Le rôle du manager de proximité dans l`innovation sociétale

Business School
W O R K I N G P A P E R S E R I E S
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Working Paper
2014-175
Le rôle du manager de proximité dans
l’innovation sociétale
Marie José Scotto
Hervé Tiffon
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
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Le rôle du manager de proximité dans l’innovation
sociétale
Marie José Scotto, IPAG Business School.
Hervé Tiffon, IPAG Business School.
Résumé
Cet article a pour objectif d’analyser le processus d’innovation sociétale, en le situant dans le
contexte des organisations d’entreprise. Un approfondissement sur le rôle du sens dans ce
processus conduit à la notion constructiviste de co-création organisationnelle du sens. Le
rôle du management de proximité dans cette construction est souligné et argumenté. Une
enquête de terrain est à réaliser pour évaluer ces propositions.
Mots-clés : Innovation sociétale, sens, co-construction organisationnelle, management de
proximité.
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Introduction
Le changement social est le produit d’une double interaction entre l’individu et le collectif
(Bourdieu, 1987). Les individus et les groupes constituent et construisent l’organisation
sociale. Ils sont ainsi acteurs potentiels des changements dans les organisations sociales
(dont l’entreprise) qui composent la société, et donc à terme des évolutions de la société tout
entière. De manière concomitante, les individus et les groupes sont formatés par le niveau
sociétal. Nous avons pour notre part décrit ce double mouvement par une analogie musicale
avec les notions de partition (qui cadre et inspire les actions des individus) et d’interprétation
(où l’individu joue de ses marges de manœuvre), (Tiffon, 2010). Cette construction
dynamique des interactions entre le social et le sociétal a été formalisée par Anthony Giddens
avec la théorie de la structuration (Giddens, 1984). Les acteurs produisent les structures et
sont en même temps guidés par elles. Il est possible de se représenter cette théorie de la
manière suivante :
Schéma 1 : Représentation de la construction dynamique
Production de la réalité sociale
Individus
Organisations
Formation des individus
Source : Hervé Tiffon
Cette année, notre projet est de poursuivre cette analyse du processus d’innovation culturelle-
sociétale dans les organisations. Comment se construit ce niveau d’innovation ? Quel est le
rôle des organisations ? Quels sont les acteurs majeurs de ce processus ? Sachant que cette
exploration a pour horizon implicite de recenser, si cela s’avère possible, les moyens de
faciliter, d’orienter, voire de diriger l’innovation sociétale.
Cette démarche nous conduit à nous interroger sur la notion de sens. Le postulat est en effet
que l’innovation sociétale est une création de sens. Cette perspective paraît d’autant plus
intéressante que le contexte global de la période actuelle est souvent qualifié par la perte de
repères sociétaux, par la perte ou le glissement du sens (Castells, 1998 ; Cohen, 2006 ; Postel
et Rousseau, 2008).
Notre problématique est de ce fait un questionnement sur la place du sens dans le processus
d’innovation sociétale dans les organisations. Et l’hypothèse à laquelle notre expérience de
praticiens et nos études en tant qu’enseignants chercheurs nous conduisent, est le rôle-clé que
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tient le manager de proximité comme maillon central de la chaîne de (re)construction du sens
dans les organisations
Nous allons donc pour cela dans une première partie préciser la place du sens dans
l’innovation culturelle, puis dans une deuxième partie définir et examiner la problématique du
management de proximité. Après le cadre théorique, la troisième partie consistera en une
étude de terrain destinée à enrichir et valider ou non la position conceptuelle que nous
présentons. Cette partie expérimentale est en projet et nous saisissons l’occasion de cette
journée internationale de recherche pour recevoir les avis et conseils de nos pairs.
1. Le sens dans le processus de l’innovation sociétale
1.1 Qu’est-ce que le sens ?
La notion de sens revoie à celle de signification, d’explication de ce que nous vivons. Le
sens est alors porteur de la compréhension des liens entre tout ce que l’individu perçoit : lui-
même, le monde extérieur, le rapport entre lui et le monde. La réflexion ici présente se situe
au niveau individuel et collectif, ce que nous nommons l’articulation singulier – pluriel
(Tiffon, 2010). Nous proposons une courte escapade en philosophie et en anthropologie
culturelle, dans ce que certains nomment l’anthropologie philosophique (Zubiri, 2011).
1er niveau : l’individu
La culture humaine organise le chaos diffus des perceptions que nous avons de la réalité et
nous propose une grille de lecture du monde. Quand cette lecture est perçue comme
cohérente, comme donnant « du sens » à la réalité perçue, l’individu éprouve le sentiment
dynamisant de faire partie d’un tout.
Exemple : Je le vis bien/je me sens bien si ce que je perçois ou fais « a un sens ».
A l’inverse, être déprimé, c’est ne plus percevoir le monde comme un tout, comme un
ensemble qui a une cohérence. C’est percevoir l’extérieur et soi comme une poignée
d’actions et d’existences jetées aléatoirement, sans liens entre elles. Il n’y a alors ni utilité, ni
sens (aussi bien dans l’acceptation de signification que dans celle de direction).
