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BIOFUTUR 279 • JUILLET-AOÛT 200738
Dossier
Pucerons, les connaître pour mieux les combattre
La plante réagit globalement
L
’insertion des stylets s’accompagne également de la
libération dans le phloème de molécules d’oxygène
réactives
(10 à 12)
responsables de l'induction d'une
réponse de défense systémique et spécifique, et ce
patron de réaction semble s’appliquer à toutes les dico-
tylédones
(13)
.
L
’attaque par un insecte phytophage de type brouteur,
qui prélève des portions de feuille ou de tige, se traduit
par une activation des voies jasmonates/éthylène, condui-
sant à la production et à l’accumulation de nombreuses
protéines ou de composés secondaires (inhibiteurs de
protéases, polyphénoloxydases, peroxydases, phényl-
propanoïdes…). En revanche, l’attaque par un patho-
gène (virus, bactérie ou champignon) s’accompagne
de la production de radicaux oxygénés actifs et induit
les voies de signalisation du salicylate. Elle conduit éga-
lement à la production locale ou systémique de « patho-
genesis-related proteins » (protéines PR), et s’accompagne
dans certains contextes génétiques de réactions d’hyper-
sensibilité, incluant un syndrome de mort cellulaire pro-
grammée qui limite l’extension de l’infection.
P
ar comparaison aux deux réactions précédentes, l’agres-
sion par les pucerons peut activer partiellement les deux
voies de signalisation décrites
(figure 2)
, mais privilégie
la voie salicylate, se traduisant par la production de pro-
téines PR
(10)
, avec cependant de nombreux cas d’hyper-
sensibilité sous contrôle génétique simple
(14)
. En plus de
l’implication majeure de l’une de ces deux voies cano-
niques, d’autres gènes activés montrent une réponse
systémique spécifique au compartiment phloémien de la
plante
(12)
. Ainsi, malgré la similitude avec la réponse aux
pathogènes, l’agression aphidienne semble induire chez
la plante une réponse spécifique qui reste à déchiffrer.
Sensibles à divers effecteurs de la voie des jasmonate/éthy-
lène, comme certaines enzymes ou inhibiteurs de pro-
téases, les pucerons tentent d’en limiter l’induction.
La manipulation de la plante
par les pucerons
Contournement des défenses induites
L
ors des phases de piqûre de sondage et de pénétration
dans le phloème, les pucerons relarguent plusieurs types
de salive
(figure 3)
jouant un rôle fondamental dans l’ac-
ceptation de la plante hôte
(15, 16)
. À la surface de la
plante, les pucerons déposent une petite quantité de
salive gélifiante ; cette salive, sécrétée ensuite en continu
lors du cheminement des stylets entre les cellules, forme
une gaine qui isole ces derniers des tissus de la plante.
Outre un hypothétique rôle mécanique, cette gaine joue
un rôle de barrière chimique limitant les flux calciques
transmembranaires impliqués dans la réponse rapide
des plantes à la pénétration des stylets dans les vaisseaux
phloémiens
(8)
, mais probablement également aux espèces
réactives de l’oxygène.
L
a salive liquide constitue le deuxième type de salive
produit par les pucerons. Lorsqu’un puceron effectue
une ponction, par exemple de sève élaborée, il injecte
en premier lieu de la salive liquide dans les vaisseaux du
phloème. À cet instant, la valve du canal alimentaire se
ferme, empêchant l’ingestion de sève
(17)
. La salive liquide
joue une part importante dans le contournement des
défenses immédiates de la cellule végétale. Elle pourrait
se lier au calcium ou à l’oxygène actif, inhibant ainsi
leur rôle dans la coagulation des protéines phloémiennes
ou les dépôts de callose. Elle pourrait également inhi-
ber directement la coagulation des protéines phloé-
miennes ou même hydrolyser la callose
(8)
. Une fonction
digestive est par ailleurs soupçonnée pour cette salive,
car une fraction du flux sécrété dans la cellule phloé-
mienne est vraisemblablement ingérée par l’insecte via
le flux alimentaire entrant
(17) (figure 3)
.
Altérations métaboliques
A
fin de compenser en partie les carences composi-
tionnelles de la sève phloémienne, les pucerons sont
capables d'accroître le flux de phloème, mais aussi d'in-
duire une augmentation systémique des taux d'acides
aminés circulants, dont les acides aminés essentiels. En
outre, ils semblent également capables d’induire une
accumulation phloémienne locale de glucides, aux
dépens des autres tissus de la plante
(18)
. Cette mani-
pulation trophique se manifeste de façon exacerbée
dans le cas des pucerons galligènes, étudiés depuis long-
temps pour leur manipulation locale et systémique de
la signalisation hormonale de l’hôte.
P
arce qu’ils s’alimentent exclusivement aux dépens de
la sève élaborée des plantes, les pucerons ont développé
tout un arsenal d’adaptations tant morphologiques
que physiologiques leur permettant d’exploiter cette
ressource trophique difficilement accessible, aux pro-
priétés physico-chimiques très particulières et siège de
l’expression des mécanismes de résistance systémique
induite (distribution des signaux de défense à l’échelle
de la plante). Du fait de l’intimité de cette interaction,
le modèle puceron-plante constitue un exemple main-
tenant bien étudié de coévolution plante-insecte.
Phloème
Tube criblé
salive intracellulaire phloémienne
salive de piqure intracellulairesalive extracellulaire de la gaine
salive liquide réingérée
Stylets
3
2
4
Puceron
2
3
4
1
1
Cellule
compagne
Plante
Épiderme
Rostre
Figure 3 Les quatre salives des pucerons
détectées par EPG
Une salive gélifiante extracellulaire (cercle plein) et trois
salives liquides injectées dans les cellules (cercles vides).
Seule l’une d’entre elles possède une fonction digestive
potentielle (4) (d’après Tjallingii WF, 2006).
© DR
(10) Moran PJ, Thompson
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Pour en savoir plus
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http://jxb.oxfordjournals.org/content/vol57/issue4
05-4 giordanengo 21/06/07 11:16 Page 38