Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.

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Le premier empire colonial : l’Egypte en Nubie, 3200-1200 BC.
Traduction des chapitres sur l’Ancien
Empire et le Moyen Empire d’un article de
William Y. Adams
Université de Kentucky
Paru dans Comparative Studies in Society
and History, Vol. 26, N° 1 (Jan., 1984),
36-71
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
Comme c’est habituel en histoire, les relations économiques entre l’Egypte et la Nubie semblent avoir
précédé les relations politiques. Même aux temps prédynastiques (avant l’unification de l’état
égyptien) il y avait un commerce régulier entre les deux pays, ce qui est attesté par des
marchandises fabriquées en Egypte et trouvées dans des tombes nubiennes. Le volume de telles
marchandises montre un accroissement substantiel durant le début de la période dynastique, puis
diminue à peu près au moment où le pharaon atteignait une consolidation maximum de son pouvoir.
Les articles les plus remarquables de fabrication égyptienne trouvés en Nubie sont des choses comme
des ciseaux en cuivre, des vases en albâtre, et des ornements en ivoire – des produits de la
technologie supérieure du pays au nord. Le volume de telles marchandises est, cependant,
considérablement dépassé par la quantité de simples jarres en poterie faite au tour, qui doivent être
venues en Nubie à l’origine comme conteneurs de livraison (10). Leur contenu avait bien sûr été
perdu depuis longtemps ou consommé; le fait qu’elles aient été importées à l’origine comme
conteneurs et non pour leur bien propre peut être déduit du fait que les Nubiens fabriquaient des
poteries de leur cru répondant parfaitement au besoin, et décorée de façon beaucoup plus élaborée,
bien que pas fabriquée au tour. Heureusement, un texte biographique de la 6ème dynastie fait
mention du goût des Nubiens pour le miel égyptien, l’huile et les onguents, ainsi que pour les
vêtements tissés (11); sans doute ces articles étaient-ils les contenus d’origine des nombreux
récipients égyptiens que l’on a trouvés dans les tombes nubiennes primitives.
.(10) Pour une discussion sur les marchandises égyptiennes dans les tombes nubiennes primitives, voir
Bruce G. Trigger, History and Settlement in lower Nubia, Yale University Publications in
Anthropology, n° 69 (New haven, 1965), 70-73; et W.B. Emery, Egypt in Nubia (Londres, 1965 :
publié aux Etats-Unis sous le titre Lost Land Emerging (New-York, 1965)), 125.
.(11) Cf. trigger, History and Settlement, 71.
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
C’est une supposition sûre que les Nubiens ne recevaient pas les produits de luxe égyptiens en cadeau; un produit ou des
produits du pays du sud doivent avoir été échangés contre eux. Ces produits n’ont pas survécu archéologiquement, et
ils n’ont pas été mentionnés dans des textes hiéroglyphiques avant la 6ème dynastie. Cependant, la nature diffuse du
commerce lui-même exclut virtuellement la possibilité que des esclaves ou du minerai furent les premières
exportations de Nubie. Comme nous l’avons vu ci-avant, les Egyptiens obtenaient habituellement les marchandises
par saisie directe, pour laquelle les Nubiens ne récupéraient rien en échange. Nous sommes enclins, donc, à déduire
que les marchandises nubiennes qui étaient impliquées dans le commerce largement étendu et pacifique avec
l’Egypte du prédynastique et du début du dynastique étaient ces mêmes produits des forêts et savanes tropicales –
ivoire, ébène, peaux, et encens- qui furent plus tard prééminentes dans les relations commerciales égyptiennes.
De nombreux éléments suggèrent que le premier commerce entre l’Egypte et la Nubie était une affaire privée et largement
inorganisée. Il semble avoir atteint son apogée à une époque (durant la première et/ou la seconde dynastie) avant que
les pharaons aient réussi à monopoliser le pouvoir politique et économique dans leurs propres mains, et il n’y a pas de
mention d’entreprise commerciale dans les annales biographiques des premiers souverains égyptiens. La distribution
très large et , de façon surprenante, équitable des marchandises égyptiennes dans les tombes nubiennes suggère
également un système décentralisé d’échange : peut-être la sorte de commerce local de gré à gré qui s’est développé
le long du Nil jusqu’aux temps modernes (12). Le fait que la distribution était dans les mains d’entrepreneurs égyptiens
plutôt que nus peut être déduit du fait que les Egyptiens au début de la période dynastique possédaient déjà des
vaisseaux-cargos à voile, alors qu’il n’y a pas de témoignage que les Nubiens avaient quelque chose de similaire. Il
est remarquable que, jusqu’à la fin de l’Ancien Empire, l’entreprise commerciale égyptienne a été confinée à la partie
la plus au nord de la Nubie, entre la Première et la Seconde Cataractes –une zone qui est navigable de façon continue
une fois que la Première Cataracte a été passée.
(12) Voir G.A. Reisner « Ancient Egypt. Forts at Semna and Uronarti », Bulletin of the Museum of Fine Arts (Boston), 27/ 163
(1929), 66
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
Quelque temps avant 3000 BC, un certain roi Djer, un des pharaons peu connus de la première dynastie
de l’Egypte, a conduit une expédition en Nubie jusqu’à la Seconde Cataracte du Nil, où il a laissé une
inscription sur un affleurement rocheux à coté du fleuve. Le texte, qui est semi-pictographique plutôt
que hiéroglyphique, semble commémorer une opération militaire contre les Nubiens, et montre un
captif ligoté attaché à la proue du bateau du roi (13). Ceci peut être un enregistrement du premier
raid d’esclavage dans l’histoire nubienne. Il y a d’autres enregistrements moins ambigus de raids
d’esclavage lors des dynasties 2, 4, et 6 (14).
