remerciements - Centre d`Etudes Biologique de Chizé

publicité
DIPLOME D’ETUDES APPROFONDIES
Biologie, Evolution et Contrôle des Populations
MEMOIRE DE RECHERCHE
Coexistence de deux espèces proches : rôles de
l’habitat, de la ressource trophique et du temps
Mémoire présenté par François Brischoux
Sous la direction de Xavier Bonnet
Centre d’Etudes Biologiques de Chizé
CNRS UPR 1934
79360 BEAUVOIR SUR NIORT
Juin 2004
REMERCIEMENTS
Merci à Patrick Duncan pour m’avoir accueilli dans son laboratoire.
Merci à Xavier Bonnet pour m’avoir encadré, supporté, aidé, motivé ; avoir cru en moi. Merci pour
ce soutien permanent même si l’Australie est loin… Merci pour m’avoir accueilli à WoyWoy (dans
celui là, j’inclus évidemment Christine et les lardons…). Merci pour ces trois dernières années, en
espérant qu’on bosse ensemble les trois prochaines…
Merci à Olivier Lourdais qui m’a officiellement guidé pendant un peu plus d’une année mais qui a
fait beaucoup plus pendant beaucoup plus longtemps !!! Merci pour le plan Texas, pour nos premiers
papiers ensemble, pour les plans futurs. Merci de me pousser quand il le faut. Que notre collaboration
continue… Bonne chance pour le concours, ça va gazer.
Merci à Fred Lagarde pour être là, à l’écoute et puis donner un coup de main (souvent), pour le vin
du jura et la cochonnaille d’Italie, et puis pour le reste aussi…
Merci à Los Herpetos, ceux d’avant, que l’on ne revoit guère et c’est bien dommage et ceux de
maintenant, Hervé et Matthieu (mes p’tites hôtesses de forêt…), merci de me supporter en tant que
chef insupportable (!) et MathLaTortue, bonne chance à toi…
Merci à tous les étudiants du CEBC ou d’à coté, ceux avec qui on vit les uns sur les autres… Tim bien
sur, qui connaît sa place, ici comme ailleurs. Pierro, qui est toujours là et qui fait attention. Coraline,
qui sait pourquoi. Claire, pour la vraie vie. Marie pour la harpounette, Roger pour la gratte et à eux
deux pour les soirées musicales. Et tous ceux que je jette en touffe : Léo, Cyril & Marie, Maryline,
FredB, Maud, Seb, Diane, Loïc & Vero, David, Alex & Carole, LôRan, Rod, FredA, Maël,
Christine, Nadège, Thomas, Jalil, Star’Ac, Floflo, Cécile, Greg, Pierre, Yannig… Puis tous les
autres, ceux d’avant, à qui je pense de temps en temps…
Merci à Ivan Ineich pour avoir initié avec Xavier Bonnet cette étude calédonienne. Merci pour
m’avoir accepter au sein de la “Causus Team”. Merci aussi pour l’identification si rapide des murènes
et pour l'accès au fichiers data 2002, 2003 et data locomotion nécessaire pour les analyses.
Merci à Bernard Séret pour l’identification des murènes
Merci au Pr. Rick Shine, mon “parrain” de loin. Remets-toi bien de cette vilaine morsure…
Un grand Merci à l’Aquarium de Nouméa, en particulier à Claire Goiran et Philippe Leblanc, ainsi
qu’à toute l’équipe Jocelyn, Sylvain, Marie, Monique, Greg, Marc…
Merci à la Direction des Ressources Naturelles de la Province Sud, à François Devinck ainsi qu’à
Frédéric, Capitaine de l’Améré et à Christophe, Capitaine de l’Isabelle.
Merci à Vincent Liardet pour toute l’énergie qu’il a dépensé pour me trouver un “Vendredi”…
Merci à Eric, le rochellais calédonien, pour les bonnes discussions, le pain de marin (celui qui ne
durcit jamais…) et les pains aux raisins. Ca change des biscottes !!!!
Merci à Michel Kulbicki de L’Institut de Recherche et de Développement de Nouméa.
Merci à toute l’équipe des Plong’ Dem’ et notamment à Tanguy, Thierry et Richard. Merci pour
tous les craznas du midi et la One fraîche. Bon vent à vous…
Merci à la Société Calédonienne d’Ornithologie, à Nicolas Barré et toute son équipe. Merci pour le
barbecue et la bonne soirée.
Merci à Ivy pour avoir épargné la Nouvelle Calédonie et m’avoir offert une semaine de vacances à
Nouméa.
Merci enfin à mes parents dont le soutien permanent m’a permit d’aboutir jusque là…
CADRE GENERAL ET INTRODUCTION
Limiter la perte de la biodiversité est un des défis actuels majeurs, non seulement
pour des questions éthiques, mais aussi pour des raisons fonctionnelles ; les
écosystèmes appauvris deviennent fragiles et sont moins capables de résister aux
changements environnementaux (Barbault 1992, Ehrlich et Ehrlich 1981, Frank et Mc
Lawton 1994, Naughton 1991). Un autre défi, complémentaire du premier, est de
comprendre les phénomènes qui génèrent la biodiversité, notamment les processus
de spéciation et ceux qui permettent son maintien. En particulier, la coexistence
d’espèces proches à la fois sur les plans morphologique, génétique et écologique reste
mal comprise. L’intuition suggère que seule l’espèce la plus performante devrait
résister aux processus de compétition. A l’appui de cette notion, les cas de ruptures
de l’isolement géographique s’accompagnent de disparitions d’espèces par
compétition (Case 1991, Jaeger 1970). Inversement, l’isolement géographique est
considéré comme une des sources principales de la spéciation (Mayr 1963).
Pourtant les cas de coexistences d’espèces proches sont nombreux et soulèvent
des questions fondamentales. Par exemple, comment les mécanismes subtils qui
empêchent l’hybridation inter-spécifique (Shine et al. 2002c), résistent-ils au cours du
temps ?. Différents modèles théoriques fournissent des voies de recherche pour
comprendre comment des espèces proches coexistent malgré la promiscuité.
Toutefois, il existe peu d’études de terrain ayant permis de valider ou d’infirmer ces
modèles (Grant 1999, Schluter 1994). Ci-dessous sont présentés les concepts de
richesse spécifique et de coexistence puis les principales hypothèses alternatives
expliquant leur maintien, notamment lorsque les espèces concernées sont proches et
partagent le même écosystème.
La richesse spécifique (nombre d’espèces dans un milieu) fournit une mesure
de la biodiversité directement liée à la complexité des écosystèmes (Rosensweig
1996). Certains auteurs suggèrent que le maintien d’une forte richesse spécifique est
rendu possible par le biais de la coexistence (Hutchinson 1959). Ce concept a suscité
de nombreuses études en écologie des communautés depuis ces vingt dernières
années (Holt 1984, Kotler & Brown 1988, Kotler et al. 1993, Martin & Martin 2001).
Néanmoins, la reconnaissance des mécanismes de coexistence et leur compréhension,
restent souvent incomplètes du fait des lacunes taxonomiques et de la complexité
extrême des interactions entre les différentes espèces et de nombreux facteurs
abiotiques (Tokeshi 1999). Malgré la complexité des relations mises en jeu, deux
grands processus majeurs pourraient expliquer la coexistence des espèces (Tokeshi
1999) : i) la réduction de la compétition (en particulier de la compétition interspécifique), ii) la prédation au sens large (c’est à dire englobant le parasitisme). Le cas
de la réduction de la compétition apparaît particulier car il met en jeu des processus
bien différents des processus de régulation des populations par prédation.
La coexistence implique très souvent des interactions fortes entre espèces,
notamment des interactions compétitives pour lesquelles deux espèces (au moins)
s’influencent négativement. Il existe trois conditions majeures pour reconnaître une
situation de compétition (Tokeshi 1999) : i) différentes espèces partagent les mêmes
ressources, ii) les ressources partagées sont en quantités limitées, et iii) les espèces
impliquées sont affectées défavorablement par chacune des autres espèces au cours
de l’acquisition de la ressource. Les situations de compétition présentent un grand
intérêt en écologie car c’est un des facteurs majeurs influençant la structure des
communautés (Begon et al. 1986, Tokeshi 1999).
Les bases mathématiques
Les interactions entre espèces restent très difficiles à appréhender. Comme souvent,
le passage par un système simplifié permet d’éclaircir certaines complications. Dans
ce cadre, la modélisation apporte des avantages très intéressants. Le modèle
théorique de Lotka-Volterra décrit le comportement de populations de deux
espèces compétitrices (Gotelli, 1998). Il s’agit d’un modèle simple et puissant,
développé dans les années 1920, qui reste fondamental dans l’étude de la
compétition en écologie (Gotelli 1998). Au départ, chaque population croît de façon
logistique avec chacune son propre taux de croissance et une capacité d’accueil
spécifique de l’environnement. La croissance populationnelle est réduite par la
compétition intra-spécifique mais aussi par la présence de la seconde espèce en
fonction du nombre d’individus compétiteurs. Ce modèle met aussi en jeu des
coefficients de compétition qui estiment respectivement les effets de l’espèce 1 sur
l’espèce 2 et inversement.
dN 1
 K 1 − N 1 − αN 2 
= r1 N 1
 , équation de la croissance de l’espèce 1
dt
K1


dN 2
 K 2 − N 2 − βN 1 
= r 2 N 2
 , équation de la croissance de l’espèce 2
dt
K2


où, N1 et N2 sont les tailles des populations, r1 et r2 les taux de croissance des
populations, K1 et K2 les capacités d’accueil de l’environnement, et
et
les effets
de l’espèce 2 sur l’espèce 1 et de l’espèce 1 sur l’espèce 2 respectivement.
