Aimants cosmiques : le magnétisme des étoiles
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c’est-à-dire que la lumière émise ou absorbée dans cette raie
possède des propriétés vibratoires spécifiques. Cette polari-
sation peut être linéaire ou circulaire, suivant notamment
l’orientation du champ magnétique par rapport à l’observa-
teur. Dans la majorité des cas, le champ magnétique n’est
pas assez intense pour produire une nette séparation des
raies spectrales, qui sont alors simplement élargies. La pola-
risation des composantes reste en revanche bien visible et
permet d’estimer de manière fiable l’intensité et la direction
moyenne du champ magnétique d’une étoile.
Les instruments développés pour réaliser ces mesures
doivent donc à la fois mesurer le spectre de la lumière d’une
étoile et sa polarisation – on les appelle des spectropolari-
mètres. Les deux plus modernes d’entre eux, ESPaDOnS et
NARVAL, sont des instruments jumeaux conçus et déve-
loppés à l’Observatoire Midi-Pyrénées, qui permettent de
mesurer la totalité du spectre visible et proche infrarouge
d’une étoile (de 370 à 1000 nm) en une seule pose dans
l’état de polarisation choisi. Ils sont respectivement installés
au Télescope Canada-France-Hawai’i (au Mauna Kea à
Hawai’i, un des meilleurs sites astronomiques au monde,
figure 1) et au Télescope Bernard Lyot du Pic du Midi. Leur
efficacité hors du commun leur permet d’observer des clas-
ses d’étoiles non encore accessibles par les prototypes plus
anciens. Ils scrutent souvent le ciel en tandem, afin de sui-
vre en continu les évolutions temporelles des étoiles à tra-
vers leurs spectres.
Si le Soleil est assez proche pour qu’on puisse distinguer
des détails à sa surface, les étoiles, dans leur très grande
majorité, n’apparaissent à l’observateur que sous la forme
d’un point lumineux ; même les outils et techniques d’ima-
gerie les plus sophistiquées, comme l’interférométrie, ne
parviennent pas à obtenir mieux qu’une mesure du diamètre
ou de l’aplatissement pour les plus grosses d’entre elles.
Pour dépasser cette limitation, on utilise la rotation des
étoiles – plus précisément, il s’agit d’observer, dans le spec-
tre de la lumière intégrée sur l’hémisphère visible d’une
étoile et aussi continûment que possible sur une rotation
complète, le défilement des différentes régions magnétiques
couvrant la surface. Si la période de rotation est d’environ
28 jours pour le Soleil, elle peut être beaucoup plus courte
pour certaines étoiles (seulement quelques heures pour les
plus rapides), mais aussi beaucoup plus longue pour d’au-
tres (plusieurs centaines de jours pour les plus lentes). Avec
l’aide de techniques d’imagerie similaires à celles qui sont
employées en médecine pour cartographier (par tomogra-
phie) l’intérieur du corps humain, il est possible d’arriver à
reconstruire, à partir de telles observations, l’organisation
complexe du champ magnétique d’une étoile. Cette
méthode permet d’identifier la position des régions magné-
tiques à la surface de l’étoile, d’après le temps pendant
lequel les signatures polarisées associées restent visibles pour
l’observateur. Pour les étoiles qui tournent rapidement, la
position des régions magnétiques est aussi contrainte par le
déplacement, à travers le profil des raies spectrales, des
signatures qu’elles engendrent ; ces signatures sont en effet
successivement bleuies puis rougies (par effet Doppler)
quand la région magnétique s’approche puis s’éloigne de
l’observateur avec la rotation de l’étoile. De la sensibilité des
signatures polarisées à l’orientation du champ magnétique,
il est même possible de déduire la manière dont ce champ
émerge de (ou plonge dans) la surface de l’étoile. En
couplant toutes ces informations, il est enfin possible de
retrouver la topologie à grande échelle du champ magné-
tique de l’étoile.
Les étoiles peu massives :
convection, rotation,
dynamo et activité
C’est dans les éclipses totales que le Soleil révèle sa nature
magnétique et dévoile sa couronne. Cette structure, com-
posée d’un gaz ténu chauffé à plusieurs millions de degrés,
visualise les lignes de champ magnétique émergeant du
Soleil. Par endroits, la couronne est bien ancrée à la surface
par des arches magnétiques ; en d’autres points en revan-
che, les lignes de champ sont ouvertes et le gaz coronal
s’échappe librement vers l’espace interstellaire à des vitesses
supersoniques – c’est le vent solaire.
Si la nature magnétique de cette couronne (ainsi que des
taches, des éruptions et de toutes les manifestations d’acti-
vité que le Soleil exhibe) a longtemps été soupçonnée, c’est
Hale qui l’a prouvée en premier puis qui a montré que ce
champ, complexe à la surface (figure 2), inclut également
une composante simple de type dipolaire. Depuis, les étu-
des ont montré que cette composante globale, relativement
faible (quelques 0,1 mT seulement, soit environ 1000 fois
Figure 1 – Le spectropolarimètre ESPaDOnS inclut deux modules,
un polarimètre installé au foyer du télescope (en haut a droite) et relié
par fibre optique à un spectrographe monté dans une enceinte ther-
mique (en haut à gauche). Équipé d’un miroir de diamètre 3,6 m, le
télescope Canada-France-Hawai’i est situé au sommet du volcan
Mauna Kea sur la grande île de l’archipel d’Hawai’i, un des meilleurs
sites astronomiques au monde (© J.F. Donati & CFHT).
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