UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE MEDECINE MAITRISE EN SCIENCES BIOLOGIQUES ET MEDICALES M.S.B.M MEMOIRE POUR LE CERTIFICAT D’ANATOMIE, D’IMAGERIE ET DE MORPHOGENESE 2000-2001 UNIVERSITE DE NANTES LE PARCOURS DU COMBATTANT DU NERF ABDUCENS Par LE GLOAN Laurianne LABORATOIRE D’ANATOMIE DE LA FACULTE DE MEDECINE DE NANTES Président du jury : Pr. J. LEBORGNE Vice-Président : Pr. J.M. ROGEZ Enseignants : Pr. O. ARMSTRONG Pr. C. BEAUVILLAIN Dr. F. CAILLON Pr. P. COSTIOU Pr. D. CROCHET Pr. A. DE KERSAINT-GILLY Pr. B. DUPAS Pr. D. DUVEAU Pr. Y. HELOURY Pr. P.A. LEHUR Pr. J.P. MOISAN Pr. N. PASSUTI Pr. R. ROBERT Pr. O. RODAT UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE MEDECINE MAITRISE EN SCIENCES BIOLOGIQUES ET MEDICALES M.S.B.M MEMOIRE POUR LE CERTIFICAT D’ANATOMIE, D’IMAGERIE ET DE MORPHOGENESE 2000-2001 UNIVERSITE DE NANTES LE PARCOURS DU COMBATTANT DU NERF ABDUCENS Par LE GLOAN Laurianne LABORATOIRE D’ANATOMIE DE LA FACULTE DE MEDECINE DE NANTES Président du jury : Pr. J. LEBORGNE Vice-Président : Pr. J.M. ROGEZ Enseignants : Pr. O. ARMSTRONG Pr. C. BEAUVILLAIN Dr. F. CAILLON Pr. P. COSTIOU Pr. D. CROCHET Pr. A. DE KERSAINT-GILLY Pr. B. DUPAS Pr. D. DUVEAU Pr. Y. HELOURY Pr. P.A. LEHUR Pr. J.P. MOISAN Pr. N. PASSUTI Pr. R. ROBERT Pr. O. RODAT REMERCIEMENTS Merci beaucoup : à Monsieur le Professeur R. ROBERT, pour m’avoir confié le sujet de ce mémoire, m’avoir suivie tout au long de ce travail et m’avoir guidée précieusement ; à Monsieur le Professeur G. BRASSIER, pour m’avoir aidée dans l’élaboration de la bibliographie ; à Monsieur le Professeur B. DUPAS, pour m’avoir fourni des documents intéressants et m’avoir autorisée à procéder à un examen tomodensitométrique d’une pièce anatomique ; à Messieurs Stéphane LAGIER et Yvan BLIN, pour leur aide, leur gentillesse et leurs conseils éclairés ; à Madame M-C GARCON-LARDOUX, pour sa disponibilité et son accueil. SOMMAIRE I) II) Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 Rappels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 A) Rappels anatomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1) Origine du nerf abducens a) Origine réelle b) Origine apparente 2) Trajet sous-arachnoïdien 3) Le Canal de Dorello 4) Dans le sinus caverneux 5) Dans la cavité orbitaire B) Rappels embryologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .5 1) Généralités 2) Développement du nerf abducens III) Dissections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8 A) Matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8 1) Pièces anatomiques 2) Instruments B) Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9 C) Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1) Origine et trajet sous- arachnoïdien 2) Région intermédiaire s’étendant du porus dure-mérien à l’entrée du sinus caverneux 3) Dans le sinus caverneux 4) Dans la fissure orbitaire supérieure puis l’orbite 5) Coupes frontales et correspondance anatomo-scanographique IV) Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31 A) Confrontation avec la littérature anatomique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1) De nombreuses variations anatomiques 2) Précision à propos d’une définition controversée : le Canal de Dorello 3) Localisations privilégiées d’atteinte du nerf abducens B) Confrontation avec la littérature médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .38 1) Atteinte du noyau du nerf abducens 2) Atteinte du segment cisternal du nerf abducens 3) Atteinte du nerf abducens dans la région intermédiaire de « la confluence veineuse pétroclivale » 4) Atteinte du nerf abducens dans le sinus caverneux 5) Atteinte du nerf abducens dans la fissure orbitaire supérieure puis l’orbite V) Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44 I) Introduction Depuis Hérophile puis Galien qui permirent de les individualiser et de les distinguer des nerfs rachidiens, les nerfs crâniens ont toujours intéressé les anatomistes. Finalement, c’est la classification de Vicq d’ Azyr (1777) et Soemmering (1788) qui sera adoptée : elle décrit douze paires de nerfs crâniens, incluant donc la sixième correspondant au nerf moteur oculaire externe, encore appelé nerf abducens. Le trajet du nerf abducens présente à décrire de nombreux méandres que ces dissections nous ont permis de repréciser. Ensuite, la confrontation avec la littérature d’une part anatomique puis médicale nous a permis de déterminer les risques de lésion du nerf inhérents à ce véritable « parcours du combattant ». Photo n° 1 : Trajet global du nerf abducens droit (vue supéro-latérale droite) 1 II) Rappels A) Rappels anatomiques 1) Origine du nerf abducens Il est possible de décrire deux origines différentes de ce nerf : réelle et apparente. a) Origine réelle Le noyau du nerf abducens (2 mm de large 4 mm de long) est situé à la partie inférieure de la protubérance, sous le plancher du quatrième ventricule, en position paramédiane. On le trouve au niveau du colliculus facial : les fibres du nerf facial cravatent le noyau du nerf abducens latéralement et en arrière. Son trajet fasciculaire s’effectue vers l’avant, latéralement et caudalement. Coupe transversale de la protubérance (d’après EMC [8]) 1 : noyau vestibulaire supérieur 2 : noyau du nerf abducens 3 : racine descendante du nerf trijumeau 4 : noyau du nerf facial 5 : faisceau tegmental central 6 : complexe olivaire supérieur 7 : lemnisque médial 8 : nerf facial 9 : nerf abducens 10 : faisceau longitudinal médial 11 : faisceau tecto-spinal 12 : formation réticulée pontique paramédiane 13 : noyaux de la protubérance 2 b) Origine apparente Le nerf émerge au niveau du sillon bulbo-pontique, au-dessus de la pyramide bulbaire, de part et d’autre de l’artère basilaire et médialement à l’émergence du nerf facial. Origine apparente des nerfs crâniens ( d’après PATURET [17] ) 1 : espace perforé postérieur 2 : pédoncule cérébral 3 : nerf oculomoteur (III) 4 : protubérance annulaire 5 : nerf trijumeau (V) 6 : nerf abducens (VI) 7 : nerf facial + nerf intermédiaire (de Wrisberg) (VII + VII bis) 8 : nerf cochléo-vestibulaire (VIII) 3 9 : nerf glossopharyngien (IX) 10 : nerf vague (X) 11 : nerf accessoire (XI) 12 : nerf hypoglosse (XII) 13 : sillon basilaire 14 : pédoncule cérébelleux moyen 15 : foramen cœcum 16 : olive bulbaire 17 : pyramide bulbaire 2) Trajet sous-arachnoïdien Depuis le sillon bulbo-pontique jusqu’à la gouttière basilaire, le nerf abducens chemine dans la citerne pontique. Il a un trajet en haut et latéralement. 