Table des matières • • • • • • • 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 1. Distribution : Distribution Présentation du Grand Guignol Présentation des 4 pièces de « Bloody Cabaret ! » Rencontre avec Frédéric Ghesquière, metteur en scène de « Bloody Cabaret ! » La préparation des acteurs, vision d’un acteur Historique/présentation du Grandgousier Renseignements pratiques Adaptation et mise en scène : Frédéric Ghesquière Musique et direction des chants : Alberto Di Lena Avec : Cédric Balthasart, Adrienne D'Anna, Sandra Damus, Rémédios Domene, Hugues Hospital, Robert Koelman, Encarnation Martin, Edith Paturiaux, André Remy, Karim Selhab, Marie-Hélène Tromme, Micheline Zanatta Création des maquillages et des coiffures : Dominique Brevers Scénographie et costumes : Marie-Hélène Tromme Intertitres : Loïg Kervahut Stagiaire maquillages : Catherine Desert Régie lumière: Vincent Legeard Régie intertitres : Marie-France Granier Assistance technique : André Remy & Bénédicte Brasseur Vincent Legeard Secrétariat de production : Marie-France Granier Le metteur en scène et le Grandgousier remercient chaleureusement : Les membres du Grandgousier qui nous ont aidés et nous aideront encore dans ce projet, le Théâtre de la place ainsi que le Festival de Liège pour le prêt de matériel, la Province de Liège, la Ville de Liège, la Communauté française ainsi que toutes les personnes qui, de près ou de loin ont permis à ce spectacle de voir le jour. 2. Le « Bloody Cabaret ! » Notre spectacle s’inspire à la fois du théâtre du Grand Guignol et du cinéma expressionniste allemand. Il s’agit d’un spectacle rappelant les films du début XX°siècle. Les scènes sont accompagnées en direct par un pianiste, Alberto Di Lena. Les quatre pièces proposées sont inspirées du répertoire du Grand Guignol ; elles sont agrémentées d’intermèdes chantés. L’esthétique des décors et de l’éclairage, comme le code de jeu, sont empruntées au courant expressionniste. Qu’est-ce que le Grand Guignol ? Quelques définitions Etymologiquement, Guignol désigne une marionnette à gaine française créée à Lyon vers 1808 par Laurent Mourguet. Le terme désigne également par métonymie le théâtre de marionnettes comique dont Guignol est le personnage principal. Cependant les spectacles de Grand Guignol n’ont rien d’enfantin, et sont basés sur l’horreur macabre, les scènes sanguinolentes, les situations exagérées et les effets spectaculaires. Historiquement, il s’agit du nom d’un théâtre parisien qui s’est spécialisé dans ce type de spectacles. Historique du théâtre du Grand Guignol Il fut créé en 1897, à Pigalle, par Oscar Méténier, ami de Maupassant et d’André Antoine, créateur du théâtre naturaliste dont Méténier se sent le continuateur. Une des premières pièces de Méténier fut d’ailleurs « Mademoiselle Fifi », une prostituée héroïque, transposition de la nouvelle éponyme de Guy de Maupassant. La censure s’en mêle. Sa pièce « Lui ! » est interdite car elle met en scène l’intimité d’une prostituée avec son client. La plupart des milieux présentés (vagabonds, prostituées, enfants des rues, criminels…) n’avaient jamais été montrés sur scène et c’était à chaque fois un scandale. Le théâtre du Grand Guignol eut un succès immédiat. Un public varié se rue dans la petite salle pour frémir d’horreur devant ces courtes pièces où les angoisses, la cruauté, les ressorts les plus malsains des êtres sont montrés. Les évanouissements étaient fréquents (14 à 15 par soirée). Le changement de siècle et ses angoisses naissantes vont faire le succès du deuxième directeur, Max Maurey, auteur lui aussi, qui va privilégier la mise en scène au texte, fabriquer un répertoire spécialisé, notamment sur les déséquilibres mentaux (y compris chez les soignants), commencer à utiliser des effets spéciaux et surtout faire appel à des auteurs qui écriront pour ce théâtre comme le prolifique André de Lorde, et même le célèbre psychologue Alfred