DIPLOME D’ETUDES APPROFONDIES Biologie, Evolution et Contrôle des Populations MEMOIRE DE RECHERCHE Coexistence de deux espèces proches : rôles de l’habitat, de la ressource trophique et du temps Mémoire présenté par François Brischoux Sous la direction de Xavier Bonnet Centre d’Etudes Biologiques de Chizé CNRS UPR 1934 79360 BEAUVOIR SUR NIORT Juin 2004 REMERCIEMENTS Merci à Patrick Duncan pour m’avoir accueilli dans son laboratoire. Merci à Xavier Bonnet pour m’avoir encadré, supporté, aidé, motivé ; avoir cru en moi. Merci pour ce soutien permanent même si l’Australie est loin… Merci pour m’avoir accueilli à WoyWoy (dans celui là, j’inclus évidemment Christine et les lardons…). Merci pour ces trois dernières années, en espérant qu’on bosse ensemble les trois prochaines… Merci à Olivier Lourdais qui m’a officiellement guidé pendant un peu plus d’une année mais qui a fait beaucoup plus pendant beaucoup plus longtemps !!! Merci pour le plan Texas, pour nos premiers papiers ensemble, pour les plans futurs. Merci de me pousser quand il le faut. Que notre collaboration continue… Bonne chance pour le concours, ça va gazer. Merci à Fred Lagarde pour être là, à l’écoute et puis donner un coup de main (souvent), pour le vin du jura et la cochonnaille d’Italie, et puis pour le reste aussi… Merci à Los Herpetos, ceux d’avant, que l’on ne revoit guère et c’est bien dommage et ceux de maintenant, Hervé et Matthieu (mes p’tites hôtesses de forêt…), merci de me supporter en tant que chef insupportable (!) et MathLaTortue, bonne chance à toi… Merci à tous les étudiants du CEBC ou d’à coté, ceux avec qui on vit les uns sur les autres… Tim bien sur, qui connaît sa place, ici comme ailleurs. Pierro, qui est toujours là et qui fait attention. Coraline, qui sait pourquoi. Claire, pour la vraie vie. Marie pour la harpounette, Roger pour la gratte et à eux deux pour les soirées musicales. Et tous ceux que je jette en touffe : Léo, Cyril & Marie, Maryline, FredB, Maud, Seb, Diane, Loïc & Vero, David, Alex & Carole, LôRan, Rod, FredA, Maël, Christine, Nadège, Thomas, Jalil, Star’Ac, Floflo, Cécile, Greg, Pierre, Yannig… Puis tous les autres, ceux d’avant, à qui je pense de temps en temps… Merci à Ivan Ineich pour avoir initié avec Xavier Bonnet cette étude calédonienne. Merci pour m’avoir accepter au sein de la “Causus Team”. Merci aussi pour l’identification si rapide des murènes et pour l'accès au fichiers data 2002, 2003 et data locomotion nécessaire pour les analyses. Merci à Bernard Séret pour l’identification des murènes Merci au Pr. Rick Shine, mon “parrain” de loin. Remets-toi bien de cette vilaine morsure… Un grand Merci à l’Aquarium de Nouméa, en particulier à Claire Goiran et Philippe Leblanc, ainsi qu’à toute l’équipe Jocelyn, Sylvain, Marie, Monique, Greg, Marc… Merci à la Direction des Ressources Naturelles de la Province Sud, à François Devinck ainsi qu’à Frédéric, Capitaine de l’Améré et à Christophe, Capitaine de l’Isabelle. Merci à Vincent Liardet pour toute l’énergie qu’il a dépensé pour me trouver un “Vendredi”… Merci à Eric, le rochellais calédonien, pour les bonnes discussions, le pain de marin (celui qui ne durcit jamais…) et les pains aux raisins. Ca change des biscottes !!!! Merci à Michel Kulbicki de L’Institut de Recherche et de Développement de Nouméa. Merci à toute l’équipe des Plong’ Dem’ et notamment à Tanguy, Thierry et Richard. Merci pour tous les craznas du midi et la One fraîche. Bon vent à vous… Merci à la Société Calédonienne d’Ornithologie, à Nicolas Barré et toute son équipe. Merci pour le barbecue et la bonne soirée. Merci à Ivy pour avoir épargné la Nouvelle Calédonie et m’avoir offert une semaine de vacances à Nouméa. Merci enfin à mes parents dont le soutien permanent m’a permit d’aboutir jusque là… CADRE GENERAL ET INTRODUCTION Limiter la perte de la biodiversité est un des défis actuels majeurs, non seulement pour des questions éthiques, mais aussi pour des raisons fonctionnelles ; les écosystèmes appauvris deviennent fragiles et sont moins capables de résister aux changements environnementaux (Barbault 1992, Ehrlich et Ehrlich 1981, Frank et Mc Lawton 1994, Naughton 1991). Un autre défi, complémentaire du premier, est de comprendre les phénomènes qui génèrent la biodiversité, notamment les processus de spéciation et ceux qui permettent son maintien. En particulier, la coexistence d’espèces proches à la fois sur les plans morphologique, génétique et écologique reste mal comprise. L’intuition suggère que seule l’espèce la plus performante devrait résister aux processus de compétition. A l’appui de cette notion, les cas de ruptures de l’isolement géographique s’accompagnent de disparitions d’espèces par compétition (Case 1991, Jaeger 1970). Inversement, l’isolement géographique est considéré comme une des sources principales de la spéciation (Mayr 1963). Pourtant les cas de coexistences d’espèces proches sont nombreux et soulèvent des questions fondamentales. Par exemple, comment les mécanismes subtils qui empêchent l’hybridation inter-spécifique (Shine et al. 2002c), résistent-ils au cours du temps ?. Différents modèles théoriques fournissent des voies de recherche pour comprendre comment des espèces proches coexistent malgré la promiscuité. Toutefois, il existe peu d’études de terrain ayant permis de valider ou d’infirmer ces modèles (Grant 1999, Schluter 1994). Ci-dessous sont présentés les concepts de richesse spécifique et de coexistence puis les principales hypothèses alternatives expliquant leur maintien, notamment lorsque les espèces concernées sont proches et partagent le même écosystème. La richesse spécifique (nombre d’espèces dans un milieu) fournit une mesure de la biodiversité directement liée à la complexité des écosystèmes (Rosensweig 1996). Certains auteurs suggèrent que le maintien d’une forte richesse spécifique est rendu possible par le biais de la coexistence (Hutchinson 1959). Ce concept a suscité de nombreuses études en écologie des communautés depuis ces vingt dernières années (Holt 1984, Kotler & Brown 1988, Kotler et al. 1993, Martin & Martin 2001). Néanmoins, la reconnaissance des mécanismes de coexistence et leur compréhension, restent souvent incomplètes du fait des lacunes taxonomiques et de la complexité extrême des interactions entre les différentes espèces et de nombreux facteurs abiotiques (Tokeshi 1999). Malgré la complexité des relations mises en jeu, deux grands processus majeurs pourraient expliquer la coexistence des espèces (Tokeshi 1999) : i) la réduction de la compétition (en particulier de la compétition interspécifique), ii) la prédation au sens large (c’est à dire englobant le parasitisme). Le cas de la réduction de la compétition apparaît particulier car il met en jeu des processus bien différents des processus de régulation des populations par prédation. La coexistence implique très souvent des interactions fortes entre espèces, notamment des interactions compétitives pour lesquelles deux espèces (au moins) s’influencent négativement. Il existe trois conditions majeures pour reconnaître une situation de compétition (Tokeshi 1999) : i) différentes espèces partagent les mêmes ressources, ii) les ressources partagées sont en quantités limitées, et iii) les espèces impliquées sont affectées défavorablement par chacune des autres espèces au cours de l’acquisition de la ressource. Les situations de compétition présentent un grand intérêt en écologie car c’est un des facteurs majeurs influençant la structure des communautés (Begon et al. 1986, Tokeshi 1999). Les bases mathématiques Les interactions entre espèces restent très difficiles à appréhender. Comme souvent, le passage par un système simplifié permet d’éclaircir certaines complications. Dans ce cadre, la modélisation apporte des avantages très