La résolution des équations du modèle de Lotka-Volterra mène à quatre solutions.
Une de ces solutions met en jeu la prépondérance de la compétition intra-spécifique
par rapport à la compétition inter-spécifique (Harper 1978, May 1981, Rickleffs 1979).
Dans ce cas, il y a coexistence stable des espèces compétitrices (existence d’un point
d’équilibre stable) : quelles que soient les abondances initiales des 2 espèces, les deux
populations vont atteindre une valeur d’équilibre (figure 1a). Néanmoins, chacune
des espèces persiste à une abondance plus faible qu’elle aurait atteinte en l’absence
du compétiteur. Dans ce cas, la compétition réduit les tailles de populations des deux
espèces mais ne mène pas à l’extinction de l’un ou l’autre des compétiteurs.
Les trois autres solutions du modèle mènent à la disparition de l’une ou l’autre des
espèces compétitrices. Deux de ces solutions sont analogues : soit l’espèce 1 “gagne”
la compétition (l’espèce 2 décline jusqu'à l’extinction et l’espèce 1 atteint la capacité
d’accueil de l’environnement) ; soit l’espèce 2 “gagne” la compétition (figure 1b et
1c). La dernière solution met en évidence un cas d’équilibre instable, les deux espèces
ne pouvant coexister à long terme et l’une est menée à l’extinction par l’autre (figure
1d). Il est cependant complexe de prédire l’espèce “gagnante”, car si la victoire
dépend de l’avantage numérique au départ, elle dépend aussi de bon nombre
d’autres paramètres (comme les taux de croissance des populations, par exemple).
Ces 3 solutions, qui mènent à la disparition d’un des partenaires de la compétition,
font appel au principe de l’exclusion compétitive.
(a)
K1/α
(b)
K2
N2
N2
K2
K1
N1
K1/α
K1
K2/β
K2/β
N1
(c)
K1/α
(d)
K2
N2
N2
K2
K1/α
K2/β
K1
N1
K2/β
N1
K1
Figure 1. Représentations graphiques des quatre solutions des équations du modèle
de Lotka-Volterra. (a) équilibre stable, coexistence. (b)
exclusion compétitve de
l’espèce 1 par l’espèce 2. (c) exclusion compétitive de l’epèce 2 par l’espèce 1. (d)
exclusion compétitve, équilibre instable. Les carrés représentent les points
d’équilibre.
Élimination des compétiteurs
Le principe de l’exclusion compétitive stipule que “deux ou plusieurs espèces
présentant des modes d’utilisation des ressources identiques ne peuvent continuer
de coexister dans un environnement stable, la plus apte éliminant les autres” (Grover
1997, Hardin 1960). Si deux espèces peuvent cohabiter, il doit exister quelques
différences entre elles dans l’utilisation des ressources. Le principe de l’exclusion
compétitive fait appel à la notion de ressource limitante. Trois types de ressources
limitantes prépondérantes ont été évoqués (Shoener 1974) : l’espace, les ressources
trophiques et le temps. Plus les espèces sont similaires dans l’utilisation partagée de
ces ressources limitantes et plus leur coexistence est précaire (May 1981). Les
expériences de Gause (1934) avec des paramécies, ou celles de Park (1948, 1954, 1957)
avec des coléoptères, ont démontré la validité du principe de l’exclusion compétitive
– dans des conditions environnementales très simplifiées. Le principe de l’exclusion
compétitive a aussi été mis en évidence sur le terrain, mais dans le cas particulier
d’introduction d’espèces exotiques par l’homme. Très souvent, l’espèce introduite est
en compétition avec les espèces natives. Dans certains cas, à travers les mécanismes
décrit par le principe de l’exclusion compétitive, les espèces invasives éliminent
complètement les espèces natives (Mooney & Cleland 2001).
Des réserves ont été émises par rapport au principe de l’exclusion compétitive.
Putman & Wratten (1984) évoquent que le principe de l’exclusion compétitive serait
“théoriquement” possible si l’une des espèces ne change pas de “goûts écologiques”
face à la compétition. Ces auteurs utilisent le mot “théoriquement” pour indiquer
que les espèces ont en fait des possibilités de réaction et peuvent s’adapter à la
présence d’un compétiteur de différentes façons. Crawley (1986) suggère que le
principe ne fonctionne pas : si la logique est impeccable, les hypothèses qui
l’accompagnent sont trop simplistes. En effet, l’environnement n’est uniforme ni
dans l’espace, ni au cours du temps. Enfin, Park (1957) n’est pas complètement
convaincu que les espèces de Tribolium de ses expériences ne puissent coexister et
évoque le fait que ses résultats restent difficiles à interpréter.
Mis à part certaines situations particulières (situations expérimentales en
laboratoire et peut-être introduction d’espèces), les études théoriques et de terrain
suggèrent qu’il existe souvent des mécanismes de relâchement de la compétition en
situation naturelle (Huisman & Weissing 1999, Loreau & Ebenhoh 1994, Schluter
1994). Dans ce dernier cas, les relations entre compétition et coexistence apparaissent
plus simples : l’évitement, la réduction ou le relâchement de la compétition interspécifique peuvent favoriser la coexistence entre espèces. Il existe différents cas
d’interactions coexistence-compétition
(Tokeshi 1999) : i) il y a coexistence
compétitive lorsque la coexistence est rendue possible par des facteurs extrinsèques
malgré une forte compétition (par exemple via la prédation), ii) il y a coexistence non
compétitive si la compétition est faible (par exemple les ressources ne sont pas
limitantes), et iii) s’il y a eut une forte compétition dans le passé, la coexistence est
possible via une séparation plus ou moins complète des niches écologiques au cours
d’un processus de coévolution. Ce troisième cas, qui fait appel au concept majeur de
la niche écologique, pourrait jouer un rôle fondamental dans les conditions naturelles
(Tokeshi 1999).
Réduction de compétition et partage des ressources
Le concept de niche définit le rôle et la place de l’organisme dans le fonctionnement
de l’écosystème. Hutchinson (1957) la définit comme l’ensemble des conditions dans
lesquelles vit et se maintient une population. Cet hyper-volume à n dimensions
(figure 2) correspondrait à la niche potentielle ou optimale de l’espèce. La niche réelle
serait quant à elle plus restreinte, par suite des interactions biotiques et abiotiques
entre la population considérée et les autres populations locales. Néanmoins, pour
des besoins analytiques, les auteurs divisent le terme de niche en autant de
dimensions correspondant aux activités essentielles de la vie des organismes : niche
alimentaire, niche spatiale, niche comportementale, etc (Leibold 1995). Cette
approche analytique permet d’accéder aux phénomènes de divergence partielle ou
totale de niche qui aboutissent à la réduction de la compétition (Hutchinson 1957).
Les relâchements de compétition sont classiquement reliés aux phénomènes
de partage des ressources, où deux espèces occupant le même habitat et ayant des
besoins similaires, utilisent ces ressources de manière différente afin de diminuer la
compétition directe. Il existe différentes manières de percevoir les situations de
partage des ressources : i) soit le partage des ressources permet effectivement la
coexistence de plusieurs espèces utilisant la même ressource, ii) soit le principe de
l’exclusion compétitive a déjà éliminé toutes les situations où le partage des
ressources ne peut s’appliquer.
Il existe enfin une subtilité liée au vocabulaire utilisé : s’il y a exclusion d’un
des partenaires de la compétition au niveau d’une niche sans disparition physique de
celui-ci dans l’environnement proche, alors il y a coexistence malgré une exclusion
partielle (ou totale) liée à la compétition. Plusieurs exemples classiques illustrent les
phénomènes de divergence de niche dans les cas de coexistence (pinsons, Grant
Température (°C)
1999 ; épinoches, Schluter 1994).
Max
Min
Min
Max
Taille des proies (cm)
Figure 2. Exemple d’un hypervolume à 2 dimensions. La partie hachurée représente
la niche occupée par cette espèce.
Des concepts difficilement vérifiables…
Malgré son caractère intuitif, la mise en évidence du partage des ressources comme
base de la coexistence d’espèces est extrêmement difficile à démontrer. La séparation
de niches s’accompagne d’adaptations différentielles entre les espèces, par exemple
pour acquérir une nourriture spécifique (Grant 1999). Comme dans la plupart des
mécanismes se déroulant sur de grandes échelles de temps, il est souvent impossible
de différencier les causes et les conséquences. Les adaptations spécifiques sont-elles
une conséquence, ou l’origine du partage des ressources ? Même en se focalisant sur
les aspects trophiques, les interactions proies-prédateurs et les interactions inter- ou
intra-spécifiques sont à l’origine de pressions de sélection synergiques ou
antagonistes sur le développement de certains caractères dont il est très difficile de
dégager l’effet propre. Les problèmes d’allométrie viennent encore compliquer la
situation. Les gammes de variations pour un trait donné sont souvent assez limitées
et les recouvrements entre les espèces très faibles voire inexistants, ce qui complique
fortement les comparaisons inter-spécifiques. Par exemple, il existe de fortes
différences de taille corporelle entre les différentes espèces d’ongulés qui coexistent
dans les plaines de certains pays d’Afrique (Sinclair 2000). Or, la taille corporelle
influence tous les traits d’histoire de vie et est soumise à l’action de nombreuses
pressions de sélection (Stearns 1992). Il est alors presque impossible de distinguer
l’influence de la taille per se de celui de la réduction de la compétition liée au partage
des ressources. Constater que telle espèce de grande taille ne s’alimente pas sur les
même ressources trophiques que telle autre, de petite taille, nous renseigne
finalement assez peu sur le rôle de la réduction de la compétition alimentaire.