Un changement significatif est observable dans le caractère des relations commerciales égyptonubiennes après la première et la seconde dynasties. Dans les deux pays il y a une disparition
virtuelle des marchandises de luxe dans les tombes des indigènes ordinaires (15). Ce phénomène a
été associé par les historiens au monopole réalisé de la richesse et du pouvoir dans les mains du
pharaon après le troisième dynastie; à partir de ce moment le surplus de richesse de l’Egypte, et
peut-être également de la Nubie, a été ponctionné par les souverains pour payer leurs pyramides et
autres extravagances (16). Il est significatif que par la suite quand nous entendons parler du
commerce nubien, tardivement à la sixième dynastie, c’est une entreprise royale.
.(13) L’inscription de Djer. Pour une illustration, vr A.J. Arkell, A History of the Sudan, rev. Ed. (London,
1961), 39; pour une interprétation, voir Trigger, History and Settlement, 73.
.(14) La pierre de Palerme et les inscriptions de Pépinakht et Sebni. Pour les traductions appropriées et
une discussion, voirTorgny Säve-Soderbergh, Ägypten und Nubien (Lund, 1941), 7-10; Emery, Egypt
in Nubia, 127-32; et James Breasted, Ancient Records of Egypt (New-York, 1962), vol. I,
paragraphes 355, 358-59, 363, 365-66.
.(15) Pour le témoignage nubien, voir Emery, Egypt in Nubia, 127-30; Trigger, History and Settlement,
78-79.
.(16) Cf. Wilson, Culture, 271; Trigger, History and Settlement, 79.
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
Avec la consolidation du pouvoir pharaonique et le déclin ou l’élimination du commerce privé, l’intérêt
égyptien pour la Nubie semble avoir glissé pour un certain temps vers ses ressources humaines et
minérales. Après l’expédition du roi Djer il n’y avait plus eu d’opérations militaires dans le sud sous la
première dynastie, et il y a seulement un enregistrement plutôt ambigu d’un conflit à la seconde
dynastie (17), mais ce ne fut pas beaucoup plus tard que Snéfrou conduisit son expédition célèbre
qui a déclaré la capture de 7000 hommes et 200000 têtes de bétail (18). Aucun enregistrement de
raid d’esclavage aux dynasties 4 et 5 ne survit, mais il y en a plusieurs à la 6ème dynastie, époque à
laquelle les souverains égyptiens étaient en train de commencer à se fier militairement aux troupes
nubiennes pour renforcer leur poigne en train de faiblir sur le pays au nord (19). Ce fut durant la
6ème dynastie que le gouverneur du district d’Assouan reçut un statut spécial de « gardien de la
porte du sud » (20), préfigurant une longue période durant laquelle un contrôle de la frontière sud et
de ses ressources, devait devenir une des clés du pouvoir politique en Egypte. Cette situation, qui a
persisté durant plus de 1500 ans, fournit un exemple classique de la « loi de domination
périphérique » de Toynbee (21).
.(17) Stèle de la Victoire de Khasekhemouy. Voir Säve-Söderbergh, Ägypten und Nubien, 7-8; et Emery,
Egypt in Nubia, 127.
.(18) Pierre de Palerme. Pour une discussion, voir Säve-Söderbergh, Ägypten und Nubien, 9-10.
.(19) Voir E.A. Wallis Budge, The Egyptian Sudan (Londres, 1907), I. 516.
.(20) Cf. Hermann Kees, Ancient Egypt (Chicago, 1961), 311-12.
.(21) Arnold J. Toynbee, A Study of History (New-York, 1962), V, 267-69.
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
La monarchie absolue de l’Ancien Empire a témoigné également du premier grignotage égyptien en
territoire nubien. Des prospecteurs ont ratissé à la fois la Vallée du Nil et les déserts oriental et
occidental à la recherche de minéraux et de pierres adéquates pour les statues royales et les
monuments; leurs découvertes ont conduit à l’ouverture d’une carrière de diorite dans le désert
occidental de Toshka, en Basse Nubie (22), et à une opération de fonte du cuivre à Bouhen, près de
la Seconde Cataracte. Dans ce dernier lieu les Egyptiens ont maintenu durant plusieurs décades une
ville assez importante, bien qu’il n’y ait pas de témoignage qu’ils aient tenté d’exercer un quelconque
contrôle sur le district environnant ou ses habitants. Ils semblent avoir été occupés principalement à
fondre le cuivre à partir de minerais qui étaient amenés sur les rives du fleuve en provenance d’une
source maintenant inconnue dans l’intérieur (23).
A la fois les carrières de diorite et la ville de Bouhen datent principalement ou entièrement des dynasties
4 et 5 (24). A la 6ème dynastie, le pouvoir du pharaon était faiblissant, et peut-être le trésor royal
n’était-il plus capable de soutenir la dépense d’entreprises minières à l’étranger. Vers la fin de
l’Ancien Empire, cependant, il y a eu un renouveau du commerce pour les produits animaliers et de
la forêt, bien que sous une nouvelle forme distinctive. Le fonctionnaire Hirkouf, qui vivait à Assouan,
fut envoyé par le pharaon pour au moins 4 expéditions de commerce et d’exploration dans les
terres. Peu des lieux qu’il déclare avoir visités peuvent être précisément identifiés aujourd’hui, mais il
semble clair que ses voyages l’ont transporté bien au-delà des limites de l’exploration précédente.