Binet qui amènera dans le répertoire le thème de la folie que les savants de l’époque commencent à étudier scientifiquement et celui de recherches médicales osées qui sont dans l’air du temps. Une soirée typique au Grand Guignol consiste en cinq ou six courtes pièces, allant du crime sanglant à suspens aux farces paillardes. Camille Choisy, qui a dirigé le théâtre de 1914 à 1930, apporte une série d’effets spéciaux à la fois dans l’éclairage et les sons. Il fera alterner les pièces horribles avec des petites comédies légères comme Ernestine est enragée ou Hue ! Cocotte ! Mais l’âme du répertoire granguignolesque reste les scènes d’horreur, avec les inévitables yeux exorbités, des gorges tranchées, des jets d’acide ou quelques autres atrocités tout aussi horribles. Il y avait des balcons discrets, où un certain public pouvait être sûr de ne pas être vu. Les couples illégaux allaient y chercher certains frissons propices aux rapprochements… Au fil du temps avec d’autres directions, les drames devinrent plus psychologiques. Mais surtout il commença à se moquer de lui-même, l’abondance de scènes d’horreurs et d’effets devenait invraisemblable et on en riait. Il devint alors « théâtre de la dérision ». A partir de 1935, avec l'apparition du cinéma parlant et surtout des films de genre américains doublés comme Frankenstein, Docteur X, et Crimes au musée des horreurs, la concurrence devient rude, et le répertoire s'affaiblit. Surtout pendant et après l’ocupation , ce théâtre devient plus une scène de l’érotisme et de l’exotisme ; les frissons et l’horreur se trouvent ailleurs. En effet, après la seconde guerre mondiale, la réalité a rattrapé la fiction. Les faits de guerre sont peu à peu connus. Les histoires qu’on pensait être le fruit de l’imagination des auteurs, les atrocités qu’on pensait réduites à des esprits malades, sont apparues au grand jour comme réelles. L’atrocité des camps, des chambres à gaz et des expériences « scientifiques » orchestrées par le nazisme dépassait de loin les « jeux à faire peur » du Grand Guignol. Ce type de théâtre ne pouvait plus exister. Le théâtre ferma ses portes le 5 janvier 1963, ne pouvant soutenir la compétition avec le cinéma et n’intéressant plus personne. Les thèmes de prédilection On reconnait des thèmes récurrents dans le genre Grand Guignol. La peur de l’autre apparaît sous différentes formes : la peur du pauvre, du forain, de l’errant, des mendiants, la peur de l’inconnu, de l’étranger. Pour comprendre cette logique, il suffit de voir nos réactions face à l’arrivée de nouveaux voisins ou à un autre niveau à l’annonce de l’ouverture de centres pour immigrés. On peut aussi voir le sort réserver aux gens du voyage dans certaines communes. On trouve aussi la peur de la contagion (Ainsi dans Gardiens de phare, le fils est atteint part la rage malgré leur isolement). Ces peurs sont, hélas, toujours d’actualité ; pensons au SIDA ou au Cancer par exemple. Perte de conscience, perte de contrôle, suite à des drogues ou à l’hypnotisme, panique, angoisses, tous sentiments dans lesquels le public peut se retrouver et déjà mis à l’honneur par des auteurs de la fin XIX° siècle comme Maupassant avec Le Horla, notamment. A l époque la science, les découvertes médicales ainsi que la psychanalyse sont en plein essor et certains jouent aux apprentis sorciers. Ce sont ces sujets qui sont traités dans Crime dans une maison de fous et l’Horrible expérience. L’évolution rapide des recherches fascine autant qu’elle effraie tout comme aujourd’hui nous craignons les conséquences du clonage, des ondes gsm etc. Les catastrophes naturelles, tout comme aujourd’hui font aussi vibrer les spectateurs. Bref, il s’agit de peurs universelles auxquelles notre société « rationaliste » n’échappe pas. Ils tournent autour des peurs sociétales dont nous sommes encore la proie actuellement. La Maison des Horreurs : Le lieu Le lieu est ambigu. On est dans le néo