intéressants. Le modèle théorique de Lotka-Volterra décrit le comportement de populations de deux espèces compétitrices (Gotelli, 1998). Il s’agit d’un modèle simple et puissant, développé dans les années 1920, qui reste fondamental dans l’étude de la compétition en écologie (Gotelli 1998). Au départ, chaque population croît de façon logistique avec chacune son propre taux de croissance et une capacité d’accueil spécifique de l’environnement. La croissance populationnelle est réduite par la compétition intra-spécifique mais aussi par la présence de la seconde espèce en fonction du nombre d’individus compétiteurs. Ce modèle met aussi en jeu des coefficients de compétition qui estiment respectivement les effets de l’espèce 1 sur l’espèce 2 et inversement. dN 1 K 1 − N 1 − αN 2 = r1 N 1 , équation de la croissance de l’espèce 1 dt K1 dN 2 K 2 − N 2 − βN 1 = r 2 N 2 , équation de la croissance de l’espèce 2 dt K2 où, N1 et N2 sont les tailles des populations, r1 et r2 les taux de croissance des populations, K1 et K2 les capacités d’accueil de l’environnement, et et les effets de l’espèce 2 sur l’espèce 1 et de l’espèce 1 sur l’espèce 2 respectivement. La résolution des équations du modèle de Lotka-Volterra mène à quatre solutions. Une de ces solutions met en jeu la prépondérance de la compétition intra-spécifique par rapport à la compétition inter-spécifique (Harper 1978, May 1981, Rickleffs 1979). Dans ce cas, il y a coexistence stable des espèces compétitrices (existence d’un point d’équilibre stable) : quelles que soient les abondances initiales des 2 espèces, les deux populations vont atteindre une valeur d’équilibre (figure 1a). Néanmoins, chacune des espèces persiste à une abondance plus faible qu’elle aurait atteinte en l’absence du compétiteur. Dans ce cas, la compétition réduit les tailles de populations des deux espèces mais ne mène pas à l’extinction de l’un ou l’autre des compétiteurs. Les trois autres solutions du modèle mènent à la disparition de l’une ou l’autre des espèces compétitrices. Deux de ces solutions sont analogues : soit l’espèce 1 “gagne” la compétition (l’espèce 2 décline jusqu'à l’extinction et l’espèce 1 atteint la capacité d’accueil de l’environnement) ; soit l’espèce 2 “gagne” la compétition (figure 1b et 1c). La dernière solution met en évidence un cas d’équilibre instable, les deux espèces ne pouvant coexister à long terme et l’une est menée à l’extinction par l’autre (figure 1d). Il est cependant complexe de prédire l’espèce “gagnante”, car si la victoire dépend de l’avantage numérique au départ, elle dépend aussi de bon nombre d’autres paramètres (comme les taux de croissance des populations, par exemple). Ces 3 solutions, qui mènent à la disparition d’un des partenaires de la compétition, font appel au principe de l’exclusion compétitive. (a) K1/α (b) K2 N2 N2 K2 K1 N1 K1/α K1 K2/β K2/β N1 (c) K1/α (d) K2 N2 N2 K2 K1/α K2/β K1 N1 K2/β N1 K1 Figure 1. Représentations graphiques des quatre solutions des équations du modèle de Lotka-Volterra. (a) équilibre stable, coexistence. (b) exclusion compétitve de l’espèce 1 par l’espèce 2. (c) exclusion compétitive de l’epèce 2 par l’espèce 1. (d) exclusion compétitve, équilibre instable. Les carrés représentent les points d’équilibre. Élimination des compétiteurs Le principe de l’exclusion compétitive stipule que “deux ou plusieurs espèces présentant des modes d’utilisation des ressources identiques ne peuvent continuer de coexister dans un environnement stable, la plus apte éliminant les autres” (Grover 1997, Hardin 1960). Si deux espèces peuvent cohabiter, il doit exister quelques différences entre elles dans l’utilisation des ressources. Le principe de l’exclusion compétitive fait appel à la notion de ressource limitante. Trois types de ressources limitantes prépondérantes ont été évoqués (Shoener 1974) : l’espace, les ressources trophiques et le temps. Plus les espèces sont similaires dans l’utilisation partagée de ces ressources limitantes et plus leur coexistence est précaire (May 1981). Les expériences de Gause (1934) avec des paramécies, ou celles de Park (1948, 1954, 1957) avec des coléoptères, ont démontré la validité du principe de l’exclusion compétitive – dans des conditions environnementales très simplifiées. Le principe de l’exclusion compétitive a aussi été mis en évidence sur le terrain, mais dans le cas particulier d’introduction d’espèces exotiques par l’homme. Très souvent, l’espèce introduite est en compétition avec les espèces natives. Dans certains cas, à travers les mécanismes décrit par le principe de l’exclusion compétitive, les espèces invasives éliminent complètement les espèces natives (Mooney & Cleland 2001). Des réserves ont été émises par rapport au principe de l’exclusion compétitive. Putman & Wratten (1984) évoquent que le principe de l’exclusion compétitive serait “théoriquement” possible si l’une des espèces ne change pas de “goûts écologiques” face à la compétition. Ces auteurs utilisent le mot “théoriquement” pour indiquer que les espèces ont en fait des possibilités de réaction et peuvent s’adapter à la présence d’un compétiteur de différentes façons. Crawley (1986) suggère que le principe ne fonctionne pas : si la logique est impeccable, les hypothèses qui l’accompagnent sont trop simplistes. En effet, l’environnement n’est uniforme ni dans l’espace, ni au cours du temps. Enfin, Park (1957) n’est pas complètement convaincu que les espèces de Tribolium de ses expériences ne puissent coexister et évoque le fait que ses résultats restent difficiles à interpréter. Mis à part certaines situations particulières (situations expérimentales en laboratoire et peut-être introduction d’espèces), les études théoriques et de terrain suggèrent qu’il existe souvent des mécanismes de relâchement de la compétition en situation naturelle (Huisman & Weissing 1999, Loreau & Ebenhoh 1994, Schluter 1994). Dans ce dernier cas, les relations entre compétition et coexistence apparaissent plus simples : l’évitement, la réduction ou le relâchement de la compétition interspécifique peuvent favoriser la coexistence entre espèces. Il existe différents cas d’interactions coexistence-compétition (Tokeshi 1999) : i) il y a coexistence compétitive lorsque la coexistence est rendue possible par des facteurs extrinsèques malgré une forte compétition (par exemple via la prédation), ii) il y a coexistence non compétitive si la compétition est faible (par exemple les ressources ne sont pas limitantes), et iii) s’il y a eut une forte compétition dans le passé, la coexistence est possible via une séparation plus ou moins complète des niches écologiques au cours d’un processus de coévolution. Ce troisième cas, qui fait appel au concept majeur de la niche écologique, pourrait jouer un rôle fondamental dans les conditions naturelles (Tokeshi 1999). Réduction de compétition et partage des ressources Le concept de niche définit le rôle et la place de l’organisme dans le fonctionnement de l’écosystème. Hutchinson (1957) la définit comme l’ensemble des conditions dans lesquelles vit et se maintient une population. Cet hyper-volume à n dimensions (figure 2) correspondrait à la niche potentielle ou optimale de l’espèce. La niche réelle serait quant à elle plus restreinte, par suite des interactions biotiques et abiotiques entre la population considérée et les autres populations locales. Néanmoins, pour des besoins analytiques, les auteurs divisent le terme de niche en autant de dimensions correspondant aux activités essentielles de la vie des organismes : niche alimentaire, niche spatiale, niche comportementale, etc (Leibold 1995). Cette approche analytique permet d’accéder aux phénomènes de divergence partielle ou totale de niche qui aboutissent à la réduction de la compétition (Hutchinson 1957). Les