3) Le Canal de Dorello Puis, le nerf abducens traverse l’arachnoïde, l’espace sus-arachnoïdien et la dure-mère. Orifices d'entrée dure-mériens des nerfs oculomoteur (III), trochléaire (IV), trijumeau (V) et abducens (VI) [3] Là, il change de direction (vers le haut et médialement) et gravit la face postérieure de la partie pétreuse de l’os temporal, jusqu’au bord supérieur de son apex où il passe alors sous le ligament pétro-sphénoïdal décrit par Grüber en 1859. Ce petit espace ainsi défini, limité par l’apex pétreux, le ligament pétro-sphénoïdal et le dorsum sellae constitue le Canal de Dorello (décrit en 1905), qui permet la pénétration du nerf abducens dans le sinus caverneux. 4 4) Dans le sinus caverneux Une fois dans le sinus caverneux (espace inter périostéo-dural), le nerf se positionne latéralement et en rapport étroit avec la portion C4 de l’artère carotide interne. 5) Dans la cavité orbitaire Enfin, le nerf abducens rejoint l’orbite, via la fissure orbitaire supérieure, en traversant l’anneau tendineux commun. Il va innerver, en s’épanouissant en 4 ou 5 filets nerveux, la face profonde du muscle droit latéral de l’œil, responsable en conséquence de l’abduction du regard. B) Rappels embryologiques 1) Généralités Les nerfs se développent principalement sous l’influence du développement des ébauches musculaires. Tout le long de l’embryon, le mésoblaste est divisé en 3 régions, de la partie médiale à la partie latérale : le somite (épimère), la plaque intermédiaire (mésomère) et la lame latérale (hypomère). Au niveau de l’extrémité céphalique de l’embryon, les somites 4 et 5 disparaissent engloutis dans la génèse faciale, du fait de la capture de la placode otique par des éléments cochléaires et vestibulaires, qui sont des nerfs sensoriels, n’appartenant donc plus au système somitique. Les autres somites (1, 2, 3, 6, 7, 8, 9) sont à l’origine des muscles dits somitiques : aux trois premiers somites, correspondent les muscles oculomoteurs ; aux quatre derniers, les muscles de la langue. La plaque intermédiaire disparaît. La lame latérale est découpée dans le sens crânio-caudal en segments verticaux, les branchiomères, grâce à l’apparition des poches branchiales déterminant les arcs branchiaux (dont il existe 6 paires). Chacun d’entre eux donne naissance à des muscles branchiaux (qui sont des muscles striés). 5 Il existe donc, au niveau de l’extrémité céphalique de l’embryon, 2 types de nerfs moteurs : - les nerfs dorso-latéraux, innervant les muscles issus des lames latérales : ce sont des nerfs mixtes ; - les nerfs ventraux, innervant les muscles d’origine somitique : ils sont moteurs purs. 2) Développement du nerf abducens Le métencéphale se développe aux dépens de la portion antérieure du rhombencéphale. Il est constitué de deux parties : une portion dorsale, constituant le cervelet ; et une portion ventrale, donnant naissance à la protubérance. Chaque lame fondamentale (c’est-à-dire la région motrice) du métencéphale comporte trois groupes de neurones moteurs : - le groupe somato-efférent médian, contenant les noyaux des nerfs abducens ; - le groupe viscéro-efférent spécial, contenant les noyaux des nerfs trijumeau, facial (nerfs branchiaux) ; - le groupe viscéro-efférent général, contenant le noyau salivaire supérieur. Organisation des noyaux des nerfs crâniens dans le tronc cérébral (d’après Pansky [16]) 1 : toit 2 : groupe somato-afférent spécial 3 : groupe viscéro-afférent spécial 4 : groupe somato-afférent général 5 : groupe viscéro-afférent général 6 : groupe viscéro-efférent général 7 : groupe viscéro-efférent général (branchial) 8 : groupe somato-efférent médian (VI) 9 : plancher 6 Le nerf abducens va donc apparaître comme un prolongement nerveux de destination la face interne du troisième somite, correspondant au muscle droit latéral. Dissection de la partie crâniale d'un embryon humain de 10 mm [9] La date d’apparition du nerf abducens dans l’ontogénèse est variable selon les auteurs ; cependant, comme tous les noyaux des nerfs crâniens, il est repérable précocement. Enfin, le long trajet de ce nerf s’explique par le développement très important du télencéphale, éloignant de façon majeure l’origine du nerf abducens (dans le tronc cérébral) de l’œil qui se place progressivement en position frontale. 7 III) Dissections A) Matériel 1) Pièces anatomiques Afin de déterminer le trajet du nerf abducens, nous avons disséqué : - Nous avons réalisé des coupes frontales de la tête congelée d’un sujet frais de sexe féminin âgé de 88 ans, les artères ayant été injectées avec de la gélatine radio-opaque. Nous avons procédé à un examen tomodensitométrique de cette tête. 2) la tête d’un sujet formolé de sexe masculin, âgé de 101 ans la tête d’un sujet frais de sexe masculin, âgé de 65 ans, avec artères et veines injectées. Instruments Nous avons utilisé : - des billots 1 manche de bistouri n° 4 et 1 série de lames de 23 1 manche de bistouri n° 3 et 1 série de lames de 15 1 rugine 1 scie électrique 1 marteau et 1 burin 1 pince à disséquer sans griffe 1 microscope des pinces de micro-dissection 1 fraise des pinces à clamper 1 scie circulaire pour les coupes frontales des champs verts pour la présentation des pièces. 