gothique, l’entrée avec un fronton façon gothique rayonnant et ses deux anges pendus au-dessus de l’orchestre. Cet édifice fut d’ailleurs à l’origine une chapelle. On retrouve ici un décor proche de la sensibilité romantique. Sensibilités, sources et influences artistiques. On peut relier le théâtre du Grand Guignol à trois grands courants artistiques : le romantisme, le naturalisme et l’expressionnisme. Le Romantisme Les thèmes et l’atmosphère des pièces grandguignolesques sont très influencées par le genre romantique. On y joue des passions, des émotions exacerbées, du mystère, du suspens et même du fantastique. Il suffit de relire la description que fait Chateaubriand de sa sœur pour retrouver quelques ressorts des drames joués au Grand Guignol. Le drame romantique met à mal certaines règles de bienséance héritées du théâtre du XVII° siècle. Sur scène, on s’évanouit, on se tue…, on y exalte des bandits, mais toujours au grand cœur, des gens du peuple. Le mélodrame est une des « suites » de ce théâtre romantique accentuant la crainte et déversant des torrents de larmes. On s’apitoie sur la misère et les tortures infligées aux pauvres héroïnes (ce qui nous rapproche des images développées au Grand Guignol) ; mais ici les héros sont toujours triomphants alors qu’au Grand Guignol, c’est le mal qui triomphe. Le côté malsain, le sadisme, tous les aspects de l’homme surgissent et sont montrés ostensiblement. Cette ostentation dans l’horreur est une des caractéristiques du genre. Le Naturalisme Il peut paraître étonnant que ce théâtre de l’exagération se réclame du naturalisme. Cependant, les thèmes du grand guignol sont assez proches de ceux développés dans cette littérature de la fin XIX° et début XX° siècle. Zola, chef de file du mouvement naturaliste, veut observer l’humanité comme un entomologiste observe les insectes, y compris dans ses aspects les plus vils. De plus, il met un point d’honneur à décrire les classes laborieuses et les milieux jusqu’alors exclus de la littérature. Maupassant fait de même avec les prostituées et les paysans entre autres. Le théâtre et la littérature doivent en conséquence insister sur les plaies de la société. Il existe un théâtre naturaliste qui trouve son terrain d’expérimentation sur la scène du Théâtre-Libre, ouvert par André Antoine en 1887. Il explore les aspects les plus sombres de la société. C’est lui qui pousse Oscar Méténier à ouvrir le théâtre du Grand Guignol. Théoriquement, une pièce naturaliste ne doit avoir recours qu’au minimum de ressorts narratifs. Dans la pratique, l’usage de péripéties et d’effets dramatiques permet d’accroître l’efficacité de la peinture de mœurs, comme en témoignent les pièces d’Henry Becque. Ces deux théâtres sont donc très proches. Le Grand Guignol accentue les effets dramatiques par des effets techniques importants. L’expressionnisme et principalement le cinéma expressionniste allemand. L’expressionnisme est un mouvement artistique du début du XX° siècle qui a circulé en Europe du Nord et principalement en Allemagne. Ce mouvement touche tous les arts : peinture, architecture, théâtre, puis le cinéma. Il se définit par une défiance à l’égard des nouveautés techniques, scientifiques, médicales. Il choisit comme cadre l’Europe médiévale. On sent le souffle du romantisme, du fantastique et l’attirance pour l’esthétique gothique. Cette vision paroxystique des événements est principalement allemande (Munch, Kafka…). Mais c’est le cinéma qui va donner ses lettres de noblesse à ce style. L’industrie cinématographique allemande est en place après la première guerre mondiale, elle s’est développée avec l’aide de l’état qui exigeait des films de propagande. Mais vu la récession, elle manque de moyen. Les réalisateurs développent alors une méthode pour compenser le manque de moyens : le symbolisme, la mise en scène et les décors en scène qui créent l’atmosphère émotionnelle. Les premiers films