En deux occasions, il s’avance dans le désert en remontant le Nil, ce qui suggère que sa destination
s’étendait quelque part au-delà de la Basse Nubie. C’est au cours d’un de ces voyages qu’il est
retourné avec 300 ânes chargés de diverses sortes de produits tropicaux, et également avec un «
pygmée dansant » (25).
.(22) pour une description, voir Kees, Ancient Egypt, 313-14.
.(23) Pour une description du site, voir Emery, Egypt in Nubia, 111-14. (24) Ibid., 114, 129.
.(25) Inscriptions d’Hirkouf. Pour des récits détaillés de son expédition, voir Budge, Egyptian Sudan, I,
519-23; Säve-Söderbergh, Ägypten und Nubien, 16-30; et Emery, Egypt in Nubia, 130-31.
L’Ancien Empire : l’âge de l’exploration.
Les expéditions d’Hirkouf financées par le roi marquent un nouveau départ dans l’expansion coloniale
égyptienne. Bien que les objectifs étaient pacifiques et commerciaux, il est également évident que
Hirkouf a traité directement avec les chefs nubiens locaux et non, comme les premiers
entrepreneurs égyptiens, avec leurs sujets. La centralisation de l’entreprise commerciale du coté
égyptien a donc probablement encouragé une centralisation semblable du coté nubien –un
développement qui a donné le ton et le caractère aux relations égypto-nubiennes au Moyen Empire.
En résumé, l’Ancien Empire peut être décrit comme une époque d’activité égyptienne en Nubie
intermittente et largement non coordonnée, de nature surtout exploratoire. Diverses sortes d’activités
d’exploitation ont été entreprises quand les circonstances le permettaient. Il y a eu un modèle
croissant d’implication de l’état, mais il n’y avait pas encore une politique complètement articulée au
niveau politique, économique, ou militaire envers les pays du sud. Cette période peut être comparée
à ce que J.H. Parry a si bien décrit comme l’âge de la reconnaissance (26), quand les entrepreneurs
européens, publics et privés, se sont étendus sur la moitié du globe, mais avant que le colonialisme
se soit cristallisé comme un sujet politique et économique dominant des puissances maritimes. Selon
les termes de Parry, « des biens précieux –en fait, les biens les plus vendables- ont pu être
récupérés non seulement par le commerce, mais aussi par des méthodes plus directes; par pillage,
s’ils se trouvaient en possession de gens dont la religion, ou le manque de religion, ce qui servait
d’excuse pour les attaquer; ou par exploitation directe, si des sources de fourniture étaient
découvertes dans des pays soit inhabités, soit habités par des sauvages ignorants » (27).
.(26) J.H. Parry, The Age of Reconnaissance (New York, 1963).
.(27) Ibid., 35.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
L’effondrement de l’autorité centrale égyptienne après la 6ème dynastie mit fin à toute entreprise
coloniale supplémentaire durant environ 2 siècles. Il n’y a presqu’aucun enregistrement d’aucune
sorte –soit textuel soir archéologique- au cours de la Première Période Intermédiaire (Dynasties VIIX), mais on peut raisonnablement en déduire que les dynasties égyptiennes faibles et divisées
n’étaient pas en position d’entreprendre soit des opérations d’esclavage soit des entreprises
minières à l’étranger.
La restauration du contrôle unifié en Egypte à la 11ème dynastie (vers 2000 BC) a été suivie pendant un
très court laps de temps d’une ré-émergence des ambitions coloniales dans le sud, sous une forme
radicalement nouvelle et plus manifeste. Après une série d’incursions militaires massives –de façon
évidente un renouvellement des raids d’esclavage antérieurs- les pharaons ont réclamé de façon
formelle le territoire entre la Première et la Seconde Cataractes, et ils ont commencé à fortifier la
région autour de la Seconde Cataracte par une chaîne de fortifications des plus puissantes jamais
vues dans le monde ancien.
Les forteresses de la Seconde Cataracte étaient, avant leur destruction par le Réservoir d’Assouan, de
loin les monuments survivants les plus impressionnants du Moyen Empire égyptien. Il y en avait au
moins 10, situées par intervalles sur une distance de plus de 40 miles à travers le cœur du batn el
hajjar accidenté – le district dénudé immédiatement en amont de la Seconde Cataracte. Les
similarités de conception présentées par les dix forteresses suggèrent qu’elles ont toutes été
conçues par un seul architecte et furent construites presque en même temps; durant la plus grande
partie de leur histoire, elles furent également sous un commandement unifié, avec des quartiers
d’état-major à la forteresse de Bouhen, la plus au nord du groupe (28).
.(28) Les publications définitives sur les forteresses de la Seconde Cataracte sont deux volumes par
dows Dunham qui ont pour titre Second Cataract Forts (Boston, 1960 et 1967), et les volumes
beaucoup plus anciens par D. Randall-MasIver et C.L. Woolley qui ont pour titre Buhen, Université
de Pensylvanie, Egyptian Department of the University museum, Eckley B. Coxe Junior Expedition to
Nubia, vols. VII, VIII (Philadelphie, 1911). Une excellente description populaire des forteresses est
celle d’emery, Egypt in Nubia, 143-53.