relâchements de compétition sont classiquement reliés aux phénomènes de partage des ressources, où deux espèces occupant le même habitat et ayant des besoins similaires, utilisent ces ressources de manière différente afin de diminuer la compétition directe. Il existe différentes manières de percevoir les situations de partage des ressources : i) soit le partage des ressources permet effectivement la coexistence de plusieurs espèces utilisant la même ressource, ii) soit le principe de l’exclusion compétitive a déjà éliminé toutes les situations où le partage des ressources ne peut s’appliquer. Il existe enfin une subtilité liée au vocabulaire utilisé : s’il y a exclusion d’un des partenaires de la compétition au niveau d’une niche sans disparition physique de celui-ci dans l’environnement proche, alors il y a coexistence malgré une exclusion partielle (ou totale) liée à la compétition. Plusieurs exemples classiques illustrent les phénomènes de divergence de niche dans les cas de coexistence (pinsons, Grant Température (°C) 1999 ; épinoches, Schluter 1994). Max Min Min Max Taille des proies (cm) Figure 2. Exemple d’un hypervolume à 2 dimensions. La partie hachurée représente la niche occupée par cette espèce. Des concepts difficilement vérifiables… Malgré son caractère intuitif, la mise en évidence du partage des ressources comme base de la coexistence d’espèces est extrêmement difficile à démontrer. La séparation de niches s’accompagne d’adaptations différentielles entre les espèces, par exemple pour acquérir une nourriture spécifique (Grant 1999). Comme dans la plupart des mécanismes se déroulant sur de grandes échelles de temps, il est souvent impossible de différencier les causes et les conséquences. Les adaptations spécifiques sont-elles une conséquence, ou l’origine du partage des ressources ? Même en se focalisant sur les aspects trophiques, les interactions proies-prédateurs et les interactions inter- ou intra-spécifiques sont à l’origine de pressions de sélection synergiques ou antagonistes sur le développement de certains caractères dont il est très difficile de dégager l’effet propre. Les problèmes d’allométrie viennent encore compliquer la situation. Les gammes de variations pour un trait donné sont souvent assez limitées et les recouvrements entre les espèces très faibles voire inexistants, ce qui complique fortement les comparaisons inter-spécifiques. Par exemple, il existe de fortes différences de taille corporelle entre les différentes espèces d’ongulés qui coexistent dans les plaines de certains pays d’Afrique (Sinclair 2000). Or, la taille corporelle influence tous les traits d’histoire de vie et est soumise à l’action de nombreuses pressions de sélection (Stearns 1992). Il est alors presque impossible de distinguer l’influence de la taille per se de celui de la réduction de la compétition liée au partage des ressources. Constater que telle espèce de grande taille ne s’alimente pas sur les même ressources trophiques que telle autre, de petite taille, nous renseigne finalement assez peu sur le rôle de la réduction de la compétition alimentaire. … sauf dans certaines situations Il n’existe pas de situation idéale pour palier les risques de raisonnements circulaires associés à cette problématique. Toutefois, certaines conjonctures écologiques offrent de sérieux avantages. La combinaison de cas de coexistences d’espèces proches sur les plans taxonomiques et morphologiques avec des gammes de variations phénotypiques étendues et chevauchantes pour les traits examinés, permet de réduire considérablement les problèmes d’allométrie. Si des caractéristiques morphologiques, comme la forme ou la taille des mâchoires, ne sont pas sous l’influence de pressions de sélection multiples, la situation est encore simplifiée pour l’étude du partage des ressources alimentaires. Enfin, si ces mêmes caractéristiques trophiques répondent directement, et de façon simple, aux contraintes posées par l’alimentation, on dispose de plus de possibilités pour mesurer des variables pertinentes et facilement accessibles. Peu de modèles rassemblent l’ensemble de ces avantages ; les serpents marins du genre Laticauda en font partie. Différentes espèces cohabitent dans de nombreux lagons du Pacifique (Heatwole 1999). Certaines espèces sont tellement semblables qu’elles n’ont été distinguées que récemment (Shine et al. 2002c). Comme chez les autres ophidiens, les gammes de taille sont très étendues et se recouvrent largement entre les espèces. Ces reptiles se nourrissent de proies dont la taille limite leur capacité d’ingestion : la longueur de leur mâchoire, facile à mesurer, détermine la taille maximale des proies qu’ils peuvent consommer. Les serpents, à de rares exceptions, n’utilisent par leur bouche lors des combats intra-spécifiques ou lors des accouplements ; les caractéristiques des mâchoires sont limitées à leurs rôles trophiques. L’étude de ces serpents présente d’autres avantages. Ils sont sédentaires, entre leurs voyages alimentaires en mer ils doivent retourner à terre, sur le même îlot, pour digérer, muer, se reproduire et se reposer (Shetty & Shine 2002a, b, c). Ils avalent leurs proies en entier, celles-ci sont donc elles même mesurables après régurgitation forcée. Les tailles des populations sont souvent très importantes. Aussi, la prospection des îlots habités par les Laticauda permet de récolter rapidement de grandes quantités d’informations et de comparer directement les différentes espèces qui fréquentent les plages. Le fait que des espèces sont morphologiquement très proches apporte un intérêt majeur pour tester certaines prédictions. Dans le cas où les tailles sont très similaires, on peut s’attendre à ce que les possibles différences dans l’utilisation des ressources soient effectivement liées à la coexistence et non à des différences allométriques importantes. Dans ce cadre, il est donc nécessaire de tester si la coexistence de deux espèces de Laticauda s’accompagne d’un partage des ressources, et si oui, à quel degré. L’émancipation des problèmes d’allométrie associée à la simplicité de la relation taille des proies/taille des mâchoires, indépendamment de différentes pressions de sélections (sexuelle, ou pour la fécondité, par exemple), offrent un cadre simplifié, et donc privilégié, pour l’étude de phénomènes complexes. En récoltant des données sur l’écologie de deux espèces sympatriques de Laticauda, il sera possible de mettre en évidence des différences dans leur utilisation des ressources alimentaires, de leur habitat terrestre et leur rythme d’activité et de les mettre en relation avec d’éventuelles différences morphologiques. MATERIEL ET METHODES Site d’étude L’étude a eu lieu sur un îlot du lagon entourant la Nouvelle Calédonie : l’îlot Signal (ou îlot Te Ndu), réserve spéciale du Lagon Sud, situé à 15 km à l’ouest de Nouméa et 10 km de la barrière de corail ouest. Cet îlot de 10 ha, entouré d’un platier corallien, est recouvert d’une forêt sclérophylle (figure 3). N 200 m Figure 3. Carte de l’îlot Signal. L’îlot, recouvert d’une forêt, est entouré d’un platier corallien. La zone encadrée de noir correspond à la plage d’étude. Espèces étudiées Deux espèces de serpents marins coexistent sur l’îlot Signal : Laticauda laticaudata (tricot rayé bleu) et Laticauda colubrina (tricot rayé commun). Ce sont des espèces d’apparence très proche. Appartenant au même genre, elles présentent des morphologies similaires et adaptées à la vie marine : queue comprimée latéralement, glandes à sel… (Heatwole 1999, Shine & Shetty 2001a, b, Shine et al. 2003). Toutefois, la position taxonomique exacte de ces deux espèces n’est pas encore clairement établie : en particulier, L. colubrina en Nouvelle Calédonie est actuellement considérée comme une espèce endémique et devrait