expressionnistes se passaient de gros moyens en faisant usage de décors abstraits, aux motifs géométriques absurdes, décalés, tordus, des dessins sur les murs et les planchers qui représentent les lumières et les ombres. On est proche de l’art nouveau et du clair obscur. Ce type de décor et de lumière seront aussi les ingrédients du Grand Guignol. Ces décors torturés tentent de montrer la déformation infligée au réel par un esprit angoissé ou malade pour atteindre la plus grande intensité expressive possible. L’intérêt n’est pas dans la réalité objective mais dans l’expérience subjective des protagonistes. Eux-mêmes, ne sont guère décrits de façon réaliste, ni psychologiquement détaillés. Les personnages sont plus des types abstraits, ils sont aussi des symboles. Les gestes des acteurs sont expressifs, pas naturalistes. Les thèmes sont souvent la folie, les troubles mentaux (c’est l’époque de la psychanalyse naissante), les machines infernales, les expériences dangereuses qui indiquent la peur du monde moderne, du machinisme, et des thèmes liés au fantastique comme les vampires. Tous thèmes qui caractérisent aussi le Grand Guignol. On peut citer Nosferatu, le vampire de Friedrich Murnau, (1922) ; Dr Mabuse ou Metropolis de Fritz Lang, (1922,1927) ; Le cabinet du Docteur Caligari de robert Wiene, (1919)… Influences Cette école cinématographique aura un impact profond sur le cinéma américain car de nombreux cinéastes allemands émigrèrent à cause du nazisme vers Hollywood. Deux genres furent particulièrement influencés par l’expressionnisme : le film noir et le film d’horreur. Le style, l’atmosphère sont imprégnés d’expressionnisme : décors sombres, structurés, clair-obscur. Quant au théâtre du Grand Guignol, héritier de ces atmosphères et de ces déformations émotionnelles, même s’il est tombé un peu dans l’oubli à la fin du XX° siècle, il a eu une profonde influence sur les spectacles basés sur l’horreur et les effets spéciaux. Il continue à hanter nos mémoires. Pistes pédagogiques Pour éclairer les exploitations possibles de ce spectacle dans les classes, voici quelques pistes de réflexion. 1. Cours d’histoire de l’art ou arts d’expression: • • • • histoire du cinéma, l’expressionnisme allemand Histoire du théâtre, le Grand Guignol et ses ramifications : drames romantiques, mélodrames, esprit « scientifique » du naturalisme. Histoire des Beaux Arts, l’expressionnisme en Allemagne (Munch) et en Europe L’esthétique du clair-obscur en peinture et en photographie 2. Cours de français : • • • • L’esprit du romantisme et ses dérives. Le drame romantique et le mélodrame A relier peut-être à la mode récente du Gothique et certains chanteurs comme Marylin Manson. Les réactions des écrivains naturalistes à l’évolution rapide des sciences de l’époque : Le Horla de Guy de Maupassant (folie, hypnose) ou Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert etc. 3. Cours de morale ou religion • • • • • Les peurs sociétales et leurs effets. Le rôle des arts et des médias par rapport à ces peurs La folie et son acceptation/rejet par la société L’évolution de la psychiatrie Quelles solutions pour les « assassins » ? Prison ou psychiatrie ou? • Les conséquences de certaines découvertes scientifiques (clonages…) Marie-France Granier 3. Présentation des 4 pièces de « Bloody Cabaret ! » Gardiens de phare (d’après Paul Autier et Paul Cloquemin) Un père et son fils sont les gardiens du phare « Le Maudit ». Tandis que la tempête fait rage au dehors, Yvon, le fils se rend compte qu’il a probablement été contaminé par une maladie contagieuse transformant les victimes en tueurs sanguinaires. Crime dans une maison de fous (d’après André de Lorde et Alfred Binet) A l’asile Saint-Léger, tenu par des sœurs, la jeune Louise est guérie et devrait quitter l’établissement. Mais c’est sans compter sur les autres pensionnaires, qui vont mettre tout en œuvre pour persécuter la malheureuse. Lui ! (d’après Oscar Métenier) Des jeunes femmes sont assassinées. La police est sur les dents. Violette, une fille de joie, reçoit chez elle un homme qui pourrait bien être le tueur recherché. L’horrible expérience (d’après André de Lorde et Alfred Binet) Le docteur Charrier, spécialiste du cerveau, partage sa vie entre ses deux passions : la science et sa fille unique, Jeanne. Lorsque celle-ci vient à mourir, le scientifique est prêt à tout pour affronter la mort. 4. Rencontre avec Frédéric Ghesquière, metteur en scène de « Bloody Cabaret ! » Comment le projet a-t-il vu le jour ? J’ai toujours voulu faire un spectacle sur les peurs mais je n’en ai jamais trouvé l’occasion. Je connaissais vaguement le répertoire du Grandguignol et j’ai eu envie d’en faire la proposition au Grandgousier. Tout ça c’était avant d’avoir lu les pièces existantes. En effet, elles sont souvent beaucoup trop verbeuses : les nombreux dialogues impliquent inévitablement un théâtre presque « naturaliste », le temps consacré à la mise en place est énorme, etc. Cette dramaturgie fonctionnait probablement très bien il y a un siècle mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Je me suis donc dit que cette matière devrait être adaptée si on voulait pouvoir l’utiliser. Dans un premier temps, je pensais simplement faire de grandes coupes dans les pièces. Mais cela ne me satisfaisait pas. J’ai finalement pensé à transposer cet univers du Grandguignol dans l’esthétique propre au cinéma muet. Historiquement, ils naissent d’ailleurs tous deux à la même époque… Afin de rythmer la soirée et d’explorer d’autres aspects de la peur et de la cruauté, j’ai voulu ajouter des chants mêlant horreur et humour. Quelle est ta référence principale concernant le code de jeu ? Je me suis principalement inspiré du jeu des acteurs dans le cinéma muet des premiers temps. Pourquoi le cinéma muet ? D’abord parce que j’aime beaucoup le charme presque naïf qui s’en dégage. Ensuite parce que la pantomime utilisée par les acteurs de l’époque est assez proche du jeu masqué sur lequel je travaille régulièrement. L’un comme l’autre ne sont absolument pas naturalistes, et sont principalement basés sur le corps signifiant. De plus, le jeu « muet » crée un grand décalage et empêche l’identification aux personnages. Et, bien que le principe même de distanciation puisse enlever un peu du potentiel horrifique des situations, il ajoute à coup sûr une grande dimension poétique. Je pense qu’en tant que spectateur, si ça fonctionne, on a un plaisir presque enfantin à voir les acteurs ressusciter en direct les débuts du cinéma. Pourquoi le thème de l’horreur ? Depuis tout petit j’aime ce qui fait peur… C’est une matière assez rare au théâtre, alors qu’elle est bien exploitée au cinéma, et est souvent porteuse de vraies questions sociologiques. Comment tu as sélectionné les pièces ? J’ai d’abord éliminé les comédies et me suis concentré sur les drames car il fallait que les histoires se terminent mal pour renforcer l’impact dramatique et horrifique. Ensuite, j’ai sélectionné les pièces qui me paraissaient les plus radicales. Je me suis alors concentré sur les différents thèmes : qu’est-ce qui a encore une résonnance aujourd’hui ? Et enfin, mon choix définitif s’est fait en fonction des acteurs et des propositions qu’ils me faisaient lors du stage qui a eu lieu en amont du travail ou pendant les improvisations. Contrairement à la préparation d’un spectacle professionnel, j’ai donc choisi les pièces en fonction des comédiens, et non l’inverse. Dans ces circonstances, un casting bien fait permet de gagner beaucoup de temps. Quel était le but du stage ? Le but du stage était de trouver un vocabulaire commun et de donner des outils. Il a permis également d’annoncer la couleur concernant la rigueur et la précision du jeu. Quand aujourd’hui je dis à un acteur : « décompose tes mouvements », l’acteur comprend ce que j’entends par là. Ceci