8 B) Méthodes Injection - Injection artérielle On isole, par dissection, l’artère carotide commune au niveau du cou, dans laquelle on injecte du latex rouge catalysé par de l’acide acétique, en ayant pris soin de ligaturer préalablement l’artère carotide externe afin d’injecter l’artère carotide interne. - Injection veineuse On isole, par dissection, la veine jugulaire interne au niveau du cou également et on injecte du latex bleu catalysé par de l’acide acétique. Coupe du crâne Après avoir ôté la peau, on enlève la voûte du crâne à l’aide d’une scie électrique ; ceci permettant de découvrir le cerveau, recouvert de la dure-mère. Le cerveau sera ensuite ôté en sectionnant la faux du cerveau, les bandelettes optiques, les artères carotides internes, l’artère basilaire, les pédoncules cérébraux. Il est important de préciser que toutes ces étapes, bien que longues et fastidieuses, constituent une condition essentielle à l’abord d’une zone de travail la plus soignée possible. Enfin, on procède à la dissection à proprement parler du trajet du nerf abducens et de ses rapports. On aura besoin, à certains endroits, d’une petite fraise afin de bien le dégager. 9 C) Résultats 1) Origine et trajet sous-arachnoïdien Les nerfs abducens, pairs, prennent leur origine apparente à la partie très médiane du sillon bulbo-pontique : - Pour la pièce formolée, dont le diamètre initial des nerfs est de 3 mm ; les nerfs sont séparés, entre leurs bords médiaux, par 1.1 cm et sont symétriques par rapport à l’artère basilaire. - En ce qui concerne la pièce injectée, dont le diamètre initial des nerfs est de 2 mm ; la distance séparant les bords médiaux des 2 nerfs est de 1.3 cm. Cependant, l’artère basilaire étant déjetée vers la droite, les distances respectives entre les nerfs gauche et droit et l’artère basilaire ne sont pas identiques ( 6 mm à gauche et 3 mm à droite). A son origine, le nerf abducens entre en rapport étroit avec l’artère cérébelleuse antéroinférieure (l’AICA), branche de l’artère basilaire, qui le croise à sa face ventrale. De plus, le nerf est cravaté par une petite veine pontomédullaire transverse, à sa face ventrale également (Photo n° 2). Il est enfin important de considérer, comme le montre la photo n° 3, que le nerf abducens est vascularisé par des artères nourricières cheminant à sa surface et issues des artères pontines latérales. Ces rapports vasculaires pourront ainsi être à l’origine d’atteinte du nerf, comme nous le verrons plus loin (IV). Le nerf abducens, de forme arrondie, parcourt ensuite la citerne pontique (région la plus médiane et la plus caudale de la citerne de l’angle ponto-cérébelleux), en décrivant un trajet de 8 mm vers le haut et latéralement, selon un axe d’une quinzaine de degrés par rapport au plan sagittal (pour notre sujet frais : 20° à gauche et 10° à droite), jusqu’à son franchissement de la membrane arachnoïdienne (Photo n° 4). 10 Photo n° 2 : Portion cisternale du nerf abducens droit (vue supéro-latérale droite) G Avt Tente du cervelet Tronc cérébral Artère carotide interne Nerf optique Artère basilaire Selle turcique Processus clinoïde postérieur Arachnoïde Nerf abducens Dure-mère Nerf trijumeau Nerf oculomoteur 11 Photo n° 3 : Rapports vasculaires du segment cisternal du nerf abducens gauche (vue supérieure) Arr G Tronc cérébral Artère basilaire Veine pontomédullaire transverse cravatant le nerf abducens gauche AICA droite Nerf trijumeau droit AICA gauche Nerf trijumeau gauche Nerf abducens droit Nerf abducens gauche 12 Photo n° 4 : Vascularisation du segment cisternal du nerf abducens gauche (vue supéro-latérale droite) G Avt Nerf trijumeau Tronc cérébral Nerf facial Nerf abducens Artère nourricière le long du bord supérieur du nerf Artère basilaire AICA 13 2) Région intermédiaire s’étendant du porus dure-mérien à l’entrée dans le sinus caverneux Après avoir traversé l’espace sus-arachnoïdien, le nerf abducens pénètre la dure-mère, qui lui est très adhérente, un peu au-dessous de la suture pétro-basilaire : ainsi que l’indique la photo n° 5, le nerf semble engainé dans la dure-mère, ceci semblant donc constituer un point de fixité du trajet du nerf abducens. De plus, à ce niveau, le nerf modifie sa trajectoire vers le haut et médialement, selon un angle obtus prononcé de 110° (Photo n° 6). Ces deux états de fait déterminent donc un point de faiblesse du nerf abducens. La photo n° 7 met en évidence le fait que le nerf abducens est alors entouré de nombreux plexus veineux ; en particulier, le sinus pétreux inférieur tout autour de lui (cette photo confirme, par ailleurs, la double angulation que prend le nerf : dans les plans frontal (rostralement) et sagittal (médialement)). Nous pouvons constater que le nerf modifie aussi sa forme : alors qu’il était arrondi dans son trajet cisternal, il s’aplatit considérablement (Photo n° 8). Chemin faisant, le nerf abducens va ensuite gravir la face postérieure de la partie pétreuse de l’os temporal, à laquelle il est très attaché du fait de la présence d’adhésions denses entre le feuillet dural du nerf et la dure-mère de l’os (Photo n° 9). Au niveau de la partie supérieure de l’apex de cet os, le nerf abducens passe sous le ligament pétro-sphénoïdal, en lui étant également attaché grâce à des adhésions (Photo n° 10). Ce ligament, en forme de papillon et de teinte argentée, s’étend de l’apex pétreux au bord latéral du dorsum sellae de l’os sphénoïde sur une longueur de 18 mm. Au niveau de sa partie centrale, c’est-à-dire la plus étroite, il mesure 2 mm de large. Cette région, délimitée par le ligament pétro-sphénoïdal, l’apex pétreux et le dorsum sellae, répond à la définition du « Canal de Dorello » des classiques. Sous ce ligament, la branche médiale de l’artère latérale du clivus (elle-même encore appelée artère méningée dorsale par PARKINSON et RHOTON) accompagne le nerf abducens et participe à sa vascularisation. Dans nos dissections, l’artère latérale du clivus naissait du tronc postéro-supérieur (ou tronc méningo-hypophysaire de PARKINSON et RHOTON), lui-même issu de la portion C5 de l’artère carotide interne intra-caverneuse (Photo n° 10). 