Figure 1.
Egypte et Nubie au
moyen Empire
(vers 1900 BC)
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Les forteresses de la Seconde Cataracte ont traditionnellement été considérées comme une sorte de ligne Maginot, les
remparts de la frontière sud de l’Egypte nouvellement avancée (29). Une telle interprétation est appuyée par les noms
plutôt truculents que portaient certaines d’entre elles : « celle qui repousse les archers », « celle qui repousse les
Iounou », « celle qui fait se courber les pays », « celle qui soumet les oasiens », « celle qui repousse les Medjay », et
ainsi de suite (30). Cependant selon certains points de vue il est difficile d’envisager les forteresses comme des
défenses frontalières au sens conventionnel. En premier lieu, il n’y a pas de témoignage que les Egyptiens aient fait
quelque effort que ce soit (en dehors du renouvellement de l’exploitation des carrières de diorite) pour exploiter le
territoire récemment annexé que les forteresses défendaient; virtuellement les seuls Egyptiens qui vivaient en Nubie
durant le Moyen Empire étaient ceux qui tenaient la garnison des forteresses elles-mêmes. La présence égyptienne
avait si peu d’impact sur le populace indigène, qu’il est impossible d’être sûr quelles tombes nubiennes et les villages
dataient du Moyen Empire ou de la Première Période Intermédiaire (avant que les forteresses soient construites) ou
de la Seconde Période Intermédiaire (après qu’elles soient abandonnées) (31).
A partir de ce que nous savons grâce aux restes archéologiques, il est également difficile d’imaginer comment les Nubiens
du Moyen Empire pourraient avoir constitué une menace contre la sécurité égyptienne suffisante pour nécessiter la
construction d’une ligne extérieure de défense profondément dans leur territoire. Ils étaient essentiellement encore un
peuple néolithique, vivant dans des villages petits et largement dispersés, apparemment avec une organisation de
lignée segmentée. L’autorité politique centralisée était probablement en train de commencer à émerger à Kerma, 150
miles au-delà du poste avancé égyptien le plus lointain (voir ci-après), mais il n’y avait presque certainement rien de
la sorte plus loin au nord, et les contenus des tombes font penser que les Nubiens du nord n’étaient pas des gens
guerriers. Même si nous leur accordons quelque prouesse guerrière, cependant, les forteresses de la Seconde
Cataracte n’ont pas de sens en tant que défenses territoriales contre eux. Regroupées comme elles l’étaient le long
de la rive du fleuve, les forteresses auraient été un moyen de dissuasion efficace seulement contre une force
maritime. Elles auraient été facilement débordées sur les flancs par une armée se déplaçant par la terre –comme
toute force nubienne indigène le ferait.
.(29) Emery, Egypt in Nubia, 143; Arkell, History, 59. .(30) Emery, Egypt in Nubia, 144-46.
.(31) Voir spécialement Trigger, History and Settlement, 85.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
En plus de leurs particularités architecturales, les forteresses de la Seconde Cataracte ont deux
caractéristiques en commun. Toutes sauf une sont situées sur la rive occidentale du Nil (la route
presque toujours suivie par les caravanes terrestres) (32) ou sur des îles face à la rive occidentale,
et toutes sauf une sont situées de façon à surplomber les rapides les plus dangereux qui constituent
la Seconde Cataracte. A partir de ces données, il est possible de déduire que les forteresses étaient
intimement associées au fleuve et à son trafic; elles éraient censées en premier lieu protéger et
appuyer, et apparemment également contrôler, le commerce fluvial. Elles étaient situées aux
endroits où des bateaux devaient être laborieusement remorqués à travers les rapides les plus
difficiles, et où des cargos devaient parfois être déchargés et transbordés. Une confirmation
empirique de cette théorie de la finalité prioritaire des forteresses a été fournie par la découverte,
immédiatement sous la forteresse de Mirgissa, d’une glissière bordée de boue s’étendant sur un
mile et demi à travers le désert, court-circuitant le plus grand des rapides de la Seconde Cataracte.
Des empreintes de pieds nus et les marques des quilles des bateaux étaient clairement visibles le
long de cette trace (33).
Seule la forteresse la plus au nord, Bouhen, juste sous la Seconde Cataracte, n’était pas étroitement
associée à un rapide. C’était probablement l’entrepôt final où les marchandises étaient transbordées
des petits vaisseaux nécessaires pour passer les cataractes dans des vaisseaux plus grands faisant
la navette sur la surface fluviale ouverte de Basse Nubie. Une telle interprétation est suggérée par le
quai massif en pierre de Bouhen, une caractéristique non trouvée dans les autres forteresses de la
Seconde Cataracte.
.(32) Ceci était du apparemment à une accumulation beaucoup plus profonde de sable soufflé par le
vent sur la rive occidentale –une particularité de la géographie nubienne- qui rendait plus facile de
voyager pour les bêtes de charge.
.(33) Voir Jean Vercoutter, « Excavations at Mirgissa-II », Kush, 13 (1965), 68-69; et idem, Mirgissa I
(Paris, 1970, 204-14.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Si un volume substantiel de trafic fluvial devait passer la Seconde cataracte, cela nécessitait le maintien
permanent de main d’œuvre suffisante pour le travail de remorquage et de portage. Les forteresses
fournissaient sans doute le gite pour de telles forces. De plus, elles apportaient protection au trafic
fluvial aux endroits où il était le plus vulnérable par une attaque à partir de la rive, et où une force de
dissuasion militaire était la plus nécessaire. En résumé, les forteresses de la Seconde cataracte
devraient être considérées comme l’Aden et le Gibraltar du commerce sur le Nil, plutôt que des
défenses territoriales de l’Egypte.