… sauf dans certaines situations
Il n’existe pas de situation idéale pour palier les risques de raisonnements circulaires
associés à cette problématique. Toutefois, certaines conjonctures écologiques offrent
de sérieux avantages. La combinaison de cas de coexistences d’espèces proches sur
les plans taxonomiques et morphologiques avec des gammes de variations
phénotypiques étendues et chevauchantes pour les traits examinés, permet de
réduire considérablement les problèmes d’allométrie. Si des caractéristiques
morphologiques, comme la forme ou la taille des mâchoires, ne sont pas sous
l’influence de pressions de sélection multiples, la situation est encore simplifiée pour
l’étude du partage des ressources alimentaires. Enfin, si ces mêmes caractéristiques
trophiques répondent directement, et de façon simple, aux contraintes posées par
l’alimentation, on dispose de plus de possibilités pour mesurer des variables
pertinentes et facilement accessibles.
Peu de modèles rassemblent l’ensemble de ces avantages ; les serpents marins
du genre Laticauda en font partie. Différentes espèces cohabitent dans de nombreux
lagons du Pacifique (Heatwole 1999). Certaines espèces sont tellement semblables
qu’elles n’ont été distinguées que récemment (Shine et al. 2002c). Comme chez les
autres ophidiens, les gammes de taille sont très étendues et se recouvrent largement
entre les espèces. Ces reptiles se nourrissent de proies dont la taille limite leur
capacité d’ingestion : la longueur de leur mâchoire, facile à mesurer, détermine la
taille maximale des proies qu’ils peuvent consommer. Les serpents, à de rares
exceptions, n’utilisent par leur bouche lors des combats intra-spécifiques ou lors des
accouplements ; les caractéristiques des mâchoires sont limitées à leurs rôles
trophiques. L’étude de ces serpents présente d’autres avantages. Ils sont sédentaires,
entre leurs voyages alimentaires en mer ils doivent retourner à terre, sur le même
îlot, pour digérer, muer, se reproduire et se reposer (Shetty & Shine 2002a, b, c). Ils
avalent leurs proies en entier, celles-ci sont donc elles même mesurables après
régurgitation forcée. Les tailles des populations sont souvent très importantes. Aussi,
la prospection des îlots habités par les Laticauda permet de récolter rapidement de
grandes quantités d’informations et de comparer directement les différentes espèces
qui fréquentent les plages.
Le fait que des espèces sont morphologiquement très proches apporte un
intérêt majeur pour tester certaines prédictions. Dans le cas où les tailles sont très
similaires, on peut s’attendre à ce que les possibles différences dans l’utilisation des
ressources soient effectivement liées à la coexistence et non à des différences
allométriques importantes. Dans ce cadre, il est donc nécessaire de tester si la
coexistence de deux espèces de Laticauda s’accompagne d’un partage des ressources,
et si oui, à quel degré. L’émancipation des problèmes d’allométrie associée à la
simplicité de la relation taille des proies/taille des mâchoires, indépendamment de
différentes pressions de sélections (sexuelle, ou pour la fécondité, par exemple),
offrent un cadre simplifié, et donc privilégié, pour l’étude de phénomènes
complexes.
En récoltant des données sur l’écologie de deux espèces sympatriques de
Laticauda, il sera possible de mettre en évidence des différences dans leur utilisation
des ressources alimentaires, de leur habitat terrestre et leur rythme d’activité et de les
mettre en relation avec d’éventuelles différences morphologiques.
MATERIEL ET METHODES
Site d’étude
L’étude a eu lieu sur un îlot du lagon entourant la Nouvelle Calédonie : l’îlot Signal
(ou îlot Te Ndu), réserve spéciale du Lagon Sud, situé à 15 km à l’ouest de Nouméa
et 10 km de la barrière de corail ouest. Cet îlot de 10 ha, entouré d’un platier
corallien, est recouvert d’une forêt sclérophylle (figure 3).
N
200 m
Figure 3. Carte de l’îlot Signal. L’îlot, recouvert d’une forêt, est entouré d’un platier
corallien. La zone encadrée de noir correspond à la plage d’étude.
Espèces étudiées
Deux espèces de serpents marins coexistent sur l’îlot Signal : Laticauda laticaudata
(tricot rayé bleu) et Laticauda colubrina (tricot rayé commun). Ce sont des espèces
d’apparence très proche. Appartenant au même genre, elles présentent des
morphologies similaires et adaptées à la vie marine : queue comprimée latéralement,
glandes à sel… (Heatwole 1999, Shine & Shetty 2001a, b, Shine et al. 2003). Toutefois,
la position taxonomique exacte de ces deux espèces n’est pas encore clairement
établie : en particulier, L. colubrina en Nouvelle Calédonie est actuellement considérée
comme une espèce endémique et devrait donc être renommé (I. Ineich, X. Bonnet
com. pers.). Néanmoins par souci de simplicité, j’utiliserai la taxonomie courante.
L’écologie des Laticauda de Nouvelle Calédonie est peu connue, une seule et brève
étude a été menée, il y a plus de 40 ans (Saint Girons 1964). Cette étude a eu lieu sur
différentes îles (situées au nord de l’îlot Signal) et suggère que ces serpents sont
extrêmement abondants dans le lagon calédonien.
Captures
Trois campagnes de capture ont eu lieu sur l’îlot Signal : du 26 novembre au 14
décembre 2002 (début d’été), du 15 novembre au 5 décembre 2003 et du 19 février au
22 mars 2004 (début d’automne). J’ai pris en charge la dernière campagne de terrain.
Tout le pourtour de l’îlot a été échantillonné à la fois de jour et de nuit. Plus de 99%
des captures ont eu lieu sur un tiers de l’îlot seulement (plage ouest, figure 3).
L’effort de recherche a donc été orienté sur cette zone particulière. Afin
d’appréhender de possibles différences de répartition spatiale, cette plage fut divisée
en 41 zones de 10 mètres. La zone de capture fut notée pour chaque serpent lors de la
campagne 2004 de capture. Le reste de l’îlot (en incluant l’intérieur des terres) a été
régulièrement visité. Vu le nombre très important de serpents sur l’îlot Signal, l’effort
de recherche à été limité de une à trois sessions de capture par jour. Ces sessions
couvraient les périodes durant lesquelles les tricots rayés étaient les plus visibles (de
5h00 à 8h00 et de 16h00 à 22h00), l’effort de recherche de jour ou de nuit étant
comparable.
Les serpents ont été capturés à la main, mesurés, marqués individuellement et
de manière permanente (par coupures d’écailles ventrales) puis rapidement relâchés
(de 1h à 24h après la capture). Le nombre total de serpents observés, en additionnant
captures et recaptures a été de 1423 (909 L. laticaudata et 514 L. colubrina). Le nombre
total de recaptures a été de 418 (330 L. laticaudata et 88 L. colubrina) avec un intervalle
de 2 à 500 jours entre captures.
Mesures biométriques
Pour chaque serpent, l’heure de capture, l’espèce et le sexe ont été relevés, ainsi que
la longueur (SVL : longueur museau-cloaque et TL : longueur totale, ±1cm), la masse
corporelle (±1g) et la longueur des mâchoires (depuis la base de l’articulation
quadrato-angulaire à la pointe du museau, ±1mm).
Régime alimentaire
Afin de mettre en évidence un possible partage des ressources au niveau trophique,
il est nécessaire de caractériser le régime alimentaire des deux espèces de serpents et
d’approcher les phénomènes de recouvrement des niches trophiques à travers une
série d’estimateurs descriptifs.
Taille des proies et régime alimentaire
L’abdomen de chaque serpent a été palpé afin de détecter la présence éventuelle de
proie dans l’estomac. Les proies peuvent être très digérées ou quasiment intactes (le
corps des poissons étant très ferme à la palpation). Chez les tricots rayés, la digestion
n’est pas homogène : l’extrémité avalée en premier peut être digérée tandis que le
reste de la proie reste intacte. De cette façon, il est très souvent possible de mesurer le
diamètre de la proie même si elle est encore dans l’estomac (à l’aide d’un pied à
coulisse électronique, ±1mm), l’épaisseur des différentes couches tissulaires (peau,
cotes, estomac… souvent très distendus) entourant la proie est négligeable. Comme
les tricots rayés se nourissent de poissons anguilliformes (sans nageoires rigides), il
est très facile de les faire régurgiter sans aucun risque de lésions internes. Les proies
régurgitées, en fonction de leur état de digestion, furent utilisées afin d’obtenir des
mesures précises de la masse (N=78), du diamètre (N=271) et de la longueur (N=126)
des proies. Enfin, 105 de ces proies régurgitées ont pu être identifiées afin de
connaître les espèces proies consommées par les tricots rayés. La détection de
nourriture par palpation, quel que soit le degré de digestion, a été utilisée afin de
calculer la proportion de serpents avec une proie.