donc être renommé (I. Ineich, X. Bonnet com. pers.). Néanmoins par souci de simplicité, j’utiliserai la taxonomie courante. L’écologie des Laticauda de Nouvelle Calédonie est peu connue, une seule et brève étude a été menée, il y a plus de 40 ans (Saint Girons 1964). Cette étude a eu lieu sur différentes îles (situées au nord de l’îlot Signal) et suggère que ces serpents sont extrêmement abondants dans le lagon calédonien. Captures Trois campagnes de capture ont eu lieu sur l’îlot Signal : du 26 novembre au 14 décembre 2002 (début d’été), du 15 novembre au 5 décembre 2003 et du 19 février au 22 mars 2004 (début d’automne). J’ai pris en charge la dernière campagne de terrain. Tout le pourtour de l’îlot a été échantillonné à la fois de jour et de nuit. Plus de 99% des captures ont eu lieu sur un tiers de l’îlot seulement (plage ouest, figure 3). L’effort de recherche a donc été orienté sur cette zone particulière. Afin d’appréhender de possibles différences de répartition spatiale, cette plage fut divisée en 41 zones de 10 mètres. La zone de capture fut notée pour chaque serpent lors de la campagne 2004 de capture. Le reste de l’îlot (en incluant l’intérieur des terres) a été régulièrement visité. Vu le nombre très important de serpents sur l’îlot Signal, l’effort de recherche à été limité de une à trois sessions de capture par jour. Ces sessions couvraient les périodes durant lesquelles les tricots rayés étaient les plus visibles (de 5h00 à 8h00 et de 16h00 à 22h00), l’effort de recherche de jour ou de nuit étant comparable. Les serpents ont été capturés à la main, mesurés, marqués individuellement et de manière permanente (par coupures d’écailles ventrales) puis rapidement relâchés (de 1h à 24h après la capture). Le nombre total de serpents observés, en additionnant captures et recaptures a été de 1423 (909 L. laticaudata et 514 L. colubrina). Le nombre total de recaptures a été de 418 (330 L. laticaudata et 88 L. colubrina) avec un intervalle de 2 à 500 jours entre captures. Mesures biométriques Pour chaque serpent, l’heure de capture, l’espèce et le sexe ont été relevés, ainsi que la longueur (SVL : longueur museau-cloaque et TL : longueur totale, ±1cm), la masse corporelle (±1g) et la longueur des mâchoires (depuis la base de l’articulation quadrato-angulaire à la pointe du museau, ±1mm). Régime alimentaire Afin de mettre en évidence un possible partage des ressources au niveau trophique, il est nécessaire de caractériser le régime alimentaire des deux espèces de serpents et d’approcher les phénomènes de recouvrement des niches trophiques à travers une série d’estimateurs descriptifs. Taille des proies et régime alimentaire L’abdomen de chaque serpent a été palpé afin de détecter la présence éventuelle de proie dans l’estomac. Les proies peuvent être très digérées ou quasiment intactes (le corps des poissons étant très ferme à la palpation). Chez les tricots rayés, la digestion n’est pas homogène : l’extrémité avalée en premier peut être digérée tandis que le reste de la proie reste intacte. De cette façon, il est très souvent possible de mesurer le diamètre de la proie même si elle est encore dans l’estomac (à l’aide d’un pied à coulisse électronique, ±1mm), l’épaisseur des différentes couches tissulaires (peau, cotes, estomac… souvent très distendus) entourant la proie est négligeable. Comme les tricots rayés se nourissent de poissons anguilliformes (sans nageoires rigides), il est très facile de les faire régurgiter sans aucun risque de lésions internes. Les proies régurgitées, en fonction de leur état de digestion, furent utilisées afin d’obtenir des mesures précises de la masse (N=78), du diamètre (N=271) et de la longueur (N=126) des proies. Enfin, 105 de ces proies régurgitées ont pu être identifiées afin de connaître les espèces proies consommées par les tricots rayés. La détection de nourriture par palpation, quel que soit le degré de digestion, a été utilisée afin de calculer la proportion de serpents avec une proie. Mesure du recouvrement de niche Un des indices les plus intéressants est celui de MacArthur & Levins (1967 ; dans Krebs 1999) : n Mjk= ∑P P ∑ P² ij i ik ij où Mjk, indice de recouvrement de l’espèce j par rapport à l’espèce k, est calculé à partir de Pij, proportion des proies i (abondance numérique ou biomasse) utilisées par l’espèce j et Pik, la proportion des proies i utilisées par l’espèce k. Mkj est calculé de la même manière pour la seconde espèce. Un indice est calculé pour chaque espèce. Dans la plupart des cas ils ne sont pas symétriques et donc permettent de se rendre compte jusqu'à quel point la niche de la première espèce est en recouvrement avec celle de la deuxième et inversement (et donc d’appréhender la compétition). Enfin, le recouvrement peut être traduit en proportion via le calcul du pourcentage de recouvrement (Renkonen 1938 ; dans Krebs 1999) : ( ) n Pjk= ∑ min Pij , Pik 100 i Ces deux indices complémentaires ont été utilisés à des fins descriptives. Déplacements à terre Pour estimer l’utilisation de l’habitat, une approche indirecte, basée sur les capacités de déplacements à terre, à été utilisée. Celle-ci met en jeu deux méthodes complémentaires : une mesure des capacités d’escalade et une mesure de la force de traction qui implique des muscles associés à la reptation (Lourdais et al. 2004a, b, Schwaner & Sarre 1990). Les capacités terrestres permettent de caractériser des potentialités différentes d’utilisation de l’habitat par les Laticauda. Escalade Le long du périmètre de certains îlots, les plages alternent avec des rochers relativement plats et des falaises coralliennes escarpées (verticales, jusqu’à 2m au- dessus du niveau de la mer). Sur d’autres îles, Nouvelle Calédonie, Vanuatu et Fiji, de nombreux serpents ont été observés escaladant ces falaises pour rejoindre la terre ou la mer (I. Ineich & X. Bonnet com. pers.). La plupart de ces falaises sont très érodées à leur base et surplombent l’océan. Les capacités d’escalade des serpents furent testées sur une falaise présentant un surplomb puis une partie verticale (figure 4). VEG ETATIO N B 1.3m A 1.0m Marée H ighhaute Tide 0.8m Marée basse Low Ti de Figure 4. Représentation simplifiée de la falaise d’étude. Les flèches A et B indiquent les différentes zones, surplomb ou falaise verticale, utilisées pour évaluer les capacités d’escalade des tricots rayés. Bien que les coraux érodés présentent de nombreuses irrégularités, le surplomb apporte une difficulté significative : un serpent qui perd prise tombera inévitablement sur les rochers ou dans l’eau. Les tests ont mis en jeu 168 serpents et chaque serpent fut testé une seule fois. Les serpents furent distribués au hasard dans deux groupes qui étaient placés soit sur le surplomb soit sur la partie verticale de la falaise. Certains serpents se décrochèrent de la falaise et pour éviter toutes blessures, les serpents tombant étaient rattrapés à la main. Pour ceux qui tentèrent d’escalader, la position du serpent (et donc ses déplacements) fut relevée après 5 secondes puis 2 minutes. Le temps total passé sur la falaise et la distance totale parcourue furent aussi relevés. La température du substrat variait entre 24.1°C et 26.5°C (moyenne = 25.7±0.8°C). Les températures corporelles de 38 serpents étaient corrélées aux températures du substrat (r = 0.84, P < 0.0001). Mesure de la force musculaire Le serpent était maintenu aux deux extrémités par le manipulateur (toujours la même personne) avec un dynamomètre (maximum 10kg, précision 100g) attaché à un point fixe et au poignet du manipulateur. Lorsque le corps du serpent est tendu, l’animal réagit toujours en contractant son corps afin de s’échapper. La contraction maximale (habituellement la première) de chacun de 368 serpents fut mesurée. Des méthodes similaires