Pour des raisons déjà citées, il semble invraisemblable que les paysans nubiens habitant la vallée à
l’époque du Moyen Empire représentaient une menace assez sérieuse pour justifier les forteresses
nubiennes. Des peuples nomades, d’un autre coté, ont traditionnellement pris pour cible et
interrompu le commerce, et au temps de l’ancienne Egypte il y avait déjà des nomades pasteurs –les
Medjay- dans les collines de la Mer Rouge à l’est du Nil. Dans des textes hiéroglyphiques ils sont
souvent nommés comme les auteurs de raids sur l’Egypte. Il est significatif que ce sont les Medjay et
les Oasiens –sans doute également des nomades du désert- plutôt que Ouaouat et Koush qui sont
nommés comme ennemis dans les titres de défiance accordés à quelques-unes des forteresses de
la Seconde Cataracte.
Il semble évident que les pharaons du moyen Empire n’avaient pas seulement l’intention de protéger et
assister le commerce du Nil, mais également de le contrôler. Ceci est clairement indiqué dans la
stèle-frontière que le pharaon Sésostris III a fait ériger à Semna, le plus méridional des avant-postes
égyptiens, aux environs de 1880 BC.
Frontière sud, faite en l’année 8 sous la Majesté du roi de Haute et basse Egypte, Khakaoure Senousret
III, vie donnée pour le temps éternel et le temps infini, en vue d’éviter que tout nègre puisse la
traverser, par eau ou par terre, avec un bateau, ou tout troupeau des nègres; sauf un nègre qui
viendra pour commercer dans Iken (Mirgissa), ou avec une commission. Toute bonne chose sera
faite avec eux (les nègres), mais sans permettre à un bateau de nègres de passer par (Semna), en
descendant le courant, pour toujours » (34).
(34) Première stèle de Sésostris III. Traduction dans Emery, Egypt in Nubia, 157.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Le message ici est parfaitement clair. Il n’y a pas de bruit de ferraille dans le serment; le propos du
pharaon est purement économique. Les Nubiens seront justement traités mais le Nil est fermé à
perpétuité pour tout commerce dans des bateaux étrangers, sauf ceux qui sont destinés pour
transbordement immédiatement en aval au port égyptien d’Iken (Mirgissa). Ici, semble-t-il, est
enregistré le premier décret de monopole commercial dans l’histoire;
Si nous avons correctement identifié le rôle des forteresses de la seconde cataracte, alors plusieurs
corollaires importants suivent. D’abord, il devait déjà avoir existé à la 12ème dynastie un volume très
substantiel de commerce sur le Nil, que l’Egypte avait de la peine à protéger et contrôler.
Deuxièmement, les gens du désert, selon l’habitude immémoriale des nomades, avaient pris pour
cible le commerce fluvial –une autre indication de son volume et de sa richesse probables.
Troisièmement, la « frontière » égyptienne à Semna, et l’effort pour renforcer un monopole de
commerce seulement sous ce lieu, indiquent que les origines en amont du commerce sur le Nil
n’étaient pas dans les mains égyptiennes. Finalement, l’absence de forteresses égyptiennes aux
cataractes au-dessus de Semna (en admettant qu’elles n’étaient pas aussi dangereuses que celles
plus loin en aval) suggère que le Nil au-delà de ce lieu peut avoir été effectivement contrôlé par une
autre puissance. S’il en est ainsi, ceci était vraiment un commerce international.
Quelle était la nature et quelle était la source de ce commerce florissant, qui a tenu une si grande part
dans la forme de politique étrangère égyptienne durant le moyen Empire? Nous avons remarqué,
que dès la 6ème dynastie, l’intérêt des pharaons s’était déjà tourné de la région relativement
improductive immédiatement au-dessus de la Première Cataracte vers des pâturages plus verts plus
loin au sud. Les expéditions majeures de Hirkouf avaient à peine fait une pause en Basse Nubie sur
leur route vers des régions distantes dans l’intérieur, dont la localisation précise ne sera
probablement jamais connue. Au Moyen Empire, cependant, nous avons un témoignage quelque
peu plus clair de la source du commerce étranger égyptien. Il vient du site archéologique de Kerma,
à proximité de la troisième Cataracte sur le Nil et environ 150 miles en amont de l’avant-poste le plus
méridional à Semna.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
La caractéristique archéologique la plus visible à Kerma est une vaste nécropole, contenant un minimum
estimé de plusieurs milliers de tombes; le nombre exact n’a jamais été calculé. Seule une petite
fraction d’entre elles a été systématiquement fouillée. A la fois les tombes et leur contenu sont
généralement similaires à ceux de Basse Nubie au Moyen Empire et à la Seconde Période
Intermédiaire, bien qu’il y ait des différences mineures répandues. Parmi celles-ci, il y a la présence
régulière à Kerma d’une belle poterie noir et rouge polie, l’enterrement fréquent d’un lit en bois
indigène comme couche pour le défunt, et l’inclusion occasionnelle de sacrifices humains aussi bien
qu’animaux dans les tombes. Ces différences ont conduit à la désignation des restes de Kerma
comme représentant une culture séparée (la Culture de Kerma) de celle de Basse Nubie au Moyen
Empire et à la Seconde période Intermédiaire (connue de façon assez impropre comme étant la
culture du Groupe-C). A Kerma, comme en basse Nubie, les tombes sont abondamment équipées
de biens de fabrication égyptienne, et ceux-ci fournissent les indices principaux de leur âge. Sur la
base d’un tel témoignage on peut raisonnablement déduire que la Culture de kerma a atteint son
apogée tard durant la Seconde période Intermédiaire (17ème dynastie), mais du matériau assez
antérieur a été trouvé pour suggérer qu’une culture de Kerma séparée peut avoir évolué dès la
12ème dynastie, si pas à la fin de l’Ancien Empire (35).
