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Guinée: Incertitudes autour d’une fin de règne
ICG Rapport Afrique N°74, 19 décembre 2003 Page ii
Les risques de dérive violente en Guinée ne sont pas
seulement liés à une éventuelle crise de succession
en capitale. Ils sont également liés à la propagation
des violences armées que l’on observe depuis
plusieurs années dans la région du fleuve Mano et
plus précisément à la forte implication du Président
Conté dans le conflit libérien. Cette implication aux
côtés des rebelles libériens a contribué à nourrir les
tensions entre les communautés qui peuplent la
région forestière, une région frontalière avec le
Libéria, le Sierra Léone et la Côte d’Ivoire. Par
ailleurs, l’intense circulation des armes et des
combattants irréguliers dans cette région constitue
l’un des principaux facteurs d’inquiétude dans le
pays. Ces combattants aux allégeances aléatoires
pourraient demain servir les intérêts d’entrepreneurs
politico-militaires désireux de semer le désordre
et/ou tenter de prendre le pouvoir par les armes.
Il ne faut cependant pas négliger les éléments de
stabilité qui distinguent la Guinée de ses voisins:
restructuration des forces de sécurité, absence des
médias de la haine, force du sentiment d’appartenance
nationale – qui ne dissipe cependant pas les
rancoeurs interethniques – et la volonté, parfois
ambiguë, des puissances internationales de préserver
la stabilité en Guinée.
Quoi qu’il en soit, la Guinée, à l’instar de la sous-
région, semble aujourd’hui arrivée à un tournant
décisif. Des risques de déstabilisation localisée à la
crise de succession généralisée, la succession du
régime de Conté s’inscrit dans un contexte chargé
d’incertitudes. ICG attire l’attention sur ces risques
en soulignant une fois de plus que les violences
armées continueront d’agiter la région du fleuve
Mano tant qu’une solution régionale incluant
l’ensemble des pays concernés ne sera pas élaborée.
RECOMMANDATIONS
Au gouvernement guinéen:
1. Mettre en place des mesures qui pourront
garantir le passage du régime autoritaire actuel
à un gouvernement démocratiquement élu après
la disparition du Président Lansana Conté, en
particulier:
(a) réconcilier les communautés en forêt, en
établissant de toute urgence une commission
d’enquête indépendante sur les violences qui
marquent la région depuis le début des années
1990; et
(b) libéraliser de toute urgence l’espace politique en
permettant aux médias d’exprimer des points de
vue différents sur l’avenir du pays.
2. Poursuivre l’effort de restructuration des forces
de sécurité en l’étendant aux forces de police et
de gendarmerie.
3. Stopper immédiatement tout soutien aux groupes
armés étrangers, en particulier au LURD.
Aux principaux partenaires de la Guinée, en
particulier la France, les États-Unis et les bailleurs
de fonds:
4. Reconsidérer leurs politiques à l’égard de la
Guinée, considérant que la disparition de
Charles Taylor, ainsi que la montée de tensions
internes en Guinée même, ont profondément
changé l’équilibre régional, et développer
notamment une politique qui insiste sur la
nécessité d’une transition démocratique et d’un
désengagement guinéen des guerres régionales,
en particulier:
(a) reconsidérer les programmes de coopération
militaire existants dans le but de former une
armée guinéenne adaptée à un gouvernement
civil et démocratique, insistant notamment sur
l’importance de l’éducation civique dans la
formation des officiers et soldats;
(b) conditionner les programmes de coopération
militaire à une cessation immédiate de tout
soutien par la Guinée aux groupes armés
libériens; et
(c) exiger l’établissement de garanties claires
d’ouverture démocratique avant l’octroi de
nouvelles aides.
Au Conseil de Sécurité:
5. Exprimer au gouvernement guinéen la
préoccupation que cause au Conseil l’appui
apporté par la Guinée au LURD, informer le
gouvernement guinéen qu’il est en contravention
de la résolution 1478 du Conseil concernant
l’embargo sur l’exportation des armes au
Libéria, et exiger publiquement que cette
résolution soit respectée.
A l’UNICEF et à l’UNHCR:
6. Veiller à ce que les camps de réfugiés ne
servent pas de base de recrutement à de
quelconques mouvements rebelles.