les armées du canada et de l`australie

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L’ORGANISATION
P h o t o 1 4 7 3 5 0 d u A u s t r a l i a n Wa r M e m o r i a l
Membres du 3e Bataillon des Royal Australian Rifles après la bataille de Kapyong en avril 1951 où ils se sont battus aux côtés des membres du 2 PPCLI.
LES ARMÉES DU CANADA ET DE
L’AUSTRALIE : COLLABORATION PLUS
ÉTROITE?
par le lieutenant-colonel John C. Blaxland
P
ar leurs « trajectoires » de développement de la
force, les armées du Canada et de l’Australie se sont
éloignées l’une de l’autre au milieu du XXe siècle,
mais elles se sont de beaucoup rapprochées depuis la
fin de la guerre froide, ce qui indique que, en dépit de leurs
différences géostratégiques et culturelles, il est possible
d’améliorer la collaboration entre les deux armées. Cet article se
penche sur le relâchement des liens avec l’Empire britannique qui
a mené des troupes canadiennes et australiennes à combattre en
Afrique du Sud pendant la guerre des Boers, ensuite dans les deux
guerres mondiales et la guerre de Corée et, finalement, à
contribuer aux combats en Afghanistan aves celles des États-Unis.
Il soutient que, en dépit de leurs différences, les forces terrestres
du Canada et de l’Australie ont plus de points en commun
ensemble qu’elles n’en ont avec pratiquement toute autre force.
Même s’il y a entre elles des parallèles remarquables, on a peu
écrit pour étudier directement leurs expériences militaires et ces
parallèles qui sont pourtant durables1.
LES POINTS COMMUNS
L
e Canada et l’Australie se ressemblent à plusieurs égards. Le
Canada et l’Australie (de même que la Nouvelle-Zélande et
les États-Unis) sont des pays du « Nouveau Monde » qui
partagent des racines anglo-celtes et européennes ainsi qu’un
héritage commun de colonisation, d’immigration (d’immigrants
européens, et plus récemment, d’immigrants non-européens), de
diversité culturelle, de même qu’une langue anglaise largement
répandue2, des valeurs judéo-chrétiennes largement acceptées, des
Automne 2002
●
Revue militaire canadienne
pratiques démocratiques et un système économique capitaliste.
Aujourd’hui, ils sont tous les deux confrontés à un ensemble
comparable de défis : ils ont des économies industrialisées avec
de vastes secteurs de service et ils dépendent des matières
premières pour les échanges avec les autres pays industrialisés3.
En outre, le Canada et l’Australie ont tous deux, bien qu’avec des
différences, des systèmes judiciaires et parlementaires fédéraux de
type britannique. Tous ces aspects portent à croire qu’ils
pourraient tirer avantage à collaborer plus étroitement; mais il
existe même des facteurs plus spécifiques à la défense qui
viennent confirmer cette opinion.
Le glissement de la Grande-Bretagne vers les États-Unis dans
la dépendance du Canada et de l’Australie en matière de sécurité
ainsi que le rôle de la realpolitik et de l’idealpolitik dans leur
politique étrangère et dans leur politique de défense constituent
une autre similarité. L’Australie et le Canada ont cherché la
sécurité dans la défense collective; ils ont joué des rôles
constructifs de moyenne puissance dans les questions d’ordre
international, commercial, environnemental et de sécurité et se
sont entendus sur une variété de sujets d’intérêt bilatéral4. Ils ont
tenté de faire leur marque en sécurité internationale en partie dans
le but d’affirmer leur souveraineté tout en évitant de la
compromettre indûment dans des rapports d’inégalité avec des
alliés plus puissants.
Le lieutenant-colonel John C. Blaxland de l’armée australienne est
chercheur invité en défense à l’université Queen’s et prépare un doctorat
au Collège militaire royal du Canada.
45
Géographiquement (la géographie est habituellement un des
facteurs importants qui déterminent la structure d’une force), les
deux pays couvrent de grosses masses terrestres souvent arides, ce
qui a engendré une rude culture de « frontière », distincte de celle
de l’Europe et des États-Unis, et a eu pour résultat de voir des
populations peu nombreuses s’établir dans de longs corridors
plutôt étroits au bord de vastes espaces en grande partie
inhabitables. Les deux pays ont accordé une grande priorité au
développement des transports, de l’infrastructure industrielle, des
services sociaux et des services de santé dans quelques centres
urbains où se regroupe la population. Les vastes superficies
inhabitées ont également suscité la création de systèmes de
surveillance à couverture étendue dans les régions du nord des
deux pays et l’enrôlement d’autochtones dans des unités de
surveillance des secteurs nordiques.
P h o t o P 0 0 2 2 0 0 0 1 d u A u s t r a l i a n Wa r M e m o r i a l
Il y a des tensions dans les deux pays lorsqu’il s’agit de
décider quelle priorité accorder à la défense du territoire et à la
défense avancée. Le Canada et l’Australie ont tous deux une
propension à se fier aux autres pour la grande stratégie,
LES DIFFÉRENCES
L
a différence la plus marquante est la culture distincte du
Québec dans la société canadienne et son influence, surtout en
temps de guerre. Le Québec a toujours cherché à sauvegarder ses
droits provinciaux et à se protéger contre l’assimilation car, en
Amérique du Nord, la langue anglaise prédomine. Mais, même
dans ce cas, il y a un équivalent en Australie avec l’influence des
Irlandais catholiques et avec le nationalisme du parti travailliste
australien qui ont cherché à éloigner l’Australie de l’emprise
britannique6. La plus grande menace à peser sur le Canada est
venue de l’intérieur : le risque de désunion basée sur un clivage
linguistique. Par conséquent, l’un des rôles des Forces
canadiennes est de renforcer l’unité nationale en étant une
institution dans laquelle tous les Canadiens peuvent ressentir un
sentiment d’appartenance. Étant donné la divergence des intérêts
et des loyautés dans les régions du pays, le maintien de l’unité
nationale s’est fait aux dépens de la cohérence des politiques
étrangères et de défense du Canada, en particulier pendant les deux
guerres mondiales.
Le Canada se sent, à bon droit et plus que
n’importe quel autre pays, à l’abri des menaces
extérieures; mais cela a créé une certaine
insouciance et a parfois accru la tentation de
limiter, au nom d’une politique de réalisme, les
interventions militaires à l’étranger et de ne
conserver que des capacités de créneau pour
appuyer les objectifs de la politique étrangère
canadienne. Le Canada est membre de
l’OTAN en grande partie à cause de sa
tendance à se tourner vers l’Europe. Le
Canada vit également aux portes de son
principal partenaire commercial et allié, les
États-Unis; les Américains ont eu une
influence
économique,
culturelle
et
idéologique plus profonde sur les Canadiens
que sur les Australiens qui, eux, sont plus
homogènes, plus britanniques et plus
physiquement éloignés des autres pays
« occidentaux ». En outre, la plupart des
échanges commerciaux du Canada se font par
Des soldats du 2nd South Australian Mounted Rifles en Afrique du Sud vers 1900, alors que des troupes
canadiennes et australiennes combattaient aux côtés des Britanniques durant la guerre des Boers.
voies terrestres alors que ceux de l’Australie se
font essentiellement par voies maritimes et
particulièrement en temps de guerre, car les deux pays n’ont pas avec plus de partenaires. Bien que les deux pays aient accepté un
eu beaucoup d’occasions d’exceller dans le domaine militaire au- grand nombre d’immigrants asiatiques, les échanges commerciaux
delà du niveau tactique. Lorsque l’occasion s’en est présentée, les avec l’Asie sont beaucoup plus importants en Australie qu’au
armées du Canada et de l’Australie ont bien fonctionné à certains Canada, ce qui contrebalance l’influence de l’économie américaine
niveaux, mais les commandants et les politiciens des deux pays ont au Canada7.