2nd niveau : le collectif (qui regroupe le social, le sociétal et donc le culturel)
L’univers n’a pas cessairement un sens en soi. C’est l’humain qui lui en donne. Le sens
procède alors d’un acte ou plutôt d’un agir. A l’origine, il n’est pas donné, il se crée.
Néanmoins, chaque être humain se situe dans le déroulement du temps. Le sens se trouve
alors issu de plusieurs créations et est capitalisé par la mémoire et l’apprentissage
intergénérationnel. De ce fait, il est en grande partie transmis par l’éducation. Au final, le
sens se crée et il se donne. Le sens semble ici se confondre avec la Culture. En fait, il en est
une résultante.
1.2 Le paradigme constructiviste
Les éléments que nous présentons relèvent du constructivisme. Les humains construisent leur
vision et leurs représentations du monde dans lequel ils vivent. Ils produisent leurs grilles de
lecture pour donner un sens à leurs existences. « le monde ne nous est pas extérieur : le
monde dans lequel nous agissons est construit par notre action (Laroche, La fabrication du
sens dans les organisations in Les organisations, Etat des savoirs, 2012). » Nous créons le
sens, nous construisons notre compréhension de l’univers. Ce courant est devenu primordial
dans la science contemporaine (Morin, 1882 et 1990).
En vivant, en incarnant ce que nous avons reçu et synthétisé (de façon nécessairement
originale), nous avons la possibilité d’adapter ce bagage culturel à notre contexte propre. En
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le reproduisant avec ces quelques marges de manœuvre, nous le recréons avec des décalages.
Le concept d’énaction1 rend compte de cette participation fondamentale de l’homme aux
constructions organisationnelles et à leur évolution. Tout phénomène culturel [acte ou
instance comme attitude, position, croyance, groupe, famille, métier, etc.] existe par le fait
qu’il est vécu et agi en intérieur par les individus qui le partagent. Les organisations vivent
par les hommes qui les énactent, c.à.d. qui les font exister en eux-mêmes au travers de leurs
pensées et de leurs actes. A contrario, si personne ne croit à une religion, cette religion
n’existe pas.
L’énaction est ce qui lie la réalité individuelle et collective. Ce sont les hommes vivant
concomitamment un acte culturel qui le créent, l’adaptent aux contingences et le font muter à
l’image des variations génétiques de l’évolution biologique mais en bien plus rapide.
On en arrive à un champ qui se situe clairement dans les sciences de gestion, les théories des
organisations. Les théories évolutionnistes (Nelson et Winter, 1982 et 2002 ; Saviotti, 1995 ;
Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Martinet et Payaud, 2006) mettent en perspective les
organismes vivants et les organisations sociales, et s’attachent, entre autres, aux notions de
variation, de sélection, d’adaptation, d’évolution, de patrimoine informationnel et
d’apprentissage des organisations.
1.3 Le phénomène de co-création
Précurseur indépendant de ce courant de recherche, Karl Weick a placé la construction du
sens comme thème de flexion à part entière en sciences des organisations. Il a renouvelé la
compréhension des organisations en s'intéressant aux processus par lesquels se construit le
sens dans celles-ci (Koenig, 2003). Cette élaboration du sens peut s’envisager d’un point de
vue individuel et/mais Weick s’y attache par les processus collectifs d’élaboration. Il s’inscrit
complètement dans l’interactionnisme symbolique : la vie sociale se comprend comme un
processus continu de communication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles. La société
n’est pas un ensemble figé de structures sous-ensembles, elle est fluide, les évolutions sont
continues et graduelles, réalisées-vécues par les individus-acteurs. « c’est de l’interaction
entre les membres de l’organisation qu’émerge le sens. » (Koenig avant-propos in Autissier
et Bensebaa, 2006).
Si on fait une analogie avec l’économie et la double perspective que constitue la macro et la
micro-économie, on peut parler ici de microsociologie. L’ensemble confus et égoïste des
actions des hommes peut avoir pour résultante finale la richesse des nations (la métaphore de
la main invisible d’Adam Smith). La construction du sens est une œuvre collective. Il s’agit
d’une co-création.
1.4 La construction organisationnelle du sens
La question suivante porte alors sur ce qui rend propice ce phénomène de co-création. La co-
création interactionnelle de sens a besoin d’un milieu, d’un creuset, d’un cadre pour se
réaliser. Ce cadre, c’est l’organisation sociale dans son ensemble, c.à.d. les groupes sociaux,
c.à.d. les organisations, dont celles d’entreprise qui nous intéressent particulièrement ici.
Le sens se construit dans les groupes sociaux. Cela lui donne une dimension contextuelle
(c.à.d. propre au groupe considéré et à son environnement proche).
Qui crée le sens dans les organisations ?
Potentiellement tous les membres, à des degrés différents et qui peuvent varier en fonction des
individus, des missions qui leur sont confiées et des types d’organisations. Martinet et
1 enactment en anglais. Concept formalisé par Karl Weick (1977) en relation avec les travaux de Francisco
Varela.
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