de mesure de force musculaire ont été validées sur différentes espèces de serpents (Lourdais et al. 2004a, b, Schwaner & Sarre 1990). Pour les analyses, certaines données furent écartées (N=86) pour tous les serpents présentant une proie en digestion ou des follicules en croissance (parce que ces circonstances modifient la masse corporelle du serpent et affectent donc la relation masse-force). Tous les tests ont été menés à des températures (de l’air et donc corporelles) similaires (22°C-27°C), les serpents étant conservés dans des sacs en tissus (maintenus à l’ombre) avant les tests. Reproduction De la même manière que pour caractériser les contenus stomacaux, les follicules ou les œufs sont aisément reconnaissables par palpation. La présence de follicules (ou oeufs) dans les ovaires (ou oviductes) a donc été relevée afin de mettre en évidence un possible décalage entre les périodes de reproduction des deux espèces de tricots rayés. Analyses statistiques Les ANOVAs ont été utilisées pour la plupart des comparaisons de morphologie. La normalité des données a été testée avant d’effectuer ces analyses, bien que le test F est très robuste par rapport aux déviations de la normalité (Lindman 1974), surtout quand les échantillons sont de taille relativement importante. Les analyses pourraient être invalidées quand elles mettent en jeu des données hautement inter-corrélées (Sokal and Rohlf 1981). Cependant, les données intercorrélées ont été analysées par des ANCOVAs (voir Barron 1997 pour les détails). L’ensemble des analyses statistiques a été réalisé sous le logiciel Statistica 6.0 (Statsoft). RESULTATS Morphologie L. laticaudata est significativement plus long que L. colubrina (ANOVA, F1,1175=162.84, p<0.001 ; moyennes de 85.0±12.9 cm et 75.2±12.7 cm respectivement pour L. laticaudata et L. colubrina) mais les gammes de tailles présentent des recouvrements très importants (figure 5). L. colubrina est significativement plus lourd que L. laticaudata (ANCOVA avec la SVL comme covariable, F1, 536=8.14, P<0.0001, moyennes ajustées par la taille de 208.9±2.6 g et 155.0±2.2 g, respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata). Pour une même longueur corporelle, L. colubrina a les mâchoires les plus longues (ANCOVA avec la SVL comme cofacteur, F1, 996=302.63, P<0.0001 ; moyennes ajustées par la taille, 22.15±0.06 mm et 20.81±0.04 mm respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata, figure 6). Habitat Zones de capture Les serpents furent contactés sur 34 des 41 zones de la plage de capture (plage ouest, figure 3). Les deux espèces de tricots rayés utilisaient 85% de ces zones. Les zones sur lesquelles n’étaient pas capturée l’une ou l’autre des espèces ne semblaient pas diverger par le type de milieu que ce soit au niveau de la plage (essentiellement sable et rochers calcaires) ou au niveau du talus bordant la plage (rochers calcaires et végétation basse). Mesure de la force musculaire La force était corrélée à la masse (F1, 277=202.6, P<0.0001), celle-ci fut donc incorporée comme covariable dans les analyses suivantes. L’espèce et le sexe affectent la force des serpents (ANCOVA avec l’espèce et le sexe comme facteurs : F1, 277=4.4, P=0.037, et F1, 277=61.0, P<0.0001 respectivement), sans interaction significative entre les deux facteurs (F1, 277=0.47, P=0.50). Relativement à la masse corporelle, L. colubrina, était plus fort que L. laticaudata (moyennes ajustées par la masse, 3.30±0.10 et 2.98±0.11 respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata, figure 7). Les femelles étaient toujours moins fortes que les mâles. Fréquence d'observation (%) 50 L. colubrina L. laticaudata 40 30 20 10 0 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 130 Gamme de taille (cm) Figure 5. Distributions des gammes de tailles de L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Figure 6. Longueur moyenne ± écart type (relative à la SVL) des mâchoires de L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Déplacements à terre Surplomb Les proportions de serpents qui tombèrent et escaladèrent ne diffèrent pas significativement entre les deux espèces pendant les cinq premières secondes du test (χ² de Yates=0.93, df=1, P=0.33, N=49 L. laticaudata et N=68 L. colubrina). Cependant, après deux minutes, pratiquement tous les L. laticaudata étaient tombés alors que de nombreux L. colubrina continuèrent à escalader la falaise (χ² de Yates=8.55, df=1, P=0.003). En utilisant uniquement les serpents qui escaladèrent pendant plus de 5 secondes, les L. colubrina parcoururent de plus grandes distances au niveau du surplomb (moyenne de 100cm versus 68cm, test U de Mann-Whitney=225.5, P<0.05, N=35 colubrina et N=19 laticaudata). Falaise verticale Pratiquement tous les serpents furent capables d’escalader cette section de la falaise sans différence significative entre espèces que ce soit après 5 secondes ou 2 minutes (χ² de Yates=0.64, df=1, P=0.42, et χ² de Yates=2.06, df=1, P=0.15 respectivement, N=25 laticaudata et N=26 colubrina). Plus de 78% des serpents restèrent sur la falaise et 70% arrivèrent au sommet dans un laps de temps de 2 minutes. Néanmoins, L. colubrina arriva au sommet plus souvent que L. laticaudata (61% versus 39%, χ² de Yates=3.74, df=1, P<0.05). Vitesse d’escalade Les analyses de vitesse sont basées sur 94 cas, sans tenir compte des données des serpents qui décrochèrent quasiment immédiatement ou qui restèrent immobile après s’être réfugiés dans une anfractuosité. Les données utilisées concernèrent les serpents qui escaladèrent plus de 5 secondes avant de tomber. Beaucoup de femelles (notamment les individus de grande taille) tombèrent quasiment immédiatement ou restèrent immobiles, elles furent donc exclues des analyses de vitesse. L’examen des données des mâles uniquement met en évidence une forte différence inter-spécifique dans les vitesses moyennes (F1, 83=8.71, P=0.004). Les mâles L. colubrina escaladèrent plus de deux fois plus vite que les mâles L. laticaudata au niveau de la falaise verticale (ANOVA à deux facteurs avec espèce et type de falaise comme facteurs : effet falaise, F1, 81=73.86, P<0.0001; effet espèce, F1, 81=33.05, P<0.0001; interaction, F1, 81=14.14, P=0.0003; figure 8). Figure 7. Force de traction moyenne ± écart type (relative à la masse corporelle) de L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Vitesse d’escalade (cm.s-1) (cm.s-1) 10 e) 19 8 6 16 4 2 0 18 32 lat.Surplomb col. lat. verticalecol. Figure 8. Vitesses d’escalade moyenne ± écart type au niveau du surplomb (surplomb) et de la falaise verticale (verticale) des mâles L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Ressources Trophiques Proportion de serpents avec une proie La proportion de serpents avec une proie dans l’estomac était différente entre les deux espèces de serpents (L. laticaudata : 30.73%, N=275 ; L. colubrina : 39.0%, N=199, χ² de Yates=9.90, df=1, P<0.01) mais ces proportions restent néanmoins dans des valeurs biologiques comparables. Taille des proies Pour une même longueur corporelle, L. colubrina consomme des proies de plus grand diamètre que L. laticaudata (ANCOVA avec la SVL comme covariable, F1, 226=122.52, P<0.0001 figure 9). De la même manière, pour une même taille de mâchoires, L. colubrina consomme des proies de plus grand diamètre que L. laticaudata (ANCOVA avec l’espèce et la taille des mâchoires comme facteurs, F1, 996=98.50, P<0.0001), le diamètre des proies consommées représentait en moyenne 77% et 60% (respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata) de la longueur des mâchoires des serpents (figure 10). Espèces proies Le régime alimentaire des deux espèces de tricots rayés était constitué de 30 espèces appartenant à 10 genres (N=105 proies identifiées). La plupart des proies identifiées étaient