rarement été invités par leurs alliés à participer à l’établissement
de la stratégie de haut niveau. Aujourd’hui, les forces des deux
Le corollaire militaire de cette différence dans les échanges
pays affinent toutes deux leurs structures de commandement et de commerciaux a été le maintien de capacités amphibies limitées
contrôle au niveau national (ce qui inclut leurs établissements de dans les Forces australiennes de défense, en particulier depuis la
formation), mais elles n’en doivent pas moins développer leur Seconde Guerre mondiale. Le Canada n’a pas maintenu de forces
pleine maturité intellectuelle au-delà du niveau tactique de façon à amphibies, ce qui reflète son sentiment d’avoir la liberté de choisir
pouvoir fonctionner confortablement au niveau stratégique5. Les à volonté ses capacités militaires bien qu’il ait à l’occasion pris des
deux pays ressentent encore l’influence des traditions, des engagements qui semblaient requérir des capacités amphibies et
tactiques et des systèmes de valeurs militaires qu’ils ont hérités qu’il ait de l’intérêt pour les questions de sécurité dans des régions
des Britanniques. Même leurs forces actuelles ont des comme les Antilles (une région qui se compare d’une certaine
ressemblances remarquables. Les armées du Canada et de façon à ce qu’on appelait autrefois les Indes orientales ou à la
l’Australie sont dotées de chars Leopard, de véhicules blindés région du Pacifique du Sud-Ouest pour l’Australie)8. L’Australie
légers construits au Canada, de véhicules blindés M113 modifiés quant à elle est géographiquement éloignée de ses racines
de transport de troupes, d’une structure de force régulière à trois européennes et des autres branches néo-européennes du Nouveaubrigades, de forces de milice (ou de réserve) et de seulement Monde, ce qui la fait se sentir isolée et vulnérable. Les craintes des
environ 25,000 troupes régulières. Les forces des deux pays Australiens ont atteint leur sommet pendant la Deuxième Guerre
utilisent également les avions FA/CF-18, C130 et P3 mondiale alors que les envahisseurs japonais se rapprochaient de
(Orion/Aurora), (l’Australie utilise encore le Caribou CC08 plus en plus de leur pays. Les préoccupations au sujet de menaces
construit au Canada), et leurs marines ont adopté des visant l’Australie ont diminué depuis ce temps, en particulier après
configurations semblables (bien que le Canada, contrairement le retrait des militaires australiens du Vietnam en 1972, bien
à l’Australie, ne dispose pas de navires amphibies).
qu’elles se soient ravivées récemment en partie à cause de
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Revue militaire canadienne
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Automne 2002
La quête d’une identité nationale distinctive dans les deux
pays a peut-être joué un rôle d’égale importance en poussant
certains observateurs à ne pas fouiller des ressemblances qui
auraient contredit la perception du caractère unique de cette
identité. Par exemple, les historiens qui traitent de la bataille
d’Amiens, qui fut si décisive en 1918, adoptent des points de vue
remarquablement différents selon leur nationalité. Les historiens
australiens mentionnent à peine la présence du Corps canadien
alors que les historiens canadiens ignorent tout autant le Corps
australien10; pourtant ces deux corps combattaient côte à côte et
étaient d’égale importance, et la victoire ne fut acquise que parce
qu’ils se battirent ensemble. Seule et, à plus forte raison, sans
l’apport important de la Grande-Bretagne et même de la France, ni
L’ORGANISATION
Bien que les menaces qui pèsent sur le pays n’aient souvent
pas un caractère direct et précis, le sentiment d’isolement des
Australiens fait en sorte qu’ils ne voient pas la place des forces
armées de la même façon que les Canadiens. Le Canada n’a pas
d’équivalent du Anzac Day, une fête légale qui commémore un
haut fait militaire par lequel l’Australie a prouvé son identité
nationale, et les Australiens ont
tendance à considérer que leurs forces
armées jouent un rôle important dans
leur projet national. Le mythe de
« l’homme rude » s’est ajouté au
sentiment de vulnérabilité pour pousser
les planificateurs de la structure de la
force australienne à lui donner une
capacité « à usage général » bien
balancée ( la capacité canadienne est,
quant à elle, « polyvalente »), ayant
plus d’autonomie et étant capable de
s’adapter à une plus grande variété de
circonstances qui pourraient se
présenter à court terme9.
masqué encore plus les traits qu’ils ont en commun avec les
Canadiens. Pour ce qui en est des Canadiens, l’éloignement de
l’Australie, son climat d’antipode, la proximité et le poids des
États-Unis ainsi que les influences européennes ont nuit à une
collaboration plus étroite.
EXPLIQUER POURQUOI
LES LIENS RÉCIPROQUES
SONT SI TÉNUS
P
lusieurs facteurs ont empêché une
plus grande collaboration entre les
forces des deux pays. Tant dans le cas
de l’Australie que du Canada, la
présence d’un puissant ami a éclipsé
toute autre relation, situation que vient Au cours de la bataille d’Amiens, les troupes canadiennes et australiennes combattirent côte à côte et remportèrent
accentuer, entre autres, le manque de une des plus grandes victoires de la Première Guerre mondiale; le 8 août 1918 fut qualifié par le commandant
liens commerciaux solides et le allemand, le général Ludendorff, de « jour noir de l’Armée allemande ».
manque de concurrence sur les
marchés pour lesquels les deux pays exportent le même type de l’une ni l’autre force militaire n’aurait pu obtenir la victoire. Depuis
produits. Par ailleurs, une orientation militaire vers de puissants lors, la quête de l’identité nationale a encouragé, pour des raisons
amis a souvent abouti à l’adoption de doctrine, de structures et d’ordre émotif plutôt qu’au nom de faits concrets, un refus de
d’équipements britanniques ou américains qui devaient être reconnaître ce que les deux pays ont en commun. Dans leurs efforts
modifiés avant d’être appliqués à l’échelle locale plus petite. pour se prouver leur propre identité, l’Australie et le Canada ont
L’adhésion du Canada à l’OTAN et son expérience en Normandie donc eu tendance à se dédaigner l’un et l’autre, un peu comme des
et en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale (en comparaison frères qui chercheraient à impressionner la mère patrie britannique
des engagements de l’Australie en Afrique du Nord, dans l’est de la ou le grand oncle américain. En outre, comme il est le plus ancien
Méditerranée et dans le Pacifique) ont également prédisposé les des dominions qui forment maintenant le Commonwealth et que,
Forces canadiennes à se tourner vers l’Europe pour obtenir d’autres contrairement à l’Australie, il fait aussi partie du G8, ce groupe de
exemples, au moins jusqu’à la fin de la guerre froide, malgré le fait huit pays qui dirigent l’économie mondiale, le Canada a tendance,
que ce pays a lui aussi un littoral qui donne sur le Pacifique et sur on le comprendra, à traiter de haut son plus petit et plus jeune
l’Asie. En outre, un attachement sentimental pour certaines partenaire dans le Commonwealth. Pour leur part, les militaires qui
différences comme les préférences au niveau du sport (hockey sur mettent en pratique la stratégie australienne ont eu tendance à
glace plutôt que rugby, Aussie rules et cricket) ont limité la ignorer l’expérience militaire canadienne à cause de l’approche en
connaissance et la compréhension mutuelles par les sports. Les apparence peu musclée que le Canada adopte dans les missions de
préférences politiques de chaque pays ont aussi souvent été en maintien de la paix et à cause de sa réticence à engager des forces
porte-à-faux, ce qui a fait diminuer les perspectives de terrestres en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale
collaboration; l’Australie a en effet eu tendance à porter des et auprès des troupes américaines et australiennes au Vietnam. En
conservateurs au pouvoir alors que le Canada a plutôt élu des général, les Australiens ne comprennent pas la mentalité des
libéraux (progressistes). Pour les Australiens unilingues, Canadiens toujours préoccupés par l’unité nationale, mentalité faite
l’influence linguistique et culturelle du français au Canada a d’ordre et de modération et qu’incarne pour eux le policier de la
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Revue militaire canadienne
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Ta b l e a u A R T 1 2 2 0 8 ( 4 ) d u A u s t r a l i a n W a r M e m o r i a l
l’immigration illégale. Aujourd’hui, plusieurs Australiens croient,
comme les Canadiens, qu’aucune menace militaire
conventionnelle précise ne pèse sur eux. En fait, le défi de
déterminer une menace crédible rend la vie dure aux planificateurs
de la défense australienne, ce qui n’est pas sans rappeler les
difficultés que connaissent leurs collègues canadiens lorsqu’ils
veulent tenir en échec ceux qui s’opposent à la hausse des
dépenses en matière de défense. Toutefois, étant donné la nature de
l’« arc d’instabilité » au sud duquel se trouve l’Australie, les
responsables de la planification militaire du pays comprennent
clairement que, tout bien considéré, l’Australie doit être capable
de se défendre elle-même.
