Géofinance conventionnelle et géo-finance islamique : une lecture

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Géofinance conventionnelle et géo-finance islamique : une lecture de la différence
Dr Djibril SECK
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INTRODUCTION
En 1986, Charles Golfinger a publié un ouvrage intitulé La géofinance qu’il définit
comme étant « un réseau planétaire de marchés et d’intermédiaires financiers ». Dans la
notion de géofinance, le préfixe géo fait corps avec le terme finance pour qualifier une forme
de globalisation de la finance relevant du mode de fonctionnement du système capitaliste.
C’est pourquoi, nous qualifions de « conventionnelle » la géofinance de Golfinger.
En revanche, le préfixeo dans géo-finance islamique (concept que nous avons
forgé) renvoie à la spécificité de chaque contexte d’implémentation de la finance islamique.
Ainsi, la géo-finance islamique (comme l’indique le trait d’union qui relie les deux termes) est
l’articulation de la finance islamique et des contextes socioculturels de son application. Aussi,
la géo-finance islamique permet-elle de mesurer la « sensibilité au contexte » de la traduction
institutionnelle de l’éthique islamique appliquée au secteur financier. Car la finance islamique
est l’expression d’un système de valeurs (celles de l’Islam) qui se traduit en un mode
d’organisation économique qui cherche à se globaliser.
Dans ce contexte de mondialisation de l’économie et de la finance, une lecture de la
différence entre les notions de géofinance et de géo-finance islamique nous semble tout à fait
opportune et novatrice.
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Dr Djibril SECK, directeur du GREFIA (Groupe de Recherche sur la Finance Islamique en Afrique) ; enseignant
dans l’Executive MBA de Finance Islamique de l’Ecole de Management de Strasbourg ; responsable CIFIA
Academy (Compagnie Indépendante de la Finance Islamique en Afrique) ; directeur de publication du site
internet www.e-financeislamique.com
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I-La géofinance conventionnelle: une forme de globalisation de la finance
« La géofinance est un réseau planétaire de marchés (A)et d'intermédiaires
financiers (B), capable d'acheminer d'un bout à l'autre de la Terre, en quelques secondes,
d’énormes montants de capitaux, que ce soit sous la forme de monnaies, d’obligations (C),
d’actions (D)ou d’instruments dérivés (E). Trois forces façonnent la géofinance:
l'intégration mondiale des marchés et des flux (F),bien sûr, mais aussi le développement
des nouvelles technologies de l'information et la déréglementation des services financiers
(G)». (Charles Goldfinger : 1986).
Pour mieux éclairer la compréhension du lecteur, il nous semble utile de procéder à
une explication des termes utilisés par Goldfingerafin de voir en quoi ils pourraient être ou
nom en conformité avec les principes de la finance islamique.
A) Marchés : lorsqu’on parle de marché en économie, c’est le lieu de rencontre de la
demande et de l’offre ; ainsi on a le marché des produits, le marché de l’emploi, le marché
du capital).
B) Intermédiaires financiers : dans une société donnée il y a des agents à surplus, donc plus
de fonds qu’ils en ont besoin pour leur consommation et des agents à déficit ; c’est à
travers les intermédiaires financiers que ces types d’agents sont connectés.
C) Obligations : une obligation est une valeur mobilière qui est un titre de créance
représentatif d'un emprunt. Ce titre est un contrat entre l'émetteur (organisme privé ou
collectivité publique) et les détenteurs successifs du titre, dont les deux éléments
principaux sont l’échéancier des flux financiers et leur mode de calcul. Une obligation
est un emprunt qui sert un taux d'intérêt, exprimé sous forme d'une séquence de coupons
sur une période donnée, puis d'un remboursement final, le plus souvent à la valeur
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nominale : il s’agit d’une rémunération fixe et prédéterminée (ribâ) prohibée par le
premier principe de la finance islamique.
D) Actions : L‘action est une part des capitaux propres de l'entreprise lorsque celle-ci est
constituée en société anonyme. Elle constitue donc une source de financement pour
l'entreprise, de même que les titres de créance (dettes), dont elle se différencie toutefois
nettement.Elle a une durée de vie illimitée, et son porteur court le risque total de
l'entreprise (il ne perçoit aucun revenu si l'entreprise va mal et en cas de liquidation,
l’actionnaire passe après le créancier dans la répartition du produit de la vente des actifs,
autrement dit la plupart du temps, il ne peut rien récupérer).
Le screening sectoriel (Actions):
1. Dans un premier temps, l'activité principale de la société émettrice doit être sharia-
compatible et ne peut donc concerner :
La finance conventionnelle (payer ou recevoir des intérêts),
Les activités liées au commerce de l’alcool et du tabac,
Les activités liées aux armements,
La pornographie et les activités de divertissement pour adulte,
L’industrie des jeux du hasard,
Les activités liées au commerce du porc et de la viande porcine et,
Les activités liées au commerce de viande d’animaux non abattus selon la Sharia.
