C'est une chose de se réveiller au milieu de la nuit en raison d'une terreur imaginaire.
Mais c'en est une autre d'être bien réveillé et de sentir l'emprise de la peur sur votre
échine. Alors que je campais seul, une nuit d'hiver au-dessus de Ghost Ranch, au
Nouveau-Mexique, j'entendis (ou bien ai-je rêvé que j'entendais ?) gratter sur la paroi de
la tente et la respiration oppressante d'un animal à l’extérieur dans la neige. J'avais
tellement les chocottes que je ne pus même pas pousser le cri qui s’étouffa dans ma
gorge. Ou alors était-ce oniriquement que je ne fus pas en mesure d'émettre le moindre
son ? À mon réveil, je n'étais plus sûr de ce qui s'était passé ou pas - ou si tout cela ne
s'était produit que dans mon esprit.
Une expérience encore plus troublante survint au cours d'une autre nuit, au clair de lune,
dans les profondeurs du dédale du Parc national de Canyonlands, dans le sud-est de
l'Utah. Avec un ami, nous avions parcouru plus d'un kilomètre et demi dans le canyon
depuis notre campement, à l'ombre des parois imposantes de ce vaste labyrinthe
sinueux. En marchant à la lumière de la pleine lune, sans lampes de poche, nous
ressentions un sentiment sauvage et animal de liberté. Faisant preuve d’une exubérance
insouciante, nous hurlions à la lune, tels des loups, mais nous nous retrouvâmes alors face
à la paroi d'un canyon tapissée d'anciennes figures peintes par des artistes archaïques, il
y a environ deux mille ans.
C’était là des êtres spirituels qui veillaient - de grandes ombres éthérées qui planaient à
la surface de la roche. Qu'il s'agisse de gardiens, de témoins ou de protecteurs, je
l'ignorais. Mais dans le monde sculpté d'ombres et de clairs obscurs du labyrinthe, je
sentis la présence de quelque chose, sans pouvoir le nommer. C'est un lieu aussi éloigné
d'autres personnes qu'il est possible de l'être dans les quarante-huit États (hors Alaska),
et pourtant, pendant un instant, je sentis vaguement comme un doigt qui m'effleurait la
nuque. J'avais été envahi par une sensation de peur radicalement plus profonde.
Trois jours plus tôt, nous avions roulé durant sept heures depuis la marina de Hite, sur le
lac Powell, en suivant une route en terre tortueuse, qui faisait partie de l'ancienne Flint
Trail. Le parcours était particulièrement accidenté et éreintant, avec des virages en
épingle à cheveux autour d'énormes rochers et d'étroites corniches rocheuses. Nous
avancions à une moyenne de 10 km/h avec nos quatre roues motrices. George Hayduke,
dans Le gang de la clé à molette d'Ed Abbey, emprunta un jour cette route pour échapper
à une escouade qui le poursuivait, après qu’il ait commis un écosabotage le long du
Colorado. Elle est considérée comme "la route la plus cahotique/chaotique de l'Utah",
mais elle nous permit d'atteindre Chimney Rock et le point de départ de la piste
conduisant au Labyrinthe.
Le Labyrinthe est une zone de grès sculpté de 50 km², découpée en cinq canyons
principaux et des dizaines de canyons secondaires plus petits — le résultat de dix
millions d'années de crues subites se frayant un chemin jusqu’au Colorado. "Imaginez
cinq nids de serpents relâchés précipitamment au même moment et vous commencerez à
visualiser les circonvolutions tortueuses du lieu’’, déclare un randonneur aguerri.