Ta b l e a u A R T 2 7 5 5 9 d u A u s t r a l i a n W a r M e m o r i a l
Gendarmerie royale du Canada. Les Canadiens, si jamais ils sont au
courant de la mentalité des Australiens, ont tendance à largement
les percevoir comme des gens qui ont une confiance sans nuance et
exagérée en eux-mêmes et dont le prototype est ce rustre
d’« homme rude » que la mythologie australienne appelle un
compte de leur altruisme et de leurs liens émotifs avec la mère
patrie, l’économie de ces trois pays dépendait tellement de la
Grande-Bretagne qu’ils n’eurent guère d’autres choix que de
combattre aux côtés des troupes britanniques pendant les années
qui suivirent12.
Le major-général Sir William Throsby
Bridges, un ancien élève-officier du
Collège militaire royal du Canada de
Kingston, fut le premier Australien à
commander une division; c’était à
Gallipoli, et il y fut blessé mortellement en
1915. Les troupes australiennes et
canadiennes se battirent par la suite
pendant la Première Guerre mondiale en
ayant le sentiment de faire partie de
l’Empire, bien qu’elles se soient rarement
bien entendues, probablement un peu parce
que les deux « frères » ne sentaient ni l’un
ni l’autre le besoin d’impressionner son
homologue ou de s’en attirer les bonnes
grâces. Bien qu’habituellement affectés à
différents secteurs, ils combattirent à tour
de rôle à Passchendaele à l’été et à
l’automne de 1917. L’année suivante, le
Corps canadien et le Corps australien
sebattirent côte à côte et jouèrent un rôle
clé lors de la bataille décisive d’Amiens, le
Opération « Bulimba » en septembre 1942. Alors que les troupes canadiennes s’entraînaient
8 août 1918, qu’on a qualifié de « jour noir
encore en Grande-Bretagne, prêtes à repousser une éventuelle invasion allemande, les troupes
de l’armée allemande ». Ces Corps étaient
australiennes acquéraient l’expérience du combat en Afrique du Nord.
commandés par deux des meilleurs
généraux que les alliés ont produits
« digger ». Il serait peut-être temps que les Australiens et Canadiens pendant la guerre : le lieutenant-général canadien Sir Arthur
abandonnent de tels stéréotypes d’adolescents. Sans nier les Currie et le lieutenant-général australien Sir John Monash13.
différences de situation, il faut reconnaître qu’il existe un nombre Chaque Corps subit des pertes évaluées à environ 60 000 morts14.
surprenant de parallèles durables entre les deux pays, ce qui laisse Vers la fin de la Première Guerre mondiale, le sens de l’identité
deviner les avantages qu’il y aurait pour eux à travailler plus nationale s’était accru et au Canada et en Australie. Les sacrifices
étroitement ensemble afin de répondre et de s’adapter au nouvel consentis sur les champs de bataille leur permirent d’atteindre et
environnement de sécurité dans le monde et à la révolution dans les d’affirmer leur pleine maturité nationale et de jouer un rôle plus
affaires militaires qui est en cours. Pour que de telles comparaisons important sur la scène mondiale, ce dont témoigne le fait que c’est
soient utiles, il faut mieux en comprendre l’étendue et les en tant que nations distinctes que le Canada et l’Australie
signèrent le traité de Versailles en 1919, leur premier traité
limitations en les replaçant dans leur contexte historique.
international.
RÉEXAMINER L’HÉRITAGE COMMUN
u début du XXe siècle, la Grande-Bretagne était la seule
puissance vraiment mondiale. Toutefois, après les deux
guerres mondiales qui l’affaiblirent, la Grande-Bretagne était
devenue une puissance secondaire par comparaison aux ÉtatsUnis. Parallèlement à ce changement, tant le Canada que
l’Australie devinrent moins dépendants, acquirent une plus grande
maturité industrielle et développèrent un sens plus poussé de leur
identité, ce qu’avaient déjà annoncé les événements du temps de
guerre. Pourtant, tout au long de cette période, le Canada et
l’Australie continuèrent à simplement réagir aux événements et
eurent habituellement assez peu l’occasion d’influencer la
stratégie.
Une mythologie de la Grande Guerre s’est développée
pendant l’entre-deux-guerres; elle insistait sur le fait que, afin
d’éviter d’énormes pertes de vies humaines, il fallait se tenir loin
des imbroglios européens et, du moins dans le cas du Canada,
entretenir une relation plus étroite en matière de sécurité avec le
voisin américain. Les sacrifices sanglants et disproportionnés
qu’avaient connus les Canadiens rendaient l’isolationnisme
américain attirant pour plusieurs d’entre eux. Cet état d’esprit
amena le Canada à laisser sa capacité de défense s’atrophier
jusqu’à ce que les événements du milieu des années 1930 ne
provoquent son expansion. Pendant toute cette période l’Australie
et le Canada ont également cherché à éviter les engagements de
traités formels, ce qui témoigne bien de la réticence des libéraux
canadiens à souscrire à des engagements en Europe et, à un niveau
moindre, de celle des dirigeants du parti travailliste australien,
dont un bon nombre était d’origine irlandaise15.
Les événements qui se produisirent au XIXe siècle donnèrent
lieu à des mesures de défense semblables dans les deux pays à
l’aube du XXe siècle. Par exemple, les craintes que la Russie
suscita vers la fin des années 1870, provoquèrent la mise en place
d’installations de défense côtière pour protéger les ports du
Canada et de l’Australie11. Pendant la guerre des Boers, des unités
d’infanterie à cheval de l’Australie, du Canada et de la NouvelleZélande furent intégrées à une brigade commandée par le majorgénéral Hutton et prirent part aux combats. Si l’on ne tient pas
Une partie de la différence entre les deux pays et entre la
place qu’y occupent les forces armées dans la mentalité collective
s’explique à la fois par la façon dont s’est confirmée leur identité
nationale et par les événements de la Première Guerre mondiale.
Pour les Australiens, l’événement qui a servi de catalyseur, c’est
Gallipoli. L’événement comparable pour le Canada, ce fut la
bataille de la crête de Vimy, bien que l’histoire militaire antérieure
canadienne et que les retombées amères de la politique intérieure
du Canada au sujet de la conscription en temps de guerre aient fait
De l’imitation des modèles britanniques
jusqu’à l’expérience de Corée
A
48
Revue militaire canadienne
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Automne 2002
Avec à l’esprit l’expérience de deux guerres mondiales et
conscients du peu de place que les grandes puissances leur
laisseraient au plan international, le Canada et l’Australie
décidèrent que ce dont les deux pays avaient besoin pour l’ère de
l’après-guerre, c’était des forces aptes au combat. Avoir de telles
forces assurerait, du moins partiellement, que la politique
étrangère des deux pays soit compatible avec les capacités
militaires dont ils disposaient déjà pour promouvoir leurs intérêts
nationaux et améliorer leur statut de moyennes puissances. Ce
genre de forces permettrait également d’éviter de répéter les
expériences vécues pendant les deux guerres mondiales, entre
autres, de subir des pertes considérables en déployant des forces
mal entraînées et mal équipées contre des forces ennemies
professionnelles et déterminées.
L’ORGANISATION
En Australie, le mythe de « l’homme rude » apparut et vint
renforcer le sens de l’identité nationale tout en permettant de
rationaliser les horreurs de la guerre. Sans grand-oncle américain
à proximité et étant donné le manque de conviction des efforts de
la Grande-Bretagne à défendre Singapour, l’Australie n’a jamais
acquis la même assurance de soi que le Canada. La GrandeBretagne accorda l’autonomie virtuelle à l’Australie et au Canada
par le traité de Westminster en 1931 (bien que l’Australie ait
attendu jusqu’en 1942 pour adopter une loi qui ratifiait ses
dispositions), ce qui fit de ces deux pays des puissances mineures,
mais pas encore des moyennes puissances.
l’Australie ressemblait à celle des Forces canadiennes qui prirent
part à la libération de la Hollande: ses troupes étaient postées en
périphérie du théâtre des opérations et étaient chargées d’éliminer
la résistance des Japonais par des opérations amphibies, y compris
dans les possessions hollandaises d’Indonésie.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il y eut des
différences entre les efforts des armées des deux pays, et leurs
En Corée, les troupes australiennes et canadiennes
troupes terrestres eurent très peu de contacts directs lors des combattirent vaillamment côte à côte lors de la bataille de Kapyong
opérations même si leurs forces aériennes collaborèrent étroitement en avril 1951; le deuxième bataillon du Princess Patricia’s
dans le cadre du Programme d’entraînement aérien du Common- Canadian Light Infantry et le troisième bataillon du Royal
wealth britannique18. Le
Canada et l’Australie
déployèrent dans divers
endroits isolés en Asie de
petits groupes de soldats
qui tentèrent en vain de
retenir la poussée des
troupes japonaises. Toutefois, le gouvernement
canadien ne voulait pas
trop tôt « se lancer dans la
bataille » de la guerre
terrestre19. Les électeurs
australiens étaient d’ardents
défenseurs de la guerre
alors que les opinions au
Canada n’étaient pas dans
l’ensemble aussi tranchées.
