Échocardiographie et valvulopathies liées au benfluorex (Mediator®)

PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
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Échocardiographie et valvulopathies
liées au benfluorex (Mediator®)
Ch. Tribouilloy
Centre hospitalier universitaire, Hôpital Sud, Amiens
par benfluorex de consulter leur médecin
traitant pour un examen clinique compre-
nant un interrogatoire et une auscultation
cardiaque pour envisager, au moindre doute
d’atteinte valvulaire ou sur demande des
patients, une consultation cardiologique spé-
cialisée pour réaliser un examen clinique
et une échocardiographie transthoracique.
Environ 200 000 patients étaient sous ben-
fluorex lors du retrait en novembre 2009 et
plus de 2 millions de personnes ont été trai-
tées en France depuis la commercialisation
(1976). Les cardiologues ont ainsi été amenés
ces derniers mois à effectuer de très nom-
breuses échocardiographies pour rechercher
des atteintes valvulaires ou une hypertension
artérielle pulmonaire secondaires à la prise
de benfluorex. On ne connaît pas précisé-
ment aujourd’hui la fréquence des atteintes
valvulaires ou des hypertensions artérielles
pulmonaires rencontrées lors de la prise de
benfluorex, mais les valvulopathies sévères
paraissent rares [3] alors que les fuites modé-
rées sont plus fréquentes.
Les signes
échocardiographiques
L’échocardiographie est la méthode de choix
pour rechercher une atteinte valvulaire
médicamenteuse et évaluer sa sévérité [2].
La sémiologie échocardiographique de ces
atteintes valvulaires médicamenteuses, qui
ressemblent un peu à celle du rhumatisme
articulaire aigu, est peu décrite dans la litté-
rature et donc pas toujours bien connue. Il
nous a paru utile de rappeler les principaux
éléments du diagnostic échocardiographique
qui n’est pas facile. Il doit être basé avant tout
sur l’étude de la texture et de la cinétique
La possibilité que des médicaments
soient inducteurs de valvulopathie
à type de fuite valvulaire a été évo-
quée dès les années 1960 pour des alca-
loïdes de l’ergot de seigle, utilisés comme
anti-migraineux : d’abord le méthysergide
(Désernil®) puis l’ergotamine (Gynergène®).
En 1997, le risque d’atteinte valvulaire lié
à la prise de deux anorexigènes, la fen-
fluramine (Pondéral®) et la dexfenflura-
mine (Isoméride®) est mis en évidence
par l’équipe de la Mayo Clinic [1]. Ces
deux médicaments étaient par ailleurs
déjà connus pour leur possibilité d’in-
duire des hypertensions artérielles pul-
monaires (HTAP) pré-capillaires. Ils ont
été retirés du marché en 1997. Le même
type d’atteinte valvulaire à type de fuite
a été rapporté en 2002 avec des agonistes
dopaminergiques ergotés, le pergolide qui
vient d’être retiré du marché (Célance®)
et la carbergoline (Dostinex®), puis avec
une drogue dite « récréative », le 3,4
méthylène-dioxy-méthyl-amphétamine ou
MDMA, plus connue sous la dénomina-
tion d’ecstasy [1, 2]. Enfin, le 30 novembre
2009, le benfluorex (Mediator®), apparenté
à la fenfluramine, a été retiré du marché
en France suite à l’évaluation de données
sur le risque de valvulopathie. Ce produit,
au moment de son retrait, était indiqué en
France comme adjuvant du régime adapté
chez les personnes diabétiques présentant
une surcharge pondérale, l’indication d’ad-
juvant du régime adapté dans les hyper-
triglycéridémies ayant été retirée en 2007
en raison de nouvelles données d’efficacité
jugées très insuffisantes. Il a aussi été lar-
gement prescrit pour traiter le surpoids.
Les autorités de santé de notre pays ont alors
recommandé aux patients ayant été traités
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valvulaire et l’analyse de l’appareil sous val-
vulaire pour la mitrale. De plus, l’imputabi-
lité médicamenteuse de l’atteinte valvulaire
peut être difficile, car on ne dispose pas dans
l’immense majorité des cas d’un écho de réfé-
rence avant le traitement. En présence d’une
fuite valvulaire, le retentissement sur le ventri-
cule et l’oreillette gauches et la quantification
de la régurgitation, basés sur les paramètres
classiques, seront évalués systématiquement.
