Loi de bioéthique : le Sénat torpille le texte de l`Assemblée nationale

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Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
N°136 : Avril 2011
Loi de bioéthique : le Sénat torpille le texte de l’Assemblée nationale
Le projet de loi sur la bioéthique a été
examiné par la Commission des Affaires
sociales du Sénat les 29 et 30 mars 2011
avant d’être discuté en séance du 5 au 8
avril 2011. Cette deuxième lecture
parlementaire – après la première lecture
à l’Assemblée nationale – a été l’occasion
d’un véritable détricotage du texte établi
par les députés. Sous la pression des
lobbies scientistes, les sénateurs, entre
autres modifications, ont choisi de passer
d’un régime d’interdiction de la
recherche sur l’embryon humain, à un
régime d’autorisation encadrée. Ils sont
également revenus sur des dispositions
adoptées à l’Assemblée nationale qui
permettaient de limiter les risques
d’eugénisme liés au diagnostic prénatal
(DPN). Quelques-uns pourtant ont
défendu amendement sur amendement
afin d’affaiblir les mesures les plus
transgressives : citons notamment MarieThérèse Hermange, Anne-Marie Payet,
Bernadette Dupont, Bruno Retailleau, etc.
Retour sur les principales dispositions et
les enjeux d’un texte controversé qui doit
faire l’objet d’une seconde lecture à
l’Assemblée nationale d’ici la fin du mois
de mai.
Diagnostic prénatal (DPN)
Lors du passage en commission, les
sénateurs ont supprimé une disposition du
projet de loi, selon laquelle le DPN ne
pouvait être proposé à la femme enceinte
que "lorsque les conditions médicales le
nécessitent". Soutenue par le député Jean
Leonetti pour éviter toute systématisation
du dépistage, cette mesure avait suscité
un vif débat parmi les professionnels de
santé (cf. Lettre mensuelle 135 – Mars
2011), certains dénonçant "une grave
entrave au droit des patients". La
commission s’est rangée à leur avis,
estimant que l’ajout de ces quelques mots
pourrait conduire "au non-respect du droit
du patient à être informé", à un
renforcement du pouvoir du médecin au
détriment du libre choix des femmes et à
une "rupture d’égalité entre les femmes".
Alain Milon, le rapporteur de la
Commission des affaires sociales pour le
projet de loi sur la bioéthique a par ailleurs
ajouté que cela ferait "reposer une
responsabilité
accrue
sur
les
professionnels, qui pourront se voir
reprocher de ne pas avoir proposé un
dépistage à une femme ‘évaluée sans
risque’ alors que celui-ci était avéré".
Cette position n’a pas fait l’unanimité :
plusieurs sénateurs ont déposé des
amendements visant à rétablir le médecin
dans sa liberté de prescription telle qu’elle
est définie par le Code de déontologie
médicale et à éviter un dépistage excessif.
Le sénateur Paul Blanc a ainsi défendu un
amendement précisant que le "diagnostic
prénatal n’a pas pour objet de garantir la
naissance d’un enfant indemne de toute
affection" : le médecin ne serait donc pas
contraint de proposer un DPN dans
l’unique but de se protéger d’éventuelles
poursuites judiciaires comme c’est souvent
le cas. Trois autre sénateurs ont présenté
des amendements visant à rétablir le texte
de l’Assemblée nationale : le sénateur
Bruno Retailleau qui note que "le risque
de dérive vers la quête de l’enfant ‘zéro
défaut’ (…) travaille notre société" ; AnneMarie Payet pour qui "la France s’est
engagée (…) sur une mauvaise voie. Elle
détient le record mondial du dépistage
anténatal du handicap, mais aussi celui de
l’interruption médicale de grossesse" et
Bernadette Dupont qui a mis en garde :
"un abus d’examen ne doit pas faire
encourir le risque à plus ou moins brève
échéance d’un eugénisme déjà latent".
Aucun de ces amendements n’a été
adopté. Pourtant, comme l’explique Bruno
Retailleau, "un tel esprit de système fait
peser sur les épaules [de la femme
enceinte] une contrainte bien plus forte
que celle qui peut résulter d’un libre choix
dans la relation de confiance intime
construite au fil des années entre la
patiente et le médecin".