Par conséquent, l’Armée
canadienne n’a pas pu
participer aux combats en
Afrique du Nord et a
continué à s’entraîner en
Angleterre en se contentant
de regarder les autres
armées du Commonwealth Des Australiens à l’œuvre contre les Japonais à Buna en Nouvelle-Guinée où ils affinèrent leur expertise des combats
raffiner leurs techniques de dans la jungle.
combat, remplacer des
commandants incompétents et améliorer leurs aptitudes au combat. Australian Regiment se méritèrent alors une citation du président
Sentant la nécessité de faire davantage que de contribuer à défendre des États-Unis pour avoir contribué à contrer une offensive
les côtes de l’Angleterre, le Canada lança un raid avorté sur Dieppe chinoise en utilisant des organisations et des équipements
en 1942 et, dans le cadre de la stratégie globale des alliés en Sicile communs inspirés du modèle britannique. Au moment où la guerre
et en Italie, il joua par la suite un rôle que certains qualifieraient de de Corée se trouvait dans une impasse, les deux pays ont affecté des
mineur quoiqu’il ait exigé de durs combats. Au moment de forces à la seule formation terrestre intégrée faite de troupes de
l’invasion de la Normandie, les généraux canadiens n’avaient pas pays du Commonwealth à jamais avoir été créée, la 1st
l’expérience et la confiance nécessaires pour s’échapper de la tête Commonwealth Division, bien que l’Australie et le Canada aient à
de pont20. Au cours des mois qui suivirent, l’Armée canadienne a ce moment déjà commencé à adopter l’équipement, sinon la
joué un rôle difficile mais secondaire dans la zone côtière de la doctrine des États-Unis. À la fin de la guerre, l’Australie et la
poussée des alliés en Europe de l’Ouest, là où des capacités Nouvelle-Zélande avaient réussi formé une alliance avec les Étatsamphibies étaient en demande.
Unis connue sous le nom de ANZUS Pact que les trois pays
signèrent en 1952. Cette alliance rassura les Australiens et leur
Malgré leurs courageux et louables efforts dans leur lutte servit de justification pour limiter, tout comme les Canadiens, leurs
contre les Japonais en 1942 et 1943, les Australiens, dirigés et dépenses de défense. Le pacte de l’ANZUS montrait également que
dominés par le général MacArthur, n’avaient guère plus qu’un rôle les forces australiennes s’orientaient de plus en plus vers une
de soutien à jouer en 1944 et en 1945. La situation difficile de interopérabilité accrue avec les Américains.
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Ta b l e a u A R T 2 7 5 4 7 d u A u s t r a l i a n W a r M e m o r i a l
de la bataille de Vimy un symbole national moins fort et moins
remarquable16. Au Canada, l’héritage de la Première Guerre
mondiale se serait plutôt fait sentir dans le clivage du système des
partis politiques qui a reposé en partie sur une prise de conscience
de la division et des coûts qu’engendre, particulièrement au
Québec, un engagement envers l’Empire lorsque vient le moment
d’une élection17.
Pendant la première moitié du XXe siècle, l’approche du
Canada quant aux questions de sécurité nationale a varié, passant
de l’impérialisme d’avant la Première Guerre mondiale à
l’isolationnisme et aux mesures de défense du territoire durant
la période de l’entre-deux-guerres, pour en venir à
l’internationalisme de l’époque de la guerre froide21. Il y a à ce
propos un large et remarquable parallèle à faire avec l’Australie. En
temps de paix, les gouvernements canadien et australien préféraient
s’occuper de la défense du territoire et avoir de petites forces
armées et ils se montraient réticents à accepter des engagements
internationaux. En revanche, en temps de guerre, les deux pays
apportaient une énorme contribution à la défense collective. Cette
double approche les laissa mal préparés à affronter les crises
avec l’OTAN en Europe et avec les États-Unis dans le cadre du
commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord,
le NORAD. Ces engagements permirent au Canada d’utiliser ses
forces sur la scène mondiale comme monnaie d’échange pour
favoriser ses intérêts nationaux. En outre, comme il avait
privilégié des forces mécanisées, il lui fallut mettre l’accent sur le
travail en équipe plutôt que sur la débrouillardise individuelle, ce
qui reflétait l’influence de l’OTAN et des États-Unis. Au début de
la guerre froide, le Canada dut également tenir compte de la
position qu’il occupait maintenant à l’avant-plan de l’espace
stratégique de défense des États-Unis. En contribuant à donner de
la crédibilité à la politique de dissuasion (à travers NORAD et, à
un niveau moindre, à travers la coopération navale en Amérique du
Nord), Ottawa croyait qu’il
contribuait dans son ensemble à la
défense collective de l’Occident22.
En outre, dès le début, sa
participation à la Force d’urgence
des Nations Unies (FUNU) en
Égypte, en 1956, donna le ton de ce
qui deviendrait une façon
typiquement canadienne de se
servir de la force militaire. Le rôle
de chef de file du Canada dans la
FUNU a été une des meilleures
preuves de l’utilité des forces
armées comme instrument de
confirmation de la puissance du
pays grâce à leur capacité de
projeter rapidement des forces
autonomes pour effectuer des
opérations, une capacité qui a
donné du prestige au Canada sur la
scène internationale et lui a mérité
des faveurs économiques de la part
des Américains reconnaissants23. À
partir de ce moment, participer aux
missions de maintien de la paix des
Nations Unies a fait partie de
l’identité canadienne, ce qui
permettait au pays de se distinguer
par son idealpolitk sans nuire à son
rôle dans la défense de l’Europe et
de l’Amérique du Nord.
Villes canadiennes
Villes australiennes
Superposition d’une carte de l’Australie sur une carte du Canada. Ces deux pays ont un nombre remarquable
de ressemblances dans leurs caractéristiques géographiques, historiques, culturelles et militaires.
militaires de 1914, 1939 et 1950. Comme il fallait s’y attendre, les
ressemblances sont évidentes quant à la structures de la force et aux
méthodes opérationnelles et quant à la taille plutôt modeste des
forces et aux ressources financières limitées dont elles disposent.
Ces ressemblances restaient évidentes même si les politiques
étrangères du Canada et de l’Australie différaient parfois. La guerre
froide fera apparaître une nette différence entre les deux pays au
niveau militaire puisque le Canada s’intéressera surtout à l’Europe
alors que l’Australie se tournera plutôt vers l’Asie.
Un certain éloignement durant l’époque
de la guerre froide
A
près la guerre de Corée, le Canada et l’Australie ont accordé
la priorité aux forces régulières plutôt qu’aux forces de
réserve ou de la milice, ce qui a permis à leurs forces de devenir de
plus en plus professionnelles. Avec l’arrivée des bombardiers et
missiles intercontinentaux, le Canada cessa d’être un lieu a l’abri
du danger; pour sa part, l’Australie devenait de plus en plus
préoccupée par les mouvements révolutionnaires qui suivirent la
décolonisation dans les pays au sud desquels elle est située. La
sécurité du Canada reposait essentiellement sur le rôle qu’il jouait
50
Les missions de maintien de
la paix de l’ONU demandaient
habituellement des contingents de taille modeste qui faisaient face
à un faible niveau de risque réel de pertes importantes et qui se
déployaient pour des périodes de temps assez courtes24. Ces
missions servaient également de justification utile pour réduire le
budget de défense, la taille des forces armées et les capacités
opérationnelles; elles permettaient également de s’assurer que,
même avec un budget réduit, les Forces canadiennes continueraient
de « poursuivre la politique par d’autres moyens » afin de garantir
que le Canada aurait voix au chapitre sur la scène internationale. Le
Canada avait une grande liberté dans le choix de sa structure de
force puisque les planificateurs n’avaient pas à faire face aux
graves conséquences d’une erreur, ce qui n’était pas le cas de leurs
collègues américains. Cette approche « d’altruiste » libéral servit
à perpétuer l’image d’intermédiaires honnêtes des Canadiens,
approche que leurs « frères des antipodes », qui étaient plus
vulnérables, plus isolés et devaient plus compter sur eux-mêmes, ne
pouvaient pas se permettre. L’alignement des relations en matière
de sécurité laissait peu de choix à l’Australie dans ses rapports avec
ses « grands et puissants amis ».