De récentes études archéologiques ont montré que les restes de Kerma sont typiques d’une zone assez
large, s’étendant en direction du nord le long du Nil vers un lieu à seulement 30 ou 40 miles audessus de la « frontière » égyptienne à Semna. Au-delà de ce lieu ils laissent la place à des restes
légèrement différents du groupe-C caractéristiques de basse Nubie. La plupart des restes connus de
la culture de Kerma sont des restes funéraires; le seul site d’habitation déjà identifié est à Kerma
même (36).
.(35) Le rapport définitif sur Kerma est G.A. Reisner, Excavations at Kerma, Vols. V et VI de Harvard
African Studies (Cambridge, 1923). Pour de brèves discussions, voir également Säve-Söderbergh,
Ägypten und Nubien, 103-16, et Trigger, History and Settlement, 101-4.
(36 Voir Charles Bonnet, « Fouilles archéologiques à Kerma (Soudan) », Genève, 26 (1978) 107-34, et
28 (1980), 31-72.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
En dehors de différences culturelles mineures, la principale caractéristique qui classe Kerma à part des sites
contemporains au nord est la présence d’une série d’énormes tumuli en terre, dont la taille suggère qu’ils contiennent
les premières tombes royales de Nubie. Alors que la forme extérieure du tumulus est un simple dôme de terre,
souvent couvert de galets blancs, les plus grands d’entre eux sont si vastes qu’ils ont du être stabilisés et renforcés
par un squelette interne de murs en brique. Le plus grand tumulus à Kerma avait un diamètre de 90 mètres, et
l’étendue des chambres funéraires dedans est plus grande que celle dans toute pyramide égyptienne (37). Le
nombre de sacrifices humains dans cette tombe -322 à ce jour, et peut-être 400 avant qu’elle soit pillée par des
voleurs- excède celui de tout autre tombe dans le monde (38). Le témoignage funéraire ne laisse aucun doute quant
au fait que les gens de Kerma avaient construit une autorité politique centralisée à une époque où les habitants de
Basse Nubie étaient encore organisés selon un système de lignée non centralisé. Les gens de Haute Nubie, plutôt
que les voisins immédiats de l’Egypte, furent donc selon toute probabilité les premiers Africains à concurrencer
l’exemple des pharaons.
Les tombes à Kerma, contrairement à celles en Egypte, désignent une chefferie plutôt qu’un état, c’est-à-dire, une société
dans laquelle l’autorité a été formellement consolidée seulement dans les mains du souverain, et dans laquelle il n’y
a jusqu’à présent aucune différentiation de pouvoir et de richesse. Les tombes royales, bien que concentrées dans
une zone unique dans la nécropole de Kerma, apparaissent côte à côte avec des tombes simples, et elles sont
distinctes de leurs voisines plus par la quantité que par la qualité. Des variations dans la taille et la richesse tombent
sur un continuum non interrompu depuis la tombe simple la plus humble jusqu’à la tombe royale la plus grande, de
sorte qu’il n’y a pas vraiment moyen de savoir quelles sont les tombes qui sont royales et celles qui ne le sont pas.
Cependant, au moins 30 des tombes dégagées sont suffisamment grandes et élaborées pour qu’elles puissent
tomber dans la catégorie royale. Bien que les plus grandes (et apparemment les plus récentes) d’entre elles datent
certainement de la fin de la Seconde Période Intermédiaire, le nombre de tombes potentiellement royales est suffisant
pour suggérer la possibilité que la lignée royale a émergé à l’époque du Moyen Empire, environ 200 ans avant la
construction des tombes les plus grandes
.(37) Cf. Reisner, Excavations at Kerma, Vol. V, 65.
(38) Ibid. , 69.
(39) Reisner, le fouilleur d’origine de Kerma, croyait que la période principale de son épanouissement était le Moyen
Empire, et que les tombes les plus petites et les plus pauvres, représentaient une dégénération progressive et un
appauvrissement avec le temps (ibid., 98-102, 116-21). Cependant, d’autres égyptologues ont très tôt mis en cause
cette interprétation, suggérant que les plus grandes des tombes royales étaient probablement en fait les plus
récentes, et qu’elles dataient de la 17ème dynastie. Voir spécialement hermann Junker, Die Nubische Ursprung der
sogenannten Tell el-Yahudiye Vasen, Akademie der Wissenschaften in Wien, Philosophisch-Historische Klasse
Denkschriften, 63, (Wien, 1921), et Säve-Söderbergh, Ägypten und Nubien, 111-13.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
En dehors des tombes royales et du commun, il y a deux caractéristiques frappantes à Kerma. Ce sont les constructions
connues localement sous le nom de deffoufas (40) –apparemment les restes de tours massives en brique de boue.
