CICÉRON, De Provinciis consularibus, XIII Le dessein de César et

CICÉRON, De Provinciis consularibus, XIII
Le dessein de César et son accomplissement
XIII. C'est sous le commandement de C. César, Pères conscrits, que nous avons porté la
guerre chez les Gaulois : jusqu'alors nous les avions seulement repoussés. De tout temps,
nos généraux ont plutôt songé à réprimer leurs agressions qu'à leur rendre attaque pour
attaque. C. Marius lui-même, dont l'admirable et héroïque valeur ranima la confiance du
peuple romain abattu par de sanglantes défaites, C. Marius arrêta seulement ces torrents
immenses de Gaulois qui venaient inonder l'Italie, sans pénétrer lui-même jusqu'à leurs
villes et leurs demeures. Tout récemment encore, ce brave citoyen qui s'est associé à mes
travaux, à mes périls, à mes desseins, C. Pomptinius, a étouffé, par la force des armes, la
guerre suscitée tout à coup par les Allobroges, soulevés par une horrible conjuration; il a
dompté ceux qui nous avaient attaqués, et, content d'avoir dissipées craintes de la
république, il s'est reposé après sa victoire. C. César s'est fait un plan bien différent; il n'a
pas cru devoir seulement faire la guerre à des ennemis qu'il voyait déjà armés contre le
peuple romain, mais bien soumettre toute la Gaule à notre domination. Ainsi il a combattu
avec le plus brillant succès les plus redoutables et les plus puissantes nations des Germains
et des Helvétiens ; il a terrassé, dompté, refoulé les autres, et les a accoutumées à obéir au
peuple romain. Des contrées et des nations qu'aucune histoire, aucun récit, aucun bruit
public ne nous avaient encore fait connaître, notre général, nos troupes, nos armes les ont
parcourues. Oui, Pères conscrits, nous n'avions auparavant qu'un sentier dans la Gaule ; les
autres parties étaient occupées par des nations ou ennemies de cet empire, ou peu sûres, ou
inconnues, ou du moins féroces, barbares et belliqueuses : il n'était personne qui ne désirât
les voir vaincues et domptées ; et, dès les commencements de notre république, tous nos
sages politiques ont regardé la Gaule comme l'ennemie la plus à craindre pour Rome. Mais
la puissance et la multitude de ces peuples nous avaient empêches jusqu'à présent de les
combattre tous. Toujours en butte à leurs attaques, nous n'avions su que leur résister.
Aujourd'hui, enfin, nous venons d'obtenir que les limites de ces mêmes régions seraient
celles de notre empire.
XIV. En donnant les Alpes pour rempart à l'Italie, la nature ne l'avait pas fait sans une
intention bienfaisante des dieux. Si l'entrée en eût été ouverte à la férocité et à la multitude
des Gaulois, jamais cette ville n'eût été le siége et le centre d'un grand empire. Elles peuvent
maintenant s'aplanir, ces hautes montagnes ; il n'est plus rien, des Alpes à l'Océan, qui soit à
redouter pour l'Italie. Encore une ou deux campagnes, et la crainte ou l'espoir, les
châtiments ou les récompenses, les armes ou les lois, pourront nous assujettir toute la Gaule
et l'attacher à nous par des liens éternels. Si l'ouvrage reste imparfait, inachevé, si on
l'abandonne sans y mettre la dernière main, les racines, quoique recoupées, produiront de
nouveaux jets, qui reverdiront pour renouveler la guerre. Que la Gaule reste donc sous la
tutelle de celui au courage, au zèle et au bonheur duquel elle a été confiée ; car si César,
comblé des plus grandes faveurs de la Fortune, craignait de s'exposer plus longtemps aux
caprices de cette déesse ; s'il était impatient de retourner au plus tôt vers ses dieux pénates,
vers les grands honneurs qui lui sont destinés dans Rome, vers sa fille qui lui est si chère, et
vers son illustre gendre; s'il était jaloux de monter vainqueur au Capitole, la tête ceinte d'un
immortel laurier; enfin, s'il appréhendait le hasard des événements, qui ne peuvent plus
que compromettre sa gloire, sans rien ajouter à son illustration, votre devoir n'en serait pas
moins d'exiger de celui qui a presque achevé l'ouvrage, qu'il le terminât tout entier. Mais.
puisque César a, depuis longtemps, assez fait pour sa gloire sans avoir assez fait encore pour
la république, et qu'il aime mieux venir plus tard recueillir le fruit de ses travaux que de ne
pas terminer une entreprise dont la république lui a confié l'exécution, nous ne devons pas
rappeler un général plein d'ardeur peur le service de l'État, et, par là, troubler et entraver
toutes les opérations de la guerre des Gaules, déjà presque terminée.
Traduction française de M. CABARET-DUPATY, Classiques Garnier, Paris, 1919
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