14 Dans cette région particulièrement riche, le nerf abducens ainsi que le ligament pétrosphénoïdal sont immergés au sein d’une confluence de plexus veineux : la partie postérieure du sinus caverneux, la partie latérale du plexus basilaire et la partie médiale du sinus pétreux supérieur, tous trois se drainant dans le sinus pétreux inférieur. Enfin, nous découvrons ici le seul segment du nerf abducens qui soit en contact direct avec l’os ; d’où des risques de lésions, d’autant plus importants que le ligament pétrosphénoïdal, bien que de petite taille, est susceptible de comprimer fortement le nerf contre l’apex pétreux. 15 Photo n° 5 : Fixité du nerf abducens droit lors de sa traversée de la dure-mère (vue supéro-latérale droite) G Avt Artère basilaire Chiasma optique Tronc cérébral Nerf oculomoteur droit Nerf abducens engainé dans la dure-mère Dure-mère 16 Photo n° 6 : Pénétration de la dure-mère par le nerf abducens droit : angulation en haut et médialement (vue supérieure) Avt D Selle turcique Nerf optique Artère carotide interne Nerf oculomoteur Artère basilaire Dure-mère Ligament pétrosphénoïdal Tronc cérébral Nerf abducens : angulation en haut et médialement 17 Photo n° 7 : Coussinet veineux autour du nerf abducens gauche après perforation de la dure-mère (vue supérieure) Avt Chiasma optique D Artère carotide interne Plexus veineux très abondants Nerf oculomoteur Nerf abducens Nerf trijumeau Tronc cérébral Artère basilaire 18 Photo n° 8 : Modification de la forme du nerf abducens droit lors de sa traversée de la dure-mère (arrondi → aplati) et entrée dans le sinus caverneux (vue supérieure gauche) D Paroi latérale du sinus caverneux Arr Veine issue du plexus hypophysaire Nerf trijumeau Nerf abducens aplati Artère carotide interne Nerf oculomoteur Nerf abducens arrondi Dure-mère Artère basilaire Selle turcique Tronc cérébral Nerf optique 19 Photo n° 9 : Fixation du nerf abducens gauche à l’apex pétreux (vue latérale droite) G Avt Tronc cérébral Fortes adhérences du nerf abducens à l’apex pétreux Artère basilaire Nerf abducens 20 Photo n° 10 : Passage du nerf abducens droit sous le ligament pétro-sphénoïdal et entrée dans le sinus caverneux (vue supérieure) Avt D Artère méningohypophysaire Artère carotide interne Branche latérale de l’artère latérale du clivus Sinus caverneux : plexus veineux abondants Tronc inféro-latéral Ligament pétro-sphénoïdal Branche médiale de l’artère latérale du clivus Nerf abducens Nerf facial Artère basilaire Tronc cérébral Nerf cochléo-vestibulaire 21 3) Dans le sinus caverneux Une fois l’apex pétreux franchi, le nerf abducens plonge dans le sinus caverneux en présentant de nouveau une forte angulation vers le bas, selon un angle de 90° et latéralement selon un angle de 30° par rapport à un plan sagittal (Photo n° 8). Ce brusque changement de direction n’est pas sans rappeler l’étroitesse du passage que livrent le ligament pétro-sphénoïdal et l’apex pétreux au nerf abducens ; ceci soulignant bien le danger véritable que représente cette zone pour le nerf. Dès qu’il pénètre dans le sinus caverneux, le nerf abducens entre en contact très étroit avec l’artère carotide interne en s’accolant à elle sur 1 cm. Au cours de nos dissections, nous avons pu découvrir, comme l’illustre la photo n° 8, le nerf logé entre l’artère carotide interne en bas et une petite veine probablement issue du plexus hypophysaire en haut. Puis, le nerf abducens chemine latéralement à l’artère carotide interne, parallèlement à sa portion C4. La photo n° 11 montre ainsi les nerfs contenus dans la paroi latérale du sinus caverneux, à savoir le nerf oculomoteur (III) en haut et le nerf trochléaire (IV) plus bas situé (Remarque : le nerf ophtalmique (V1) n’est pas visible sur la photo car il a été préalablement sectionné). Quant au nerf abducens, il est, lui, compris dans le sinus caverneux, à proximité de l’artère carotide interne et entouré de plexus veineux très abondants. Enfin, durant ce trajet intra-caverneux, le nerf est en rapport avec des branches du tronc inféro-latéral issu de la partie latérale et moyenne de la portion C4 de l’artère carotide interne (Photo n° 12). Dans nos dissections, c’est en regard du bord supérieur du nerf abducens que le tronc inféro-latéral se divise en : - 1 branche supérieure vascularisant le toit du sinus caverneux ; - 1 branche antéro-inférieure au contact de la face médiale du nerf ; - 1 branche antéro-latérale, issue d’un tronc commun avec : - 1 branche postérieure. Ces 2 dernières branches cheminent initialement à la face latérale du nerf abducens, la croisant de haut en bas. Ces rapports vasculaires pourront, là encore, être à l’origine de lésions du nerf abducens. 22 Photo n° 11 : Nerf abducens gauche, depuis son origine jusqu’à la fissure orbitaire supérieure, en passant par le sinus caverneux et rapports avec les nerfs oculomoteur et trochléaire (vue supéro-latérale gauche) D Arr Nerf oculomoteur droit Artère basilaire Nerf optique gauche Nerf oculomoteur gauche Artère carotide interne Fissure orbitaire supérieure Tronc cérébral Nerf trochléaire gauche Nerf ophtalmique gauche Nerf abducens gauche 23 Photo n° 12 : Rapports artériels (artère carotide interne et branches du tronc inférolatéral) et veineux du nerf abducens droit dans le sinus caverneux (vue latérale droite) G Avt Nerf trochléaire Artère carotide interne Nerf oculomoteur Artère basilaire Tronc inféro-latéral : Tronc postérosupérieur Branche supérieure Branche antéro-inférieure Branche médiale de l’artère latérale du clivus Branche antéro-latérale Branche postérieure Nerf abducens Ligament pétrosphénoïdal Sinus caverneux 24 4) Dans la fissure orbitaire supérieure puis