LES BLOCS DE LA FACE
M. Navez, S. Molliex, A. Tetard. Département d'Anesthésie-Réanimation
Pr Auboyer, CHRU 42055 Saint-Etienne, France.
INTRODUCTION
L’anesthésie de la face fait souvent appel à l’anesthésie locale par infiltration ou
tamponnement car l’anesthésie tronculaire est de réalisation plus difficile, et requiert
une bonne connaissance anatomique d’une région complexe où les territoires
sensitifs des différents troncs nerveux se recouvrent. Toutefois, l’anesthésie locale
expose au risque d’accident toxique par résorption systémique en raison de la
richesse de la vascularisation de la région et de la grande quantité d’agents
anesthésiques utilisés. De plus, les tissus infiltrés sont déformés et la reconstruction
chirurgicale peut être en gênée.
A l’inverse, l’anesthésie tronculaire utilise une quantité d’agents anesthésiques
moins importante d’où un risque toxique moindre, les tissus sont peu ou pas
déformés. L’anesthésie locorégionale représente une alternative intéressante à
l’anesthésie générale en traumatologie faciale. En cas d’atteinte isolée de la face,
elle permet de surseoir à une anesthésie générale à risque, du fait de la présence
d’un estomac plein ou d’un terrain particulier. Enfin, en pratique ambulatoire,
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l’anesthésie tronculaire présente plusieurs avantages théoriques (absence de nausée
ou de vomissement, analgésie résiduelle) qui justifie son utilisation. Dans cette
revue, après un rappel anatomique, nous décrirons les différentes techniques de
blocs réalisables, leurs avantages et leurs inconvénients, avant de préciser leurs
indications et contre-indications selon la chirurgie, le terrain ou l’expérience de
l’opérateur.
1. RAPPEL ANATOMIQUE
L'innervation sensitive de la face est sous la dépendance de la Vème paire
cranienne, le nerf trijumeau. Ce nerf émerge de la partie latérale de la protubérance
par deux racines, l'une sensitive, l'autre motrice. La racine sensitive présente sur son
trajet un renflement ganglionnaire, le ganglion de Gasser. Ce ganglion offre une
organisation somatotopique correspondant aux trois branches qui vont
s'individualiser :
- le nerf ophtalmique de Willis (V1)
- le nerf maxillaire supérieur (V2)
-le nerf maxillaire inférieur (V3) ou nerf mandibulaire (fibres sensitives + racine
motrice pour les muscles de la mastication). Ces trois branches assurent avec leur
distribution, l'innervation sensitive de l'ensemble des téguments de la face et des
autres structures profondes. (Figures 1, 2).
V1
V2
V3
Nerf maxillaire
inf = V3
Nerf maxillaire
sup = V2
Nerf ophtalmique
de Willis = V1
nerf frontal
nerf supra-trochléaire
nerf nasal externe
nerf nasal interne
nerfs nasaux
nerf infra-orbitaire
nerfs dentaires supérieurs
nerf lingual
nerf mentonnier
nerf alvéolaire
nerf buccal
ganglion sphéno-palatin
nerf auriculo temporal
Figure 1
Innervation de la face par le trijumeau
Anesthésie locorégionale
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Bloc du nerf
frontal
Bloc du nerf
nasal
Bloc du nerf
maxillaire sup
Bloc du nerf
mandibulaire
Bloc du nerf
alvéolaire
Bloc du nerf
mentonnier
Figure 2
2. L'ANESTHESIE TRONCULAIRE
La chirurgie de la face ne nécessite qu'un bloc de conduction des nerfs sensitifs.
Les anesthésiques locaux les plus couramment prescrits sont donc la lidocaïne et la
bupivacaïne à des concentrations faibles (maximum de 1 % pour la lidocaïne,
0,25 % pour la bupivacaïne).
La pharmacocinétique des anesthésiques locaux injectés au niveau de la face n’a
rien de spécifique. Deux éléments sont cependant à souligner du fait de la densité
capillaire importante, de l'absorption immédiate et massive au niveau des
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muqueuses, la résorption peut générer des taux plasmatiques comparables à ceux
d'une injection intra-veineuse [1].
L'utilisation très fréquente de l'adrénaline diminue le saignement peropératoire,
et prolonge la durée du bloc périphérique. De faibles concentrations sont
recommandées (1/200 000) et la dose ne doit pas dépasser 1 ml/kg. Il existe
cependant certaines contre-indications à l'utilisation de cet agent vasoconstricteur :
lors des injections au niveau des artères terminales en raison du risque de lésions
ischémiques, ou à proximité de la région orbitaire du fait d' un risque potentiel de
spasme de l’artère centrale de la rétine [2].
2.1. BLOCS DES BRANCHES DU NERF OPHTALMIQUE DE WILLIS
2.1.1. LE BLOC DU NERF FRONTAL [3, 4]
Le territoire innervé par le nerf frontal et le nerf supra-trochléaire comprend le
front jusqu'à la suture coronale ainsi que la paupière supérieure.
Le bloc du nerf frontal est réalisé au niveau du foramen supra-orbitaire,
facilement repérable au doigt à 2,5 cm de la ligne médiane dans l'axe de la pupille
centrée. L'aiguille (25 G, 25 mm) est introduite 1,5 cm au dessous du sourcil et
poussée vers l'orifice sans le pénétrer [1, 3, 4].
