27 septembre 2016 CANADA : UNE APPROCHE ASCENDANTE POUR ESTIMER LE PIB POTENTIEL Sommaire Comme celle d’autres pays, la vitesse de croisière de l’économie canadienne a considérablement ralenti en raison de la transition démographique. Mais, à l’image des pays avancés, les provinces canadiennes présentent des croissances économiques potentielles très variables. Dans cette étude, nous présentons notre méthodologie pour calculer le PIB potentiel de chaque province et les résultats qui en découlent. Pour tenir compte du choc pétrolier qui bouleverse les flux migratoires interprovinciaux, nous avons élaboré notre propre scénario démographique. Les perspectives de croissance de la population sont désormais moins favorables aux provinces productrices d’énergie fossile, alors que l’Ontario et la Colombie-Britannique pourraient profiter davantage des mouvements migratoires. Nous estimons que seuls la Colombie-Britannique (+2.1%), le Manitoba (+2.1%) et l’Ontario (+1.6%) présentent actuellement une croissance potentielle supérieure à la moyenne nationale de 1.5%. L’Alberta et la Saskatchewan se situent à la moyenne nationale, tandis que le Québec se trouverait à 1.0%. À l’inverse, toutes les provinces de l’Atlantique affichent une croissance potentielle inférieure au seuil de 1.0%. Selon nos calculs, pas moins de 6 provinces sur 10 auraient des écarts de production positifs, notamment les trois provinces les plus peuplées (Ontario, Québec, Colombie-Britannique). Nos constats impliquent qu’il n’existe pas de recette unique pour toutes les provinces en termes de politique monétaire/fiscale visant à relever les défis actuels. Différents organismes publient des prévisions de croissance économique pour les différentes provinces canadiennes, mais aucun à notre connaissance ne divulgue la croissance de leur PIB potentiel. Or, cette information nous semble cruciale, car elle permet de déterminer où se situent cycliquement les différentes économies et leurs perspectives de croissance pour les années à venir. Une telle information nous paraît d’autant plus pertinente qu’elle permet aux autorités publiques de prendre des décisions budgétaires en toute connaissance de cause. Un phénomène mondial À l’échelle mondiale, la croissance économique a été décevante ces dernières années, comme en témoigne le premier graphique. En 2010, le FMI estimait que la croissance économique mondiale s’établirait autour de 4.5% pour les 5 années suivantes. Or, sur l’ensemble de cette période, la meilleure performance n’aura été que de 3.4%. Avec le recul, plusieurs raisons expliquent cette contre-performance. Malgré des conditions monétaires fort stimulantes, l’économie a été freinée par l’action de nombre de gouvernements qui ont résolument entrepris de résorber les déficits budgétaires. Plus récemment, le processus de transition de l’économie chinoise et les difficultés que connaissent les pays producteurs de pétrole ont également miné la croissance mondiale. Outre ces facteurs plus ou moins temporaires, des tendances lourdes freinent aussi la croissance économique mondiale. Monde : Croissances plus faibles qu’attendues, année après année Évolution des prévisions de PIB mondial réel du FMI au fil du temps 5.0 % 4.8 4.6 4.4 4.2 4.0 3.8 3.6 3.4 2012 3.2 2013 2014 2016 2015 3.0 2010 2011 FBN Économie et Stratégie (données du FMI) 2012 2013 2014 2015 2016 ÉTUDE SPÉCIALE Non seulement les gains de productivité ont été décevants à l’échelle mondiale, mais la transition démographique a également limité la croissance économique. La croissance de la population active ralentit tant dans les pays développés que dans les pays en développement (graphique). Dans les premiers, elle est même en recul depuis quelques années. La décélération des dernières années dans le monde est telle que le rythme de croissance de ce groupe de population en 2015 a été le plus faible depuis au moins 1950. économique potentielle de l’OCDE pour 2016 en fonction de la croissance de la population en âge de travailler. Contrairement à plusieurs autres pays, cette tranche de la population demeure en croissance au Canada, ce qui permet d’espérer une croissance économique d’environ 1.5%, si l’on se fie à la forte corrélation observée avec la croissance du groupe des travailleurs (graphique). À titre d’information, une telle estimation se situe essentiellement au centre de la fourchette prévisionnelle de la Banque du Canada. Mais, à l’image