des poissons anguilliformes appartenant à 4 familles (Muraenidae : 24 espèces, Muraenesocidae : 1 espèce, Congridae : 1 espèce et Ophictidae : 3 espèces ; représentant 99.4% des régurgitats) et une petite proportion était représentée par une espèce de Microdesmidae ayant un mode de vie très proche de celui des poissons anguilliformes (Ptereleotris sp. cf. hanae représentant 0.6% des régurgitats). Le diamètre de la proie était hautement corrélé à sa masse (r= 0.81, F1, 19= 145.56, P<0.0001, N=74). Figure 9. Diamètre des proies moyenne ± écart type (relatif à la longueur des mâchoires) consommées par L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Figure 10. Diamètre des proies moyenne ± écart type (relatif à la taille des mâchoires) consommés par L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Mesure du recouvrement de niche Sur les dix genres de proies consommées, seuls deux était en commun chez les deux espèces (figure 11), ce qui représente cinq espèces de proies sur trente. Les deux types d’indices fournissent des valeurs convergentes qui indiquent une faiblesse de recouvrement : - l’indice de Mac Arthur et Levins montre que le recouvrement est minime entre les deux espèces (L. laticaudata par rapport à L. colubrina : 0.17 et L. colubrina par rapport à L. laticaudata : 0.16), cet indice habituellement dissymétrique est, dans ce cas, quasiment identique pour les deux espèces. - le pourcentage de recouvrement qui apporte une information quantitative est de 14.6%. Périodes d’activité Les périodes d’activité (jour versus nuit) étaient clairement différentes entre les deux espèces (χ² de Yates=190.69, df=1, P<0.0001). Les tricots rayés bleu étant beaucoup plus nocturnes que les tricots rayés communs qui montrent une tendance crépusculaire à diurne (figure 12). Néanmoins, 33% de L. colubrina furent capturés de nuit et 28% de L. laticaudata furent capturés de jour en partie alors qu’ils se trouvaient dans leur abris. Périodes de reproduction Les périodes de reproduction furent identifiées grâce à la présence d’œufs dans le tractus génital des femelles. Durant les différentes session de terrain, 51 femelles reproductrices ont été capturées (N= 29 L. colubrina et N= 22 L. laticaudata). Grâce au stade de développement des œufs (vitellogenèse ou œufs ovulés, facilement identifiables par palpation), il fut possible de mettre en évidence que chez L. colubrina la période de fin de vitellogenèse et de ponte a lieu durant le début d’été (novembredécembre) alors que pour L. laticaudata elle se situe en fin d’été (février-mars). Fréquence d'observation (%) 100 L. colubrina L.laticaudata 80 60 40 20 An ar ch ia s Co Gy ng er m no th or ax M yr op hi Op s hi ch th Pt us e Sc r e hi le sm ot ris or hy nc hu s Sc ut ic ar St ia ro ph id Ur on op te ry gi us 0 Figure 11. Fréquence d’observation de 10 genres de proies consommées par les tricots rayés, L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris). Fréquence d'observation (%) 80 70 L. colubrina L. laticaudata 60 50 40 30 20 10 0 Jour Nuit Période Figure 12. Fréquence d’observation des tricots rayés, L. colubrina (en gris) et L. laticaudata (en noir) en fonction de la période de la journée (nuit versus jour). DISCUSSION L’absence d’études précises sur les tricots rayés en Nouvelle Calédonie a conduit à considérer ces deux espèces comme très semblables, souvent confondues en une seule par le public en général. Jusqu’à présent, les seules informations écologiques disponibles pour la Nouvelle Calédonie étaient que ces serpents cohabitent sur les mêmes îlots, chassent en mer et consomment des murènes (Heatwole 1999 pour la plupart de l’aire de répartition, Ineich et Laboute 2002, Saint Girons 1964). Le régime alimentaire basé sur des poissons anguilliformes ainsi que différents aspects de l’écologie de L. colubrina ont été décrits pour le Vanuatu et les îles Fiji, mais sans prendre en compte les problèmes de partage des ressources dans la coexistence d’espèces (Reed et al. 2002 ; Shetty et Shine 2002 a, b, c, d ; Shine et Shetty 2001a, b). Notre étude plus détaillée et sur deux espèces examinées simultanément apporte une vision différente. De nombreuses différences morphologiques et écologiques apparaissent comme majeures dans la coexistence de ces espèces. L’avantage d’un chevauchement important des gammes de tailles corporelles permet de dissocier les effets de la taille par rapport à d’autres facteurs souvent plus difficiles à mettre en évidence. Habitat Les nombreuses observations sur le terrain montrent qu’il n’y a pas de dichotomie entre les deux espèces de tricots rayés dans l’utilisation de l’habitat terrestre. Les serpents sont capturés dans les mêmes zones sur la plage, la plupart du temps dans la zone intertidale et plus rarement sur le talus post-plage ou encore à l’intérieur de l’îlot. De plus, les deux espèces ne paraissent pas présenter d’interactions particulières (notamment antagonistes) et plusieurs individus des deux espèces ont été très fréquemment observés thermorégulants, ou se reposant ensemble sous le même abri (pers. obs.). La présence d’une espèce ne semble produire aucune gêne pour l’autre en ce qui concerne les déplacements à terre (ou en mer), et pour les possibilités de trouver un abris sous un rocher ou dans un terrier. En effet, les plages sont assez vastes pour permettre les déplacements des serpents sans interaction négative entre eux. L’habitat terrestre ne paraît pas limitant dans le sens où la disponibilité en abris, que ce soit au niveau de la zone intertidale (rochers, anfractuosités) ou plus profondément dans les terres (rochers, anfractuosités mais aussi terriers de Puffins du Pacifique en très forte densité sur l’îlot : environ 23000 terriers occupés en janvier 2004, P. Villard com. pers.) est très importante. Il apparaît donc que le nombre de serpents présents sur Signal est bien en dessous des capacités d’accueil. Dans d’autres situations insulaires, les densités de serpents sont aussi très fortes (Bonnet et al. 2002, Shine et al. 2002a). Ceci suggère que les phénomènes de densitédépendance, par exemple vis à vis de l’espace disponible, s’exercent à des seuils plus élevés que chez les modèles classiquement étudiés (Gotelli 1998, Sinclair 1989, Turchin 1995). Cependant, lorsqu’on essaye d’appréhender les capacités de déplacements à terre des deux espèces (reflet indirect de leur potentiel à exploiter l’habitat terrestre), de nombreuses différences apparaissent. L. colubrina montre une capacité d’escalade plus importante que ce soit en terme de distance parcourue ou de vitesse de déplacement. De la même manière, il déploie une force de traction plus importante et cette mesure peut être prise en compte comme indice de capacité de reptation car elle implique des muscles utilisés pendant les déplacements (Lourdais et al. 2004a, b ; Schwaner & Sarre 1990). De plus, L. colubrina présente une adaptation morphologique inexistante chez L. laticaudata : la présence de carènes ventrales liées à la reptation (très souvent marquées chez les serpents arboricoles par exemple). Si nos observations (impliquant une coexistence) se sont focalisées majoritairement sur la plage, d’autres observations sur le terrain vont dans le sens des différences soulevées par les capacités de reptation. Les tricots rayés communs ont été observés beaucoup plus profondément dans l’îlot que les tricots rayés bleus. Ils ont même été observés sur des buissons sur d’autres îlots proches de Nouméa (îlot Porc Epic et îlot Nouaré, I. Ineich et X. Bonnet com. pers.) ou au sommet du point culminant du lagon (40 m d’altitude, îlot Mato, P. Villard com. pers.). Toutefois, ces différences d’utilisation de l’habitat entre les deux espèces reflètent probablement des besoins éco-physiologiques spécifiques (thermorégulation…) plutôt