De 1957 à 1965, au fur et à mesure que l’Australie s’ajustait
aux nouvelles réalités économiques et stratégiques, l’Armée
Revue militaire canadienne
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Automne 2002
Au Canada, cette période a été marquée par plusieurs crises
dans le domaine de la défense, entre autres, l’abandon de l’Avro
Arrow, la crise autour des missiles Bomarc et celle des missiles à
Cuba. Ces crises ont fait ressortir les nouvelles réalités auxquelles
le Canada était confronté. Comme le Canada semblait devenir de
plus en plus dépendant des États-Unis, il ne pouvait pas quitter le
NORAD, et les Forces canadiennes ne pouvaient pas redevenir des
forces fondées sur une milice, mais elles pouvaient se lancer dans
une réorganisation interne radicale.
À partir du milieu des années 1960, l’unification et
l’intégration devinrent des caractéristiques uniques de l’expérience
militaire canadienne. L’Australie a évolué beaucoup plus lentement
vers l’unification ou les services « conjoints » (mais pas vers
l’intégration)25. Les efforts australiens quant à la coopération
interarmées ont été freinés par les obligations que l’Australie avait
envers la Grande-Bretagne en Malaisie et à Bornéo et, ensuite,
envers les États-Unis au Vietnam, où les Australiens se rendirent
compte que les tactiques américaines ne leur convenaient pas26. Des
unités de l’Armée, de la Marine et de la Force aérienne de
l’Australie travaillaient avec leur équivalent britannique et
américain, mais la coopération interarmées entre les divers services
australiens était peu développée. Toutefois, ces expériences ont
contribué à doter l’Australie de forces robustes et bien préparée, y
inclus des forces spéciales aguerries; mais elles ont également eu
pour effet de freiner les efforts visant à améliorer la coopération
interarmées et les mécanismes de commandement et de contrôle de
niveau national. Au cours de la guerre du Vietnam et, plus tôt, lors
des opérations de combat dans la jungle de Bornéo et de Malaisie,
c’étaient les capacités individuelles de chaque soldat australien qui
comptaient le plus, contrairement à l’insistance sur le travail
d’équipe qui avait cours dans les forces mécanisées du Canada. Cet
accent mis sur les capacités individuelles a renforcé l’importance
de la débrouillardise dans les opérations en petites unités.
Après la guerre du Vietnam, l’Australie accorda beaucoup plus
d’importance à l’autosuffisance en matière de défense et abandonna
en fait la stratégie de défense avancée. Ce repli dans la « forteresse
Australie » a eu pour équivalent en 1969 au Canada la réduction de
moitié des troupes canadiennes affectées à l’OTAN, ce qui a amené
certains à dire que ce pays n’avait plus qu’une présence symbolique
en Europe. Dans les années qui suivirent la guerre du Vietnam
l’Australie mit l’accent sur la défense continentale, et il s’ensuivit
qu’une meilleure intégration des divers secteurs des forces armées
devint une plus grande priorité. Par conséquent, les Forces de
défense australiennes furent dotées d’une structure conjointe de
commandement qui ressemble aujourd’hui étonnamment à celle du
Canada; cette structure de commandement se rapproche d’ailleurs
beaucoup plus de celle du Canada que de celle de la GrandeBretagne ou des États-Unis.
La participation du Canada et de l’Australie à plusieurs
missions de maintien de la paix au cours de la période de la guerre
froide témoigne du fait que les deux pays partageaient la même
orientation quant à ce genre d’opérations. Pour l’Australie, de
telles opérations ont eu peu d’effets sur les structures militaires
puisque la priorité est demeurée axée sur des capacités de combat
adaptées aux menaces qui risquaient de se présenter dans le
voisinage de l’Australie. En revanche les efforts de maintien de la
paix du Canada ont permis au pays de se mériter des éloges sur la
scène internationale; pourtant ses forces armées ont tellement été
Automne 2002
●
Revue militaire canadienne
affaiblies de 1970 à 1990 que des opérations comme celles que le
Canada a menées en Égypte en 1956 (ce qui incluait la projection
coordonnée de forces aériennes, terrestres et maritimes capables
d’autosuffisance) et qui furent tant louées, dépassaient maintenant
la capacité de ses forces d’après la guerre froide.
En 1989, les structures de la force en Australie et au Canada
avaient été modifiées de façon majeure par comparaison à celles
qui existaient au moment où les deux pays combattaient côte à
côte en Corée; pourtant ces nouvelles structures se ressemblaient
encore beaucoup l’une l’autre. Pour les planificateurs militaires
australiens, les relations avec la Grande-Bretagne gardèrent leur
importance jusqu’à la fin des années 1960. Le Canada a
également conservé des liens militaires étroits avec la GrandeBretagne jusqu’à la fin des années 1960 et a maintenu des forces
mécanisées au sein de l’Armée britannique qui était stationnée le
long du Rhin en cas de guerre en Europe (ces troupes furent
ensuite déplacées au sud de l’Allemagne pour servir de réserve
aux forces américaines et allemandes). Les Forces canadiennes
accordaient aussi une grande importance à leur rôle de gardien de
la paix. Pour leur part,
jusqu’en 1975 à tout
Le Canada et l’Australie
le moins, les Forces
australiennes de défense
savent qu’ils ne peuvent pas
se sont spécialisées
se permettre de grandes
dans la guerre à pied et
forces
aptes à se déployer
dans la guerre de jungle.
rapidement; mais ils
À partir de ce moment,
les structures des deux
peuvent, et ils y travaillent,
armées se rapprochèrent
se doter de forces de qualité
à nouveau de façon
qui peuvent apporter
importante puisque les
deux pays cherchèrent
une avantage au
chacun à avoir et à
niveau statégique.
maintenir une combinaison de forces
légères et de forces mécanisées. L’Australie a adopté son
approche de « défense continentale » après la guerre du
Vietnam; cette approche inclut les opérations motorisées ou
mécanisées tout autant que les opérations de maintien de la paix,
bien qu’on n’y laisse pas les opérations de maintien de la paix y
déterminer la structure de la force. Les approches australienne et
canadienne de la structuration de la force et de la sécurité extérieure
avaient auparavant entre elles des ressemblances durables et
plusieurs différences importantes. Toutefois, au cours des années
qui suivirent la guerre froide, elles sont devenues encore plus
semblables à mesure que la mondialisation de la sécurité suscitait
plusieurs opérations militaires sous la direction de l’ONU et
d’autres organisations. Depuis la crise de Suez en 1956, le Canada
voulait de façon évidente être reconnu comme un « gardien de la
paix ». Dans le cas de l’Australie, les raisons de se lancer dans le
métier de gardien de la paix n’allaient se manifester que très
lentement pour devenir plus marquées au cours des années qui
suivirent la guerre froide. Comme le gouvernement ne leur
fournissait qu’un budget limité, les opérations de maintien de la
paix donnaient aux forces armées l’occasion de se lancer dans des
activités opérationnelles. En particulier après la guerre du Vietnam,
les Forces australiennes de défense considérèrent les opérations de
maintien de la paix comme une façon d’acquérir de l’expérience
opérationnelle et de garder leur utilité et leur professionnalisme. En
outre, le gouvernement australien songeait à contribuer de façon
limitée aux missions dirigées par les États-Unis et par l’ONU afin
de promouvoir les intérêts de sa politique étrangère.
Un nouveau rapprochement après la guerre froide
L’
Australie et le Canada ont appuyé les efforts des Américains
pendant la guerre du Golfe en 1991, mais ils n’y ont
contribué que de façon limitée. Néanmoins, l’impact de cette
guerre sur leurs structures de force a été important. La révolution
51
L’ORGANISATION
australienne connut plusieurs réorganisations; force essentiellement basée sur la réserve ou la milice, elle devint une force
régulière mieux apte à se déployer facilement. Cette période a
correspondu à une réorientation en fonction des États-Unis qui se
refléta dans des modifications au niveau de l’organisation militaire
et des équipements (et à un niveau moindre dans les tactiques et
dans la doctrine), ce qui n’interdisait pas d’adopter à l’occasion
des idées ou des technologies européennes.
dans les affaires militaires (RAM), que facilita la révolution de
l’information et que la guerre du Golfe mit en évidence, a
démontré que la haute technologie s’applique à l’ensemble des
méthodes de guerre moderne. Au cours des années qui suivirent, la
numérisation des forces terrestres et la « guerre de l’information »
occupèrent de plus en plus de place, et ce sont les États-Unis qui
en étaient les premiers promoteurs. Les autres pays, y compris le
Canada et l’Australie, ont tenté de trouver un équilibre entre le défi
financier de maintenir une interopérabilité avec les forces
américaines et les avantages que cette interopérabilité présente.