Mesure du recouvrement de niche
Un des indices les plus intéressants est celui de MacArthur & Levins (1967 ; dans
Krebs 1999) :
n
Mjk=
∑P P
∑ P²
ij
i
ik
ij
où Mjk, indice de recouvrement de l’espèce j par rapport à l’espèce k, est calculé à
partir de Pij, proportion des proies i (abondance numérique ou biomasse) utilisées
par l’espèce j et Pik, la proportion des proies i utilisées par l’espèce k. Mkj est calculé
de la même manière pour la seconde espèce.
Un indice est calculé pour chaque espèce. Dans la plupart des cas ils ne sont pas
symétriques et donc permettent de se rendre compte jusqu'à quel point la niche de la
première espèce est en recouvrement avec celle de la deuxième et inversement (et
donc d’appréhender la compétition).
Enfin, le recouvrement peut être traduit en proportion via le calcul du pourcentage
de recouvrement (Renkonen 1938 ; dans Krebs 1999) :
(
)
n

Pjk= ∑ min Pij , Pik  100
 i

Ces deux indices complémentaires ont été utilisés à des fins descriptives.
Déplacements à terre
Pour estimer l’utilisation de l’habitat, une approche indirecte, basée sur les capacités
de déplacements à terre, à été utilisée. Celle-ci met en jeu deux méthodes
complémentaires : une mesure des capacités d’escalade et une mesure de la force de
traction qui implique des muscles associés à la reptation (Lourdais et al. 2004a, b,
Schwaner & Sarre 1990). Les capacités terrestres permettent de caractériser des
potentialités différentes d’utilisation de l’habitat par les Laticauda.
Escalade
Le long du périmètre de certains îlots, les plages alternent avec des rochers
relativement plats et des falaises coralliennes escarpées (verticales, jusqu’à 2m au-
dessus du niveau de la mer). Sur d’autres îles, Nouvelle Calédonie, Vanuatu et Fiji,
de nombreux serpents ont été observés escaladant ces falaises pour rejoindre la terre
ou la mer (I. Ineich & X. Bonnet com. pers.). La plupart de ces falaises sont très
érodées à leur base et surplombent l’océan. Les capacités d’escalade des serpents
furent testées sur une falaise présentant un surplomb puis une partie verticale (figure
4).
VEG ETATIO N
B
1.3m
A
1.0m
Marée
H ighhaute
Tide
0.8m
Marée
basse
Low Ti
de
Figure 4. Représentation simplifiée de la falaise d’étude. Les flèches A et B indiquent
les différentes zones, surplomb ou falaise verticale, utilisées pour évaluer les
capacités d’escalade des tricots rayés.
Bien que les coraux érodés présentent de nombreuses irrégularités, le surplomb
apporte une difficulté significative : un serpent qui perd prise tombera
inévitablement sur les rochers ou dans l’eau.
Les tests ont mis en jeu 168 serpents et chaque serpent fut testé une seule fois. Les
serpents furent distribués au hasard dans deux groupes qui étaient placés soit sur le
surplomb soit sur la partie verticale de la falaise. Certains serpents se décrochèrent
de la falaise et pour éviter toutes blessures, les serpents tombant étaient rattrapés à la
main. Pour ceux qui tentèrent d’escalader, la position du serpent (et donc ses
déplacements) fut relevée après 5 secondes puis 2 minutes. Le temps total passé sur
la falaise et la distance totale parcourue furent aussi relevés. La température du
substrat variait entre 24.1°C et 26.5°C (moyenne = 25.7±0.8°C). Les températures
corporelles de 38 serpents étaient corrélées aux températures du substrat (r = 0.84, P
< 0.0001).
Mesure de la force musculaire
Le serpent était maintenu aux deux extrémités par le manipulateur (toujours la
même personne) avec un dynamomètre (maximum 10kg, précision 100g) attaché à
un point fixe et au poignet du manipulateur. Lorsque le corps du serpent est tendu,
l’animal réagit toujours en contractant son corps afin de s’échapper. La contraction
maximale (habituellement la première) de chacun de 368 serpents fut mesurée. Des
méthodes similaires de mesure de force musculaire ont été validées sur différentes
espèces de serpents (Lourdais et al. 2004a, b, Schwaner & Sarre 1990). Pour les
analyses, certaines données furent écartées (N=86) pour tous les serpents présentant
une proie en digestion ou des follicules en croissance (parce que ces circonstances
modifient la masse corporelle du serpent et affectent donc la relation masse-force).
Tous les tests ont été menés à des températures (de l’air et donc corporelles)
similaires (22°C-27°C), les serpents étant conservés dans des sacs en tissus
(maintenus à l’ombre) avant les tests.
Reproduction
De la même manière que pour caractériser les contenus stomacaux, les follicules ou
les œufs sont aisément reconnaissables par palpation. La présence de follicules (ou
oeufs) dans les ovaires (ou oviductes) a donc été relevée afin de mettre en évidence
un possible décalage entre les périodes de reproduction des deux espèces de tricots
rayés.
Analyses statistiques
Les ANOVAs ont été utilisées pour la plupart des comparaisons de morphologie. La
normalité des données a été testée avant d’effectuer ces analyses, bien que le test F
est très robuste par rapport aux déviations de la normalité (Lindman 1974), surtout
quand les échantillons sont de taille relativement importante.
Les analyses pourraient être invalidées quand elles mettent en jeu des données
hautement inter-corrélées (Sokal and Rohlf 1981). Cependant, les données intercorrélées ont été analysées par des ANCOVAs (voir Barron 1997 pour les détails).
L’ensemble des analyses statistiques a été réalisé sous le logiciel Statistica 6.0
(Statsoft).
RESULTATS
Morphologie
L. laticaudata est significativement plus long que L. colubrina (ANOVA, F1,1175=162.84,
p<0.001 ; moyennes de 85.0±12.9 cm et 75.2±12.7 cm respectivement pour L.
laticaudata et L. colubrina) mais les gammes de tailles présentent des recouvrements
très importants (figure 5). L. colubrina est significativement plus lourd que L.
laticaudata (ANCOVA avec la SVL comme covariable, F1,
536=8.14,
P<0.0001,
moyennes ajustées par la taille de 208.9±2.6 g et 155.0±2.2 g, respectivement pour L.
colubrina et L. laticaudata). Pour une même longueur corporelle, L. colubrina a les
mâchoires les plus longues (ANCOVA avec la SVL comme cofacteur, F1, 996=302.63,
P<0.0001 ; moyennes ajustées par la taille, 22.15±0.06 mm et 20.81±0.04 mm
respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata, figure 6).
Habitat
Zones de capture
Les serpents furent contactés sur 34 des 41 zones de la plage de capture (plage ouest,
figure 3). Les deux espèces de tricots rayés utilisaient 85% de ces zones. Les zones sur
lesquelles n’étaient pas capturée l’une ou l’autre des espèces ne semblaient pas
diverger par le type de milieu que ce soit au niveau de la plage (essentiellement sable
et rochers calcaires) ou au niveau du talus bordant la plage (rochers calcaires et
végétation basse).
Mesure de la force musculaire
La force était corrélée à la masse (F1, 277=202.6, P<0.0001), celle-ci fut donc incorporée
comme covariable dans les analyses suivantes. L’espèce et le sexe affectent la force
des serpents (ANCOVA avec l’espèce et le sexe comme facteurs : F1, 277=4.4, P=0.037,
et F1, 277=61.0, P<0.0001 respectivement), sans interaction significative entre les deux
facteurs (F1,
277=0.47,
P=0.50). Relativement à la masse corporelle, L. colubrina, était
plus fort que L. laticaudata (moyennes ajustées par la masse, 3.30±0.10 et 2.98±0.11
respectivement pour L. colubrina et L. laticaudata, figure 7). Les femelles étaient
toujours moins fortes que les mâles.
Fréquence d'observation (%)
50
L. colubrina
L. laticaudata
40
30
20
10
0
30
40
50
60
70
80
90
100
110
120
130
Gamme de taille (cm)
Figure 5. Distributions des gammes de tailles de L. colubrina (en noir) et L. laticaudata
(en gris).
Figure 6. Longueur moyenne ± écart type (relative à la SVL) des mâchoires de L. colubrina
(en noir) et L. laticaudata (en gris).
Déplacements à terre
Surplomb
Les proportions de serpents qui tombèrent et escaladèrent ne diffèrent pas
significativement entre les deux espèces pendant les cinq premières secondes du test
(χ² de Yates=0.93, df=1, P=0.33, N=49 L. laticaudata et N=68 L. colubrina). Cependant,
après deux minutes, pratiquement tous les L. laticaudata étaient tombés alors que de
nombreux L. colubrina continuèrent à escalader la falaise (χ² de Yates=8.55, df=1,
P=0.003). En utilisant uniquement les serpents qui escaladèrent pendant plus de 5
secondes, les L. colubrina parcoururent de plus grandes distances au niveau du
surplomb (moyenne de 100cm versus 68cm, test U de Mann-Whitney=225.5, P<0.05,
N=35 colubrina et N=19 laticaudata).
Falaise verticale
Pratiquement tous les serpents furent capables d’escalader cette section de la falaise
sans différence significative entre espèces que ce soit après 5 secondes ou 2 minutes
(χ² de Yates=0.64, df=1, P=0.42, et χ² de Yates=2.06, df=1, P=0.15 respectivement,
N=25 laticaudata et N=26 colubrina). Plus de 78% des serpents restèrent sur la falaise
et 70% arrivèrent au sommet dans un laps de temps de 2 minutes. Néanmoins, L.
colubrina arriva au sommet plus souvent que L. laticaudata (61% versus 39%, χ² de
Yates=3.74, df=1, P<0.05).