l’orbite Puis, afin d’atteindre l’orbite, le nerf abducens chemine dans la fissure orbitaire supérieure, espace délimité par les grande et petite ailes de l’os sphénoïde. C’est entre les deux tendons du muscle droit latéral de l’œil que l’on retrouve le nerf abducens, au sein d’une région délimitée par l’anneau tendineux commun (qui entoure également plus médialement le nerf optique). La photo n° 13 découvre ainsi le contenu de l’anneau tendineux commun : le nerf abducens qui atteint le muscle droit latéral, en se dirigeant latéralement, entre en rapport très étroit avec la branche naso-ciliaire du nerf ophtalmique (V1), qui lui est supérieure (les deux autres branches du nerf ophtalmique passant bien dans la fissure orbitaire supérieure, mais en dehors de l’anneau tendineux commun) ; et plus médialement, le nerf oculomoteur qui se divise en 2 branches : 1 supérieure pour les muscles droit supérieur et releveur de la paupière supérieure et 1 inférieure pour le muscle droit inférieur. On peut d’ailleurs remarquer entre les nerfs abducens et oculomoteur une anastomose nerveuse. Enfin, le nerf se termine à la face interne et profonde du muscle droit latéral, à sa partie très proximale : la photo n° 14 montre bien la division terminale du nerf abducens en 3 filets nerveux. Il nous semble important de souligner le diamètre relativement gros du nerf par rapport à la taille du muscle, ceci pour insister sur la très grande précision des mouvements oculaires. 25 Photo n° 13 : Passage du nerf abducens gauche dans la fissure orbitaire supérieure et rapports (vue supéro-latérale gauche) D Arr Muscle releveur de la paupière supérieure Branche supérieure du nerf oculomoteur Muscle droit supérieur Nerf optique Nerf naso-ciliaire Anastomose entre les nerfs oculomoteur et abducens Branche inférieure du nerf oculomoteur Nerf abducens Anneau tendineux commun Muscle droit latéral 26 Photo n° 14 : Terminaison du nerf abducens droit dans le muscle droit latéral (vue supéro-latérale droite) G Avt Muscle releveur de la paupière supérieure Muscle droit supérieur Nerf frontal Veine lacrymale Nerf lacrymal Nerf abducens Muscle droit latéral Artère lacrymale Lobules adipeux très abondants Glande lacrymale 27 5) Coupes frontales et correspondance anatomoscanographique La tomodensitométrie étant une imagerie anatomique, il nous a semblé judicieux de la coupler à des coupes anatomiques frontales afin de mettre en évidence des rapports essentiels et pas toujours visualisables grâce aux dissections précédentes : - Coupe scanographique frontale (fenêtre médullaire) mettant en évidence les rapports vasculaires initiaux du nerf abducens gauche Ht G Artère cérébrale postérieure Artère cérébelleuse supérieure Artère labyrinthique Nerf abducens AICA Le nerf abducens, hypodense au scanner, est donc, ici, situé à son origine, entre l’artère labyrinthique en haut et l’AICA en bas. 28 Ht Photo n° 15 : Rapports du nerf abducens droit dans le sinus caverneux et rapports avec les sinus sphénoïdaux D Limite du sinus caverneux Artère carotide interne droite Sinus sphénoïdal Nerf abducens Ht Coupe scanographique frontale (fenêtre médullaire) passant par les sinus caverneux G Artère carotide interne Nerf abducens Sinus sphénoïdaux Le nerf abducens (hypodense au scanner) est, comme nous l’avons déjà précisé, situé au contact du bord latéral de l’artère carotide interne (hyperdense ici car elle a été préalablement injectée). D’autre part, il est également situé à proximité des sinus sphénoïdaux, ceci n’étant pas non plus sans conséquence. 29 - Photo n° 16 : Rapports oculaires du nerf abducens droit Artère ophtalmique Nerf optique Terminaison du nerf abducens Muscle droit latéral Graisse orbitaire Coupe scanographique frontale (fenêtre médullaire) passant par les globes oculaires Ht G Artère ophtalmique Muscle droit latéral Nerf optique 30 IV) Discussion A) Confrontation avec la littérature anatomique 1) De nombreuses variations anatomiques En 1974, Nathan et coll [15] décrivaient 4 modalités du trajet du nerf abducens : A : Le nerf a un tronc unique pendant tout son trajet. C’est le cas le plus fréquent. B : Le nerf se dédouble dans l’espace sous-arachnoïdien. Les deux branches s’unissent à nouveau dans le sinus caverneux. C : A son origine, le nerf est constitué de deux troncs séparés qui s’unissent dans le sinus caverneux. D : Le nerf est constitué de deux troncs pendant tout son trajet. C’est une possibilité discutée. Variations anatomiques du nerf abducens En 1997, Destrieux et coll [5] en décrivaient une supplémentaire : dans une de leurs dissections, ils trouvaient un nerf abducens passant intégralement au-dessus du ligament pétro-sphénoïdal. 31 Au cours de nos dissections, nous avons rencontré une variation non retrouvée dans la littérature : - Seul, le nerf abducens droit se dédouble durant son trajet cisternal, les 2 branches fusionnant lors de la traversée de la dure-mère Avt D Photo n° 17 : Dédoublement du segment cisternal du nerf abducens droit (vue supérieure) 32 - De façon symétrique, les deux nerfs abducens droit et gauche se dédoublent sur 1 cm environ au contact de la portion ascendante de l’artère carotide interne (segment C5) D Arr Photo n° 18 : Dédoublement du nerf abducens gauche au contact de la portion C5 de l’artère carotide interne (vue supéro-latérale gauche) 33 Il est bien évident que toutes ces variations auront des implications pathologiques : les manifestations cliniques pourront être réduites à des parésies du muscle droit latéral correspondant à une atteinte partielle du nerf, c’est-à-dire à une atteinte de l’une de ses branches seulement. Par ailleurs, l’absence uni ou bilatérale du nerf abducens est également retrouvée dans la littérature [15] : dans ces cas, c’est le nerf oculomoteur qui prend en charge l’innervation du muscle droit latéral. Remarques : On peut également retrouver des branches du nerf oculomoteur innervant un muscle droit latéral déjà normalement innervé par le nerf abducens. On peut enfin décrire des anastomoses entre les nerfs oculomoteur et abducens [10] dans le sinus caverneux et l’orbite. Nos dissections ont permis d’en mettre en évidence dans la fissure orbitaire supérieure également. 