2. Une seconde phase consiste à vérifier si la société est affectée, de façon significative,
par une activité secondaire qui n’est pas conforme à la jurisprudence islamique.
Si une telle activité existe, les revenus qu’elle aurait générés ne peuvent excéder 5 %
du total des revenus de la société selon l’AAOIFI (Norme 21 - 3/4/4).
3. Le ratio d’endettement « Ribawî » :
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La somme de la totalité des dettes (génératrices d’intérêt), qu’elles soient à court ou
à long terme, ne doit pas excéder 30% de la capitalisation boursière de la société
selon l’AAOIFI (Norme 21 - 3/4/2)
4. Le ratio d’investissement « Ribawî » :
La valeur de la totalité des obligations et des produits de taux (générateurs d’intérêt),
qu’ils soient à court, moyen ou à long terme, ne doit pas excéder 30% de la
capitalisation boursière de de la société selon l’AAOIFI (Norme 21 - 3/4/3)
E) Instruments dérivés : les produits dérivés sont des instruments financiers à terme au sens
de l'article L 211-1 du code monétaire et financier. Il s’agit d’actifs financiers qui
consistent en des droits à terme ou des droits conditionnels résultant de contrats ou de
promesses de contrats. Ils sont liés à des actifs ou indices sous-jacents et leur valeur
dépend de l'évolution de ces actifs ou indices entre la conclusion du contrat et son
dénouement. Les actifs sous-jacents peuvent être par exemple un taux d'intérêt, une
devise et son taux de change, une valeur mobilière et sa valeur, une matière première et sa
valeur, un indice.
Selon les spécialistes du Fiqh al-Mu’amalat, les produits dérivés (contrats à terme, swaps,
options etc.) sont des contrats qui ont des caractéristiques évidentes du Gharar et/ou du
Maysir. Leurutilisation ne pourrait être autorisée en finance islamique.
F) L'intégration mondiale des marchés et des flux : l’intégration dans le sens d’absence
de barrières ; faire des transactions d’un marché à un autre ; de même de grosses sommes
d’argent et de titres financiers circulent plus librement.
G) La déréglementation des services financiers : contrairement aux banques qui font
l’objet d’une glementation et d’un contrôle plus stricts, certains secteurs des marchés
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financiers sont moins contrôlés ; cette posture est sous-tendue par la théorie qui affirme la
capacité des marchés à s’autoréguler et à être efficace.
La définition de la géofinance de Goldfinger décrit une situation, une évolution dans le monde
des finances ; ainsi, à notre avis, l’intégration des marchés financiers ne peut pas être qualifiée
de bonne ou mauvaise mais c’est l’utilisation qu’on en faite qui importe plus. Par exemple, si
dans la finance conventionnelle, l’intégration permet le développement des marchés, des
obligations et des produits dérivés qui posent problème dans une perspective islamique, elle
pourrait aussi favoriser le développement du marché des Sukuk
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dans un contexte islamique.
Dans ce cas, on peut conclure que cette intégration pourrait être en phase avec les principes de
l’islam et, en particulier de la finance islamique dans la mesure ces principes sont
universels et ne devraient pas être limités par le temps et l’espace. Si donc, il y a un facteur
qui permet la concrétisation de cette universalité, cela pourrait être considéré comme
salutaire.
II. La géo-finance islamique : une articulation de la finance islamique et de ses contextes
La géo-finance islamique est l’articulation de la finance islamique et des contextes
socioculturels de son implémentation. Ainsi, nous osons le terme géo-finance islamique pour
qualifier le rapport que la finance islamique entretient avec les environnements physique,
humain, juridique, économique, social et culturel de différents pays afin de saisir en quoi cette
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Les sukuk (d’investissement) sont des instruments financiers hybrides négociables dont la rémunération et, le
cas échéant, le principal sont indexés sur la performance d’un ou de plusieurs actifs sous-jacents détenus
directement ou indirectement par l’émetteur. Leur porteur bénéficie d’un droit assimilé à un droit de
copropriété direct ou indirect sur ce ou ces actifs. Le ou les actifs concernés sont des services, biens ou droits
ou l’usufruit de ces biens ou droits.
Qu’ils soient souverains ou corporates, les sukuk se présentent sous deux profils différents :
Les sukuk « Asset-based »,
Principal garanti par l’émetteur à travers l’engagement de rachat à terminaison,
Coupons protégés;
Les sukuk « Asset backed »
Principal non garanti par l’émetteur. L’investisseur supporte le risque pour sa quote-part,
Coupons non protégés. L’investisseur n’a pas un revenu garanti.
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