L’Australie se lança dans la RAM qu’elle voyait comme une façon
d’avoir une longueur d’avance sur des rivaux potentiels alors que,
au Canada, malgré les mises à jour du CF-18 des Forces aériennes,
on a privilégié des choix moins coûteux destinés aux opérations
terrestres de faible intensité, ce qui n’incitait pas les forces armées
à se lancer vigoureusement dans la RAM. Toutefois, le Canada a
profité de cette nouvelle technologie parce qu’il est voisin des
États-Unis qui sont aussi son principal partenaire commercial.
Les dividendes d’après-guerre froide ont été suivis par des
réductions importantes des forces militaires tant au Canada qu’en
Australie, ce qui s’est traduit par un traumatisme organisationnel
pour les deux armées. C’est au cours de cette période que
l’Australie tenta de mettre en place la structure nommée Army 21
qui connut tant de déboires et qui correspondait à la dernière étape
de la stratégie de défense continentale de l’après-guerre du
Vietnam. Au Canada, cette période fut marquée par le retrait des
troupes d’Europe et, par conséquent, la planification de la guerre
froide que faisait l’OTAN devenait moins importante pour
l’Armée canadienne. De plus, les forces armées du pays
connurent des réductions aussi spectaculaires que démoralisantes
au cours de cette période, et on conçut une nouvelle approche en
matière de sécurité et de structuration de la force qui mettait
l’accent sur l’utilisation de forces légères et faciles à déployer
dans des opérations de l’OTAN, de l’ONU ou de coalition.
Avec la fin de la guerre froide, les opérations de maintien de
la paix se transformèrent. En effet, les opérations classiques de
maintien de la paix où les soldats du maintien de la paix
s’interposaient entre des parties belligérantes, genre d’opération
pour lesquelles les troupes canadiennes avaient acquis une
expérience considérable, furent remplacées par des opérations de
soutien de la paix plus complexes et plus exigeantes. Les Forces
canadiennes ont fini par comprendre que l’imposition de la paix,
même si elle est plus exigeante, est une forme tout à fait valable
du maintien de la paix; il faut cependant avouer que les
politiciens et la communauté civile semblent avoir mis plus de
temps à reconnaître que les choses avaient changé27. Pendant
plusieurs années, le Canada a semblé prêt à consacrer davantage
d’efforts à structurer sa force en fonction de ce type de missions
et ce, même aux dépens des capacités de combat. L’Australie, à
cause de ses préoccupations géostratégiques différentes, a adhéré
fermement à la règle selon laquelle les exigences des missions de
soutien de la paix ne devaient pas être le moteur principal de la
structuration d’une force. Du point de vue de l’Australie, il fallait
certes appuyer avec enthousiasme les efforts de soutien de la paix,
mais uniquement avec des forces telles qu’elles étaient déjà constituées, c’est-à-dire des forces structurées essentiellement en
fonction des opérations de combat. Pourtant, au cours de la
décennie qui a suivi la chute du mur de Berlin, une ressemblance
saisissante est, encore une fois, apparue puisque le Canada ne
mettait plus l’accent sur les opérations mécanisées en Europe, et
que l’Australie avait remplacé sa stratégie de planification basée
sur des attaques peu plausibles contre le continent australien par
une stratégie orientée sur des scénarios plus probables se
produisant à l’étranger.
L’Australie et le Canada ont affecté à peu près le même genre
de forces de combat et d’éléments de soutien aux opérations en
Somalie, y compris des groupes-bataillons d’infanterie légère
52
avec soutien mécanisé et des éléments de commandement
organisés de façon semblable et formés de membres de l’étatmajor de leurs quartiers généraux interarmées28. Toutefois, en
dépit du fait que les tâches assignées et les forces affectées étaient
comparables, et malgré la haute estime que les organisations
humanitaires et les autres forces armées présentes en Somalie
accordaient tant aux troupes canadiennes qu’australiennes,
l’héritage que ces opérations ont laissé dans les deux pays est fort
différent29. Depuis plusieurs années, on demandait aux Forces
canadiennes de faire plus avec moins, et les problèmes d’une
force armée débordée ont atteint des proportions de crise à la suite
du déploiement en Somalie quand les Canadiens furent révulsés
d’horreur devant les révélations troublantes au sujet des crimes
commis par des membres de leur Régiment aéroporté. Pour
l’Australie, les opérations en Somalie ont été une occasion de
valider et de raffiner les structures de sa force, y inclus la
nécessité de maintenir des capacités amphibies pour la projection
des forces. L’expérience a confirmé la nécessité d’avoir des
capacités solides et bien équilibrées; elle a aussi démontré le bien
fondé de mettre l’accent sur les capacités individuelles de chaque
soldat qui sont si importantes à l’ère de l’information où l’effet du
« caporal stratège » existe.
Dans les années 1990, il y a également eu un changement quant
aux opérations d’imposition de la paix autorisées par les Nations
Unies qu’on a eu tendance à remplacer par des missions de
coalition; le Canada a aussi adopté une approche plus sélective en ce
qui a trait aux missions de soutien de la paix qu’il acceptait. Comme
les missions du milieu et de la fin des années 1990 laissaient de plus
en plus voir les faiblesses de l’ONU, ceux qui y participaient étaient
devenus méfiants au sujet du contrôle exercé par l’ONU; aussi les
missions de l’ONU furent-elles données en sous-traitance à des
organisations comme l’OTAN ou à des « coalitions de volontaires ».
Le Canada a également fait des contributions importantes à la force
principale des missions de l’ONU et de l’OTAN en Bosnie et au
Kosovo. Le maintien de la force est devenu une question de
première importance au Canada puisque le principe du « tôt
engagé, tôt parti » n’a pas été facile à appliquer et que la nécessité
de faire la rotation des unités a épuisé les troupes.
L’expérience canadienne dans les Balkans diffère
énormément de celle des Australiens au Timor oriental où ils
dirigèrent une mission, quoique les deux armées en tirèrent
plusieurs leçons semblables et y précisèrent plusieurs exigences
communes pour leurs structures de force. La clé du succès au Timor
oriental fut l’utilisation d’une structure de commandement unifiée
et solide, et le déploiement de forces bien équilibrées. Les médias
ont aussi joué un rôle majeur qui a permis « de conditionner et
d’influencer » les événements « sans avoir trop recours à la force »
de façon à minimiser les dommages collatéraux tant physiques que
politiques. La mission reçut le concours de troupes de vingt-deux
nations, y inclus une compagnie renforcée du Royal 22e Régiment.
Sa présence a été un important rappel de l’héritage et de la vision
que les armées du Canada et de l’Australie ont en commun et elle
a montré que les deux armées sont prêtes à affronter ensemble le
danger, même dans les endroits reculés du monde. La mission au
Timor oriental a également démontré les mérites de solides
capacités de projection de la force, ce qui inclut des éléments
aériens et maritimes pour l’appui et le maintien des opérations des
forces terrestres dans des régions éloignées.
L’Australie, comme le Canada, a eu le choix de décider du
type de forces dont elle avait besoin. Les structures de force
conçues en fonction des opérations de combat étaient un élément
essentiel de la contribution que l’Australie pouvait apporter aux
missions de maintien de la paix; c’est pourquoi on a fait des
efforts particuliers pour s’assurer de disposer de forces (spéciales,
légères et mécanisées) bien équilibrées et capables de se déployer
rapidement par transport aérien ou par transport amphibie.
Cependant, alors que la demande de contributions en forces
Revue militaire canadienne
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Automne 2002
Suivre le leader dans la guerre au terrorisme
D
epuis le 11 septembre 2001, le Canada et l’Australie ont
affecté des troupes à la guerre contre le terrorisme, et cela a
des conséquences sur leurs structures de force. La sécurité du
territoire national prend une importance accrue, ce qui entraîne
une interaction plus étroite avec les autres services intérieurs de
sécurité et d’urgence. Des pressions se font sentir dans les deux
pays pour éliminer les barrières entre les divers organismes de
sécurité. Au fur et à mesure que la ligne se brouille entre les
fonctions de la police et celles de la sécurité militaire, les deux
pays font face à des contraintes constitutionnelles et légales
similaires quant aux libertés civiles. En outre, les deux pays sont
dotés de petits secteurs industriels de la défense qui sont avides
d’être associés à la haute technologie et aux industries de la RAM.