Vitesse d’escalade
Les analyses de vitesse sont basées sur 94 cas, sans tenir compte des données des
serpents qui décrochèrent quasiment immédiatement ou qui restèrent immobile
après s’être réfugiés dans une anfractuosité. Les données utilisées concernèrent les
serpents qui escaladèrent plus de 5 secondes avant de tomber. Beaucoup de femelles
(notamment les individus de grande taille) tombèrent quasiment immédiatement ou
restèrent immobiles, elles furent donc exclues des analyses de vitesse. L’examen des
données des mâles uniquement met en évidence une forte différence inter-spécifique
dans les vitesses moyennes (F1, 83=8.71, P=0.004). Les mâles L. colubrina escaladèrent
plus de deux fois plus vite que les mâles L. laticaudata au niveau de la falaise verticale
(ANOVA à deux facteurs avec espèce et type de falaise comme facteurs : effet falaise,
F1,
81=73.86,
P<0.0001; effet espèce, F1,
81=33.05,
P<0.0001; interaction, F1,
81=14.14,
P=0.0003; figure 8).
Figure 7. Force de traction moyenne ± écart type (relative à la masse corporelle) de L.
colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris).
Vitesse d’escalade
(cm.s-1) (cm.s-1)
10
e)
19
8
6
16
4
2
0
18
32
lat.Surplomb
col.
lat. verticalecol.
Figure 8. Vitesses d’escalade moyenne ± écart type au niveau du surplomb
(surplomb) et de la falaise verticale (verticale) des mâles L. colubrina (en noir) et L.
laticaudata (en gris).
Ressources Trophiques
Proportion de serpents avec une proie
La proportion de serpents avec une proie dans l’estomac était différente entre les
deux espèces de serpents (L. laticaudata : 30.73%, N=275 ; L. colubrina : 39.0%, N=199,
χ² de Yates=9.90, df=1, P<0.01) mais ces proportions restent néanmoins dans des
valeurs biologiques comparables.
Taille des proies
Pour une même longueur corporelle, L. colubrina consomme des proies de plus grand
diamètre que L. laticaudata (ANCOVA avec la SVL comme covariable, F1, 226=122.52,
P<0.0001 figure 9).
De la même manière, pour une même taille de mâchoires, L. colubrina consomme des
proies de plus grand diamètre que L. laticaudata (ANCOVA avec l’espèce et la taille
des mâchoires comme facteurs, F1,
996=98.50,
P<0.0001), le diamètre des proies
consommées représentait en moyenne 77% et 60% (respectivement pour L. colubrina
et L. laticaudata) de la longueur des mâchoires des serpents (figure 10).
Espèces proies
Le régime alimentaire des deux espèces de tricots rayés était constitué de 30 espèces
appartenant à 10 genres (N=105 proies identifiées). La plupart des proies identifiées
étaient des poissons anguilliformes appartenant à 4 familles (Muraenidae : 24 espèces,
Muraenesocidae : 1 espèce, Congridae : 1 espèce et Ophictidae : 3 espèces ; représentant
99.4% des régurgitats) et une petite proportion était représentée par une espèce de
Microdesmidae ayant un mode de vie très proche de celui des poissons anguilliformes
(Ptereleotris sp. cf. hanae représentant 0.6% des régurgitats).
Le diamètre de la proie était hautement corrélé à sa masse (r= 0.81, F1, 19= 145.56,
P<0.0001, N=74).
Figure 9. Diamètre des proies moyenne ± écart type (relatif à la longueur des
mâchoires) consommées par L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris).
Figure 10. Diamètre des proies moyenne ± écart type (relatif à la taille des mâchoires)
consommés par L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris).
Mesure du recouvrement de niche
Sur les dix genres de proies consommées, seuls deux était en commun chez les deux
espèces (figure 11), ce qui représente cinq espèces de proies sur trente.
Les deux types d’indices fournissent des valeurs convergentes qui indiquent une
faiblesse de recouvrement :
- l’indice de Mac Arthur et Levins montre que le recouvrement est minime entre les
deux espèces (L. laticaudata par rapport à L. colubrina : 0.17 et L. colubrina par rapport
à L. laticaudata : 0.16), cet indice habituellement dissymétrique est, dans ce cas,
quasiment identique pour les deux espèces.
- le pourcentage de recouvrement qui apporte une information quantitative est de
14.6%.
Périodes d’activité
Les périodes d’activité (jour versus nuit) étaient clairement différentes entre les deux
espèces (χ² de Yates=190.69, df=1, P<0.0001). Les tricots rayés bleu étant beaucoup
plus nocturnes que les tricots rayés communs qui montrent une tendance
crépusculaire à diurne (figure 12). Néanmoins, 33% de L. colubrina furent capturés de
nuit et 28% de L. laticaudata furent capturés de jour en partie alors qu’ils se trouvaient
dans leur abris.
Périodes de reproduction
Les périodes de reproduction furent identifiées grâce à la présence d’œufs dans le
tractus génital des femelles. Durant les différentes session de terrain, 51 femelles
reproductrices ont été capturées (N= 29 L. colubrina et N= 22 L. laticaudata). Grâce au
stade de développement des œufs (vitellogenèse ou œufs ovulés, facilement
identifiables par palpation), il fut possible de mettre en évidence que chez L. colubrina
la période de fin de vitellogenèse et de ponte a lieu durant le début d’été (novembredécembre) alors que pour L. laticaudata elle se situe en fin d’été (février-mars).
Fréquence d'observation (%)
100
L. colubrina
L.laticaudata
80
60
40
20
An
ar
ch
ia
s
Co
Gy
ng
er
m
no
th
or
ax
M
yr
op
hi
Op
s
hi
ch
th
Pt
us
e
Sc
r
e
hi
le
sm
ot
ris
or
hy
nc
hu
s
Sc
ut
ic
ar
St
ia
ro
ph
id
Ur
on
op
te
ry
gi
us
0
Figure 11. Fréquence d’observation de 10 genres de proies consommées par les
tricots rayés, L. colubrina (en noir) et L. laticaudata (en gris).
Fréquence d'observation (%)
80
70
L. colubrina
L. laticaudata
60
50
40
30
20
10
0
Jour
Nuit
Période
Figure 12. Fréquence d’observation des tricots rayés, L. colubrina (en gris) et L.
laticaudata (en noir) en fonction de la période de la journée (nuit versus jour).
DISCUSSION
L’absence d’études précises sur les tricots rayés en Nouvelle Calédonie a conduit à
considérer ces deux espèces comme très semblables, souvent confondues en une
seule par le public en général. Jusqu’à présent, les seules informations écologiques
disponibles pour la Nouvelle Calédonie étaient que ces serpents cohabitent sur les
mêmes îlots, chassent en mer et consomment des murènes (Heatwole 1999 pour la
plupart de l’aire de répartition, Ineich et Laboute 2002, Saint Girons 1964). Le régime
alimentaire basé sur des poissons anguilliformes ainsi que différents aspects de
l’écologie de L. colubrina ont été décrits pour le Vanuatu et les îles Fiji, mais sans
prendre en compte les problèmes de partage des ressources dans la coexistence
d’espèces (Reed et al. 2002 ; Shetty et Shine 2002 a, b, c, d ; Shine et Shetty 2001a, b).
Notre étude plus détaillée et sur deux espèces examinées simultanément
apporte une vision différente. De nombreuses différences morphologiques et
écologiques apparaissent comme majeures dans la coexistence de ces espèces.
L’avantage d’un chevauchement important des gammes de tailles corporelles permet
de dissocier les effets de la taille par rapport à d’autres facteurs souvent plus
difficiles à mettre en évidence.
Habitat
Les nombreuses observations sur le terrain montrent qu’il n’y a pas de dichotomie
entre les deux espèces de tricots rayés dans l’utilisation de l’habitat terrestre. Les
serpents sont capturés dans les mêmes zones sur la plage, la plupart du temps dans
la zone intertidale et plus rarement sur le talus post-plage ou encore à l’intérieur de
l’îlot. De plus, les deux espèces ne paraissent pas présenter d’interactions
particulières (notamment antagonistes) et plusieurs individus des deux espèces ont
été très fréquemment observés thermorégulants, ou se reposant ensemble sous le
même abri (pers. obs.).
La présence d’une espèce ne semble produire aucune gêne pour l’autre en ce
qui concerne les déplacements à terre (ou en mer), et pour les possibilités de trouver
un abris sous un rocher ou dans un terrier. En effet, les plages sont assez vastes pour
permettre les déplacements des serpents sans interaction négative entre eux.
L’habitat terrestre ne paraît pas limitant dans le sens où la disponibilité en abris, que
ce soit au niveau de la zone intertidale (rochers, anfractuosités) ou plus
profondément dans les terres (rochers, anfractuosités mais aussi terriers de Puffins
du Pacifique en très forte densité sur l’îlot : environ 23000 terriers occupés en janvier
2004, P. Villard com. pers.) est très importante. Il apparaît donc que le nombre de
serpents présents sur Signal est bien en dessous des capacités d’accueil. Dans
d’autres situations insulaires, les densités de serpents sont aussi très fortes (Bonnet et
al. 2002, Shine et al. 2002a). Ceci suggère que les phénomènes de densitédépendance, par exemple vis à vis de l’espace disponible, s’exercent à des seuils plus
élevés que chez les modèles classiquement étudiés (Gotelli 1998, Sinclair 1989,
Turchin 1995).
