La joie vraie

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Blandine CAMPOS-HUGUENEY, Loisy 19 septembre 2004
LA VRAIE JOIE VRAIE
Tout d'abord, je voudrais remercier l’équipe paroissiale de m’avoir fait confiance pour vous
parler de ce thème qui me touche si profondément. J’avoue que je pourrais vous parler des
heures de Cybille, de notre histoire. Mais nous dévoiler, me dévoiler sur la joie qu’elle nous
donne, la formuler par des mots que j’espère les plus fiables, les plus justes a été un travail
important, et parfois difficile.
Et je voudrais y associer, même si nous le vivons sans doute différemment, les familles qui ont
à accueillir des enfants que l’on dira « différents ». Je voudrais également remercier Marie, qui
n’est pas là aujourd’hui mais qui nous ouvre le chemin et nous aide par son sourire et sa
présence. Par elle, par tous ceux que nous rencontrons, par leurs familles, nous pouvons nous
préparer aux lendemains, et accueillir les joies et les contraintes. Nous savons que tout est
possible …
Alors voilà une part de notre histoire :
Il y a 13 ans, notre mariage; puis Agathe ; puis Marie, nos 2 grandes . Nous avions une vie
pleine, tout allait bien, travail, RER, dodo. Un bonheur qui ronronnait, qui nous faisait nous
renfermer sur notre univers, notre famille, nos amis. Nous n'avions pas besoin de plus. Nous
étions heureux, tout simplement, Mais il nous manquait une dimension, et nous ne le savions
pas, … pas encore.
Une joie de "riches", qui avaient tout.
Et alors, il y a 6 ans, est arrivée Cybille.
Une grossesse sans trop de problèmes. Nous savions juste que l’enfant allait avoir les pieds
bots. Ce qui nous a préparé à accueillir un bébé qui pouvait avoir des malformations, qui
nécessiteraient sans doute de nombreux passages à un hôpital, des soins de kiné quotidiens.
Et là, la surprise.
Cela nous semble déjà si lointain. Un médecin nous annonce les malformations et la maladie
de notre enfant. Nous voilà seuls à devoir décider en 48h de l’avenir de cette petite fille, notre
petite fille qui était coincée sur elle même, qui ne pouvait pas s’alimenter normalement, qui
nécessitait des soins particuliers. Choix d'hôpital, de soins, d’opérations, savoir où placer sa
confiance. Que faire pour cet enfant qui aura besoin de grandir différemment, avec autres
repères, d'autres contraintes ?...
Nous n’étions pas préparés … mais qui l’est ? Jamais nous n'avions été confronté à la
souffrance, au handicap, et nous voilà parents d'une enfant qui devra grandir dans un milieu
hospitalier, avec un avenir incertain. Marchera-t-elle ? parlera-t-elle ? L’arthrogrypose, nom
du syndrome sous lequel sont référencées 30 maladies connues, 30 inconnues nous avait-on
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dit à sa naissance. Cybille en a une inconnue, sévère, qui touche non seulement les membres
longs, comme la plupart de ces maladies, mais aussi le dos, le visage, la cage thoracique … Cela
me fait sourire, car quand quelqu’un me demande ce qu’a notre enfant, je commence par
« elle est handicapée principalement moteur, elle ne marche pas, ne parle pas, ne s’asseoit
pas toute seule, a des problèmes de déglutition … » et la liste ne s’arrête pas. Et pourtant
Cybille est tellement comme nous, tellement normale que cette liste devient caduque. Cybille
est notre petite puce, notre petite fille, c’est tout. Certes avec des contraintes.
Que l’on sache le pourquoi pour nous ne change rien. Cybille nous a été confiée. Je me
permets de m’arrêter sur ce mot. Confier. C’est réellement ce mot « confier », qui est la
source de notre relation entre Dieu et ce que nous sommes en train de vivre. Cybille est
arrivée dans notre famille, et comme nos autres enfants, nous avons à la faire grandir. Mais
Dieu ne nous laisse pas démunis devant cette mission : il nous a donné en particulier une
grâce, celle de la confiance, celle de l’abandon. Et ce qui est merveilleux, c’est que cela se
passe dans les 2 sens : Dieu nous a confié Cybille et nous Lui confions ses lendemains, lui
demandant la force et le sérénité pour faire les bons choix, supporter les fatigues, surmonter
les obstacles.