Enfin, la disposition selon laquelle "dans
un délai d’un an à compter de la
publication de la présente loi, le
Gouvernement remet un rapport au
Parlement sur les pistes de financement,
notamment public, et de promotion de la
recherche médicale pour le traitement de
la trisomie 21" a été modifiée. Le texte
mentionne désormais un "bilan détaillé
des fonds publics affectés à la recherche
sur les trisomies et les anomalies
cytogénétiques". Bruno Retailleau a
présenté un amendement rétablissant la
mention explicite à la trisomie 21 : "Dans
la mesure où l’on consacre au dépistage
de cette maladie environ 10 millions
d’euros, il serait logique de consacrer
aussi des fonds à la recherche visant à
améliorer le quotidien des personnes qui
en sont atteintes", a-t-il expliqué.
L’amendement n’a pas été adopté.
Assistance médicale à la procréation
Le Sénat a étendu l’assistance médicale à
la procréation "à tous les couples",
l’ouvrant de facto aux femmes
homosexuelles.
La gestation pour autrui a fait l’objet de
vifs débats : trois amendements ont été
déposés afin de légaliser cette pratique,
dont un par le rapporteur Alain Milon. Ils
ont été refusés à 201 voix contre 80. Le
gouvernement a fait valoir que cette
pratique était contraire à l’indisponibilité du
corps humain et à la dignité de la
personne.
Les sénateurs sont par ailleurs revenus
sur deux dispositions qui avaient été
adoptées par l’Assemblée nationale : le
transfert d’embryon post-mortem et le don
d’ovocytes par des femmes nullipares.
L’anonymat du don de gamètes, qui avait
été levé par la Commission des Affaires
sociales, a finalement été maintenu.
Gènéthique - n°136 – Avril 2011
Recherche sur l’embryon
Point de rupture majeur avec le texte de
l’Assemblée nationale, mais aussi avec le
choix de la France tel qu’il est défini à
l’article 16 du code civil de respecter la vie
et la dignité de l’embryon humain dès le
commencement de son développement, le
statut de la recherche sur l’embryon a
connu une véritable révolution. Après des
discussions particulièrement animées en
Commission puis en séance, elle est
passée d’un régime d’interdiction assortie
de dérogations à un régime d’autorisation
encadrée.
Manipulations médiatiques
Pour le sénateur Bruno Retailleau,
l’adoption d’une telle position, opposée à
celles des députés et du gouvernement, a
une double explication : d’une part, "le
Sénat se pique de protéger les libertés
individuelles quitte à négliger le bien
public", d’autre part "l’influence du lobby
scientifique sur les sénateurs est de plus
en plus prégnant".
Ainsi, la veille de l’examen du projet de loi
à la Commission des Affaires sociales, le
Pr Marc Peschanski a annoncé la
publication de travaux réalisés sur des
cellules souches embryonnaires qu’il
qualifiait de "démonstration spectaculaire".
Son étude, publiée dans Cell Stem Cell,
présente les résultats de ses recherches
sur la maladie de Steinert, une dystrophie
musculaire : des cellules souches
embryonnaires prélevées sur des
embryons
issus
d’un
diagnostic
préimplantatoire lui ont permis de
modéliser la pathologie en question et de
procéder à un criblage de molécules pour
identifier des composés pharmacologiques
ayant
"potentiellement"
un
"effet
thérapeutique". "Avec ces travaux, le Pr
Marc Peschanski entend bien démontrer
la nécessité de travailler sur l’embryon et
donc de changer la loi", commentait le
Figaro alors que le rapporteur Alain Milon
se disait sensible aux "arguments" du
scientifique.
D’autres chercheurs n’ont pas hésité à
critiquer un manquement à "la déontologie
de publication des travaux de recherche"
et une atteinte à la dignité de l’embryon
humain. Pour les Pr Alain Privat, ancien
directeur d’unité de l’Inserm et ancien
directeur d’études à l’Ecole pratique des
Hautes études (EPHE) et Monique
Adolphe, ancienne présidente de l’EPHE
et ancienne présidente de l’Académie de
pharmacie :
"ce
lobbying
est
incompréhensible sur le plan médical et
scientifique, sauf à y voir la nécessité pour
certains organismes de justifier auprès de
leurs
généreux
contributeurs
les
investissements très importants réalisés
dans ce domaine de la recherche sur les
cellules
souches
embryonnaires
humaines, recherche qui n’a, en fait,
conduit à aucune thérapeutique efficace
jusqu’à présent nulle part dans le monde.