que le résultat d’un relâchement de la compétition via la mise en place d’une ségrégation de l’habitat. Cette approche nécessite un approfondissement qui permettrait peut-être de mettre en évidence des besoins spécifiques lors des séjours à terre. Par exemple, les micro-habitats les plus recherchés en fonction des besoins de l’animal n’ont pas été identifiés, et la disponibilité de tels micro-habitats n’a pas été quantifiée avec précision. Il est possible que certains rochers, apparemment semblables entre eux, offrent des conditions particulières et différentes aux serpents, et qu’ils deviennent l’objet d’une compétition. Il serait nécessaire de mettre en évidence les patterns plus précis d’utilisation de l’habitat par les deux espèces de serpents. Dans ce cadre, une caractérisation fine des micro-habitats préférentiels à terre, que ce soit en terme de zones géographiques mais aussi de caractéristiques thermiques ou hygrométriques sera fondamentale. Ressource trophique Une trentaine d’espèces proies différentes ont été identifiées pour chaque espèce de Laticauda. Les deux espèces de serpents divergent par la taille des proies consommées mais aussi par les espèces capturées : seules 5 espèces sont communes aux régimes alimentaires de L. colubrina et de L. laticaudata. Ces 5 espèces communes n’entraînent un recouvrement des deux niches alimentaires que de 14%. Une forte ségrégation semble séparer les deux espèces de Laticauda en ce qui concerne les espèces proies consommées. Les indices de MacArthur et Levins sont relativement faibles et illustrent ce résultat. Ces indices, habituellement dissymétriques et reflets du chevauchement entre les niches trophiques (Krebs, 1999), sont très proches. Ceci indique que ces deux espèces de Laticauda présentent des niches trophiques qui se chevauchent de la même manière. Le fait que ces indices soient faibles implique que ces espèces ne seraient que très peu influencées par la compétition inter-spécifique, si toutefois les ressources venaient à manquer. Il n’existe que très peu de données sur les communautés des poissons anguilliformes, extrêmement cryptiques, dans les écosystèmes lagonnaires en Nouvelle Calédonie. Les comptages de ces poissons évoquent des biomasses de proies disponibles pour les tricots rayés de l’ordre de 250 Kg autour de l’îlot Signal (Kulbicki, com. pers. ; Ineich et al., in prep.). Cependant, les estimations faites avec les données récoltées sur les tricots rayés à Signal suggèrent qu’ils consomment environ une tonne de poissons anguilliformes par an (Ineich et al., in prep.). De plus, certaines des espèces de poissons anguilliformes identifiées dans les contenus stomacaux ont été décrites pour la première fois dans le lagon calédonien, ce qui souligne la méconnaissance des espèces proies des tricots rayés. Or, les informations liées au mode de vie des espèces proies des tricots rayés permettraient sans doute d’éclaircir le mode et les zones de chasse de ces deux espèces de serpents marins. De telles différences dans la nature des proies consommées semblent indiquer une ségrégation spatiale importante entre les zones de chasse des deux espèces de Laticauda. En effet, les serpents sont généralement opportunistes pour des proies de la même catégorie. Il n’y a que très peu de sélection alimentaire sur les espèces de proies mais plutôt sur la taille des proies (Arnold 1993, Shine 1991). Autrement dit, si les deux espèces de tricots rayés prospectaient les mêmes zones de pêche, les recouvrement entre les régimes alimentaires devraient être plus grands. Alternativement, peut être que les deux espèces de serpents pêchent sur les mêmes zones, mais pas au même moment. La ségrégation de leurs régimes alimentaires reflèterait alors des différences dans les rythmes d’activité des espèces proies. Etant donné les tactiques de pêche des tricots rayés, basées sur des prospections actives et méticuleuses des anfractuosités du corail et des terriers dans le sable pour débusquer leur proies (observations en plongée de tricots rayés en chasse durant plusieurs heures ; I. Ineich & X. Bonnet, com. pers.) ; cette seconde hypothèse est la moins vraisemblable. Les deux espèces de tricots rayés possèdent certainement des zones de chasse bien différentes, chacune présentant une communauté de poissons anguilliformes particulières. Les différences de régime alimentaire s’accompagnent de divergences des tailles relative des mâchoires. Pour une même taille corporelle, L. colubrina consomme des proies plus grandes et possède des mâchoires relativement plus développées. L’association taille de proie - taille relative des mâchoires a été observée au niveau inter-populations chez une autre espèce de serpent (Aubret et al. 2004), et au niveau inter-spécifique chez d’autres tricots rayés (Shine et al. 2002b). La ségrégation alimentaire s’accompagne donc de différences morphologiques, notamment de l’appareil trophique. Bien qu’il ne soit pas possible de dégager les effets respectifs de la plasticité phénotypique (la consommation de grosses proies entraîne un accroissement relatif des mâchoires ; Bonnet et al. 2001) ou des adaptations génétiquement fixées, la correspondance taille relative des proies/taille relative des mâchoires renforce clairement la notion d’un partage des ressources alimentaires avec peu de compétition inter-spécifique. Temps Les deux espèces de tricots rayés de l’îlot Signal présentent une ségrégation temporelle au niveau des périodes (jour versus nuit) de déplacements entre leurs abris terrestres et la mer ou vice versa. Ces différences sont probablement à mettre en relation avec des différences au niveau de l’écologie des tricots rayés. Cependant aucune information n’est disponible pour éclaircir la causalité de ces différences : ces périodes d’activités sont-elles à mettre en relation avec les séjours en mer (aller et retour) et la capturabilité des proies (liée à leurs rythmes d’activité) ? Est-ce lié à une sensibilité différente à de potentiels prédateurs marins (requins, très abondants dans le lagon) ou terrestres (oiseaux) ? Est-ce lié à une sensibilité différentielle à la dessiccation durant les déplacements à terre ? Une divergence temporelle est aussi observée dans les périodes de reproduction. Les deux espèces de tricots rayés présentent un décalage d’environ trois mois dans leurs périodes de reproduction : ponte en décembre pour L. colubrina et en mars pour L. laticaudata. Ces différences pourraient être liées à des disponibilités alimentaires différentes. Comme les deux espèces de Laticauda ne se nourrissent pas des mêmes proies, il pourrait exister une synchronie entre les éclosions de serpenteaux et la disponibilité de leurs espèces proies, associée à des gammes de tailles qu’ils peuvent ingurgiter. Il est intéressant de noter que ce décalage de trois mois correspond à la durée d’incubation des œufs de tricots rayés (Shetty, com. pers.). Les tricots rayés, comme la plupart des serpents ovipares ont besoin de sites de ponte rassemblant des conditions très particulières (température, hygrométrie) pour assurer un bon développement embryonnaire (Deeming & Ferguson 1991). Au vu de la topographie de l’îlot Signal, majoritairement du sable déposé sur une assise calcaire, la disponibilité en tels sites de ponte est peut être faible. Cependant, les sites de pontes ne sont pas connus, et encore moins leur disponibilité relative. Les serpents pourraient pondre au fond des terriers de puffins les plus profonds, ou dans le sable sous de gros rochers. Les deux espèces utilisent elles les mêmes sites de pontes ? Si oui, on peut penser qu’un décalage de 3 mois au niveau des périodes de ponte permettrait d’éviter une compétition pour cette ressource indispensable, et peut être limitante. Les besoins alimentaires