire
une grimace), wzdrygnąć s (sursauter).
Certains auteurs soulignent l’impact pragmatique des verbes s´
eman-
tiquement plus riches dans le TA. P. ex. les verbes directifs, servent
`
a m´
enager la force illocutoire des actes de langage. J. Bourne (2002) se
r´
ef`
ere aux r`
egles de politesse dans les deux langues, ou plutˆ
ot `
a l’id´
ee
que le traducteur se fait des attentes du lecteur. Il explique la vari´
et´
e des
verbes de dire par la volont´
e du traducteur de s’exprimer d’une mani`
ere
pr´
ecise, vari´
ee, mais aussi d’aboutir `
a un effet pragmatique : il s’agit
d’interpr´
eter l’interaction. Mais dans le dialogue romanesque, c’est la dy-
namique narrative qui compte et non pas le principe social de politesse
(Durrer 1994 : 109), donc il faut ˆ
etre attentif `
a la relation entre les pa-
roles des personnages et le r´
ecit (point 1.2 ci-dessous). Lincise non seule-
ment explicite le sens (reprise, r´
eplique, r´
eponse, question), mais aussi la
mani`
ere de parler (r´
ep´
etition, g´
emissement, cri).
On a une mise en sc`
ene des propos rapport´
es. Il faut souligner que
l’interpr´
etation et la reconstruction dans le TA repose sur la mani`
ere
dont le traducteur conceptualise le lecteur virtuel ou bien des principes
esth´
etiques de l’´
ecrivain. Ainsi la premi`
ere traduction de Madame Bovary
en polonais donne beaucoup de verbes de base (mówić/powiedzieć/rzec),
alors que la seconde poss`
ede beaucoup de verbes s´
emantiquement riches.
La mise en sc`
ene du discours dans le deuxi`
eme cas est bien plus vari´
ee,
128 ANNA DUTKA-MAŃKOWSKA
mais elle est contraire au projet esth´
etique de Flaubert d’un narrateur
invisible (Dutka-Mańkowska 2012).
Comme J.-Cl. Chevalier et M.-F. Delport (1995 : 47–48), nous admet-
tons que les modifications dans la traduction du discours direct (DCit´
e
et DCnt) peuvent ˆ
etre envisag´
ees comme explicitation (si le traducteur
« met au jour des informations contenues dans la situation qu’´
evoque la
phrase `
a traduire ») ou bien comme amplification (lorsqu’il « ajoute, il
d´
eveloppe, au gr´
e de ce que son imagination lui pr´
esente »3).
Il est `
a noter que l’explicitation peut se faire au prix d’une redon-
dance, qui montre d’autant mieux le lien entre le DCit´
e et le DCnt :
(1) A propos, je voulais te demander – la voix d’Olga se teinta d’une
nonchalance appuy´
ee. Cette infusion que je t’ai conseill´
ee, c¸a a de
l’affet sur tes insomnies ? (Crime 118–119)
(1’)4A przy okazji chciałam cię spytać, czy dobrze sypiasz po ziółkach,
które ci poleciłam – spytała Olga od niechcenia. (Zbrodnia 104)
‘demanda Olga avec nonchalance
Dans (1’), le verbe spytać ‘demander’ est repris dans DCnt.
Le verbe dans l’incise rel`
eve souvent d’une explicitation. Le traduc-
teur mentionne le fait ´
enonciatif en polonais. C’est une tendance forte,
comme dans (2’), avec des expressions qui dans le TD donnent des cir-
constances de l’acte d’´
enonciation :
(2) Le docteur r´
epondit d’une voix distraite : « Je suis bien content,
mon petit... » et soudain : « Comment l’as-tu connue ? » (D´
e-
sert 857)
(2’) Doktor odpowiedział roztargnionym głosem: – To mnie bardzo
cieszy, mój mały... – i nagle dodał: – Jak zawałeś tę znajomość?
(Pustynia 151)
Dans (3’), le verbe rozprawiać ‘d´
elib´
erer’ pr´
ecise la mani`
ere de parler.
Dans le DCit´
e, l’accent d’insistance frappe le d´
ebut de l´
enonc´
e (les en-
virons proches) et marque l’opposition par un mot vieilli, wszelako ‘pour-
tant’ :
3D’autres auteurs donnent d’autres d´
efinitions de ces ph´
enom`
enes ; les deux ph´
eno-
m`
enes consistent `
a rendre le texte plus long.
4(1’) se lit : la traduction de l’exemple (1).
QUELQUES CONTRAINTES DANS LA TRADUCTION DU DISCOURS DIRECT... 129
(3) Du reste, disait l’apothicaire, l’exercice de la m´
edecine n’est pas
fort p´
enible dans nos contr´
ees ; (Madame 87)
(3’) – W naszych wszelako stronach – rozprawiał farmaceuta – prak-
tyka lekarska nie jest zajęciem zbyt uciążliwym; (BovE 81) ‘dans
nos contr´
ees pourtant – d´
elib´
erait l’apothicaire – l’exercice de la
m´
edecine n’est pas fort p´
enible’
Le TD n’a pas d’expression vieillie ni de verbe du type d´
elib´
erer et
l’ordre des mots est canonique.
1.2. LA RELATION ENTRE LES PAROLES DES PERSONNAGES ET LE R´
ECIT
Est-ce que la coh´
erence entre le DCit´
e et le DCnt, que nous venons
de pr´
esenter, influe sur la perm´
eabilit´
e entre le r´
ecit et l’incise ? Selon
Gournay (2013), il y a de ce point de vue une diff´
erence fondamentale
entre le franc¸ais, o`
u l’incise est en rupture par rapport au r´
ecit, et l’anglais,
ou la prise de parole peut ˆ
etre coordonn´
ee `
a une action au niveau du r´
ecit.
Examinons deux cas en polonais :
1.2.1. LA COORDINATION D’UN VERBE DE DIRE AVEC UN VERBE D’ACTION
Une telle coordination est possible, ce qui n’est pas le cas en franc¸ais
(Dutka-Mańkowska 2010). Il en r´
esulte que deux sch´
emas de traduc-
tion d’une incise sont attest´
es, lorsqu’en TD une qualification du dire est
ajout´
ee au pr´
edicat : a) sans coordination et b) avec coordination, p. ex. :
dit-il en souriant : a) powiedział z uśmiechem; b) powiedział i uśmiech-
nął się.
La traduction sans coordination du verbe de dire est moins fr´
equente :
(4) – Il faut que je file au tribunal – dit-il en se levant. [...] (Le se-
cret 332)
(4’) – Muszę już pędzić do sądu – powiedział Vincent, podrywa-
jąc się. [...] ( Sekret 234)
La traduction avec le verbe de dire coordonn´
e`
a celui d’action,
fr´
equente, prouve que le polonais permet de ne pas s´
eparer les paroles
du personnage du r´
ecit :
(5) Bonsoir, b´
eb´
e, dit Fauchery, qui, famili`
erement, la baisa. (Nana
fr 123)
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