Cependant, lorsqu’on essaye d’appréhender les capacités de déplacements à
terre des deux espèces (reflet indirect de leur potentiel à exploiter l’habitat terrestre),
de nombreuses différences apparaissent. L. colubrina montre une capacité d’escalade
plus importante que ce soit en terme de distance parcourue ou de vitesse de
déplacement. De la même manière, il déploie une force de traction plus importante et
cette mesure peut être prise en compte comme indice de capacité de reptation car elle
implique des muscles utilisés pendant les déplacements (Lourdais et al. 2004a, b ;
Schwaner & Sarre 1990). De plus, L. colubrina présente une adaptation
morphologique inexistante chez L. laticaudata : la présence de carènes ventrales liées à
la reptation (très souvent marquées chez les serpents arboricoles par exemple).
Si nos observations (impliquant une coexistence) se sont focalisées
majoritairement sur la plage, d’autres observations sur le terrain vont dans le
sens des différences soulevées par les capacités de reptation. Les tricots rayés
communs ont été observés beaucoup plus profondément dans l’îlot que les tricots
rayés bleus. Ils ont même été observés sur des buissons sur d’autres îlots proches de
Nouméa (îlot Porc Epic et îlot Nouaré, I. Ineich et X. Bonnet com. pers.) ou au
sommet du point culminant du lagon (40 m d’altitude, îlot Mato, P. Villard com.
pers.). Toutefois, ces différences d’utilisation de l’habitat entre les deux espèces
reflètent
probablement
des
besoins
éco-physiologiques
spécifiques
(thermorégulation…) plutôt que le résultat d’un relâchement de la compétition via la
mise en place d’une ségrégation de l’habitat. Cette approche nécessite un
approfondissement qui permettrait peut-être de mettre en évidence des besoins
spécifiques lors des séjours à terre. Par exemple, les micro-habitats les plus
recherchés en fonction des besoins de l’animal n’ont pas été identifiés, et la
disponibilité de tels micro-habitats n’a pas été quantifiée avec précision. Il est
possible que certains rochers, apparemment semblables entre eux, offrent des
conditions particulières et différentes aux serpents, et qu’ils deviennent l’objet d’une
compétition. Il serait nécessaire de mettre en évidence les patterns plus précis
d’utilisation de l’habitat par les deux espèces de serpents. Dans ce cadre, une
caractérisation fine des micro-habitats préférentiels à terre, que ce soit en terme de
zones géographiques mais aussi de caractéristiques thermiques ou hygrométriques
sera fondamentale.
Ressource trophique
Une trentaine d’espèces proies différentes ont été identifiées pour chaque espèce de
Laticauda. Les deux espèces de serpents divergent par la taille des proies consommées
mais aussi par les espèces capturées : seules 5 espèces sont communes aux régimes
alimentaires de L. colubrina et de L. laticaudata. Ces 5 espèces communes n’entraînent
un recouvrement des deux niches alimentaires que de 14%. Une forte ségrégation
semble séparer les deux espèces de Laticauda en ce qui concerne les espèces proies
consommées. Les indices de MacArthur et Levins sont relativement faibles et
illustrent ce résultat. Ces indices, habituellement dissymétriques et reflets du
chevauchement entre les niches trophiques (Krebs, 1999), sont très proches. Ceci
indique que ces deux espèces de Laticauda présentent des niches trophiques qui se
chevauchent de la même manière. Le fait que ces indices soient faibles implique que
ces espèces ne seraient que très peu influencées par la compétition inter-spécifique, si
toutefois les ressources venaient à manquer.
Il n’existe que très peu de données sur les communautés des poissons
anguilliformes, extrêmement cryptiques, dans les écosystèmes lagonnaires en
Nouvelle Calédonie. Les comptages de ces poissons évoquent des biomasses de
proies disponibles pour les tricots rayés de l’ordre de 250 Kg autour de l’îlot Signal
(Kulbicki, com. pers. ; Ineich et al., in prep.). Cependant, les estimations faites avec
les données récoltées sur les tricots rayés à Signal suggèrent qu’ils consomment
environ une tonne de poissons anguilliformes par an (Ineich et al., in prep.). De plus,
certaines des espèces de poissons anguilliformes identifiées dans les contenus
stomacaux ont été décrites pour la première fois dans le lagon calédonien, ce qui
souligne la méconnaissance des espèces proies des tricots rayés. Or, les informations
liées au mode de vie des espèces proies des tricots rayés permettraient sans doute
d’éclaircir le mode et les zones de chasse de ces deux espèces de serpents marins.
De telles différences dans la nature des proies consommées semblent indiquer
une ségrégation spatiale importante entre les zones de chasse des deux espèces de
Laticauda. En effet, les serpents sont généralement opportunistes pour des proies de
la même catégorie. Il n’y a que très peu de sélection alimentaire sur les espèces de
proies mais plutôt sur la taille des proies (Arnold 1993, Shine 1991). Autrement dit, si
les deux espèces de tricots rayés prospectaient les mêmes zones de pêche, les
recouvrement
entre
les
régimes
alimentaires
devraient
être
plus
grands.
Alternativement, peut être que les deux espèces de serpents pêchent sur les mêmes
zones, mais pas au même moment. La ségrégation de leurs régimes alimentaires
reflèterait alors des différences dans les rythmes d’activité des espèces proies. Etant
donné les tactiques de pêche des tricots rayés, basées sur des prospections actives et
méticuleuses des anfractuosités du corail et des terriers dans le sable pour débusquer
leur proies (observations en plongée de tricots rayés en chasse durant plusieurs
heures ; I. Ineich & X. Bonnet, com. pers.) ; cette seconde hypothèse est la moins
vraisemblable. Les deux espèces de tricots rayés possèdent certainement des zones
de chasse bien différentes, chacune présentant une communauté de poissons
anguilliformes particulières.
Les différences de régime alimentaire s’accompagnent de divergences des tailles
relative des mâchoires. Pour une même taille corporelle, L. colubrina consomme des
proies plus grandes et possède des mâchoires relativement plus développées.
L’association taille de proie - taille relative des mâchoires a été observée au niveau
inter-populations chez une autre espèce de serpent (Aubret et al. 2004), et au niveau
inter-spécifique chez d’autres tricots rayés (Shine et al. 2002b). La ségrégation
alimentaire s’accompagne donc de différences morphologiques, notamment de
l’appareil trophique. Bien qu’il ne soit pas possible de dégager les effets respectifs de
la plasticité phénotypique (la consommation de grosses proies entraîne un
accroissement relatif des mâchoires ; Bonnet et al. 2001) ou des adaptations
génétiquement fixées, la correspondance taille relative des proies/taille relative des
mâchoires renforce clairement la notion d’un partage des ressources alimentaires
avec peu de compétition inter-spécifique.
Temps
Les deux espèces de tricots rayés de l’îlot Signal présentent une ségrégation
temporelle au niveau des périodes (jour versus nuit) de déplacements entre leurs
abris terrestres et la mer ou vice versa. Ces différences sont probablement à mettre en
relation avec des différences au niveau de l’écologie des tricots rayés. Cependant
aucune information n’est disponible pour éclaircir la causalité de ces différences : ces
périodes d’activités sont-elles à mettre en relation avec les séjours en mer (aller et
retour) et la capturabilité des proies (liée à leurs rythmes d’activité) ? Est-ce lié à une
sensibilité différente à de potentiels prédateurs marins (requins, très abondants dans
le lagon) ou terrestres (oiseaux) ? Est-ce lié à une sensibilité différentielle à la
dessiccation durant les déplacements à terre ?
Une divergence temporelle est aussi observée dans les périodes de
reproduction. Les deux espèces de tricots rayés présentent un décalage d’environ
trois mois dans leurs périodes de reproduction : ponte en décembre pour L. colubrina
et en mars pour L. laticaudata. Ces différences pourraient être liées à des
disponibilités alimentaires différentes. Comme les deux espèces de Laticauda ne se
nourrissent pas des mêmes proies, il pourrait exister une synchronie entre les
éclosions de serpenteaux et la disponibilité de leurs espèces proies, associée à des
gammes de tailles qu’ils peuvent ingurgiter. Il est intéressant de noter que ce
décalage de trois mois correspond à la durée d’incubation des œufs de tricots rayés
(Shetty, com. pers.). Les tricots rayés, comme la plupart des serpents ovipares ont
besoin de sites de ponte rassemblant des conditions très particulières (température,
hygrométrie) pour assurer un bon développement embryonnaire (Deeming &
Ferguson 1991). Au vu de la topographie de l’îlot Signal, majoritairement du sable
déposé sur une assise calcaire, la disponibilité en tels sites de ponte est peut être
faible. Cependant, les sites de pontes ne sont pas connus, et encore moins leur
disponibilité relative. Les serpents pourraient pondre au fond des terriers de puffins
les plus profonds, ou dans le sable sous de gros rochers. Les deux espèces utilisent
elles les mêmes sites de pontes ? Si oui, on peut penser qu’un décalage de 3 mois au
niveau des périodes de ponte permettrait d’éviter une compétition pour cette
ressource indispensable, et peut être limitante. Les besoins alimentaires des nouveaunés (ou des mères durant la vitellogenèse, période de très forte demande en
ressources – Bonnet et al. 1994) apparaissent cependant comme la piste la plus solide
pour expliquer le décalage des saisons de reproduction entre les deux espèces. Quoi
qu’il en soit, des périodes de ponte (et d’accouplements) à ce point décalées
maintiennent un isolement reproducteur et empêchent l’hybridation.