de différents pays avancés, les provinces canadiennes n’ont pas des profils démographiques similaires, d’où l’importance de la présente étude. Monde : La croissance de la population en âge de travailler à un creux Croissance de la population âgée de 15 à 64 ans 3.2 La croissance économique à long terme est stimulée par la démographie Croissance potentielle en 2016 et croissance des 15 à 64 ans (sélection de pays avancés) Var. annuelles (%) 2.8 2.8 Croissance du PIB potentiel AUS 2.6 2.4 2.4 Pays émergents et en développement NZL SWE 2.2 2.0 2.0 USA 1.8 1.6 GBR NOR 1.6 1.2 1.4 Monde 0.8 ESP CAN DEU 1.2 DEN NLD BEL 1.0 0.8 0.4 0.6 0.0 0.4 -0.4 1950 Pays plus développés 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 FRA JAP PRT ITA 0.2 2015 0.0 GRC -0.2 -1.0 -0.9 -0.8 -0.7 -0.6 -0.5 -0.4 -0.3 -0.2 -0.1 0.0 FBN Économie et Stratégie (données des Nations unies) AUT FIN Croissance de la population en âge de travailler 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1.0 FBN Économie et Stratégie (données du FMI et des Nations unies) Les plus récentes estimations de croissance potentielle du FMI tiennent compte de cette nouvelle réalité. La croissance économique des pays avancés a été amputée d’un tiers en dix ans et de moitié par rapport à son niveau d’il y a trente ans (graphique). Pays avancés : Une vitesse de croisière bien inférieure Croissance du PIB potentiel 3.6 % 3.4 3.2 3.0 2.8 2.6 2.4 2.2 2.0 1.8 1.6 1.4 1.2 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 Le PIB potentiel canadien : notre approche D’abord, il est important de mentionner que, le PIB potentiel n’étant pas observable, son estimation est incertaine. D’ailleurs, il existe, pour le calculer, plusieurs méthodes dont le niveau de complexité varie beaucoup. La méthode la plus simple consisterait à utiliser un filtre Hodrick-Prescot permettant d’estimer la tendance du PIB directement. D’autres méthodes reposent sur l’utilisation de fonctions de production où des intrants (travail, capital, productivité) déterminent le niveau du PIB potentiel. Enfin, certaines sont fondées sur des modèles économétriques simultanés ou des séries temporelles multivariées. Dans la présente étude, nous avons élaboré une approche qui tient compte de l’intrant travail et qui dénote la productivité du travail tendancielle à l’aide d’un filtre HP. Le produit intérieur brut (Y) peut être décomposé de la façon suivante : FBN Économie et Stratégie (données du FMI) Si le Canada n’échappe pas à cette réalité, il n’en demeure pas moins que son profil démographique est positif comparativement à celui des autres pays avancés. Le graphique suivant montre l’estimation de la croissance 1) PIB QxHx ∑ Où Ai est la population du groupe d’âge i, Ei est le taux d’emploi du groupe d’âge i, H est le nombre moyen d’heures travaillées et Q représente la productivité 2 ÉTUDE SPÉCIALE horaire. Afin d’estimer le PIB potentiel, un filtre HP a été utilisé pour estimer la tendance de la productivité horaire ( , du nombre moyen d’heures travaillées ( ainsi que des taux d’emploi par groupe d’âge ( . Le PIB potentiel devient donc : 2) x x ∑ Canada : Perspectives du taux de chômage Écart avec la moyenne nationale (taux de chômage de la province moins chiffre de la moyenne nationale) 8.0 7.0 Écart par rapport à la moyenne nationale (points de pourcentage) 6.0 5.0 4.0 Août 2016 2004-2014 3.0 Contrairement à l’utilisation d’un filtre HP appliqué directement au PIB, cette méthode a le mérite de tenir compte de la transition démographique en cours, qui a un impact considérable sur le marché du travail et, donc, sur le PIB potentiel. En appliquant cette méthodologie à l’ensemble de l’économie canadienne, nous obtenons des résultats comparables à l’estimation du FMI (graphique). C’est cette méthodologie qui sera utilisée pour les provinces canadiennes. Canada : Estimations de croissance de la production potentielle Croissance réelle du PIB potentiel, Canada 3.50 3.25 % 3.00 2.75 2.50 2.25 2.00 FMI 1.75 1.50 FBN 1.25 1.00 0.75 0.50 0.25 0.00 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2.0 1.0 0.0 -1.0 -2.0 -3.0 FBN Économie et Stratégie (données de Datastream) Nous avons donc créé notre propre scénario démographique, qui tient compte des changements probables des flux migratoires interprovinciaux. Même si le scénario M5 (croissance moyenne, mouvements migratoires 2009-2011) est le moins favorable à l’Alberta parmi les scénarios de