Gènéthique - n°136 – Avril 2011
Recherche sur l’embryon
Point de rupture majeur avec le texte de
l’Assemblée nationale, mais aussi avec le
choix de la France tel qu’il est défini à
l’article 16 du code civil de respecter la vie
et la dignité de l’embryon humain dès le
commencement de son développement, le
statut de la recherche sur l’embryon a
connu une véritable révolution. Après des
discussions particulièrement animées en
Commission puis en séance, elle est
passée d’un régime d’interdiction assortie
de dérogations à un régime d’autorisation
encadrée.
Manipulations médiatiques
Pour le sénateur Bruno Retailleau,
l’adoption d’une telle position, opposée à
celles des députés et du gouvernement, a
une double explication : d’une part, "le
Sénat se pique de protéger les libertés
individuelles quitte à négliger le bien
public", d’autre part "l’influence du lobby
scientifique sur les sénateurs est de plus
en plus prégnant".
Ainsi, la veille de l’examen du projet de loi
à la Commission des Affaires sociales, le
Pr Marc Peschanski a annoncé la
publication de travaux réalisés sur des
cellules souches embryonnaires qu’il
qualifiait de "démonstration spectaculaire".
Son étude, publiée dans Cell Stem Cell,
présente les résultats de ses recherches
sur la maladie de Steinert, une dystrophie
musculaire : des cellules souches
embryonnaires prélevées sur des
embryons issus d’un diagnostic
préimplantatoire lui ont permis de
modéliser la pathologie en question et de
procéder à un criblage de molécules pour
identifier des composés pharmacologiques
ayant "potentiellement" un "effet
thérapeutique". "Avec ces travaux, le Pr
Marc Peschanski entend bien démontrer
la nécessité de travailler sur l’embryon et
donc de changer la loi", commentait le
Figaro alors que le rapporteur Alain Milon
se disait sensible aux "arguments" du
scientifique.
D’autres chercheurs n’ont pas hésité à
critiquer un manquement à "la déontologie
de publication des travaux de recherche"
et une atteinte à la dignité de l’embryon
humain. Pour les Pr Alain Privat, ancien
directeur d’unité de l’Inserm et ancien
directeur d’études à l’Ecole pratique des
Hautes études (EPHE) et Monique
Adolphe, ancienne présidente de l’EPHE
et ancienne présidente de l’Académie de
pharmacie : "ce lobbying est
incompréhensible sur le plan médical et
scientifique, sauf à y voir la nécessité pour
certains organismes de justifier auprès de
leurs généreux contributeurs les
investissements très importants réalisés
dans ce domaine de la recherche sur les
cellules souches embryonnaires
humaines, recherche qui n’a, en fait,
conduit à aucune thérapeutique efficace
jusqu’à présent nulle part dans le monde.
L’industrie du médicament et celle de la
procréation ne sont sans doute pas
étrangères non plus à cette véritable
‘chasse’ aux cellules souches
embryonnaires humaines."
Un vote discuté
L’autorisation de la recherche sur
l’embryon humain a pourtant été votée au
Sénat le 8 avril 2011. Pour le rapporteur
Alain Milon, qui soutenait la proposition,
une "autorisation encadrée" est "aussi
respectueuse de la spécificité de
l’embryon que l’interdiction de principe
avec dérogation. Elle a surtout pour mérite
la clarté : clarté pour les scientifiques,
clarté pour l’image internationale de la
France. "
Le gouvernement, par la voix du ministre
de la Santé Xavier Bertrand, s’est opposé
à une position qu’il estime contraire à
l’équilibre que représentait le régime
d’interdiction-dérogation. Il a donc
présenté un amendement, l’amendement
169, visant à rétablir le texte initial du
gouvernement. Amendement rejeté à 187
voix contre 142, tout comme
l’amendement 148, soutenu par le
gouvernement et présenté par Anne-Marie
Payet qui visait à rétablir le texte de
l’Assemblée nationale, un peu plus
restrictif que celui du gouvernement.
D’autres amendements ont été proposés
visant à limiter le champ de la recherche
sur l’embryon. La sénatrice Marie-Thérèse
Hermange a ainsi essayé de restreindre
l’autorisation de la recherche sur
l’embryon aux recherches ne portant
atteinte ni à l’intégrité ni à la viabilité de
l’embryon ou des cellules souches
embryonnaires humaines (amendements
70 et 71 bis rectifié).
Notons que dans le sens inverse,
l’amendement 32 visant à supprimer
l’article 24 quinquies qui prévoit une
clause de conscience à tout chercheur,
ingénieur, technicien, auxiliaire de
recherche, médecin ou auxiliaire médical
qui serait confronté de quelque manière
que ce soit aux recherches sur des
embryons humains ou sur des cellules
souches embryonnaires humaines, n’a
pas été adopté. La clause de conscience
est donc maintenue.
Face à l’issue de la discussion et aux
votes des sénateurs, les réactions sont
vives tant dans le milieu politique que
scientifique et associatif. Pour Alexandra
Henrion et Alain Privat, chercheurs à
l’Inserm, la levée de l’interdiction de la
recherche sur l’embryon "interpelle les
scientifiques travaillant dans le domaine
des sciences de la vie". Ils soulignent que
"la recherche scientifique, quête
universelle de savoir et de vérité […] n’a
pas à être aveugle sur le plan éthique. "
Dans un communiqué, la Fondation
Jérôme Lejeune s’interroge quant à elle
sur la méthode adoptée par le ministre de
la Santé Xavier Bertrand : alors qu’il se dit
lui-même favorable à la recherche sur
l’embryon dans une visée diagnostique, ce
que refusait l’Assemblée nationale,
défend-il le régime d’interdiction par
conviction ou pour ménager "une frange
de son électorat avec laquelle il sait qu’il
va devoir composer ? "
Conclusion
Face aux dispositions calamiteuses
votées par le Sénat, la seconde lecture à
l’Assemblée nationale est très attendue,
notamment en matière de DPN et de
recherche sur l’embryon. Le député Hervé
Mariton a prévenu : " Il est clair que sur
ces questions de société le Sénat est plus
permissif que l’Assemblée. Nous
assumons cette divergence et il nous
appartiendra de revenir sur ce vote en
deuxième lecture pour réaffirmer nos
convictions. " Le gouvernement de son
côté a affirmé qu’il continuerait à défendre
ses positions, malgré le vote du Sénat, sur
deux points précis : annuler l’ouverture de
l’AMP aux homosexuelles et revenir au
régime d’interdiction de la recherche sur
l’embryon. "Nous aurons l’occasion d’y
revenir, que ce soit à l’Assemblée
nationale ou ici, dans le cadre de la
deuxième lecture de ce projet de loi", a
affirmé la secrétaire d’Etat à la Santé Nora
Berra.
Notons que les sénateurs ont par ailleurs
rétabli la clause de révision de la loi sur la
bioéthique tous les cinq ans.
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Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Cécile Bonavia - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498