34 Précision à propos d’une définition controversée : le Canal de Dorello 2) Le Canal de Dorello, ostéo-fibreux, a initialement été décrit en 1905 par Dorello, comme étant le petit espace compris entre l'apex pétreux, le ligament pétro-sphénoïdal de Grüber et la partie latérale haute du clivus. Après de nombreuses variations quant à sa définition, cette dernière a été reprise par Umansky et coll en 1991 [22]. C’est cet espace que traverse le nerf abducens afin de rejoindre la loge caverneuse. Cependant, comme nous l’avons souligné en traitant ses variations anatomiques, le nerf abducens peut soit ne passer qu’en partie dans le Canal de Dorello, soit ne pas l’aborder du tout. Aussi est-il préférable de décrire une zone plus large, intermédiaire entre l’espace sousarachnoïdien et la loge caverneuse. C’est ainsi qu’après Dolenc, Destrieux et coll [5] ont délimité 1 espace qu’ils ont appelé « la confluence veineuse pétroclivale » grâce à 3 plans virtuels, soulignant l’absence de limites anatomiques claires de cette région : - la limite antérieure est constituée par un plan vertical, contenant le pli pétro-clinoïdien postérieur ; la limite inférieure est constituée par un plan axial, situé juste sous l’orifice dural du nerf abducens ; la limite médiale est constituée par un plan sagittal, situé au-dessus du bord médial du sinus pétreux inférieur. Le nerf abducens y chemine, pouvant passer sous le ligament pétro-sphénoïdal, entouré d’un environnement constitué par une confluence veineuse préalablement décrite (III) C)). 35 3) Localisations privilégiées d’atteinte du nerf abducens Les rapports que le nerf abducens présente tout au long de son trajet permettent d’expliquer sa vulnérabilité : - A son origine, le nerf entre en rapport étroit avec des vaisseaux (en particulier l’AICA), ceci pouvant être la source de sa compression. En 1994, Marinkovic et coll [12] ont décrit précisément les artères et les veines croisant les faces ventrale et dorsale des segments cisternaux des nerfs abducens qu’ils avaient disséqués : Vessels % Number (range) Arteries 100 1-10 Veins 46.43 Individual Arteries (Type and Origin) AICA Pontomedullary artery : - from BA - from AICA - from VA PICA : - from BA - from AICA - from VA Internal auditory artery : - from BA - from AICA Common trunk of AICA and PICA % 75 92.86 67.86 10.71 7.14 17.85 10.71 3.57 3.57 14.28 10.71 3.57 7.14 1-2 Vessels Crossing the Ventral Surface of the Cisternal Segment (d’après Neurosurgery, 1994 ; 34 (6) : p 1019 [12]) Vessels % Number (range) Arteries 82.29 1-5 Individual Arteries (Type and Origin) Anterolateral artery : - from BA - from AICA AICA Veins 46.43 1-2 Vessels Crossing the Dorsal Surface of the Cisternal Segment (d’après Neurosurgery, 1994 ; 34 (6) : p1022 [12]) 36 % 82.14 28.57 10.71 35.71 On comprend bien alors le risque important d’atteinte du nerf de par ce fait ; et ce, d’autant plus qu’ils décrivent également nombre de segments cisternaux pénétrés par un vaisseau (artère ou veine). Ceci signifie que le vaisseau se place entre 2 racines ou 2 troncs du nerf, ou bien encore qu’il transperce franchement le tronc nerveux. - Ensuite, la zone intermédiaire entre l’espace sous-arachnoïdien et la loge caverneuse est particulièrement dangereuse pour le nerf abducens. C’est, en effet, un espace ostéo-dural inextensible, dans lequel le nerf est fixé à son entrée (au niveau de son orifice d’entrée dural) et à sa sortie (au niveau de l’apex pétreux), sortie au niveau de laquelle le nerf est coincé entre l’apex pétreux et le ligament pétro-sphénoïdal. C’est à ce niveau également que le nerf est en contact direct avec l’os, d’où des risques supplémentaires d’atteinte. En outre, le nerf y modifie sa trajectoire à 2 reprises : au niveau de son orifice d’entrée dural et au niveau du bord supérieur de l’apex pétreux, décrivant ainsi un trajet « en baïonnette » [3]. Tous ces éléments contribuent donc à des risques d’étirement ou de compression du nerf abducens dans cette zone. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà précisé, le nerf abducens est à proximité des sinus sphénoïdaux. Donc, une atteinte de ces derniers pourra toucher le nerf abducens. - Puis, le nerf gagne la loge caverneuse et entre en rapport étroit avec l’artère carotide interne et ses branches, d’où, là encore, de possibles compressions vasculaires du nerf abducens : L’artère clivale latérale, présente dans 82.5 % des cas pour Brassier [2], donne 2 branches dont 1 médiale accompagnant le nerf abducens dans le canal de Dorello ; Le tronc inféro-latéral, présent dans 90 % des cas selon Brassier[2], donne : 1 branche antéro-médiale dans 66 % des cas (non retrouvée dans nos dissections) qui longe le bord supérieur du nerf abducens et gagne la fissure orbitaire supérieure, où elle vascularise les nerfs qui y cheminent 1 branche antéro-latérale dans 91.5 % des cas et 1 branche postérieure, qui cheminent toujours initialement à la face latérale du nerf abducens. 37 B) Confrontation avec la littérature médicale Toute atteinte isolée ou associée du nerf abducens se traduit par des manifestations oculaires : sur le plan fonctionnel, le patient se plaint de diplopie ; à l’examen physique, on retrouve une perte d’abduction de l’œil, alors que les autres mouvements sont conservés. Cette atteinte peut survenir sur tout le trajet du nerf, depuis son origine jusqu’à sa terminaison. 