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le reproduisant avec ces quelques marges de manœuvre, nous le recréons avec des décalages.
Le concept d’énaction1 rend compte de cette participation fondamentale de l’homme aux
constructions organisationnelles et à leur évolution. Tout phénomène culturel [acte ou
instance comme attitude, position, croyance, groupe, famille, métier, etc.] existe par le fait
qu’il est vécu et agi en intérieur par les individus qui le partagent. Les organisations vivent
par les hommes qui les énactent, c.à.d. qui les font exister en eux-mêmes au travers de leurs
pensées et de leurs actes. A contrario, si personne ne croit à une religion, cette religion
n’existe pas.
L’énaction est ce qui lie la réalité individuelle et collective. Ce sont les hommes vivant
concomitamment un acte culturel qui le créent, l’adaptent aux contingences et le font muter à
l’image des variations génétiques de l’évolution biologique mais en bien plus rapide.
On en arrive à un champ qui se situe clairement dans les sciences de gestion, les théories des
organisations. Les théories évolutionnistes (Nelson et Winter, 1982 et 2002 ; Saviotti, 1995 ;
Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Martinet et Payaud, 2006) mettent en perspective les
organismes vivants et les organisations sociales, et s’attachent, entre autres, aux notions de
variation, de sélection, d’adaptation, d’évolution, de patrimoine informationnel et
d’apprentissage des organisations.
1.3 Le phénomène de co-création
Précurseur indépendant de ce courant de recherche, Karl Weick a placé la construction du
sens comme thème de réflexion à part entière en sciences des organisations. Il a renouvelé la
compréhension des organisations en s'intéressant aux processus par lesquels se construit le
sens dans celles-ci (Koenig, 2003). Cette élaboration du sens peut s’envisager d’un point de
vue individuel et/mais Weick s’y attache par les processus collectifs d’élaboration. Il s’inscrit
complètement dans l’interactionnisme symbolique : la vie sociale se comprend comme un
processus continu de communication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles. La société
n’est pas un ensemble figé de structures sous-ensembles, elle est fluide, les évolutions sont
continues et graduelles, réalisées-vécues par les individus-acteurs. « … c’est de l’interaction
entre les membres de l’organisation qu’émerge le sens. » (Koenig avant-propos in Autissier
et Bensebaa, 2006).
Si on fait une analogie avec l’économie et la double perspective que constitue la macro et la
micro-économie, on peut parler ici de microsociologie. L’ensemble confus et égoïste des
actions des hommes peut avoir pour résultante finale la richesse des nations (la métaphore de
la main invisible d’Adam Smith). La construction du sens est une œuvre collective. Il s’agit
d’une co-création.
1.4 La construction organisationnelle du sens
La question suivante porte alors sur ce qui rend propice ce phénomène de co-création. La co-
création interactionnelle de sens a besoin d’un milieu, d’un creuset, d’un cadre pour se
réaliser. Ce cadre, c’est l’organisation sociale dans son ensemble, c.à.d. les groupes sociaux,
c.à.d. les organisations, dont celles d’entreprise qui nous intéressent particulièrement ici.
Le sens se construit dans les groupes sociaux. Cela lui donne une dimension contextuelle
(c.à.d. propre au groupe considéré et à son environnement proche).
Qui crée le sens dans les organisations ?
Potentiellement tous les membres, à des degrés différents et qui peuvent varier en fonction des
individus, des missions qui leur sont confiées et des types d’organisations. Martinet et
1 enactment en anglais. Concept formalisé par Karl Weick (1977) en relation avec les travaux de Francisco
Varela.