Effectivement, nous aurions pu nous perdre, avoir peur de tout, de rien, des fausses routes à
répétition qui nous emmenaient dans l’heure à l’hôpital, avec le Samu ou l’ambulance pour
l’aider à respirer. Face à cette nouvelle vie, tout était nouveau, tout était question.
Et c'est là, dans l’urgence, que, je pense, nous avons réalisé que l'on avait cette grâce, que
nous étions privilégiés : Nous n'avions pas peur, nous avions confiance.. Apprendre à vivre
avec ce que l’on a dans le présent, sans se projeter dans un avenir idéal ou que l’on pourrait
imaginer idéal, mais tout ayant la force pour préparer.
C’est cette force qui nous porte et qui nous a amenés à la joie vraie
Une joie vraie dans le quotidien :.
On apprend à tout prendre comme cadeau, chaque étape gagnée petite ou grande, chaque
rire, chaque sourire deviennent rayon de soleil éclairant nos journées de joies que l’on ne peut
que partager
Se réjouir de toutes choses, en commençant au réveil : chaque matin est une nouvelle et belle
journée qui s'annonce, avec nos 3 enfants auprès de nous Avant, avec les cas d'urgence, les
hospitalisations, nous ne savions pas si le lendemain, nous serions chez nous, tous ensemble
Se réjouir de tous les progrès, si minime soit-il. Cybille est née coincée, avec en particulier une
paralysie faciale qui a touché ses cordes vocales. Imaginez notre enchantement dès qu'elle
émet des sons, même si c'est à l'église en plein office ...
Les fous rire avec ses sœurs, le fait qu’elle sache un peu reculer avec son fauteuil … Tout est
joie, tout est source de remerciements.
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Cybille est devenu un cadeau, de joie et de vie qui nous illumine par son sourire, sa présence.
St François s‘émerveillait devant la nature. Moi également, mais encore davantage devant
mes enfants.
La joie vraie, qui donne du relief
Cybille nous a apporté une part de profondeur, de vie spirituelle, que nous n’avions plus dans
notre tranche de vie précédente.
Avec l'arrivée de Cybille, tout a pris de l'ampleur : les joies les peines, la souffrance.
L'amplitude de notre vie a doublé, triplé. Les creux sont plus profonds, mais les sommets nous
emmènent bien haut, si haut que l'on s'y réchauffe et que cette provision de chaleur nous
donne des provisions de vie et de réactivité quand cela ne va pas fort.
Et surtout, nous ne pouvons plus tricher : le seul mode de communication de Cybille est le
regard, le sourire mais également son corps. Pour compenser les différents handicaps qui la
touchent, cette petite puce a développé tous ses sens, ses capteurs sont d’une sensibilité
redoutable. Nous ne pouvons que nous dévoiler devant elle, et elle ne peut pas nous cacher
quoi que ce soit. Et c’est sans doute pour cela qu’il y a des relations si fusionnelles avec elle.
Les personnes qui l’approchent acceptent cette relation – ces échanges vrais - et alors se crée
une histoire forte qui marque et ne peut pas s’effacer.
J’ai demandé à sa marraine, amie d’enfance, qui a toujours été merveilleuse et présente dans
les moments les plus durs, de m’écrire ce que voulait dire la joie vraie pour elle, face à Cybille.
Je me permets de vous lire sa réponse :
Nos rencontres :
Il y a des gens du boulot qui nous énervent plus ou moins
Il y a les parents de la sortie de l’école avec qui on discute
Il y a les voisins avec qui on dira 3 mots de politesse
Il y les copains avec qui on fait du vélo le dimanche pour rester en forme
Il y a ceux avec qui on fait des bouffes, on rigole bien
Il y a les amis avec qui on partage les soucis
Il y a les copains des enfants qu’on aime + ou – voir à la maison
Il y a nos enfants qu’on voudrait toujours mieux
Et puis il y a Cybille.
