Notre patrimoine du paysage 47
Chapitre 4
D’un milieu sauvage glaciaire au foyer de l’humanité
Depuis le retrait des glaciers il y a environ 11 000 ans, plusieurs
facteurs historiques ont agi sur la distribution des espèces et des
écosystèmes d’un côté du paysage à l’autre; les influences persistent
jusqu’à nos jours. Dans ce chapitre, on donne quelques exemples
indiquant comment les changements du climat, la migration des
espèces, et des activités humaines ont affecté la distribution des
espèces et des écosystèmes.
Le changement climatique depuis les temps glaciaires
Les tendances naturelles de variations climatiques globales s’inscrivent dans un cycle de
100 000 ans de changement de la trajectoire de l’orbite que décrit la terre autour du soleil ainsi
que de modifications de l’inclinaison de l’axe de la terre par rapport au plan de son orbite. Ces
phénomènes cycliques, décrits par la théorie de Milankovitch dans la littérature scientifique,
permettent de mieux comprendre l’occurrence de périodes glaciaires et interglaciaires en
Amérique du Nord. Depuis la fonte des glaciers il y 11 000 ans, la temrature moyenne de la
La diversité des écosystèmes du Nouveau-Brunswick reflète les
influences naturelles et humaines par leur distribution et leur
composition d’espèces.
48 Chapitre 4 : D’un milieu sauvage glaciaire au foyer de l’humanité
planète a atteint un sommet il y a 6 000 ans; elle a maintenant
commencé à baisser en vue de la prochaine période glaciaire. Si les
théories climatiques sont exactes, le réchauffement actuel du globe,
bien qu’il puisse avoir des conséquences profondes pour la vie
comme on la connaît, peut être considéré comme un écart « tout à
fait éphémère » à l’intérieur d’une tendance à long terme du
refroidissement climatique.
Une série de modifications concernant le climat et la végétation
associées est survenue au Nouveau-Brunswick entre le passage du
paysage de toundra post-glaciaire aux forêts qui composent le
paysage d’aujourd’hui.
La nature nous a laissé quelques indices—les refuges pour les
plantes arctiques et alpines rares, et des fossiles—qui impliquent
que les terres sauvages, même les paysages naturels et virginaux,
ont été très différents par le passé qu’ils ne le sont maintenant.
Vestiges d’une époque plus chaude
Au fur et à mesure que les glaciers ont commencé à se retirer
des terres aujourd’hui appelées les Maritimes, les plantes et les
animaux ont graduellement étendu leur territoire au-delà des
refuges glaciaires au sud de la nappe glaciaire et ils ont colonisé les
terres stériles dénudées après le départ des glaces. Au début, la
végétation avait un aspect semblable aux végétaux qu’on trouve
présentement dans le Grand Nord canadien : des terrains
broussailleux et stériles par endroits, avec des bouquets épars
d’arbres comme le mélèze laricin, l’épinette noire, l’épinette blanche
et le bouleau. Les mastodontes comptaient parmi les mammifères
indigènes maintenant disparus présents dans les Maritimes à
l’époque.
Des fossiles découverts partout sur le
continent nord-américain permettent de
supposer une augmentation drastique de la
température globale il y a environ 6 000 ans
avant le présent, causant la migration
nordique d’espèces de plantes et d’animaux
au-delà même de la distribution présente la
plus au nord. On a, par exemple, trouvé
enfouies dans le sol des couches de charbon
de bois d’arbres brûlés âgées de 6 000 ans
dans des endroits trop froids actuellement
pour soutenir la croissance d’arbres. De
L’aire de distribution actuelle du
caulophylle faux-pigamon est
probablement plus restreinte que
dans le passé.
Notre patrimoine du paysage 49
plus, on a découvert au Labrador d’énormes billes d’épinettes
remontant à cette époque chaude conservées dans des tourbières
qui occupent maintenant des secteurs de forêt rabougrie et de
toundra avec un climat froid.
Au Nouveau-Brunswick, les signes témoignant de cet intervalle
chaud du passé sont évidents dans les aires de distribution
irrégulières et discontinues de certains
animaux et végétaux qui sont plus
caractéristiques des climats chauds actuels
plus au sud. Un climat plus chaud que le nôtre
a facilité la dissémination de ces plantes
avant que leur aire de distribution soit limitée
au fur et à mesure que le climat a refroidi de
nouveau après 6 000 ans avant l’époque
commune. Par exemple, une espèce feuillue,
l’ostryer de Virginie, était probablement plus
répandue au Nouveau-Brunswick à l’époque
qu’elle ne l’est aujourd’hui; les petites poches
d’ostryer se trouvant dans les écorégions aux
plus hautes élévations de la province sont probablement les
derniers vestiges de cette espèce qui était autrefois plus répandue.
Une population résiduelle isolée de noyer cendré pousse également
près de Havelock, comté de Kings, dans des sols à base de calcaire.
Même si le noyer cendré est présent dans une vaste partie de
l’écorégion des basses terres du Grand Lac, la population de
Havelock se situe à l’extérieur de la principale aire de distribution
contiguë du noyer cendré au Nouveau-Brunswick. L’étude de pollen
et de petites branches fossilisés dans le fond des lacs suggère que
le chêne rouge et le pin blanc étaient tous deux plus abondants et
dispersés au Nouveau-Brunswick il y a 6 000 ans qu’aujourd’hui.
L’adiante pédalé, la violette du Canada, le caulophylle faux-pigamon
et le dirca des marais sont des espèces dont leurs aires de
distribution ont rapetissé depuis le début de l’ère post-glaciaire.