1) Atteinte du noyau du nerf abducens [14] Cela se traduit par une perte de tous les mouvements horizontaux des deux yeux (saccades, poursuites, …) allant de la ligne médiane au côté homolatéral à la lésion. Ceci tient au fait que le noyau du nerf abducens représente la voie finale des mouvements horizontaux des yeux, recevant de nombreuses projections du cervelet, des noyaux vestibulaires, de la formation réticulée pontique… Et donc, une telle atteinte ne peut se traduire que par une absence totale de ces mouvements horizontaux. Par ailleurs, le noyau du nerf abducens renferme deux populations de neurones : les motoneurones, qui innervent le muscle droit latéral ; et les neurones internucléaires, qui croisent la ligne médiane (via le faisceau longitudinal médial) pour projeter sur le noyau du nerf oculomoteur controlatéral, afin d’assurer l’innervation du muscle droit médial. Ceci explique pourquoi les deux yeux sont concernés. Cependant, cette atteinte reste rare et le plus souvent associée à une atteinte des fibres faciales adjacentes (avec parésie faciale homolatérale, de type périphérique). Les diagnostics à évoquer sont ceux d’un infarctus, d’une tumeur ou d’inflammation de cette région, … 38 2) Atteinte du segment cisternal du nerf abducens Compression vasculaire Etant donnée la richesse des rapports vasculaires du nerf abducens, en particulier avec l’AICA ou même l’artère labyrinthique, le risque de compression est assez élevé, d’autant plus que le nerf est souvent pénétré par un vaisseau. Pour que les symptômes secondaires à ces compressions vasculaires apparaissent, il est nécessaire que le contact se fasse au niveau d’une zone transitionnelle du nerf entre les myélines centrale et périphérique [12]. C’est ainsi que de nombreuses tumeurs, de par le déplacement du tronc cérébral qu’elles engendrent, provoquent ce contact et induisent donc une compression pulsatile du nerf abducens. Anévrysmes Les anévrysmes sacciformes de l’artère basilaire sont fréquents, et souvent situés caudalement à l’AICA ou bien encore à l’origine de l’AICA. Ces anévrysmes sont alors au contact direct du nerf abducens, pouvant induire des parésies de ce nerf. Malformations artério-veineuses Certaines peuvent être localisées à la protubérance et les artères en rapport avec le segment cisternal (en particulier l’AICA) peuvent en être responsables et ainsi altérer la fonction du nerf abducens. Cela peut se produire [12] : - soit par détournement du flux sanguin initialement destiné au nerf abducens vers ces malformations ; dans ce cas, le nerf peut souffrir d’ischémie soit par compression directe du nerf par ces malformations quand elles sont suffisamment superficielles soit par apparition de complications à type d’hémorragie sous-arachnoïdienne ou d’hématomes comprimant encore le nerf. Pathologie vasculaire occlusive [12] L’athérosclérose, pathologie régulièrement retrouvée chez le sujet âgé, peut provoquer des occlusions des vaisseaux nourriciers du nerf abducens, induisant ainsi son ischémie. Les thrombo-embolies des artères plus proximales peuvent également en être à l’origine. 39 3) Atteinte du nerf abducens dans la région intermédiaire de « la confluence veineuse pétroclivale » Les processus traumatiques sont rares (seulement 3 % des paralysies du nerf abducens) : - Ils peuvent être évidents : Les fractures basilaires [12] (impliquant les processus clinoïdes postérieurs) sont souvent le résultat d’une force appliquée dans la région de l’oreille externe. Elles vont ainsi directement modifier les rapports anatomiques du nerf abducens dans la région de l’apex pétreux et donc le léser contre le bord supérieur très anguleux de l’apex (le nerf étant, à cet endroit, directement en contact avec l’os). De plus, les éventuels hémorragies ou hématomes secondaires pourront comprimer le nerf. En cas de traumatismes cervicaux sévères (avec hyperextension) s’accompagnant de déplacement encéphalique important, vers le haut et l’arrière, le nerf abducens est projeté contre le ligament pétro-sphénoïdal rigide et de ce fait, lésé. Ceci est d’autant plus grave que le nerf est fixé entre son entrée duremérienne et son entrée dans le sinus caverneux. - Ils peuvent également être d’origine iatrogène : A la suite de ponction lombaire ou de rachianesthésie ou d’anesthésie péridurale manquée (avec perforation non souhaitée de la dure-mère et de l’arachnoïde), une fuite de liquide céphalo-rachidien (LCR) peut survenir (d’autant plus que le calibre de l’aiguille utilisée est gros) par l’orifice créé. En conséquence, cela peut provoquer une dépression du LCR et donc une perte du coussin suspenseur du cerveau qui a donc tendance à se déplacer vers le bas [1]. C’est ainsi que le nerf abducens se trouve coincé contre l’apex pétreux et peut donc être lésé (c’est le nerf crânien le plus fréquemment atteint, en raison de la vulnérabilité de son trajet). Cependant, cela reste assez rare et ne concerne que les patients dont l’état d’hydratation ne permet pas le remplacement rapide du LCR perdu. 40 Hypertension intracrânienne - Ses causes peuvent être tumorales : Les processus expansifs intracrâniens provoquent une « atteinte à distance » du nerf abducens, par le biais de l’hypertension intracrânienne. Le cône de pression [4] ainsi créé peut entraîner un déplacement du tronc cérébral, d’où un étirement du nerf abducens contre l’apex pétreux. Or, comme nous l’avons déjà décrit, le nerf abducens est fixé et présente à décrire de fortes angulations dans cette région, à son entrée et à sa sortie. Donc, une tumeur intracrânienne peut être révélée par la diplopie décrite par le patient. - Elle peut aussi être due à une augmentation de la pression veineuse [5] : Etant donné que le nerf abducens est ici dans une zone très riche en veines et que cette région est inextensible, il apparaît évident que tous les processus pathologiques qui vont induire une augmentation de la pression veineuse risquent de comprimer le nerf abducens. Processus infectieux - On peut évoquer un syndrome de Gradenigo [13] : Une otite