Vous lui offrez un seul de vos regards et elle vous sourit
Avec Cybille, pas de fioritures , on va droit à l’essentiel
La vraie joie, simple, l’amour.
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Cette relation peut faire peur. Ce que je comprends et respecte complètement.
Une relation si entière qu’elle est unique.
Une joie vraie dans la prière
Cybille nous donne tellement que nous ne pouvons que remercier, chanter le bonheur de
l’avoir à nos côtés, prier tout simplement. Dire notre confiance.
J’aime me blottir dans le Je vous salue Marie, Mére de Dieu et des hommes, contre qui nous
sommes si bien. Je me repose contre elle et lui confie Cybille.
L’un des textes que je préfère et que je chante à tue tête sur les maréchaux sur ma trottinette
en allant à mon boulot, c'est celui du chant que vous connaissez tous ; mon Dieu tu es grand
tu es beau, en particulier pour la dernière phrase « dieu d'amour en toute création ». Cela
reflète tellement ce que nous découvrons chez notre enfant : un concentré d’amour, et par
cela même, oeuvre de la création de Dieu. Cybille a une dimension qui nous dépasse, par cette
lumière qui jaillit de son sourire de son regard.
Qui a croisé Cybille et n'a pas été envoûté par sa présence, par son regard clair qui se pose
simplement sur les choses ?
Mais l'une des prières les plus difficiles est le notre père, "que ta volonté soit faite". Cette
phrase nous dépasse, nous oblige à regarder en face notre révolte, notre angoisse. Pourquoi
ma puce ? pourquoi ces souffrances ? Et la magie de la prière agit : la confiance revient, nous
restons petits dans les mains du Seigneur, nous nous laissons guider vers des lendemains qui
ne peuvent être que lumineux sous son regard. Une personne ici présente et qui sans doute se
retrouvera m'a dit un jour que Dieu ne nous confie que ce que l'on peut porter ... tout a un
sens, tout devient sens. On nous avait confié Cybille pour nous faire grandir, pour la faire
grandir
Par la prière, nous apprenons également l’humilité. Nous ne pouvons pas tout faire, tout
porter. Avant, j’étais une super woman, et je me débrouillais pour n’avoir rien à demander à
personne. Maintenant, nous savons que nous avons besoin de notre famille, de nos amis, de
la communauté paroissiale, de Marie, de Dieu. Et nous avons appris à demander, tout
simplement : pour l’aider à grandir, dépasser les limites de son handicap, mais aussi et surtout
nous accorder la force que nous donnera l’acceptation, cette force qui nous permettra de faire
face aux difficultés et contraintes. La prière comme levier.
Une joie vraie qui a une source profonde : Chaîne de prières
C’est pourquoi , dès son arrivée, nous avons confié Cybille dans la prière de la famille, puis le
cercle s'est ouvert, et Cybille est au cœur d'attentions de personnes que nous connaissons à
peine, mais qui ont pris le relais et sont porteurs de toutes nos attentions.
En particulier à Lausanne, dans une communauté de religieuses. Christel, Ma grande soeur qui
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habite là bas a raconté Cybille aux sœurs qui s'occupaient de l'école de ses enfants. Depuis
elles ont pris notre enfant dans leurs prières, la photo de Cybille est sous la nappe de l'autel.
Maman a également confié Cybille à des personnes de son quartier. Des médailles bénites, de
l’eau de Lourdes ont été offertes à Cybille après un voyage à Lourdes, une image envoyée,
rappelant les attentions portées dans leurs prières, un dessin d’enfant. Tant de témoignages
et d’attentions nous donnent la force et la patience nécessaires : nous ne sommes pas seuls.
Grâce à cette chaîne de prières, nous savons que nous serons toujours portés, que nous
pourrons toujours avancer avec confiance, dans la plénitude et la sérénité. Dans les grandes
décisions, notre travail, c'est de nous informer, de se bouger pour avoir toutes les possibilités
en main. Et nous savons que la lumière de la prière de ceux qui entourent Cybille nous éclaire
et nous aide à choisir le bon chemin.