L’industrie du médicament et celle de la
procréation ne sont sans doute pas
étrangères non plus à cette véritable
‘chasse’
aux
cellules
souches
embryonnaires humaines."
Un vote discuté
L’autorisation de la recherche sur
l’embryon humain a pourtant été votée au
Sénat le 8 avril 2011. Pour le rapporteur
Alain Milon, qui soutenait la proposition,
une "autorisation encadrée" est "aussi
respectueuse de la spécificité de
l’embryon que l’interdiction de principe
avec dérogation. Elle a surtout pour mérite
la clarté : clarté pour les scientifiques,
clarté pour l’image internationale de la
France. "
Le gouvernement, par la voix du ministre
de la Santé Xavier Bertrand, s’est opposé
à une position qu’il estime contraire à
l’équilibre que représentait le régime
d’interdiction-dérogation. Il a donc
présenté un amendement, l’amendement
169, visant à rétablir le texte initial du
gouvernement. Amendement rejeté à 187
voix
contre
142,
tout
comme
l’amendement 148, soutenu par le
gouvernement et présenté par Anne-Marie
Payet qui visait à rétablir le texte de
l’Assemblée nationale, un peu plus
restrictif que celui du gouvernement.
D’autres amendements ont été proposés
visant à limiter le champ de la recherche
sur l’embryon. La sénatrice Marie-Thérèse
Hermange a ainsi essayé de restreindre
l’autorisation de la recherche sur
l’embryon aux recherches ne portant
atteinte ni à l’intégrité ni à la viabilité de
l’embryon ou des cellules souches
embryonnaires humaines (amendements
70 et 71 bis rectifié).
Notons que dans le sens inverse,
l’amendement 32 visant à supprimer
l’article 24 quinquies qui prévoit une
clause de conscience à tout chercheur,
ingénieur, technicien, auxiliaire de
recherche, médecin ou auxiliaire médical
qui serait confronté de quelque manière
que ce soit aux recherches sur des
embryons humains ou sur des cellules
souches embryonnaires humaines, n’a
pas été adopté. La clause de conscience
est donc maintenue.
Face à l’issue de la discussion et aux
votes des sénateurs, les réactions sont
vives tant dans le milieu politique que
scientifique et associatif. Pour Alexandra
Henrion et Alain Privat, chercheurs à
l’Inserm, la levée de l’interdiction de la
recherche sur l’embryon "interpelle les
scientifiques travaillant dans le domaine
des sciences de la vie". Ils soulignent que
"la
recherche
scientifique,
quête
universelle de savoir et de vérité […] n’a
pas à être aveugle sur le plan éthique. "
Dans un communiqué, la Fondation
Jérôme Lejeune s’interroge quant à elle
sur la méthode adoptée par le ministre de
la Santé Xavier Bertrand : alors qu’il se dit
lui-même favorable à la recherche sur
l’embryon dans une visée diagnostique, ce
que refusait l’Assemblée nationale,
défend-il le régime d’interdiction par
conviction ou pour ménager "une frange
de son électorat avec laquelle il sait qu’il
va devoir composer ? "
Conclusion
Face aux dispositions calamiteuses
votées par le Sénat, la seconde lecture à
l’Assemblée nationale est très attendue,
notamment en matière de DPN et de
recherche sur l’embryon. Le député Hervé
Mariton a prévenu : " Il est clair que sur
ces questions de société le Sénat est plus
permissif que l’Assemblée. Nous
assumons cette divergence et il nous
appartiendra de revenir sur ce vote en
deuxième lecture pour réaffirmer nos
convictions. " Le gouvernement de son
côté a affirmé qu’il continuerait à défendre
ses positions, malgré le vote du Sénat, sur
deux points précis : annuler l’ouverture de
l’AMP aux homosexuelles et revenir au
régime d’interdiction de la recherche sur
l’embryon. "Nous aurons l’occasion d’y
revenir, que ce soit à l’Assemblée
nationale ou ici, dans le cadre de la
deuxième lecture de ce projet de loi", a
affirmé la secrétaire d’Etat à la Santé Nora
Berra.
Notons que les sénateurs ont par ailleurs
rétabli la clause de révision de la loi sur la
bioéthique tous les cinq ans.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15.
Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] – Tél. : 01.44.49.73.39
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Cécile Bonavia - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498
Gènéthique - n°136 – Avril 2011
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