Les quatre valves peuvent être touchées, mais
l’atteinte prédomine sur les valves aortique
et mitrale [3]. Les atteintes pluri-valvulaires
sont possibles et une double fuite mitro-aor-
tique restrictive est à elle seule évocatrice [3].
Classiquement, ces atteintes médicamen-
teuses ne donnent pas de sténose significa-
tive et sont à type de fuite par remaniement
fibreux des valves et de l’appareil sous valvu-
laire. Le principal diagnostic différentiel est
celui d’une atteinte rhumatismale qui com-
prend habituellement un certain degré de
fusion commissurale et des remaniements val-
vulaires souvent plus francs.
Classiquement, on note un épaississement val-
vulaire habituellement minime ou modéré,
sans calcification, ni fusion commissurale
(à la différence du rhumatisme articulaire
aigu). Néanmoins, l’atteinte valvulaire médi-
camenteuse peut probablement se déve-
lopper sur un remaniement fibro-calcaire
valvulaire préexistant ou inversement, des
calcifications pourraient apparaître secon-
dairement très à distance. C’est la restriction
des mouvements valvulaires, responsable de
la fuite, qui est l’élément le plus caractéris-
tique [2]. L’atteinte aortique paraît plus fré-
quente que l’atteinte mitrale. Dans les fuites
sévères qui sont rares, on peut observer le
défaut de coaptation valvulaire à l’origine
de la fuite en échocardiographie bidimen-
sionnelle (figure 1).
Dans les atteintes mitrales
L’épaississement des feuillets valvulaires est
souvent minime et s’associe volontiers à un
remaniement et un raccourcissement des
cordages (figures 2 et 3), à l’origine de la
restriction des mouvements valvulaires en
systole. Il existe une perte de souplesse des
feuillets avec dans les atteintes sévères un
Figure 1. Insuffisance mitrale restrictive, chez un patient
traité par benfluorex.
Incidence 4 cavités en échocardiographie 2D : les feuillets
mitraux ont perdu leur souplesse (aspect en « baguette
de tambour ») et l’on visualise un défaut de coaptation
de la valve mitrale en systole (fuite mitrale sévère),
lié à la restriction systolique des mouvements valvulaires
des 2 feuillets.
Figure 2. Franc remaniement de l’appareil sous valvulaire
mitral chez une patiente traitée par benfluorex, avec discret
épaississement des 2 feuillets.
Figure 3. Fuite mitrale restrictive centrale modérée avec
diamètre du jet à l’origine mesuré à 4 mm en Doppler couleur.
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parasternale transverse. Ce signe doit aussi
être recherché dans les fuites modérées. Cet
aspect est plus facilement individualisé en
échocardiographie transœsophagienne, mais
cet examen est rarement indiqué.
Les atteintes tricuspide et pulmonaire
Elles paraissent plus rares. Elles sont du même
type que les atteintes mitrale et aortique et res-
semblent à des atteintes carcinoïdes a minima.
Au cours de l’échocardiographie, on s’atta-
chera aussi à estimer le plus soigneusement
possible le niveau de pression artérielle pul-
monaire en Doppler continu, à partir de la
vitesse maximale de l’insuffisance tricuspide
(qui est loin d’être facile à enregistrer dans
cette population de patients souvent en
surpoids), mais aussi à partir du flux d’insuf-
fisance pulmonaire. On recherchera aussi des
signes indirects d’HTAP (cinétique septale,
temps d’accélération pulmonaire…).
En terme de diagnostic différentiel, des élé-
ments en faveur d’une fuite restrictive liée
à une autre étiologie doivent être recher-
chés (remodelage ventriculaire gauche des
insuffisances mitrales ischémiques, atteinte
rhumatismale, maladie inflammatoire, fuite
tricuspide des syndromes carcinoïdes…).
Inversement, si l’on découvre une valvulo-
pathie mitrale restrictive inexpliquée ou une
fuite aortique centrale inhabituelle, l’inter-
rogatoire devra être fouillé à la recherche
d’une prise de benfluorex, mais aussi d’un
autre anorexigène (fenfluramine et dexfen-
fluramine retirés depuis 1997), d’un alcaloïde
de l’ergot de seigle ou de pergolide.