Les écologistes ont noté que la distribution morcelée et
irrégulière de ces populations coïncide avec des endroits où les sols
proviennent de calcaire ou de roches calcareuses. L’aire de
distribution géographique de ces populations pourrait s’être
rapetissée en partie à cause du fait que les sols ailleurs étaient trop
acides pour les soutenir. Ceci serait dû aux phénomènes de
lessivage et d’acidification naturels qui s’effectuent sur des milliers
d’années dans des endroits où les précipitations annuelles excèdent
On croit que l’adiante pédalé est
une autre espèce qui était plus
abondante dans le passé.
On retrouve la dryade à feuilles
entières à seulement un endroit au
Nouveau-Brunswick, mais elle est
très répandue dans l’Arctique.
Dessin de Britton et Brown (1913),
copié par le USDA, NRCS (2006).
50 Chapitre 4 : D’un milieu sauvage glaciaire au foyer de l’humanité
le taux d’évapotranspiration. L’horizon pédologique blanchâtre
décoloré qui se trouve sous la surface de la couche de feuilles
mortes dans les forêts des Maritimes témoigne de ce processus
d’acidification lent et de longue durée.
En attendant, les espèces adaptées au froid et à l’acidi
comme le sapin, les épinettes, le pin gris, le mélèze laricin et le
peuplier faux-tremble ont été favorisées par le régime climatique
frais en train d’apparaître 6 000 ans avant l’époque commune.
Vestiges d’une époque plus froide
Certains habitats plus froids que la moyenne au Nouveau-
Brunswick abritent encore aujourd’hui des plantes et des animaux
qui étaient plus abondants au cours de la période tout juste après la
régression des glaciers. Plusieurs de ces espèces se retrouvent le
long des falaises côtières et dans les tourbières de l’écorégion
côtière de Fundy, où les eaux froides de la baie de Fundy ont
beaucoup affecté le climat pendant de nombreux milliers d’années.
La schizée naine figure parmi les espèces végétales qui ont trouvé
refuge près de la baie. Un ravin profond situé dans le sud-est du
Nouveau-Brunswick abrite de nombreuses plantes maintenant rares
dans les Maritimes qui constituaient jadis des espèces végétales
très répandues dans la région. Ces plantes comprennent la dryade à
feuilles entières, le saule à feuilles de myrtille, l’anémone à petites
fleurs et la shepherdie du Canada. Un autre exemple est l’airelle des
marécages, qu’on connaît seulement sur les cimes des montagnes
dans le centre-nord du Nouveau-Brunswick et sur l’île de Miscou. Le
bouleau glanduleux a une distribution limitée d’une façon analogue,
mais il est abondant dans les secteurs de forêts boréales élevés,
près de la limite des arbres au Québec et à Terre-Neuve.
Influences humaines
Il est difficile de séparer les effets des activités humaines des
influences simplement « naturelles » sur la distribution des plantes
et des animaux. On peut également se poser la question « les gens
font-ils partie de la nature ou en sont-ils séparés ? » Les philosophes
et les écologistes ont débattu cette question de façon assez
approfondie sans en arriver à une réponse satisfaisante. On trouve
à une extrémité de ce spectre philosophique les personnes qui
pensent que la Terre nous appartient, et que notre intendance de la
Terre existe toute simplement pour que nous puissions satisfaire
nos besoins, tandis qu’à l’autre extrémité se trouvent ceux qui
Notre patrimoine du paysage 51
croient que les humains ne constituent qu’une espèce parmi
beaucoup qui font partie d’une communauté biotique dont les
membres méritent tous respect et considération. Nous nous
limiterons à illustrer comment les humains ont contribué à modeler
la distribution actuelle d’un certain nombre de végétaux et de types
d’écosystèmes dans notre région.
Les premiers habitants
Au cours du récent passé des
300 dernières années, la marque laissée
par les humains sur la distribution des
plantes et des animaux du Nouveau-
Brunswick a augmenté de façon
exponentielle. Avant le premier hiver qu’y
ont passé le Sieur des Monts et
Champlain à l’embouchure de la rivière
Sainte-Croix en 1604, les Autochtones
vivaient des ressources animales et
végétales des régions côtières et des plateaux. Ceux-ci utilisaient le
feu à diverses fins, notamment pour la cuisson et pour se chauffer.
Il est possible qu’ils aient délibérément allumé des incendies pour
maintenir des secteurs « stériles » exempts d’arbres où les bleuets
et d’autres fruits sauvages pouvaient se multiplier, ou pour cer de
la broutille pour le caribou, lorignal et le cerf. Par contre, les
premiers habitants humains des régions Maritimes ne s’adonnaient
pas à l’agriculture dans la mesure où le faisaient d’autres groupes,
comme les Autochtones habitant la vallée du haut Saint-Laurent et
qui se servaient du feu comme outil pour
défricher les terres afin d’y établir des
cultures de maïs et d’autres cultures. On
pense, par ailleurs, que les incendies
allumés par les humains au cours de
l’époque avant le contact ont eu un effet
moindre sur l’aspect des terres dans les
Maritimes, dans le nord de la Nouvelle-
Angleterre et en Gaspésie que dans les
régions plus à l’ouest et au sud où l’on
s’adonnait à ce mode defrichement
pour l‘agriculture.
Les premiers humains habitant la région ont probablement
facilité l’établissement de plantes médicinales et comestibles
L’île de Dochet dans la rivière
Sainte-Croix—une scène de la
première rencontre entre
Champlain et le peuple
Passamaquoddy.
Ail trilobé (ail des bois). Photo avec
l’aimable autorisation de Stephen
Clayden.
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