Statistique Canada, il nous apparaissait encore trop optimiste compte tenu de la détérioration du marché du travail dans cette province. Les provinces productrices d’énergie fossile devraient donc enregistrer une progression moindre de la population en âge de travailler (tableau). Au contraire, l’Ontario et la Colombie-Britannique devraient bénéficier de ce retournement de situation en affichant des croissances plus fortes que ce qu’on aurait pu prévoir avant le choc pétrolier. FBN Économie et Stratégie (données de Datastream) Canada : Perspectives de croissance de la population en âge de travailler Migration interprovinciale : Une inversion à prévoir Mais quel scénario démographique doit-on utiliser pour les années à venir (identifié A dans l’équation 1)? Statistique Canada prévoit de multiples scénarios, mais le contexte actuel est inédit dans la mesure où le choc pétrolier qui se poursuit pourrait inverser les mouvements interprovinciaux des dernières années. En effet, le taux de chômage en Alberta est désormais supérieur de 1.7 point de pourcentage au taux national, alors que, pendant la décennie précédant le choc, il se situait en moyenne à 2.4 points en dessous. Croissance de la population âgée de 15 à 64 ans d’après différents scénarios T.‐N.‐L. Î.‐P.‐É. Nouvelle‐Écosse Nouveau‐Brunswick Québec Ontario Manitoba Saskatchewan Alberta Colombie‐Britannique Scénario M5 2016 2017 ‐0.8 ‐0.7 0.2 0.1 ‐0.5 ‐0.5 ‐0.5 ‐0.6 0.0 0.0 0.5 0.4 0.9 0.8 0.9 0.8 1.0 0.9 0.4 0.4 Scénario FBN 2016 2017 ‐1.2 ‐1.3 ‐0.6 ‐0.7 ‐0.4 ‐0.7 ‐1.0 ‐1.1 ‐0.1 ‐0.1 0.6 0.6 0.8 0.7 0.5 0.4 0.7 0.5 0.8 0.8 FBN Économie et Stratégie (données de Statistique Canada) Quant à la projection des taux d’emploi par groupe d’âge, les taux tendanciels des personnes de moins de 55 ans se sont stabilisés à leurs niveaux actuels, alors que ceux des plus âgés continuent d’augmenter selon leur tendance récente, puisque les femmes plus jeunes prennent davantage part au marché du travail que jadis. 3 ÉTUDE SPÉCIALE Pour la projection, nous avons préféré utiliser une moyenne entre la tendance nationale de la croissance de la productivité et celle de la province afin de ne pas avantager (ou désavantager) outre mesure les provinces qui connaissent actuellement une période de forte (ou faible) productivité. Un autre ajustement a été apporté : Terre-Neuve-et-Labrador était la seule province qui affichait une hausse tendancielle du nombre moyen d’heures travaillées récemment, alors que toutes les autres provinces enregistrent une baisse annuelle se situant dans une fourchette restreinte entre -0.12% et 0.23%. Compte tenu du fait que cette province figure parmi celles qu’affecte le plus le choc du prix du pétrole, nous lui avons attribué l’évolution nationale pour les années à venir. pourrait être le plus prononcé, ce qui ne surprend personne (graphique). Canada : Perspectives de croissance du PIB potentiel Croissance du PIB potentiel pour 2016 par rapport à la dernière décennie 3.5 % 2.9 3.0 Croissance moyenne 2005-2015 Estimation 2016 2.4 2.5 2.6 2.3 2.1 2.1 2.0 1.5 1.5 1.1 1.0 0.9 1.4 1.0 0.8 0.5 1.8 1.6 1.4 1.5 1.5 1.5 1.0 0.6 0.2 0.0 -0.1 -0.5 Des croissances très variables entre les provinces FBN Économie et Stratégie (données de Statistique Canada) En nous fondant sur la méthodologie décrite précédemment (approche ascendante), nous obtenons une estimation de la croissance potentielle de 1.5% en 2016 pour le pays, alors que les provinces connaissent des croissances très variables. La Colombie-Britannique (+2.1%), le Manitoba (+2.1%) et l’Ontario (+1.6%) sont les seules qui affichent une croissance potentielle supérieure à la moyenne nationale. L’Alberta et la Saskatchewan se situeraient à hauteur de la moyenne nationale, alors que le Québec se situe à 1.0%. À l’inverse, toutes les provinces de l’Atlantique présentent une croissance potentielle inférieure au seuil de 1.0%. 