Une joie vraie qui appelle à rassembler :
Autour de nous, autour de Cybille s’est construit un réseau d'amitié, de prières, de présence.
Les rencontres sont extraordinaires, uniques. Les relations avec notre famille ont pris toutes
leurs dimensions : présence, soutient, écoute, toujours, quand nous en avons besoin, en toute
simplicité et en respectant notre espace familial.
Je me rappellerai du cri d'Arnaud, mon frère, quand Cybille est tombée dans les escaliers :
comme si Cybille était son enfant .....
Nous ne pouvons pas rappeler toutes les paroles échangées, les regards.
Mais je vous raconte l’un des derniers : En faisant nos courses au Franprix du coin, un jeune
homme, juif, avec une kippa sur la tête, s'approche de moi et regardant Cybille me dit : le
handicap révèle la profondeur de l'âme. Et il continue d’avancer dans la queue d’à côté. C'est
exactement cela, le plus merveilleux. Une personne s’approche, ose s’approcher et dévoiler ce
qu’il a au fond de lui … et nous offre un rayon de soleil ou d’espoir, comme cela, gratuitement.
Des choses aussi, que l’on ne s’explique pas, se passent tout simplement. Par exemple, lors
d’un dîner où nous ne connaissions quasiment personne, nous échangeons sur Cybille et je me
vois dire « si quelqu’un veut s’occuper un peu de Cybille, pour son éveil ou faire un peu de
gym/kiné, il sera toujours le bienvenu ». Une semaine plus tard, une maman, que je n’avais vu
qu’à ce dîner nous a téléphoné et depuis, passe 1 heure toutes les semaines avec notre puce
… et entre temps et devenue une amie proche qui nous est chère.
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La joie vraie qui permet de dépasser le handicap
Cybille devient symbole de la différence, cette différence qui enrichit, qui embellit et fait
grandir. Pour l’illustrer, je me permets de vous lire ce poème écrit par notre nièce de 14 ans et
qui pour moi retrace tant ce que nous croisons souvent, comme richesse et rayons de soleil :
J’ai vu ces petits êtres hospitalisés
J'ai couru pour les aider
J'ai su qu'ils n'avaient pas d'avenir
J'ai tout de suite voulu les soutenir
J'ai ressenti un sentiment profond
Comme si l'on déguste son premier bonbon,
J'ai apporté beaucoup d'amour
J'ai grimpé une haute tour
J'ai manqué de bravoure;
J'ai crié au secours
J'ai un coeur rempli d'espoir
Comme un ami que l'on peut croire,
J'ai vu cette évolution
J'ai observé avec attention
J'ai cru en leur croissance
J’'ai tout donné même mon espérance
J'ai voulu montrer leurs douleurs
Comme quand la vie nous apprend ses valeurs,
J'ai donc connu des personnes handicapées
J'ai même demandé à les aimer
J'ai voulu qu'ils comprennent qu'on les aime
J'ai crié que nous sommes tous les mêmes.
On t'aime Cybille et tu es gravée dans notre coeur à tout jamais.
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Laissez venir à moi les petits enfants.
Cybille nous apprend à redevenir des petits enfants, des enfants qui grandissent dans la joie,
dans la confiance de Dieu. Tout simplement ....
J’ai rencontré un ange
Aux ailes fracturées
Que la vie n’a aidé
Qui sourit à la vie
Ange…
Ange…
Ange…
On m’a confié un ange
Au regard figé
Bleu méditerrané
Aux membres statufiés
Ange…
Ange…
Ange…
Mais vous, vous, vous, vous !
Si vous croisez un ange.
Vous !
Sauriez vous le voir ?
Dans le sombre couloir.
Vous !
Sauriez vous l’entendre ?
Gémissant dans les cendres.
Vous !
Sauriez vous y croire ?
Aux reflets du miroir.
Vous !
Sauriez vous humer ?
Son parfum d’amitié
J’ai accueilli un ange
Aux lèvres censurées
Ondulant comme les blés
Embrumé de rosée
Ange…
Ange…
Ange…
J‘ai abrité un ange
Innocent de son sang
Mutilé mais vivant
D’espoir rayonnant
Ange…
Ange…
Ange…
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