Le suivi
Les atteintes valvulaires médicamenteuses,
comme toutes les valvulopathies chroniques,
peuvent évoluer « à bas bruit ». Ainsi, les
patients, même en présence d’une fuite
importante, demeurent parfois asympto-
matiques pendant une longue période. Ces
fuites valvulaires peuvent donc être décou-
vertes tardivement en l’absence d’écho-
cardiographie effectuée depuis l’arrêt du
traitement. L’HAS dans un document récent
aspect typique « en baguette de tambour des
valves » (figure 1). La restriction prédomine
souvent sur la valve postérieure qui peut être
quasiment immobile.
Dans les atteintes aortiques
On visualise parfois un aspect en dôme de la
valve aortique en systole, associé à une restric-
tion des mouvements valvulaires en diastole.
La fuite aortique est habituellement centrale
avec souvent épaississement du bord libre
des sigmoïdes en coupe parasternale gauche
longitudinale (figures 4 et 5 ). Dans les fuites
sévères, un défaut de coaptation centrale
« triangulaire » est souvent visible en coupe
Figure 4. Insuffisance aortique chez une patiente traitée
par benfluorex. Les sigmoïdes aortiques sont discrètement
épaissies, d’allure fibreuse, restrictives, avec défaut
de coaptation centrale.
Figure 5. Fuite aortique centrale, en Doppler couleur :
diamètre du jet à l’origine au niveau de la vena contracta
mesuré à 6 mm.
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(http://www.reseau-htap.fr/reseau-français-
htap/carte-de-france.asp).
Rappelons enfin que le cardiologue doit décla-
rer au Centre régional de pharmacovigilance de
rattachement géographique (coordonnées dis-
ponibles sur le site internet de l’AFSSAPS www.
afssaps.fr ou dans le dictionnaire Vidal) toute
fuite valvulaire de grade > 1 ou toute HTAP
susceptible d’être liée à la prise de benfluorex.1
Remerciements aux Drs Brochet, Monin et Jobic pour leur
relecture du manuscrit.
de mars 2011 a actualisé la conduite à tenir
recommandée chez les patients qui ont été
traités par benfluorex, en fonction du résul-
tat de la première échocardiographie Doppler
transthoracique (http://www.has-sante.fr) :
o en l’absence d’anomalie valvulaire consta-
tée après l’interruption définitive du ben-
fluorex, aucun suivi échocardiographique
systématique n’est recommandé ;
o en cas d’anomalie valvulaire pouvant être
liée au benfluorex (ou en cas de doute), une
échocardiographie de suivi systématique à
1 an, puis en fonction de l’évolutivité, est
recommandée pour les fuites initialement
de grades I et II. Pour les fuites de grade
III et IV asymptomatiques, une échocardio-
graphie transthoracique de suivi tous les
6 mois est préconisée. Le suivi échocardio-
graphique des patients atteints d’une fuite
sévère à l’origine d’une symptomatologie
fonctionnelle n’est pas précisé, car dans ce
cas, une indication chirurgicale doit être
discutée et le suivi adapté au cas par cas ;
o une vitesse de fuite tricuspidienne supé-
rieure à 2,8 m/sec conduit à suspecter une
HTAP. Dans ce cas, il est recommandé
d’adresser le patient au centre régional de
compétences de l’HTAP et de signaler le cas
au centre national de référence de l’HTAP
Déclaration d’intérêts : rémunérations dans le
cadre d’enseignements post-universitaires par
les laboratoires Astra Zeneca, Sanofi Aventis
et Boehringer Ingelheim.
Références
[1] Bhattacharyya S, Schapira AH, Mikhailidis DP, Davar J.
Drug-induced fibrotic valvular heart disease. Lancet
2009;374:577-85.
[2] Droogmans S, Kerkhove D, Cosyns B, Van Camp G. Role of
echocardiography in toxic heart valvulopathy. Eur J
Echocardiogr 2009;10:467-76 .
[3] Le Ven F, Tribouilloy C, Habib G, et al Valvular heart
disease associated with benfluorex therapy : results from
the French mutlicenter registry Eur J Echocardiog
2011;12:265-71.
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