Le bloc du rameau supra-trochléaire est réalisé au niveau de l'angle dessiné par
le bord supérieur de l'orbite et l'os nasal, l'aiguille représente la bissectrice de cet
angle.
L'infiltration bilatérale au niveau de ces 4 points, réalisée avec 10 ml de solution
anesthésique, permet une anesthésie de toute la partie antérieure du front et des
paupières supérieures.
Peu d'incidents ont été décrits avec cette technique. La diffusion vers le muscle
releveur de la paupière induit une parésie transitoire, qui peut être secondaire à un
volume important d'anesthésique ou à la mauvaise position de l'aiguille sous l'arête
supérieure de l'orbite. L'injection dans le canal supra-orbitaire expose à des lésions
neuronales par hyperpression.
2.1.2. LE BLOC DU NERF NASO- CILIAIRE [1, 4, 5]
Le nerf nasal par sa branche interne (nasale interne ou ethmoïdale antérieure) et
nasale externe (infratrochléaire) assure l'innervation de la partie antérieure des
fosses nasales, de la pyramide nasale (os et téguments cutanés) et de la pointe du
nez.
Le bloc est réalisé au niveau du foramen ethmoïdal situé sur la face supéro-
interne de l'orbite. Une aiguille 25 G de 3 cm de longueur est introduite à mi
distance entre le pli palpébral postérieur et le sourcil, dans l'angle interne de l'œil, en
gardant en permanence le contact osseux avec le toit de l'orbite. Un petit accrochage
inconstant correspondant au foramen ethmoïdal antérieur, peut être ressenti à une
profondeur de 1,5 cm environ. Deux ml de solution anesthésique non adrénalinée
sont déposés à ce niveau et 2 ml supplémentaires en retirant l'aiguille afin de
bloquer le rameau nasal externe. La distance à ne pas dépasser est de 3 cm de
profondeur, le nerf optique se trouvant dans cette direction à 4 cm environ. La
Anesthésie locorégionale
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compression de l'angle supéro-interne au doigt favorise la diffusion du produit vers
le foramen.
Cette technique est de réalisation difficile et peut être grevé d'un pourcentage
d'échecs important lié à une extension insuffisante de l'anesthésie. Dans ce cas il
peut être complété aisément par une infiltration in situ d'anesthésiques [1, 5].
Les incidents décrits sont le plus souvent mineurs et transitoires [5] : œdèmes
palpébraux par diffusion de l'agent, diplopie par paralysie du muscle grand oblique,
ptosis, ecchymoses au point de ponction, deux cas d'hémorragie rétrobulbaire [6],
mais aucun cas d'effraction du globe n'a été décrite. Il est prudent d'exclure les
patients présentant une hypertrophie des globes oculaires (myopie sévère).
Cette technique de blocs intra-orbitaires peut générer une certaine appréhension
chez le patient et impose donc un choix approprié des malades et une sédation.
2.2. BLOCS DES BRANCHES DU NERF MAXILLAIRE SUPERIEUR V2
Le territoire d'innervation du nerf maxillaire supérieur intéresse les téguments de
la joue, de la paupière inférieure, l'aile du nez, et de la lèvre supérieure. Les
branches profondes innervent la machoire (os, dents, muqueuses), la voute palatine
et le voile, par les nerfs ptérygopalatins ; elles participent à la sensibilité de la partie
postérieure des fosses nasales.
2.2.1. LE BLOC DU NERF MAXILLAIRE SUPERIEUR [1, 4]
La région du foramen grand rond d'ou émerge le nerf n'est pas toujours
facilement accessible par voie transcutanée, ce qui explique que plusieurs
techniques aient été proposées, avec leur pourcentage d'échecs et de complications.
La voie sus zygomatique est utilisée de manière préférentielle. Le nerf est bloqué
au fond de la fosse ptérygomaxillaire dès son emergence du trou grand rond.
L'aiguille de 5 cm à biseau court est introduite au niveau de l'angle formé par le
rebord externe de l'orbite et l'apophyse zygomatique. Elle est introduite
perpendiculairement à la peau et doit rester strictement dans ce plan. Elle vient alors
buter contre la crête temporale du sphénoïde, qu'elle rase par le bas. L'aiguille prend
ensuite une direction en bas et en arrière, où elle est poussée de 1 cm environ et se
trouve dans le fond de la fosse ptérygomaxillaire, 1 cm sous le trou grand rond et
5 mm à 1 cm en dehors du trou sphénopalatin (orifice de communication
qu'empruntent les rameaux nasaux innervant la partie postérieure des fosses
nasales). Après un test d’aspiration, 2 à 5 ml du produit anesthésique sont injectés.
Cette voie par ses repères osseux stricts présente un bon degré de sécurité.
L’aiguille, ainsi orientée ne peut pénétrer ni dans l'orbite ni dans le crâne [1].
Les autres voies d'abord qui permettent de bloquer le nerf maxillaire supérieur
sont de réalisation plus difficile et exposent à des risques plus importants de
complications [7]. La voie latérale sous zygomatique peut être grévée d'effraction
des branches de l'artère maxillaire.
L'abord par voie antérieure peut se compliquer de ponctions de l'artère
maxillaire, d'effractions de la paroi pharyngée postérieure, et d'abcès sous muqueux,
d'une injection intraorbitaire par le biais de la fente sphénoïdale réalisant une
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