dit, ce stage était de très courte durée : à peine une semaine ! Lorsque je dirige un atelier sur le jeu masqué cela prend un mois et demi, à temps plein, pour que l’acteur commence à s’approprier le jeu. Travailler avec des comédiens amateurs a-t-il un impact sur ton travail de metteur en scène ? Evidemment. Lorsque je travaille avec des amateurs, je prends beaucoup en compte leur plaisir à être sur le plateau. Ce n’est pas forcément le cas avec des professionnels avec qui l’objet artistique est au-dessus de toute autre préoccupation. D’autre part, la gestion du temps est radicalement différente. Un spectacle « pro » se crée en général en six à huit semaines à temps plein. Ici, nous aurons travaillé huit mois à raison de six à douze heures par semaines environ. C’est donc une toute autre organisation Cependant, Il y a dans « Bloody Cabaret ! » des gens avec qui j’ai déjà travaillé sur un spectacle précédent, « Dreyfus… » de J.C. Grumberg. Je sais donc qui est relativement autonome, et qui va avoir besoin de plus d’attention. Dans ce type de jeu le travail de l’acteur semble très différent d’un jeu plus réaliste, comme chez Stanislavski ou à l’Actor Studio. Qu’en est-il ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas si éloigné d’un jeu « stanislavskien ». Sans intériorité, le jeu expressionniste, proche parfois de la pantomime, devient une forme creuse et inintéressante. Il faut qu’il y ait l’intériorité pour qu’il y ait la vie ! La différence fondamentale entre le jeu « réaliste » et celui que nous abordons dans le spectacle, c’est qu’ici, les acteurs sont obligés de tout décomposer, de jouer les choses une par une : plutôt que de sauter de joie, je demande à l’acteur de sauter puis d’être joyeux. Les contrastes sont également renforcés : on joue noir ou blanc pas gris clair... Une autre différence majeure, c’est que, si l’intériorité a une place importante dans le jeu expressionniste, la psychologie n’en a aucune. Ce sont les passions qui sont représentées. En tant que metteur en scène : à quoi ressemble ta méthode de travail ? J’aime diriger des acteurs, et partir de leur imaginaire. Je les laisse d’abord travailler seuls. Il faut qu’ils me fassent une proposition, me donnent leur vision de la scène, du personnage... J’ai besoin d’un brouillon, même mauvais. In fine, n’oublions pas que c’est l’acteur, devant le public, qui aura le dernier mot ! Donc autant qu’il soit en partie créateur de sa partition. Ensuite, j’interviens pour préciser les intentions, affiner la forme et, plus important que tout : veiller à la lisibilité de la fable. Quelle est l’importance de la musique dans ce spectacle ? Le rôle de la musique est fondamental. Tout d’abord, elle a une fonction narrative et aide à la lecture de la fable. Elle rythme la scène, ajoute de la poésie et aide à construire l’imaginaire du spectateur. Enfin, elle participe également à la distanciation. Le travail avec Alberto Di Lena. Ce sera un travail de grande précision, mais également d’écoute et de confiance entre les acteurs et le musicien. Alberto accompagnera les histoires en direct, en donnant l’atmosphère et en ponctuant les réactions des personnages, les évènements, etc. Comme les acteurs, sa partition sera définie, mais gardera la flexibilité nécessaire à la représentation théâtrale. Cette double partition se construira d’ailleurs au fur et à mesure des répétitions, la musique s’appuyant sur les inventions scéniques des acteurs, et renvoyant à son tour d’autres propositions. Quelle influence pour l’esthétique visuelle du spectacle ? Très vite, j’ai dit à la scénographe, Marie-Hélène Tromme, que je voulais une « boîte », un castelet, comme un théâtre de marionnettes. La première référence visuelle que je lui ai donnée est « Le Cabinet du Dr Caligari » de Robert Wiene (1920). Dans ce film magistral, tout est décalé, les décors sont peints, les perspectives sont tronquées...rien n’est naturaliste. Tout