Utopie de nos réalités ou le sermon sur la chute de Rome

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Utopie de nos réalités ou le sermon sur la chute
de Rome
J’avoue, c’est ma faute, ma très grande faute, je suis une midinette de la littérature et comme
chaque année, je me suis sentie obligée de lire le Goncourt attribué Mercredi à Jérôme Ferrari
pour « Le sermon sur la chute de Rome » publié chez Actes Sud.
Hasard du calendrier ?
Barack Obama était reélu le matin même et, pour reprendre les propos de Daniel Hannan dans sa
chronique du mardi 6 novembre dernier ici et, nous assistons peut être en temps réel, au coucher
du soleil de l’Occident tel que nous le connaissons. A la chute de notre Rome, mais c’est un
coucher de soleil glorieux, lent, et bariolé de couleurs que nous contemplons . La chouette de
Minerve, comme l’écrit Hegel ne déploie ses ailes qu’au crépuscule.
Pour en revenir à notre prix Goncourt, « Le sermon sur la chute de Rome» est le sixième roman
de Jérôme Ferrari, auteur français de 44 ans, professeur de philosophie au Lycée français d’Abou
Dhabi aux Emirats arabes unis. Dans un entretien accordé au «Monde», l’heureux primé du jour
donnait quelques clés de sa grande œuvre : «A travers ces personnages, précise Ferrari, j’ai voulu
marquer deux attitudes différentes vis-à-vis de la bêtise. Pour Libero, c’est quelque chose
d’explicite, il considère qu’il vit dans un monde où il n’y a plus de place pour la pensée ; pour
Matthieu, c’est moins réfléchi, la bêtise est une chose qu’il aime spontanément…».
Et de redécouvrir Saint Augustin.
En 410 après J.-C., les Wisigoths d’Alaric dévastent Rome ; le pillage dure trois jours. La nouvelle,
inconcevable, parvient à Hippone (Annaba dans l’Algérie actuelle, Bône sous la colonisation), dont
l’évêque n’est autre que le converti Augustin. Il sera sanctifié en 1298 par acclamation populaire
et deviendra l’un des quatre Pères et des trente-trois docteurs de l’Eglise. A ses ouailles apeurées,
l’auteur des « Confessions » assène :
« Tu pleures parce que Rome a été livrée aux flammes ? Dieu a-t-Il jamais promis que le monde
serait éternel ? Les murs de Carthage sont tombés, le feu de Baal s’est éteint, et les guerriers de
Massinissa qui ont abattu les remparts de Cirta ont disparu à leur tour, comme s’écroule le sable.
(…) L’homme bâtit sur du sable. […] Rome n’a-t-elle pas été bâtie par des hommes comme
toi ?Depuis quand crois-tu que les hommes ont le pouvoir de bâtir des choses éternelles?»
Les deux protagonistes du Roman de Ferrari, Matthieu et Libero sont « nés natifs » d’un village
perdu dans la montagne. Matthieu veut échapper à l’étouffement qui le guette s’il reste au
village ; il part étudier la philosophie de Leibniz à Paris. Il y est rejoint par Libero Pintus, son ami,
son frère, dernier rejeton des onze enfants d’un couple de bergers sardes illettrés émigrés en
Corse. Libero étudie Saint Augustin, aussi. Matthieu et Libero rentrent au pays pour reprendre le
bar de leur village. L’idée est d’appliquer in situ la philosophie de Leibniz en faisant de ce bistrot
« le meilleur des mondes possibles ».
Pour ma part, je n’ai pu m’empêcher de penser instinctivement à cette réplique d’Audiard, qui me
vient dés que l’on parle de vie de bistrotier :« Je suis ancien combattant, militant socialiste et
bistrotier…C’est dire si, dans ma vie, j’en ai entendu, des conneries! » qui vient à s’appliquer très
vite. Au début, en effet, le bar est source de joie, d’amour et d’équilibre. Les serveuses ne sont
pas farouches, la musique adoucit les moeurs et l’alcool réchauffe les cœurs. C’était négliger la
maxime d’Augustin d’Hippone selon laquelle « ce que l’homme fait, l’homme le détruit ».
Un bistro aujourd’hui en Corse, Rome hier, la civilisation occidentale, demain.Pour Daniel Hannan,
le déclin des États-Unis est notre déclin, aussi. Une ligne droite relie Runnymede (Surrey) à
Philadelphie. Pendant trois cents ans, la civilisation prépondérante du monde a été anglophone,
libertaire ,démocratique et contractuelle. Notre voyage a été magnifique, dans le coucher du
soleil, aussi, sachons trouver la beauté philosophe Hannan.
J’ai tendance à partager cette pensée et je voudrais ainsi simplement rappeler cette citation de
Saint Augustin, remit à l’honneur par Jérôme Ferrari, aux équipes démocrates et la banque
fédérale Américaine: « Se tromper est humain, persister dans son erreur est diabolique. »
E.G
Le Sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari, Actes Sud, 208 p., 19 €.
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