L’un d’eux est localisé dans le cimetière royal, à proximité des tumuli les plus grands, et a été interprété comme une
sorte de chapelle funéraire hypertrophiée (41). La plus grande des deux structures (le Deffoufa Occidental ou
Inférieur), cependant, est situé à environ 2 miles du cimetière au milieu d’une large plaine argileuse dénudée. Ce
bâtiment, à l’origine, était une masse rectangulaire en brique, mesurant environ25X50 m à la base, et qui montait
probablement à une hauteur excédant de beaucoup les 20 m qui sont encore préservés aujourd’hui. Dans cette
masse incroyable de brique il n’y a pas d’appartements intérieurs, seulement les restes d’un escalier étroit en
colimaçon qui donnait sans doute accès au sommet de la structure (42).
Bien que les deffoufas ressemblent aux forteresses de la Seconde Cataracte seulement par leur massivité, les détails de
construction, incluant la taille des briques employées et l’utilisation régulière de consolidation par du bois de
construction, sont identiques dans les deux cas. Il y a donc une très forte probabilité pour que les deffoufas soient
également le travail d’architectes égyptiens, particulièrement parce que les Nubiens indigènes faisaient peu ou pas
d’usage de la brique en boue à cette époque. La fonction pour laquelle les grandes tours étaient prévues ne sera
probablement jamais connue; cependant, la plus grande d’entre elles est bordée par un complexe irrégulier de salles
en brique, apparemment également une construction égyptienne, dont le contenu ne laisse aucun doute quant à leur
fonction prévue. Les plus ostentatoires sont des fragments de 565 empreintes de sceau en boue de type égyptien, qui
avaient été fixées à des pots, des paniers, et une sorte de conteneur en bois. Il y a également des restes
fragmentaires de nombreux objets de fabrication égyptienne, tels que des jarres à onguent en albâtre (25 d’entre
elles portant le nom du pharaon Pépi I de l’Ancien Empire), d’autres récipients plus grands en pierre, des récipients
en faïence et poterie, des perles et des cristaux de roche pour fabriquer des perles, et des morceaux de bronze. Sauf
pour les jarres à onguent, ces objets sont pour la plupart des types du Moyen Empire ou plus récents (43). Egalement
présents dans les débris du Deffoufa Inférieur il y a diverses sortes de matières premières, telles que l’ocre rouge,
l’oxyde de cuivre, le mica, et des coquillages, utilisés dans la fabrication et la décoration de la poterie, de la faïence, et
des ornements.
.(40) DEffoufa est un mot nubien qui désigne toute ruine debout ostentatoire.
.(41) Reisner, Excavations at Kerma, Vol. VI, 268-69.
.(42) Pour une description, voir ibid., Vol. V, 21-29.
.(43) Ibid., 32.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Le Deffoufa Inférieur, en résumé, était une fabrique, au sens ancien du terme : un dépôt où les biens du
sud étaient assemblés pour livraison à l’Egypte, et où les fabrications du nord étaient réceptionnées
(et jusqu’à un certain point produites) pour échange. Que ce commerce était supervisé par des
Egyptiens peut être déduit du fait que la faïence et d’autres produits de technologie avancée étaient
en cours de fabrication, et à partir de la découverte d’innombrables scellements égyptiens en boue.
D’un autre coté, ce serait une erreur de supposer, comme le fouilleur d’origine l’a fait, que Kerma
était sous contrôle politique ou militaire égyptien (44). Les grandes tombes dans le cimetière royal
sont celles d’indigènes, plutôt que d’Egyptiens, et nulle part il n’y a de témoignage d’une grande
population étrangère.
En assemblant les diverses pièces du puzzle archéologique de Kerma, dont un grand nombre manquent,
trois choses deviennent apparentes : il y avait une chefferie indigène hautement centralisée à
Kerma; il y avait une présence égyptienne influente si pas nombreuse, attestée à la fois par le
contenu de la fabrique et par l’architecture des deffoufas; et il y avait un commerce florissant entre
Kerma et l’Egypte. Il s’en déduit de façon forte que ces trois faits sont interconnectés. En cherchant
une source fiable pour les marchandises méridionales exotiques, les Egyptiens étaient probablement
entrés en relations diplomatiques et commerciales avec une chefferie nubienne insignifiante. Le
contact était mutuellement bénéfique, aboutissant au développement et à l’institution d’un commerce
bilatéral prospère. Sous patronage égyptien, les souverains nubiens sont devenus de plus en plus
riches et puissants, jusqu’à une époque où ils ont été capables de concurrencer le modèle des
pharaons et de diriger un corps d’artisans égyptiens pour la production de produits de luxe et la
conception de monuments royaux.
.(44) L’identification par Reisner de la plus grande tombe à Kerma comme étant celle d’un prince
égyptien (basée sur la découverte dans la tombe d’un morceau unique de statuaire) l’a conduit à
conclure que celui-ci était le vice-roi de Koush et que Kerma était le siège du vice-roi; voir Ibid., Vol.