raconte non seulement la fable, mais aussi l’intériorité des êtres. Elle m’a alors fait la proposition de travailler à partir d’ombres projetées à l’arrière du plateau. Tout ce dont nous aurions besoin pour planter le décor, mais qui ne serait pas manipulé serait donc projeté. Cela peut également rappeler l’écran sur lequel on projette les images au cinéma. En ce qui concerne les couleurs utilisées pour les costumes, les accessoires et le mobilier, nous avons opté pour des couleurs sombres, passées. Les couleurs éclatantes racontent la vie, nous voulions rappeler la mort ! Car toutes les peurs (peur de l’autre, de l’inconnu, du progrès, …) sont liées à une peur fondamentale : la peur de la mort. Un spectacle muet c’est hors du commun… as-tu peur de la réaction du public ? Non je n’ai pas peur de la réaction du public. J’ai plutôt l’impression que cela va éveiller la curiosité. Pour moi, le théâtre ce n’est pas ce qui existe sur la scène, mais bien ce qui se passe entre la scène et la salle. Effectivement, un spectacle muet, ce n’est pas commun ; l’imaginaire du spectateur sera forcément sollicité, mais c’est un peu son boulot, non ? Quels sont tes futurs projets ? J’aimerais beaucoup créer un spectacle basé sur les masques, qui ne soit pas muséal ni archéologique. Je suis sûr que leur puissance évocatrice et ancestrale a encore beaucoup de choses à raconter. Mais je dois encore les interroger pour savoir ce qu’ils ont envie de dire aujourd’hui… Entrevue réalisée par Adrienne d’Anna 5. Stage préparatoire au spectacle : le masque neutre, vision d’une actrice En préparation à ce spectacle, nous avons partagé un stage « masque neutre » d’une huitaine de soirées, sous la houlette de Frédéric Ghesquière. « Le masque neutre est, avant tout, un outil pédagogique. Développé par Jacques Lecoq, en collaboration avec le facteur de masques Amleto Sartori, le masque neutre entraîne l’acteur-créateur dans la recherche d’un état de jeu où coexistent un calme dynamique et une grande présence scénique. Le travail du masque neutre constitue une introduction essentielle au jeu masqué, mais aussi à toute démarche de création théâtrale. » C’est une technique qui demande calme et précision et qui joue avec l’espace, le mouvement, le jeu, et la forme. Elle offre au comédien les outils nécessaires pour transposer la réalité en un langage poétique du corps. En outre, elle induit un sentiment de sérénité propice à la maîtrise du jeu. C’est le théâtre du geste, mais avant tout, c’est la recherche d’un état du corps dépouillé de toute émotion, toute opinion, toute expression, toute psychologie. En émerge alors un corps présent, vivant, efficace, prêt à être métamorphosé, prêt à devenir tout animal, toute couleur, tout élément et un état de jeu qui repose sur l’ouverture et la disponibilité. Concrètement, il s’agissait, en l’occurrence, les cheveux enveloppés d’un collant noir et le visage caché sous un masque sans expression, d’effectuer des exercices simples tel l’aller-retour d’une chaise à une autre. Elémentaire, direz-vous. Que nenni ! Vous répondrai-je. Nous avons dû faire preuve de persévérance pour recommencer encore et encore les mêmes gestes, le même trajet pour tendre à la perfection, par ailleurs, jamais atteinte en un si court laps de temps ! Mais l’enthousiasme était bien présent et le plaisir de cette nouvelle aventure à vivre ensemble gommait largement l’aspect fastidieux de l’exercice. User du masque neutre implique une précision scrupuleuse, une décomposition des mouvements en gestes épurés, détaillés, précis, ponctués d’un arrêt sur image, exactement comme ce l’était dans les films muets. C’est en cela que cette méthode précise et méticuleuse nous a aidés à construire « Bloody cabaret », spectacle largement inspiré du théâtre Grand Guignol et du cinéma expressionniste des années 20. Nous nous sommes efforcés de créer des personnages tout en contrastes, dont les