Conclusions et Perspectives
La coexistence des Laticauda sur l’îlot Signal s’accompagne d’un partage marqué des
ressources associé à des caractéristiques spécifiques, subtiles mais nettes. Cette
situation va dans le sens des idées de Putman & Wratten (1984). Dans les systèmes
stables, on observe un partage des ressources (accompagné de différences
morphologiques nettes) associé à une compétition limitée (Chapman & Reiss, 1999).
Le problème central de causalité reste non résolu. Soit les différences observées au
niveau du partage des ressources seraient les résidus d’une compétition passée qui
aurait modelée certains traits de ces deux espèces, permettant ainsi leur coexistence ;
soit ces différences déjà présentes n’auraient pas limité leur coexistence lors d’une
rencontre ultérieure sur Signal. Pour éclaircir ces interrogations, il sera nécessaire
d’entreprendre de nouvelles campagnes de mesures, d’une part pour affiner nos
résultats, et d’autre part pour tester d’autres hypothèses.
Un paramètre crucial dans l’approche des différences entre les deux espèces
de tricots rayés est l’activité en mer. En ayant accès aux profils de plongée des
animaux, il serait possible d’éclaircir les différences observées entre les régimes
alimentaires
des
deux
espèces. En
équipant
les
animaux
d’émetteurs
et
d’enregistreurs automatiques, on pourra obtenir des informations sur le budget
temps en mer, les profils de plongée et de prospection alimentaire, notamment pour
caractériser les zones et les périodes de chasse.
Des comparaisons inter-îlot sont aussi indispensables surtout si les structures
des populations ne sont pas les mêmes en fonction des îlots (I. Ineich & X. Bonnet,
com. pers.). Par exemple, sur l’îlot Signal, L. laticaudata apparaît comme beaucoup
plus abondant que L. colubrina (environ deux fois plus de L. laticaudata que de L.
colubrina, pers. obs.), inversement sur Nouaré (îlot situé plus au sud) seul L. colubrina,
est présent. Des populations des deux espèces en situation allopatrique donnent alors
accès à une situation originale, permettant de quantifier les effets d’une espèce sur
l’autre (et réciproquement).
Un autre axe majeur est la reconstitution de l‘histoire de la colonisation de la
Nouvelle Calédonie par les tricots rayés à travers des analyses génétiques mettant en
jeu la plupart des îles et îlots du lagon.
Enfin, des comparaisons avec d’autres espèces de Laticauda (6 espèces
appartenant à ce genre sont présentes dans la plupart des îles du Pacifique Ouest et
de l’Est de l’Asie) permettraient d’éclaircir les positions taxonomiques d’espèces à
très large répartition (par exemple : L. colubrina est présente du sud du Japon, à la
Nouvelle Calédonie et de l’Indonésie aux Fiji). De la même manière, des
comparaisons à d’autres situations de coexistence (par exemple, L. colubrina et L.
frontalis, Vanuatu) seraient intéressantes car elles pourraient permettre la mise en
évidence de patterns de partage des ressources en fonction de conditions
environnementales contrastées pour de nombreux paramètres (par exemple, la
géographie, le climat, les espèces proies, la pression de prédation, etc.).
L’intérêt des tricots rayés se décline aussi à travers l’étude d’autres taxons.
Ainsi, l’étude du régime alimentaire de ces serpents apparaît comme un avantage
majeurs dans l’approche des communautés de poissons anguilliformes du Pacifique
Ouest. Cette constatation avait déjà été soulevée par Reed et al. (2002) lors d’une
étude sur les tricots rayés du Vanuatu. Les proies régurgitées par les serpents
dépassaient de loin le nombre (en terme d’abondance numérique ou de richesse
spécifique) des poissons anguilliformes conservés à l’Australian Museum (Sydney).
Les mêmes observations ont été faites lors de la caractérisation du régime alimentaire
des serpents de Signal (Ineich et al. in prep), allant même jusqu’à la première
description d’une espèce de poissons anguilliformes dans le lagon calédonien.
Dans ce cadre, les tricots rayés permettraient à la fois de corriger les abondances
observées lors des comptages à vue ou par pêche (Kulbicki com. pers., Ineich et al. in
prep.) mais aussi de décrire certains traits d’histoire de vie de ces poissons. En effet, il
est possible lorsque le degré de digestion n’est pas trop avancé d’avoir accès aux
contenus stomacaux – et donc au régime alimentaire – de ces poissons. De la même
manière, il sera possible, par exemple, de caractériser les périodes de reproduction
(observations d’œufs dans les murènes régurgitées, obs. pers.).
Le travail réalisé à l’îlot Signal montre que le partage des ressources
alimentaires est central dans la coexistence de deux espèces de tricot rayés, tout au
moins sur l’îlot Signal. Il démontre aussi que l’étude des serpents marins apporte très
rapidement, et relativement facilement, des jeux de données riches qui permettent
une approche standardisée de l’étude de différentes populations ou espèces de
prédateurs supérieurs. La gamme de variations offerte par les spécificités physiques
de chaque îlot (sableux, rocheux, grand, petit...), abritant des populations de serpents
marins particulières (I. Ineich et X. Bonnet com. pers.) offre une situation unique
pour étudier les problèmes de coexistence d’espèces proches.
BIBLIOGRAPHIE
Arnold SJ. 1993. Foraging theory and prey-size/predator-size in snakes. In Seigel RA, Collins
JT Eds. Snakes: ecology and behavior. New York: McGraw Hill.
Aubret, F., Maumelat, S., Bonnet, X., Bradshaw, D. & Schwaner, T. 2004a Diet divergence,
jaw size and scale counts in two neighbouring populations of Tiger snakes (Notechis
scutatus). Amphibia-Reptilia 25:9-17.
Barbault R. 1992. Ecologie des peuplements. Structure, Dynamique et Evolution. Eds.
Masson, Paris.
Barron JN.1997. Condition-adjusted estimator of reproductive output in snakes. Copeia
1997:306-318.
Begon M & Harper J. 1986. Ecology, Individuals, populations and communiuties. Sinauer
Associates Inc.
Bonnet X, Naulleau G & Mauget R. 1994. The influence of body condition on 17-b estradiol
levels in relation to vitellogenesis in female Vipera aspis (Reptilia, Viperidae). General
and Comparative Endocrinology 93:424-437.
Bonnet X., Shine R., Naulleau G. & Thiburce C. 2001. Plastic vipers: environmental influences
on the size and shape of Gaboon vipers, Bitis gabonica. Journal of Zoology 255: 341351.
Bonnet X, Pearson D, Ladyman M, Lourdais O & Bradshaw D. 2002. Heaven for serpents? A
mark-recapture study of Tiger snakes (Notechis scutatus) on Carnac Island, Western
Australia. Austral Ecology 27:442-450.
Case TJ. 1991. Invasion resistance, species build-up and community collapse in
metapopulations with interspecies competition. Biological Journal of the Linnean
Society 42:239-266.
Chapman JL & Reiss MJ. 1999. Ecology: principles and applications. Second Edition.
Cambridge University Press.
Crawley MJ. 1986. Plant Ecology. Blackwell Scientific Publications: Oxford.
Deeming DC & Ferguson MWJ. 1991. Egg Incubation: Its Effects on Embryonic Development
in Birds and Reptiles. Cambridge University Press.
Edmunds J, Cushing JM, Costantino RF, Shandelle M, Henson BD & Desharnais RA. 2003.
Park’s Tribolium competition experiments: a non-equilibrium species coexistence
hypothesis. Journal of Animal Ecology 72:703-712.
Ehrlich PR & Ehrlich AH. 1981. Extinction: the causes and consequences of the
disappearance of species. Random House, New York.
Frank DA & McNaughton SJ. 1991. Stability increases with diversity in plant communities:
empirical evidence from the Yellowstone drought. Oikos 62:360-362.
Gans C. 1974. Biomechanics: an approach to vertebrate biology. Philadelphia, JP Lippincott.
Gause GF. 1934. The struggle for existence. Williams and Wilkins, Baltimore.
Gotelli NJ. 1998. A Primer of Ecology. Sinauer Associates, Inc.
Gould SJ & Levontin RC. 1979. The spandrels of San Marco and the panglossian paradigm: a
critique of the adaptationist progamme. Proceedings of the Royal Society London,
Bulletin of the Biological Sciences 205:581-598.
Grant PR. 1999. The ecology and evolution of Darwin's finches. Princeton University Press,
Princeton.
Grover JP. 1997. Resource competition. Population and Community Biology Series 19.
Chapman & Hall, New York, 1997.
Hardin G. 1960. The competitive exclusion principle. Science 131:1292-1297.
Harper JL. 1978. Population Biology of plants. Academic Press, London.
Heatwole H. 1999. Sea Snakes. Australian Natural History Series. University of New South
Wales.
Holt R. 1984. Spatial heterogeneity, indirect interactions end the coexistence of prey species.
The American Naturalist 124(3):377-406.
Huisman J & Weissing FJ. 1999. Biodiversity of palnkton by species oscillations and chaos.
Nature 402:407-410.
Hutchinson, G. E. 1957. Concluding remarks. Cold Spring Harbour Symposium on
Quantitative Biology 22: 415-427.
Hutchinson G. 1959. Hommage to Santa Rosalia or Why are there so many kinds of animals?
The American Naturalist XCIII:145-159.
Ineich I & Laboute P. 2002. Sea snakes of New Caledonia. IRD et Muséum national d’Histoire
naturelle Editions, Collection Faune et flore tropicales, Paris.