D’une certaine façon, l’Australie était bien placée pour s’ajuster au
monde qui a surgi après les événements du 11 septembre; elle a en
effet une police paramilitaire et des forces spéciales plus
importantes et elle vient de réorganiser ses mesures de sécurité
intérieure dans le cadre des Olympiques de 2000 à Sydney; les
forces de la police fédérale et de la police des états ont alors
travaillé étroitement avec les Forces australiennes de défense.
C’est avec enthousiasme que le Canada s’est lancé dans la lutte
contre le terrorisme, et il a lui aussi réorganisé sa capacité de
répondre aux urgences civiles grâce à son groupe de forces
spéciales plus récent et plus petit que celui de l’Australie; cette
mesure reflète, du moins en partie, son désir de réduire ses
difficultés de frontière avec les États-Unis. La nécessité d’une
collaboration et d’une intégration plus étroites entre le Canada et
les États-Unis s’est d’ailleurs accrue depuis que le Canada a signé
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) au début des
années 1990.
À l’étranger, l’Australie et le Canada ont assumé des rôles de
soutien importants aux côtés des forces américaines en Afghanistan
et dans le golfe Persique où ils ont été confrontés à des problèmes
similaires de coordination et de collaboration. Le fait de participer
comme des partenaires à une coalition dirigée par les États-Unis a
donné une importance encore plus grande à l’interopérabilité et à
de solides capacités de projection de la force. On a beaucoup parlé
de forces spéciales, d’armes de précision à longue portée ainsi que
d’opérations d’information; et tant l’Australie que le Canada
pensent à réorganiser la structure et la combinaison de leurs forces
et, en même temps, ils cherchent à trouver, au moindre coût, un
juste milieu pour faire face aux implications de ce qui semble être
une nouvelle façon de faire la guerre.
Aujourd’hui, le Canada et l’Australie voient leurs intérêts de
sécurité surtout en termes d’alignement avec les États-Unis, et
l’interopérabilité est l’élément clé d’une collaboration plus
poussée. Le Canada semble décidé à renforcer ses liens militaires
avec les États-Unis, bien que certains se demandent si le Canada a
la volonté politique d’aller aussi loin dans ce domaine que
l’Australie semble prête à le faire. Quoi qu’il en soit, les
événements récents obligent à réexaminer les structures de combat
afin de déterminer la combinaison appropriée des forces et des
équipements. Ces circonstances montrent à l’évidence que le
Canada et l’Australie ont tout intérêt, maintenant plus qu’au cours
des années passées, à se tourner davantage l’un vers l’autre.
CONCLUSION : ENLEVER LES ŒILLÈRES
L
es ressemblances entre ces deux nations tellement éloignées
par la géographie sont saisissantes et elles existent depuis plus
d’un siècle, ce qui révèle une proximité qui dément le flux et le
Automne 2002
●
Revue militaire canadienne
reflux des différences culturelles, stratégiques et politiques qui les
a amenées à adopter des stratégies divergentes pendant la guerre
froide. Aujourd’hui, les deux pays pourraient apprendre l’un de
l’autre afin d’avoir une plus grande flexibilité et d’accroître leur
efficacité. Ils pourraient sans doute également améliorer leur
indépendance fonctionnelle en mettant leurs ressources en
commun, tout en augmentant l’utilité qu’ils pourraient avoir aux
yeux de la seule superpuissance du monde30.
Cependant, pour réaliser de tels gains, il faudra toujours
garder à l’esprit les caractéristiques qui distinguent ces deux pays,
en particulier leurs différentes positions géostratégiques. La
proximité du Canada et des États-Unis, et la protection offerte par
les Américains ont permis aux Canadiens de trouver des
justifications pour ne pas prendre la défense aussi au sérieux que
les Australiens, qui sont plus éloignés, plus isolés et plus inquiets.
En fin de compte, le critère qui sert à juger une quelconque
politique canadienne se ramènerait à la préservation de l’unité
nationale. Ainsi que le soutient Joel Sokolsky, cette véritable
jonglerie politique a forcé le Canada à rechercher, pendant la
majeure partie du XXe siècle, sa propre zone de confort. Pendant
plus de cinquante ans, c’est ce qui a amené le Canada à demeurer
membre de l’OTAN et du NORAD, mais aussi à éviter de
s’embourber dans des guerres limitées à l’étranger. Cette formule
a permis aux maîtres politiques des Forces canadiennes
d’accorder, du moins jusqu’à récemment, très peu d’attention aux
affaires militaires qui débordaient ces paramètres31. Les
événements récents indiquent que l’évolution des deux armées les
rapproche à nouveau; le Canada et l’Australie peuvent envoyer en
Somalie, au Timor oriental ou en Afghanistan des troupes
semblables et ayant des organisations et des équipements
similaires et se déployer côte à côte comme ils le firent dans le
passé sous la direction de la Grande-Bretagne, mais sans alors
prendre le temps de s’apprécier réciproquement.
Comme les opérations de Somalie, des Balkans, du Timor
oriental et de l’Afghanistan l’ont démontré, l’écart entre maintenir
des forces terrestres de combat pour des opérations de guerre ou
pour des opérations de soutien de la paix s’est rétréci. En outre, à
l’ère de l’information mondiale, déployer des forces terrestres
prouve la qualité d’un engagement de façon beaucoup plus visible
et politiquement valable que ne le fait un déploiement par nature
transitoire de forces aériennes et de forces maritimes; et un tel
engagement a plus de chance d’influencer l’opinion des alliés. Par
conséquent, en particulier lorsqu’on considère le risque accru de
pertes de vies humaines, ce qu’il exige en ressources déjà rares et
sa visibilité médiatique importante, le déploiement de forces
terrestres demeure la mesure ultime du degré d’engagement d’un
pays32. Le Canada et l’Australie savent qu’ils ne peuvent pas se
permettre de grandes forces aptes à se déployer rapidement; mais
ils peuvent, et ils y travaillent, se doter de forces de qualité qui
peuvent apporter une avantage au niveau statégique33.
L’Australie a réussi à balancer ses structure de force pour
arriver à monter des opérations autonomes (et amphibies) de
projection de la force comme celle du Timor oriental; cette
expérience rappelle le rôle tellement loué de chef de file que le
Canada a joué dans la Force d’urgence des Nations Unies en 1956,
la dernière fois où le Canada a conduit une opération majeure de
projection de la force. Le Canada avait alors des forces aptes au
combat et capables d’agir indépendamment des États-Unis qui
étaient placés dans une position politiquement délicate. L’exemple
récent du Timor oriental pourrait être un modèle utile pour le
Canada qui tente de revigorer ses structures de force en leur
donnant une meilleure autonomie, une meilleure interopérabilité,
et une plus grande importance stratégique. Quant à l’Australie, elle
pourrait apprendre de l’expérience et des connaissances que le
Canada a acquises lors de ses missions de soutien de la paix, avec
l’OTAN et à cause de sa proximité avec les États-Unis.
53
L’ORGANISATION
s’accroît sans cesse, le maintien en opérations est devenu un
problème commun aux deux armées puisque l’engagement de
l’Australie au Timor oriental a duré plus de trois ans.
Certains critiques pourraient prétendre que la domination des
États-Unis sur l’Armée canadienne et sur les mentalités au Canada
est si forte que, malgré tous les intérêts que l’Australie et le
Canada ont en commun, des relations avec l’Australie ne
changeraient pas grand-chose34. Mais, on pourrait en fait dire la
même chose de l’Australie et de presque tous les pays au monde
qui se tournent avec fascination vers les États-Unis. De toute
façon, être attiré par tout ce qui est américain n’empêche en rien le
Canada et l’Australie de profiter plus qu’ils ne l’ont fait
auparavant de leur relation mutuelle.
L’ère de l’information permet de combattre la tyrannie de la
distance et de faciliter les apprentissages réciproques. Maintenant
qu’il existe un nouveau rapprochement tant dans les perspectives
que dans les structures et des expériences communes renouvelées,
les armées de deux pays si semblables et si remarquables
pourraient avoir beaucoup à gagner à travailler plus étroitement
ensemble grâce à des échanges accrus de personnel entre
leurs quartiers généraux, leurs unités et leurs établissements
d’instruction et par des exercices en commun.