2.0 2.1 Nb. moyen d'heures travaillées 1.6 Total 0.9 2.1% 1.7% 0.4% Travailleurs 1.0 0.7% -1% 1.5 1.5 1.7% 0.7% 0% 2.1 1.5 1.0 0.8 0.2 -0.1 -0.5 -0.3% -0.7% -2% -3% -2.5% -4% 0.5 0.0 % 1% Productivité 1.5 Estimation FBN des écarts de production en 2016 2% Source de la croissance du PIB potentiel pour 2016 (scénario démographique de base de FBN)* % Canada : Perspectives d’évolution des écarts de production 3% Canada : Perspectives de croissance du PIB potentiel 2.5 Maintenant que nous avons une estimation du PIB potentiel par province, il est possible d’obtenir un aperçu de la situation des écarts de production entre les régions. Au niveau national, nous constatons selon notre méthodologie et notre prévision de croissance que le PIB en 2016 serait essentiellement conforme au PIB potentiel. À titre de comparaison, notre estimation est légèrement plus optimiste que celle du FMI, qui prévoit un PIB canadien inférieur de 0.8% au potentiel (graphique). -3.0% -5% -6% -7% -6.6% -1.0 FBN Économie et Stratégie (données de Statistique Canada) * La tendance de productivité utilisée correspond à la moyenne entre le chiffre national et celui de la province FBN Économie et Stratégie (données de Statistique Canada) Comment se comparent ces estimations à la croissance économique potentielle que nous avons estimée pour la dernière décennie? D’abord, la croissance potentielle nationale en 2016 serait inférieure de trois dixièmes à celle de la dernière décennie (1.5% vs. 1.8%) et seul l’Ontario affiche un potentiel supérieur à celui de cette période. C’est dans les Prairies que le ralentissement Étant donné que le choc actuel touche des provinces plus que d’autres, il n’est pas surprenant que les écarts de production varient beaucoup entre les provinces. Pas moins de 6 sur les 10 présenteraient des écarts de production positifs selon nos calculs, notamment les trois provinces les plus peuplées (Ontario, Québec, ColombieBritannique) qui représentent les deux tiers de l’économie canadienne. Au contraire, les écarts de production se sont fortement détériorés dans les provinces productrices 4 ÉTUDE SPÉCIALE d’énergie fossile, l’économie albertaine se trouvant à 6.6% en dessous de son potentiel. Conclusion Dans cette étude, nous avons présenté une méthode de calcul du PIB potentiel par province et les résultats qui en découlent. Comme celle des autres pays avancés, la vitesse de croisière de l’économie canadienne a considérablement diminué en raison de la transition démographique et de la faiblesse de la productivité. À l’image des pays avancés, les provinces canadiennes ont des croissances économiques potentielles très différentes. Pour tenir compte du choc pétrolier qui entraîne des bouleversements des mouvements migratoires interprovinciaux, nous avons créé notre propre scénario démographique. Les perspectives de croissance de la population sont désormais moins favorables aux provinces productrices d’énergie fossile, alors que l’Ontario et la Colombie-Britannique pourraient profiter davantage des mouvements migratoires. Nous estimons désormais que seuls la Colombie-Britannique (+2.1%), le Manitoba (+2.1%) et l’Ontario (+1.6%) présentent une croissance potentielle supérieure à la moyenne nationale de 1.5%. Celle de l’Alberta et de la Saskatchewan se maintiendrait à présent à la moyenne nationale, alors que celle du Québec se situerait à 1.0%. À l’inverse, la croissance potentielle de toutes les provinces de l’Atlantique est inférieure au seuil du 1.0%. Autrement dit, les contributions régionales à la croissance potentielle du pays ont changé considérablement suite au choc pétrolier (graphique). Nos constats impliquent qu’il n’existe pas de recette unique pour toutes les provinces en termes de politique monétaire/fiscale visant à relever les défis actuels. Canada : Vers un net changement de la contribution régionale à la croissance Contribution à la croissance du PIB potentiel 80 % 70 Est. FBN pour 2016 60 Prairies 50 40 Centre 30 20 C.-B. 10 Prov. de l’Atlantique 0 -10 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 FBN Économie et Stratégie (données de Statistique Canada) Matthieu Arseneau 5 ÉTUDE SPÉCIALE ÉCONOMIE ET STRATÉGIE Bureau Montréal 514 879-2529 Bureau Toronto 416 869-8598 Stéfane Marion Marc Pinsonneault Économiste et stratège en chef Économiste principal DG, recherche et stratégie secteurs publics [email protected] [email protected] [email protected] Paul-André Pinsonnault Matthieu Arseneau Économiste principal, Revenu fixe Économiste principal [email protected] [email protected] Krishen Rangasamy Angelo Katsoras Économiste principal Analyste associé, géopolitique [email protected] [email protected] Warren Lovely Généralités : La Financière Banque Nationale (FBN) est une filiale en propriété exclusive indirecte de la Banque Nationale du Canada. La Banque Nationale du Canada est une société ouverte inscrite à la cote des bourses canadiennes. 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