Ineich I, Bonnet X, Brischoux F, Shine R, Kulbicki M & Séret B. Sea Snakes as Top Predator in
the Ecological Chain of New Caledonia Reef Ecosystems. En préparation.
Jaeger RG. 1970. Potential extinction through competition between two species of terrestrial
salamanders. Evolution 24:632-642.
Kotler B & Brown J. 1988. Environmental heterogeneity and the coexistence of desert rodents.
Annual Review of Ecology and Systematics 19: 281-307.
Kotler B, Brown J & Subach H. 1993. Mechanisms of species coexistence of optimal foragers:
temporal partitioning by two species of sand dune gerbils. Oïkos 67: 548-556.
Krebs CJ. 1999. Ecological Methodology. Addison Wesley Longman, Inc.
Lawton JH. 1994. Population dynamic principles. Philosophical Transactions of the Royal
Society of London Series B: Biological Sciences 344:61-68.
Leibold MA. 1995. The niche concept revisited : Mechanistic models and Community
context. Ecology 75:1371-1382.
Lindman HR. 1974, Analysis of variance in complex experimental designs. WR Freeman and
Co.
Loreau M & Ebenhoh W. 1994. Competitive exclusion and coexistence of species with
complex life cycles. Theoretical Population Biology 46:58-77
Lourdais O, Brischoux F & Barantin L. 2004a. How to Assess Musculature and Performance
in a Constricting Snake? A Case Study in the Rainbow Boa (Epicrates maurus). Journal
of Zoology. Sous presse
Lourdais O, Brischoux F, DeNardo D & Shine R. 2004b. Protein Catabolism in Pregnant
Snakes (Epicrates maurus, Boidae) Compromises Musculature and Performance after
Reproduction. Journal of Comparative Physiology, B. Sous presse.
MacArthur RH & Levins R. 1967. The limiting similarity, convergence, and divergences of
coexisting species. American Naturalist 101:377-385.
Martin P & Martin T. 2001. Ecological and fitness cosequences of species coexistence: a
removal experiment with wood warblers. Ecology 82(1): 189-206.
May RM. 1981. Theoretical Ecology – Principles and applications. Sinauer Associates:
Oxford.
Mayr E. 1963. Populations, Espèces et Evolution. Hermann.
Mooney HA & Cleland EE. 2001. The evolutionary impact of invasive species. Proceedings
Natural Academy of Sciences 98: 5446-5451.
Park T. 1948. Experimental studues of interspecific competition. I. Competition between
populations of the flour beetles Tribolium confusum Duval and Tribolium castaneum
Herbst. Ecological Monographs 18:265-308.
Park T. 1954. Experimental studues of interspecific competition. II. Temperature, humidity
and competition in two species of Triblolium. Physiological Zoology 27:177-238.
Park T. 1957. Experimental studies of interspecies competition. III. Relation of initial species
proportion to the competitive outcome in populations of Tribolium. Physiological
Zoology 30: 22-40.
Putman RJ & Wratten SD. 1984. Principles of Ecology. Croon Helm, London.
Reed RN, Shine R, Shetty S & Cogger H. 2002. Sea kraits (Squamata: Laticauda spp.) as a
useful bioassay for assessing local diversity of eels (Muraenidae, Congridae) in the
western Pacific Ocean. Copeia 2002:1098-1101.
Renkonen O. 1938. Statisch-okologische Untersuchungen uber die terrestrich kaferwelt der
finnischen bruchmoore. Ann. Zool. Soc. Bot. Fenn. Vanamo 6:1-231.
Rickleffs RE. 1979. Ecology. Nelson, Sunbury.
Rosensweig M. 1996. Species diversity in space and time. Cambridge University press.
Saint Girons H. 1964. Notes sur l’écologie et la structure des populations des Laticaudinae
(Serpentes : Hydrophiidae) en Nouvelle-Calédonie. La Terre et la Vie 111:185-214.
Schluter D. 1994. Experimental evidences that competition promotes divergence in Adaptive
Radiation. Science 266:798-801
Schwaner TD & Sarre SD. 1990. Body size and sexual dimorphism in mainland and island
Tiger Snakes. Journal of Herpetology 24, 320-322.
Shetty S & Shine R. 2002a. Philopatry and homing behavior of sea snakes (Laticauda colubrina)
from two adjacent islands in Fiji. Conservation Biology 16: 1422-1426.
Shetty S & Shine R. 2002b. The mating system of yellow-lipped sea kraits (Laticauda colubrina,
Laticaudinae). Herpetologica 58:170-180.
Shetty S & Shine R. 2002c. Activity patterns of yellow-lipped sea kraits (Laticauda colubrina)
on a Fijian island. Copeia 2002:77-85.
Shetty S & Shine R. 2002d. Sexual divergence in diets and morphology in Fijian sea snakes,
Laticauda colubrina (Laticaudidae). Austral Ecology 27:77-84.
Shine R. 1991. Why do larger snakes eat larger prey items ? Functional Ecology 5:493-502.
Shine R & Shetty S. 2001a. Moving in two world: aquatic and terrestrial locomotion in sea
snakes (Laticauda colubrina, Laticaudidae). Journal of Evolutionnary Biology 14: 338346.
Shine R & Shetty S. 2001b. The influence of natural selection and sexual selection on the tails
of sea-snakes (Laticauda colubrina). Biological Journal of the Linnean Society 74:121129.
Shine R, Sun L, Zhao E & Bonnet X. 2002a. A review of 30 years of ecological research on the
Shedao pit-viper. Herpetological Natural History 9:1-14.
Shine R, Reed RN, Shetty S & Cogger HG. 2002b. Relationships between sexual dimorphism
and niche partitioning within a clade of sea-snakes (Laticaudinae) Oecologia 133:45–
53.
Shine R, Reed RN, Shetty S, LeMaster M & Mason RT. 2002c. Reproductive isolating
mechanisms between two sympatric sibling species of sea-snakes. Evolution 56:16551662.
Shine R, Cogger HG, Reed RN, Shetty S & Bonnet X. 2003. Aquatic and terrestrial locomotor
speeds of amphibious sea-snakes (Serpentes, Laticaudidae). Journal of Zoology
259:261-268.
Shoener T. 1974. Resource partitioning in ecological communities. Science 185: 27-39.
Sinclair ARE. 1989. Population regulation in animals. Ecological concepts, Cherrett
JM (Ed), Blackwell.
Sinclair ARE. 2000. Adaptation, niche partitioning and coexistence of African Bovidaes:
clues to the past in antelope, deer and relatives; fossil records, behavioural ecology,
systematics and conservation, Chapitre 17. Vrba ES & Schaller GB. Yale University
Press, New Haven (London) 249-260.
Sokal RR & Rohlf FJ. 1981. Biometry: The Principles and Practice of Statistics in Biological
Research. W.H. Freeman and Co., New York, second edition, 1981.
Stearns SC. 1992. The evolution of life histories. Oxford University Press.
Tokeshi M. 1999. Species coexistence : ecological and evolutionary perspectives, Cambridge
University Press.
Turchin P. 1995. Population regulation: old arguments and a new synthesis.
Cappucino N & Price PW (Eds), Population dynamics, Academic Press.
RÉSUMÉ
La coexistence d’espèces proches est un problème fondamental en écologie
évolutive et pour le maintien de la biodiversité. Elle est étroitement liée au processus
de spéciation, et elle permettrait d’expliquer le maintien d’une richesse spécifique
élevée.
Les différents modèles théoriques stipulent que la coexistence s’accompagne d’un
partage des ressources associé à des caractères (adaptations) spécifiques qui
diminuent la compétition interspécifique. Cependant, les mécanismes mis en jeu en
conditions naturelles sont actuellement mal compris. Notamment, les études
réalisées sur le terrain ont comparé des espèces de tailles différentes : il est alors très
difficile de séparer les effets propres de la taille de ceux liés à un relâchement de la
compétition.
Deux espèces proches de serpents marins (Laticauda colubrina et Laticauda
laticaudata - tricots rayés) de Nouvelle Calédonie présentent d’importants
recouvrements de taille permettant de palier les problèmes d’allométrie. Cette
situation est très favorable pour tester si la coexistence s’accompagne d’un partage
des ressources. Trois ressources fondamentales ont été examinées, l’habitat, la
ressource trophique et le temps :
- les observations sur le terrain ne mettent pas en évidence de compétition, ni
de partage, dans l’occupation de l’espace (sur la zone côtière au moins). Les capacités
locomotrices des deux espèces sont néanmoins différentes ; elles mettent en relief des
capacités de l’exploitation du milieu à terre (et probablement en mer) spécifiques.
- l’étude du régime alimentaire a permis de mettre en évidence une forte
ségrégation entre les deux espèces. Ces serpents consomment essentiellement des
poissons anguilliformes mais de tailles et d’espèces différentes : on détecte seulement
14% de recouvrement de niche trophique.
- les deux espèces montrent d’importants décalages dans leurs périodes
d’activités (une espèce diurne et une nocturne) ou de reproduction (3 mois de
décalage dans les périodes de reproduction).
Cette étude met en évidence pour la première fois des caractéristiques
écologiques différentes entre les deux espèces de Laticauda permettant d’expliquer en
partie leur coexistence sur l’îlot d’étude. La ressource clé dans la coexistence est très
probablement
alimentaire.
Des
études
comparatives
complémentaires
sont
nécessaires, par exemple avec des situations d’allopatrie, pourraient permettre de
différencier les causes et les conséquences des différences observées.
Téléchargement