Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Collision de vents stellaires 06/05/08 Dans un article publié dans Astronomy and Astrophysics (1), le chercheur liégeois Jean-Christophe Leyder rend compte de la découverte d'émissions très énergétiques en provenance de l'étoile massive η (eta) Carinae. Une observation réalisée grâce au satellite Integral de l'Agence Spatiale Européenne. Contrairement aux apparences, les étoiles ne se ressemblent pas : on trouve des grosses et des petites, des très chaudes et des plus froides, des très massives et d'autres moins, des vieilles et des jeunes, etc. Dans cette faune stellaire, notre Soleil occupe un rang moyen : il est une étoile toute simple et commune. Parmi les astres très étudiés se trouvent les étoiles massives : leurs masses vont de 25 à 100 fois celle de notre Soleil, fier de ses modestes 2 mille milliards de milliards de tonnes. Les étoiles massives sont peu nombreuses. Jugez plutôt : notre Voie Lactée contient une étoile massive pour des milliers d'étoiles semblables à notre Soleil. Néanmoins, les étoiles massives sont prisées par les astronomes à cause de la matière qu'elles disséminent dans le milieu interstellaire au travers de tempêtes, matière qui influence grandement le comportement des galaxies abritant ces étoiles massives. Par leurs vents, les étoiles massives alimentent le milieu interstellaire en éléments lourds qu'elles produisent dans leurs cœurs. Ces éléments lourds sont les ingrédients qui interviennent dans la formation de nouvelles étoiles mais aussi des planètes, notamment les rocheuses comme notre Terre. Les vents des étoiles massives sont d'une extrême violence, par opposition à la quiétude qui règne au voisinage de notre petite planète bleue : alors que le vent solaire s'échappe paisiblement à une vitesse de -14 croisière de 500 km/s et soustrait à l'astre du jour chaque année 10 -5 fois sa masse, une étoile massive -4 perd 10 à 10 masse solaire par an, au moyen de vents qui peuvent atteindre des vitesses de 2000 km/s. Autrement dit, une étoile massive peut maigrir de l'équivalent d'un soleil tous les 10 000 ans ! © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Dans ces conditions extrêmes, on comprend que lorsque deux étoiles massives vivent en couple, cela fasse des étincelles : dans les systèmes binaires d'étoiles massives, la rencontre des vents stellaires émis par chacune des étoiles produit une fantastique zone de choc, en aval de laquelle les gaz peuvent atteindre des températures de quelques millions de kelvins. Cette onde de choc est d'ailleurs détectable avec un instrument sensible aux rayons X, comme le télescope spatial XMM de l'Agence Spatiale Européenne. Les modèles théoriques de vents stellaires et les simulations numériques prédisent alors l'émission de rayons γ (gamma), par un processus appelé le rayonnement Compton inverse. De quoi s'agit-il ? «Les électrons éjectés par les vents stellaires sont piégés dans la zone de choc notamment à cause d'un champ magnétique, explique Jean-Christophe Leyder. Là, ils vont faire des allers-retours et ainsi être accélérés jusqu'à des vitesses proches de celle de la lumière : c'est le mécanisme de Fermi. Lorsque ces électrons relativistes seront enfin libérés de cette ronde effrénée, ils vont rencontrer des photons UV émis par les étoiles. A chaque collision, il y a transfert d'énergie de l'électron au photon qui, partant du domaine d'énergie UV, atteint des domaines d'énergie beaucoup plus élevés. Ce sont donc les collisions successives entre les électrons de très haute énergie et les photons de plus basse énergie qui sont la source d'un rayonnement intense dans le domaine des très hautes énergies dit "des rayons #".» © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège L'astronomie γ est une entreprise particulièrement ingrate dans la pratique, à cause des conditions techniques très compliquées qui doivent être rassemblées pour permettre la détection d'un rayonnement γ. Tout d'abord, ce dernier est tellement énergétique qu'il ne peut pas être focalisé dans un détecteur de la même manière qu'un rayonnement visible plus traditionnel : les ingénieurs ont dû utiliser de ruses (techniques mais aussi informatiques) pour empêcher ce rayonnement rebelle de traverser les instruments ou tout le moins pour pouvoir détecter les photons suspects, et ainsi analyser correctement le signal complexe obtenu. Ensuite, les sources γ, même les plus intenses, émettent peu de photons, puisque chaque photon γ emporte à lui seul une grande quantité d'énergie. La faible intensité des sources γ nécessite donc de longs temps d'observation pour pouvoir augmenter le rapport signal-sur-bruit et ainsi être détectées. La troisième difficulté à laquelle doit faire face l'astronomie γ est le bouclier qu'est (heureusement) l'atmosphère terrestre vis-à-vis des rayonnements de très hautes énergies : leur détection directe requiert l'envoi d'un détecteur dans l'espace et donc l'exposition à des bombardements intempestifs qui viennent polluer les signaux recherchés. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Lancé en octobre 2002, le télescope spatial Integral (INTErnational Gamma-Ray Astrophysics Laboratory) de l'Agence Spatiale Européenne est en train de révolutionner le ciel γ, en livrant des images d'une incroyable précision comparée à celle des précédents instruments sensibles aux rayons γ. Integral est l'instrument idéal pour tenter de détecter les faibles émissions γ prenant naissance dans les systèmes binaires à collision de vents. Peu d'étoiles sont connues à ce jour comme appartenant à de tels systèmes. Les astronomes doivent donc ratisser large : le catalogue de sources placées sous la haute surveillance d'Integral comporte plus de 400 étoiles massives, toutes susceptibles d'appartenir à un système binaire à collision de vents. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège A ce jour, Integral a détecté une seule source γ qui serait issue d'une collision de vents stellaires. Cette source provient du système binaire auquel appartient la fameuse étoile η (eta) Carinae. «L'observation résulte de l'accumulation d'observations pendant plus de 3,3 méga secondes de données, précise JeanChristophe Leyder. Cela équivaut à 38 jours d'observations continues. A titre de comparaison, la détection d'une simple source X avec le satellite XMM requiert seulement de l'ordre de 50 000 secondes de temps d'observation...» Cette première observation confirme une précédente détection obtenue avec la mission BeppoSAX de l'Agence Spatiale Italienne. La © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -5- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège qualité des observations de BeppoSAX ne permettait pas d'être très précis et attribuait cette émission à Eta Carinae uniquement. Le télescope Integral, beaucoup plus sensible, a permis de distinguer trois sources γ, dont η Carinae est la plus brillante, là où BeppoSAX rassemblait tout en une seule (Voir la localisation d'émissions gamma repérées par INTEGRAL). «# Carinae a une émission # légèrement plus basse que celle prédite par la théorie, précise notre chercheur. Néanmoins, on peut considérer que l'accord est relativement bon. En effet, il ne faut pas oublier que la théorie a été construite sans aucune observation pour la calibrer ou à laquelle la confronter. » Jusqu'à présent, η Carinae est la seule étoile binaire à collision de vents détectée par Integral qui laisse les autres étoiles dans le noir. «Il n'y a rien d'étonnant à cela, reprend Jean-Christophe Leyder. Les émissions # sont tellement difficiles à détecter qu'il faut accumuler une grande quantité de données pour les révéler. Le taux de détection n'est pas encore atteint pour la majorité des autres étoiles de notre catalogue... En plus, nous ne sommes pas certains que toutes les étoiles que nous surveillons appartiennent effectivement à un système binaire. Il faut donc replacer notre détection unique dans son contexte : elle est cohérente avec l'état des observations actuelles, mais Integral est toujours à l'oeuvre et nous poursuivons l'accumulation de données...» η Carinae est une étoile tellement particulière qu'il n'est pas surprenant qu'elle soit la première binaire à collision de vents au palmarès du satellite Integral. Tout d'abord, η Carinae a une masse monstrueuse, © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -6- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège d'environ 100 à 150 fois celle de notre Soleil. Elle a aussi des vents phénoménaux dont la vitesse avoisine les 2500 km/s. De plus, η Carinae est une étoile LBV (Luminous Blue Variables). Cette phase stellaire de «courte» durée est empruntée par certaines étoiles massives et caractérisée par des éruptions très violentes mais ponctuelles qui alternent avec des éjections de matière plus modestes mais continues. Moins d'une dizaine de LBV sont connues à ce jour dans notre galaxie. En particulier, c'est l'éruption gigantesque de 1840 qui a rendu célèbre η Carinae, en faisant d'elle la deuxième étoile la plus brillante du ciel, après Sirius. Cette explosion est à l'origine des deux lobes qui forment la superbe nébuleuse de la Carène (Carina). Depuis, η Carinae reste visible à l'oeil nu dans le ciel austral, mais sa luminosité est redevenue plus «normale». Cependant, elle n'est pas à l'abri d'une nouvelle explosion. «L'extrême particularité de # Carinae fait d'elle une étoile fortement observée, précise JeanChristophe Leyder. Certains astronomes y consacrent leur vie entière. Et chaque jour voit la publication d'un ou deux articles sur # Carinae... ce qui ne l'empêche pas de renfermer encore bien des mystères. » (1) LEYDER J.-C., WALTER R. & RAUW G. 2008, Hard X-ray emission from eta Carinae, Astronomy and Astrophysics, Volume 477, pp.L29-L32. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -7-