Vol. 96 - Avril 2002 François SAINT-JALM
BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 679
écoute d’anciens élèves ayant suivi la filière scientifique pour finalement choisir une acti-
vité non-scientifique : « Moi, vous savez, j’ai bien réussi quand j’ai compris qu’il n’y
avait rien à comprendre et qu’il suffisait d’appliquer les formules ! ». Par exemple la
mécanique, cette partie fondamentale de notre domaine, est tout à la fois simple et diffi-
cile. En effet, chacun de nous possède un solide bagage expérimental : marche, course,
pratique de divers sports, nous mettent en position d’observation quotidienne de mouve-
ments variés. Pourtant, les théories mécaniques spontanées que chacun de nous construit
implicitement n’ont rien à voir avec ce que l’on appelle la « mécanique classique ».
Très tôt un enfant peut même se livrer à des expériences secrètes et personnelles
comme celle qui consiste à essayer de s’envoler en cherchant à agir sur la chaise sur
laquelle il est assis, jambes pendantes et ne touchant pas le sol. La croyance en la possi-
bilité de « s’autoporter » ou de faire se déplacer des objets par la seule pensée (psycho-
kinèse) contredit les principes premiers de la mécanique à commencer par la première loi
de Newton ou principe de l’inertie. Un dossier consacré à cette question (Les français et
les « parasciences » Daniel Boy. Guy Michelet) dans le n° 161 de la revue La Recherche
(décembre 1984) nous aidera à en prendre la mesure :
Depuis quelques années, l’essor des sciences parallèles constitue au sein de nos sociétés un
phénomène immédiatement perceptible. En marge des « sciences légitimes » se développe une
série de pratiques et de croyances rejetées par le rationalisme scientifique : transmission de
pensée, action de l’esprit sur la matière, influence des astres sur les caractéristiques psycho-
logiques, voire sur les destins individuels, etc. […]. Malgré l’expansion progressive des idées
de rationalisme, le XIXesiècle et le XXesiècle sont jalonnés de mouvements intellectuels refu-
sant les bornes fixées par l’épistémologie dominante : mouvement spirite au XIXesiècle, réha-
bilitation du spiritualisme opposé à la pensée scientifique dans l’entre-deux-guerres, mou-
vance de pensée de la revue « Planète » dans les années soixante, Colloque de Cordoue dans
les années soixante-dix. L’astrologie également, bien qu’en voie de disparition en France à la
fin du XIXesiècle réapparaît dans l’entre-deux-guerres dans la grande presse américaine puis
française et se diffuse très largement à partir des années soixante par le canal des radios péri-
phériques. Enfin, le crédit régulièrement accordé par la presse aux phénomènes paranormaux,
inexplicables ou mystérieux (objets volants non identifiés (OVNI), maisons hantées, phéno-
mènes de télékinésie, etc.) tend à ancrer dans le public le sentiment d’une « autre dimension »,
inaccessible à la science actuelle, objet par conséquent d’un autre mode de connaissance.
On pourrait penser que seule la partie la moins instruite de la population est atteinte
par cette vague de croyances et que, majoritairement, les gens dont les enfants désirent
suivre des études longues sont à l’abri de ces attrape-nigauds. Mais on lit ceci dans ce
même dossier :
Les croyances sont plus fréquentes parmi les couches cultivées (niveau d’études secondaires
dans le cas de l’astrologie, supérieur pour le paranormal) mais une formation de type scien-
tifique tend à diminuer la probabilité de croire, en particulier pour l’astrologie.
S’il fallait interpréter ces résultats, il serait tentant de dire que le « bon sens popu-
laire », dans ce qu’il a parfois de terre-à-terre est peut-être une bonne protection contre
les imaginaires (mais autoproclamées) sciences parallèles. Je suis également frappé de
voir ces deux auteurs (l’un est chercheur à la Fondation Nationale des Sciences Poli-