V, 116-21, et Vol. VI, 554-59.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Ici, selon toute probabilité, se trouve la pièce manquante dans notre image des relations égypto-nubiennes au moyen
empire : la source de ce riche commerce que les Egyptiens prenaient la peine de protéger et, sous Semna, de
monopoliser. La fabrique à Kerma et les forteresses de la Seconde Cataracte peuvent donc être vues comme des
parties d’une entreprise politico-économique commune : un dépôt à la source du commerce et des relais pour sa
protection et l’assistance. Il faut néanmoins reconnaître que cette interprétation repose, au moins jusqu’à présent, plus
sur des bases déductives que sur des bases empiriques. Nulle part, dans les annales égyptiennes il n’y a de mention
de Kerma à cette période, ni on ne peut faire remonter avec certitude aucun des restes importants à Kerma au Moyen
Empire. L’existence d’une monarchie à Kerma et d’un commerce institutionnalisé entre cette monarchie et l’Egypte au
Moyen Empire demeure simplement une probabilité logique.
Bien que le commerce armé avec le sud fournissait le thème dominant dans les relations égypto-nubiennes au Moyen
Empire, il y avait d’autres sortes d’entreprise coloniale également. Des raids d’esclavage ont continué de façon
intermittente durant la 12ème dynastie; comme toujours, ils étaient justifiés dans les annales royales comme des
expéditions punitives contre des Nubiens rebelles (45). De plus, les carrières de diorite à l’ouest de Toshka ont été réouvertes pour un temps, et il y a un témoignage pour la fonte du cuivre à la forteresse de Kouban, en Basse Nubie
(46). Cette structure, construite selon les lignes générales comme les forteresses de la Seconde Cataracte, était
située à l’embouchure du Wadi Allaqi, suivie plus tard comme la route principale en direction des mines d’or
nubiennes. La présence de la forteresse pourrait suggérer que les mines d’or étaient déjà en production au moyen
Empire, mais il n’y a presque pas de témoignage direct pour confirmer ceci. Des inscriptions laissées par les
prospecteurs et les inspecteurs des mines le long du Wadi Allaqi, aucune ne date du Moyen Empire (47), et il n’y a
pas de mention significative d’or nubien dans des textes du moyen Empire. Il semble probable, également, que si l’or
de Nubie avait été découvert à cette époque, le focus principal de l’intérêt égyptien pour le sud aurait été sur son
extraction plutôt que sur le commerce avec Kerma, comme ce fut le cas en fait au Nouvel empire.
.(45) Seconde stèle de Semna de Sésostris III; stèle de Sobekh-Khou; Inscriptions du Ouadi Hammamat. Voir Breasted,
Ancient records, vol. I, paragraphes 423, 658, 687, 707.
.(46) Voir A. Lucas, Ancient Egyptian Materials and Industries, 3ème édition (Londres, 1948), 240-41.
.(47) Cf. B. Piotrovsky, « The Early Dynastic Settlement of Khor-Daoud and Wadi-Allaki the Ancient route to the Gold mines
», dans Fouilles en Nubie (1961-1963) (Le Caire, 1967), 135.
Le Moyen Empire : le monopole commercial armé.
Le Moyen Empire peut être incarné comme une époque où l’intérêt égyptien en Nubie est devenu
cristallisé en une politique officielle d’expansion et d’exploitation largement indirecte. Les entreprises
sporadiques et non coordonnées de l’Ancien Empire ont été suivies par l’établissement de relations
commerciales et diplomatiques régulières avec une chefferie indigène, ce qui par là-même a permis
à celle-ci de devenir une force dominante en Nubie elle-même. La collecte des marchandises pour
exportation en Egypte a été laissée aux mains des indigènes, mais le transport était géré et, sous
Semna, monopolisé par les Egyptiens. D’un autre coté, le contrôle politique égyptien en Haute Nubie
était seulement indirect; il était restreint à l’influence que pharaon et ses représentants commerciaux
pouvaient exercer sur les souverains indigènes. Cette phase des relations égypto-nubiennes est
comparable à la période, entre les 16ème et 19ème siècles, quand les puissances coloniales
européennes s’efforçaient de contrôler les bords de mer et fournissaient une protection armée pour
leur commerce au-delà des mers, mais se contentaient de laisser la production aux mains des
souverains indigènes avec qui ils traitaient à travers d’innombrables ports-fabriques le long des
côtes. On trouve les parallèles les plus étroits avec la situation de Kerma non pas en Afrique, qui
après le 16ème siècle était principalement un fournisseur d’esclaves, mais en inde, qui comme la
Nubie était une source de diverses sortes de produits exotiques tropicaux. Ici,, « les alliances étaient
faites avec des puissances indigènes, et des états mineurs acceptaient la suzeraineté portugaise.
Mais on adhérait toujours au principe posé par Albuquerque, le premier vice-roi des Indes. Le
Portugal devait seulement tenir des forteresses clés et les fabriques pour le commerce. Elle devait
se fier à la puissance navale pour les défendre. L’empire territorial était au-delà de ses pouvoirs et
ne serait pas profitable » (48). Albuquerque était citée pour l’effet que l’Inde Portugaise pouvait être
sécurisée par « quatre bonnes forteresses et une grande flotte bien armée » (49).
.(48) D.K. Fieldhouse, The Colonial Empire (New York, 1967), 139.
(49) C.R. Boxer, The Portuguese Seaborne Empire, 1415-1825 (New York, 1969), 52.
Deffoufa de Kerma
Les ruines de l’ancienne Kerma
Les fouilles de Kerma vues du sommet de la Deffoufa occidentale
Puits bordé de brique avec un escalier en pierre
La deffoufa occidentale
Le passage vers la deffoufa
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