Remerciements
L’
auteur désire souligner la participation du Australian Army
History Research Grant Scheme à la rédaction de cet article.
De plus, il remercie chaleureusement Ron Haycock, Joel
Sokolsky, Kim Nossal, David Haglund, Jane Errington, Frank
Milne et Alan Ryan; il remercie aussi le brig Mellor, les lcol (ret.)
Glen Steiner et John Marteinson, les lcol Marcus Fielding, Graeme
Sligo et Chris Field, le maj Don Maclean et surtout Judith Steiner
(son épouse) de leurs commentaires.
NOTES
1. « Canada and Australia: An Ocean of Difference in
Threat Perception » de Desmond Morton dans Linda
Cardinal et David Headon dir., Shaping Nations:
Constitutionalism and Society in Australia and Canada,
Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 2002, est une
exception. Son excellent synopsis surévalue les
différences quant aux menaces qui ont pesé sur chaque
pays. L’Australie n’a été directement menacée qu’une
seule fois.
2. La langue maternelle de près d’un cinquième de la
population de l’Australie n’est pas l’anglais. Cette
portion de la population n’est pas concentrée
géographiquement et ne vient pas d’un groupe
linguistique particulier.
3. Kim Richard Nossal, Rain Dancing: Sanctions in
Canadian and Australian Foreign Policy, Toronto,
University of Toronto Press, 1994, p. xiii.
4. Depuis 1905, l’Australie et le Canada ont signé
divers traités bilatéraux. Voir http://www.ahcottawa.org/relations/, consulté le 21 mai 2002.
5. Voir Ronald G. Haycock « Les labeurs de Minerve
et des muses : dimensions historiques et contemporaines
de l’éducation militaire au Canada », Revue militaire
canadienne, vol. 2, no 2, été 2001. L’Australie
fonctionnait au niveau stratégique durant la crise du
Timor oriental, mais peu de personnes qualifierait cette
expérience de « confortable ». On a tout de même
produit en Australie beaucoup d’études de stratégie
depuis le milieu des années 1970.
6. Durant la Première Guerre mondiale, le leader du
mouvement contre la conscription en Australie était
Daniel Mannix, l’archevêque catholique de Melbourne,
qui était d’origine irlandaise.
7. Les partenaires commerciaux de l’Australie sont
surtout les pays du littoral du Pacifique. Les États-Unis
sont le deuxième plus grand partenaire commercial de
l’Australie, après le Japon. Le commerce au Canada est
dominé par les États-Unis avec plus de 86 p. 100 des
exportations et plus de 74 p. 100 des importations en
2000. Voir http://www.ahc-ottawa.org/relations/, consulté le 21 mai 2002.
8. L’engagement du Canada envers la défense de la
Norvège durant la guerre froide n’a jamais été appuyé
par des moyens amphibies pour transporter et établir une
force en Norvège. De plus, les expériences du Canada en
opérations côtières en Italie, en Belgique et en Hollande
durant la Seconde Guerre mondiale, en Égypte en 1956
et à Haïti au milieu des années 1990, n’ont pas servi à
justifier l’acquisition de capacités amphibies.
9. Les différences comprennent les capacités plus
grandes de l’Armée australienne en forces spéciales, en
54
commandos et en parachutistes, les capacités amphibies
de l’Armée et de la Marine australiennes ainsi que le
F111 de la Force aérienne australienne.
10. Bien entendu, certains reconnaissent que la
contribution des Australiens à cette bataille est « en tout
égale » à celle des Canadiens. Voir par exemple, J.L.
Granatstein, Canada’s Army: Waging War and Keeping
Peace, University of Toronto Press, Toronto, 2002,
p. 236. [TCO]
11. La confrontation entre le Royaume-Uni et la Russie
en 1877-1878 a déclenché une rumeur selon laquelle des
navires à vapeur russes devaient bombarder des ports
canadiens et australiens. Les colonies canadiennes et
australiennes ont réagi en fortifiant leurs ports, en
augmentant les unités d’artillerie côtière et en jetant les
bases d’une industrie locale des munitions qui jouera un
rôle important lors des deux guerres mondiales.
12. Les révisionnistes sont d’avis que ces jeunes nations
auraient pu rester neutres ou se retirer du conflit en 1914,
1939 et 1950. Un tel raisonnement diminue la portée des
impératifs économiques ainsi que celle des forts liens
émotifs qui laissaient peu de choix aux gouvernements
démocratiques de l’époque.
13. Le premier commandant de corps à provenir d’un
dominion fut nommé le 21 avril 1917 au Moyen-Orient;
c’était le tout aussi compétent lieutenant-général
australien Sir Harry Chauvel.
14. Le Canada a maintenu quatre divisions d’infanterie
en Europe comparativement aux cinq de l’Australie, et
une large portion du Desert Mounted Corps en Égypte et
en Palestine. Le Canada et l’Australie ont contribué aux
expéditions en Russie à la fin de la guerre, mais
l’Australie n’a pas envoyé de troupes d’occupation en
Allemagne après la guerre.
15. Mansergh, Survey of British Commonwealth
Affairs, p. 66-67.
16. Selon un sondage Ipsos-Reid, les Canadiens savent
très peu de chose sur la bataille de la crête de Vimy. Voir
le Globe & Mail, 9 avril, 2002.
17. Kim Richard Nossal, Ph.D., discussions avec
l’auteur, mars 2002.
18. Les Australiens connaissent le Plan d’entraînement
aérien du Commonwealth britannique sous le nom
d’Empire Air Training Scheme.
19. Le plus important déploiement de l’Australie en
Asie avant décembre 1941 s’est fait à Singapour, mais
des unités isolées ont été déployées à Ambon et au
Timor; pour sa part, le Canada a déployé deux bataillons
à Hong Kong. Les troupes canadiennes ont aussi été
déployées brièvement en France en 1940 (mais ne se sont
pas battues) et elles ont aussi été envoyées en garnison
aux Bermudes et en Jamaïque.
20. John A. English traite fort bien de cette question
dans Failure in High Command: The Canadian Army
and the Normandy Campaign, Golden Dog Press,
Ottawa, 1995.
21. Kim Richard Nossal, The Politics of Canadian
Foreign Policy, Scarborough, Prentice Hall, 1997.
22. Correspondance avec Joel Sokolsky, août 2002.
23. Communication de Douglas Bland, Ottawa,
Séminaire de la Conférence des associations de la
défense, 21 février 2002.
24. Le déploiement des troupes canadiennes à Chypre
est l’exception la plus remarquable.
25. L’intégration a été considérée beaucoup plus
dommageable que l’unification des services qui eut lieu
plus tôt. Voir Douglas Bland, Chiefs of Defence:
Government and the Unified Command of the Canadian
Armed Forces, Brown, Toronto, 1995.
26. Au début, les Australiens se sont battus aux côtés
des forces américaines au Vietnam du Sud, mais
l’expérience a agacé les commandants australiens qui
étaient intéressés à diminuer les pertes et à instaurer leurs
propres tactiques de patrouilles furtives dans la jungle et
d’embuscades dans une zone déterminée. Voir, par
exemple, Bob Breen, First to Fight: Australian Diggers,
N.Z. Kiwis and U.S. Paratroopers in Vietnam, 19651966, Allen & Unwin, Sydney, 1988.
27. Discussions avec Ron Haycock, août 2002.
28. Discussion avec le brigadier W.J.A. Mellor, le
commandant de la force australienne en Somalie, juin
2002
29. L’excellent rendement d’ensemble du Régiment
aéroporté du Canada en Somalie a été éclipsé par
l’attention portée à la mort d’un jeune Somalien tué des
membres de ce régiment. Voir Bernd Horn Bastard Sons:
An Examination of Canada’s Airborne Experience 19421995, Vanwell, St. Catherine’s, Ontario, 2001.
30. Discussions avec Ron Haycock, août 2002.
31. Discussions, avec Joel Sokolsky, mars 2002.
32. William N. Peters, « Club Dues? The Relevance of
Canadian Expeditionary Forces », Thèse de maîtrise ès
arts en études sur la conduite de la guerre, Collège
militaire royal du Canada, 1999, p. 161-163.
33. Colin S. Gray traite de cette question dans
Canadians in a Dangerous World, Toronto, Atlantic
Council of Canada, 1994, p. 26, mais la chose s’applique
aussi bien à l’Australie.
34. Discussions avec le lieutenant-colonel Graeme
Sligo, août 2002.
Revue militaire canadienne
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Automne 2002
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