émotions investissent tout le corps et s’expriment en gestes successifs « utiles », c’est-à-dire, sans que des gestes non signifiants parasitent l’action. L’image qui doit en résulter ne doit pas laisser transparaître la technique qui la sous-tend mais offrir au spectateur « une transposition de la réalité en un langage poétique du corps ». A vous, maintenant de juger notre travail, c’est avec un profond plaisir que nous vous le présentons. Edith Paturiaux 6. Quelques mots sur la compagnie du Grandgousier À partir d’une troupe d’école La Compagnie théâtrale "Le Grandgousier" a pris naissance en 1980 sous la forme d’une troupe de théâtre d’élèves de l’École d’Hôtellerie de la Ville de Liège créée par un professeur de l’école, Jean-Pierre Crenier, pour devenir en 1985 une asbl, compagnie de théâtre amateur. Cette troupe amateur a eu tout de suite la chance de travailler avec un metteur en scène de renom, Francis De Bruyn, et de jouer dans une salle aujourd’hui très connue à Liège, Le Moderne. Une compagnie ambitieuse dans ses exigences Depuis, sous la direction de Jean-Pierre, Le Grandgousier a été reconnu par la Communauté française pour la qualité de ses spectacles, une trentaine en trente ans, et le sérieux du travail mené. Dès le début des années 1990, la compagnie a décidé, afin de progresser et d’apprendre, de s’entourer de professionnels que ce soit pour la mise en scène et/ou pour la régie ou les décors. Des spectacles variés Le Grandgousier est une compagnie engagée, sensibilisée aux enjeux sociaux, économiques et politiques. La programmation est choisie dans cette optique, même si certains choix ne sont guidés que par des préoccupations théâtrales. La compagnie alterne des spectacles avec équipes réduites - qui permettent de nous initier à une forme particulière de théâtre - et de grosses productions réunissant 15 à 25 comédiens. Nous nous livrons à un travail varié : au fil des années, nous avons abordé le théâtre classique avec Molière et Shakespeare ainsi que le théâtre didactique avec Brecht; nous avons joué de la farce, de la Commedia Del Arte, du Grand-Guignol, du théâtre psychologique, de l’absurde, du théâtre sérieux et des spectacles drôles, des textes d’auteurs et des créations, chanté aussi avec toujours la volonté de nous investir au maximum et de travailler au service d’un théâtre de qualité grâce à des metteurs en scène spécialistes du jeu pratiqué. C’est pourquoi nous accordons une place importante à la formation, la nôtre d’abord, ensuite celle d’autres qui voudraient améliorer leur approche du théâtre. C’est pourquoi, nous organisons régulièrement des stages de formation, notamment avec Patrick Bebi, Alberto di Lena, ou Renzo Eliseo. C’est ainsi que nous avons recruté nombre de comédiens qui voulaient tâter de la réalité du théâtre. Autre singularité La compagnie, soucieuse d’élargir les champs d’investigations du théâtre et ne possédant pas de lieu propre, s’applique de projet en projet à trouver accueil dans des lieux qui créent une rupture avec les lieux de représentation traditionnels. C’est ainsi que nous avons occupé un tunnel désaffecté et jadis destiné à accueillir un métro qui n’a jamais vu le jour, une ancienne glacière, une ancienne piscine, permettant au public de découvrir des lieux insolites et inconnus – voire insoupçonnés - de donner au spectacle une dimension étonnante et exceptionnelle à la fois. Ces découvertes nous transforment en ouvriers de chantiers, femmes d’ouvrages de choc, électriciens, charpentiers, j’en passe et des meilleures mais cela fait partie de notre engagement. C’est ça aussi l’esprit du Grandgousier. RENSEIGNEMENTs PRATIQUES Représentations : A 20h30 tous les mercr., jeudis, vendr. et samedis du 8 avril au 07 mai 2011 Adresse : Quai Louva, 1 à Ougrée (Seraing) Réservations : Au numéro de téléphone : 0476/ 066. 036 A l'adresse [email protected] Sur le site du Grandgousier http://www.legrandgousier.be