non traitée peut se compliquer d’extension de l’inflammation à l’apex de l’os pétreux (par voie vasculaire ou par extension directe du fait de la proximité). Alors, l’inflammation peut devenir extra durale et atteindre le ganglion trigéminal et le nerf abducens, séparés uniquement de la partie pétreuse de l’os temporal par la dure-mère. Ainsi, survient la triade symptomatique caractéristique du syndrome de Gradenigo (décrit en 1907 par Gradenigo) : otite, douleur dans le territoire du nerf trijumeau et paralysie du nerf abducens. - On peut aussi évoquer une sinusite [20] : En cas de sinusite, du fait de la proximité du nerf abducens avec les sinus sphénoïdaux, une extension du processus infectieux à la région de Dorello, où le nerf est confiné entre l’apex pétreux et le ligament pétro-sphénoïdal est envisageable. Embolisation du sinus pétreux inférieur [5] Il est possible de réaliser une embolisation préopératoire du sinus pétreux inférieur avant toute chirurgie de la région pétro-clivale, afin d’éviter des saignements trop abondants (le calibre de ce sinus est important car il draine toute la confluence veineuse pétroclivale). Cependant, comme nous l’avons montré au cours de nos dissections, le sinus pétreux inférieur est en rapport très étroit avec le nerf abducens et séparé de lui par une fine couche d’arachnoïde. Ceci permet donc de comprendre des paralysies du nerf abducens générées par un cathéter trop long. 41 4) Atteinte du nerf abducens dans le sinus caverneux Les tumeurs envahissant le sinus caverneux [21] sont rares (elles ne représentent que 1 % des tumeurs intracrâniennes), mais difficiles à traiter. Elles sont de nature très variable : les plus fréquentes sont les méningiomes, les neurinomes (surtout du nerf trijumeau), les métastases… De plus, s’y ajoutent les tumeurs de voisinage susceptibles d’envahir le sinus caverneux : les adénomes hypophysaires, les tumeurs de l’os sphénoïde, les tumeurs de la cavité orbitaire envahissant le sinus caverneux via la fissure orbitaire supérieure, … Ces tumeurs vont évidemment entraîner des diplopies du fait de la compression du nerf abducens, lui-même difficile à mettre en évidence au sein du tissu tumoral, lors du traitement chirurgical. Pathologies vasculaires Au vu des rapports importants du nerf abducens avec l’artère carotide interne, toute modification de la morphologie de cette dernière risquera de léser le nerf : - Anévrysme Comme l’indique le dessin, le nerf est refoulé et comprimé par l’anévrysme : anévrysme Nerf oculomoteur Nerf trochléaire Fibres sympathiques Artère carotide interne :2ème angulation Artère carotide interne : 1ère angulation Nerf abducens Représentation schématique d’un anévrysme de la portion latérale de l’artère carotide interne comprimant le nerf abducens dans une direction inféro-latérale [6] 42 - L’artériosclérose [23] (pathologie du sujet âgé) provoque une augmentation du diamètre et de l’aspect tortueux de l’artère carotide interne, conduisant ainsi à son déplacement vers la paroi latérale du sinus caverneux et donc au refoulement du nerf abducens contre cette paroi au niveau du nerf ophtalmique, ceci pouvant provoquer sa compression. - Dissection de l’artère carotide interne [7] Le nerf abducens est vascularisé par des branches issues de l’artère carotide interne, comme nous l’avons vu préalablement. Donc, la dissection de cette dernière risquera de provoquer une ischémie du nerf. On peut également décrire le syndrome de la paroi latérale du sinus caverneux (de Foix) [3], qui se traduit par une ophtalmoplégie unilatérale, débutant par le nerf abducens, accompagnée de douleurs dans le territoire du nerf ophtalmique. Cela est dû à l’atteinte des nerfs moteurs de l’œil et du nerf ophtalmique dans la paroi latérale du sinus caverneux, par une tumeur hypophysaire, une phlébite du sinus caverneux ou un anévrysme de l’artère carotide interne intra-caverneuse. Jefferson en a distingué 3 variétés selon la prédominance des types de symptômes : syndromes postérieur, de la partie moyenne et antérieur. Enfin, la fuite de LCR provoquée par une ponction lombaire aboutit à une vasodilatation compensatoire des veines du sinus caverneux [24], provoquant ainsi une compression veineuse du nerf abducens. 5) Atteinte du nerf abducens dans la fissure orbitaire supérieure puis l’orbite On décrit le syndrome de la fissure orbitaire supérieure qui consiste en une ophtalmoplégie complète puis une anesthésie de la racine du nez, de la paupière supérieure, du front et de la cornée. Il est dû à une paralysie unilatérale des nerfs oculomoteur, trochléaire, abducens et ophtalmique, provoquée par une tumeur de voisinage ou une fracture de la petite aile de l’os sphénoïde ou encore un anévrysme de l’artère carotide interne. Remarque : en ce qui concerne l’œil [11], les tumeurs intra-orbitaires ou les fractures de la paroi latérale de l’orbite lèsent le muscle droit latéral provoquant une paralysie de l’abduction du regard, mais sans entraîner d’atteinte du nerf abducens. 43 V) Conclusion Grâce aux dissections, nous avons pu montrer la susceptibilité anatomique du nerf abducens. En effet, au cours de son trajet, il rencontre des obstacles de natures très variables (vasculaire, osseuse, ligamentaire, …). Ceci aboutit, évidemment, à l’implication du nerf abducens dans des processus pathologiques très variables également, et assez nombreux pour que ce nerf compte parmi les nerfs crâniens les plus fréquemment atteints en cas de pathologies. En fait, ces dernières provoquent la rupture d’un équilibre qui fait que, fort heureusement pour nous, nous ne sommes pas diplopes en permanence, malgré ce que l’on aurait pu imaginer … 44 BIBLIOGRAPHIE 1- ARNE JL, SALVAING P, CALVET JM, BEC P, GASSET, PLANTE H Paralysie du VI dans les suites d’une anesthésie péridurale Bull. Soc. Opht. 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