des nouveaunés (ou des mères durant la vitellogenèse, période de très forte demande en ressources – Bonnet et al. 1994) apparaissent cependant comme la piste la plus solide pour expliquer le décalage des saisons de reproduction entre les deux espèces. Quoi qu’il en soit, des périodes de ponte (et d’accouplements) à ce point décalées maintiennent un isolement reproducteur et empêchent l’hybridation. Conclusions et Perspectives La coexistence des Laticauda sur l’îlot Signal s’accompagne d’un partage marqué des ressources associé à des caractéristiques spécifiques, subtiles mais nettes. Cette situation va dans le sens des idées de Putman & Wratten (1984). Dans les systèmes stables, on observe un partage des ressources (accompagné de différences morphologiques nettes) associé à une compétition limitée (Chapman & Reiss, 1999). Le problème central de causalité reste non résolu. Soit les différences observées au niveau du partage des ressources seraient les résidus d’une compétition passée qui aurait modelée certains traits de ces deux espèces, permettant ainsi leur coexistence ; soit ces différences déjà présentes n’auraient pas limité leur coexistence lors d’une rencontre ultérieure sur Signal. Pour éclaircir ces interrogations, il sera nécessaire d’entreprendre de nouvelles campagnes de mesures, d’une part pour affiner nos résultats, et d’autre part pour tester d’autres hypothèses. Un paramètre crucial dans l’approche des différences entre les deux espèces de tricots rayés est l’activité en mer. En ayant accès aux profils de plongée des animaux, il serait possible d’éclaircir les différences observées entre les régimes alimentaires des deux espèces. En équipant les animaux d’émetteurs et d’enregistreurs automatiques, on pourra obtenir des informations sur le budget temps en mer, les profils de plongée et de prospection alimentaire, notamment pour caractériser les zones et les périodes de chasse. Des comparaisons inter-îlot sont aussi indispensables surtout si les structures des populations ne sont pas les mêmes en fonction des îlots (I. Ineich & X. Bonnet, com. pers.). Par exemple, sur l’îlot Signal, L. laticaudata apparaît comme beaucoup plus abondant que L. colubrina (environ deux fois plus de L. laticaudata que de L. colubrina, pers. obs.), inversement sur Nouaré (îlot situé plus au sud) seul L. colubrina, est présent. Des populations des deux espèces en situation allopatrique donnent alors accès à une situation originale, permettant de quantifier les effets d’une espèce sur l’autre (et réciproquement). Un autre axe majeur est la reconstitution de l‘histoire de la colonisation de la Nouvelle Calédonie par les tricots rayés à travers des analyses génétiques mettant en jeu la plupart des îles et îlots du lagon. Enfin, des comparaisons avec d’autres espèces de Laticauda (6 espèces appartenant à ce genre sont présentes dans la plupart des îles du Pacifique Ouest et de l’Est de l’Asie) permettraient d’éclaircir les positions taxonomiques d’espèces à très large répartition (par exemple : L. colubrina est présente du sud du Japon, à la Nouvelle Calédonie et de l’Indonésie aux Fiji). De la même manière, des comparaisons à d’autres situations de coexistence (par exemple, L. colubrina et L. frontalis, Vanuatu) seraient intéressantes car elles pourraient permettre la mise en évidence de patterns de partage des ressources en fonction de conditions environnementales contrastées pour de nombreux paramètres (par exemple, la géographie, le climat, les espèces proies, la pression de prédation, etc.). L’intérêt des tricots rayés se décline aussi à travers l’étude d’autres taxons. Ainsi, l’étude du régime alimentaire de ces serpents apparaît comme un avantage majeurs dans l’approche des communautés de poissons anguilliformes du Pacifique Ouest. Cette constatation avait déjà été soulevée par Reed et al. (2002) lors d’une étude sur les tricots rayés du Vanuatu. Les proies régurgitées par les serpents dépassaient de loin le nombre (en terme d’abondance numérique ou de richesse spécifique) des poissons anguilliformes conservés à l’Australian Museum (Sydney). Les mêmes observations ont été faites lors de la caractérisation du régime alimentaire des serpents de Signal (Ineich et al. in prep), allant même jusqu’à la première description d’une espèce de poissons anguilliformes dans le lagon calédonien. Dans ce cadre, les tricots rayés permettraient à la fois de corriger les abondances observées lors des comptages à vue ou par pêche (Kulbicki com. pers., Ineich et al. in prep.) mais aussi de décrire certains traits d’histoire de vie de ces poissons. En effet, il est possible lorsque le degré de digestion n’est pas trop avancé d’avoir accès aux contenus stomacaux – et donc au régime alimentaire – de ces poissons. De la même manière, il sera possible, par exemple, de caractériser les périodes de reproduction (observations d’œufs dans les murènes régurgitées, obs. pers.). Le travail réalisé à l’îlot Signal montre que le partage des ressources alimentaires est central dans la coexistence de deux espèces de tricot rayés, tout au moins sur l’îlot Signal. Il démontre aussi que l’étude des serpents marins apporte très rapidement, et relativement facilement, des jeux de données riches qui permettent une approche standardisée de l’étude de différentes populations ou espèces de prédateurs supérieurs. La gamme de variations offerte par les spécificités physiques de chaque îlot (sableux, rocheux, grand, petit...), abritant des populations de serpents marins particulières (I. Ineich et X. Bonnet com. pers.) offre une situation unique pour étudier les problèmes de coexistence d’espèces proches. BIBLIOGRAPHIE Arnold SJ. 1993. Foraging theory and prey-size/predator-size in snakes. In Seigel RA, Collins JT Eds. Snakes: ecology and behavior. New York: McGraw Hill. 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Notamment, les études réalisées sur le terrain ont comparé des espèces de tailles différentes : il est alors très difficile de séparer les effets propres de la taille de ceux liés à un relâchement de la compétition. Deux espèces proches de serpents marins (Laticauda colubrina et Laticauda laticaudata - tricots rayés) de Nouvelle Calédonie présentent d’importants recouvrements de taille permettant de palier les problèmes d’allométrie. Cette situation est très favorable pour tester si la coexistence s’accompagne d’un partage des ressources. Trois ressources fondamentales ont été examinées, l’habitat, la ressource trophique et le temps : - les observations sur le terrain ne mettent pas en évidence de compétition, ni de partage, dans l’occupation de l’espace (sur la zone côtière au moins). Les capacités locomotrices des deux espèces sont néanmoins différentes ; elles mettent en relief des capacités de l’exploitation du milieu à terre (et probablement en mer) spécifiques. - l’étude du régime alimentaire a permis de mettre en évidence une forte ségrégation entre les deux espèces. Ces serpents consomment essentiellement des poissons anguilliformes mais de tailles et d’espèces différentes : on détecte seulement 14% de recouvrement de niche trophique. - les deux espèces montrent d’importants décalages dans leurs périodes d’activités (une espèce diurne et une nocturne) ou de reproduction (3 mois de décalage dans les périodes de reproduction). Cette étude met en évidence pour la première fois des caractéristiques écologiques différentes entre les deux espèces de Laticauda permettant d’expliquer en partie leur coexistence sur l’îlot d’étude. La ressource clé dans la coexistence est très probablement alimentaire. Des études comparatives complémentaires sont nécessaires, par exemple avec des situations d’allopatrie, pourraient permettre de différencier les causes et les conséquences des différences observées.