ar leurs « trajectoires » de développement de la
force, les armées du Canada et de l’Australie se sont
éloignées l’une de l’autre au milieu du XXesiècle,
mais elles se sont de beaucoup rapprochées depuis la
fin de la guerre froide, ce qui indique que, en dépit de leurs
différences géostratégiques et culturelles, il est possible
d’améliorer la collaboration entre les deux armées. Cet article se
penche sur le relâchement des liens avec l’Empire britannique qui
a mené des troupes canadiennes et australiennes à combattre en
Afrique du Sud pendant la guerre des Boers, ensuite dans les deux
guerres mondiales et la guerre de Corée et, finalement, à
contribuer aux combats en Afghanistan aves celles des États-Unis.
Il soutient que, en dépit de leurs différences, les forces terrestres
du Canada et de l’Australie ont plus de points en commun
ensemble qu’elles n’en ont avec pratiquement toute autre force.
Même s’il y a entre elles des parallèles remarquables, on a peu
écrit pour étudier directement leurs expériences militaires et ces
parallèles qui sont pourtant durables1.
LES POINTS COMMUNS
Le Canada et l’Australie se ressemblent à plusieurs égards. Le
Canada et l’Australie (de même que la Nouvelle-Zélande et
les États-Unis) sont des pays du « Nouveau Monde » qui
partagent des racines anglo-celtes et européennes ainsi qu’un
héritage commun de colonisation, d’immigration (d’immigrants
européens, et plus récemment, d’immigrants non-européens), de
diversité culturelle, de même qu’une langue anglaise largement
répandue2, des valeurs judéo-chrétiennes largement acceptées, des
pratiques démocratiques et un système économique capitaliste.
Aujourd’hui, ils sont tous les deux confrontés à un ensemble
comparable de défis : ils ont des économies industrialisées avec
de vastes secteurs de service et ils dépendent des matières
premières pour les échanges avec les autres pays industrialisés3.
En outre, le Canada et l’Australie ont tous deux, bien qu’avec des
différences, des systèmes judiciaires et parlementaires fédéraux de
type britannique. Tous ces aspects portent à croire qu’ils
pourraient tirer avantage à collaborer plus étroitement; mais il
existe même des facteurs plus spécifiques à la défense qui
viennent confirmer cette opinion.
Le glissement de la Grande-Bretagne vers les États-Unis dans
la dépendance du Canada et de l’Australie en matière de sécurité
ainsi que le rôle de la realpolitik et de l’idealpolitik dans leur
politique étrangère et dans leur politique de défense constituent
une autre similarité. L’Australie et le Canada ont cherché la
sécurité dans la défense collective; ils ont joué des rôles
constructifs de moyenne puissance dans les questions d’ordre
international, commercial, environnemental et de sécurité et se
sont entendus sur une variété de sujets d’intérêt bilatéral4. Ils ont
tenté de faire leur marque en sécurité internationale en partie dans
le but d’affirmer leur souveraineté tout en évitant de la
compromettre indûment dans des rapports d’inégalité avec des
alliés plus puissants.
par le lieutenant-colonel John C. Blaxland
LES ARMÉES DU CANADA ET DE
L’AUSTRALIE : COLLABORATION PLUS
ÉTROITE?
Photo 147350 du Australian War Memorial
Membres du 3eBataillon des Royal Australian Rifles après la bataille de Kapyong en avril 1951 où ils se sont battus aux côtés des membres du 2 PPCLI.
Le lieutenant-colonel John C. Blaxland de l’armée australienne est
chercheur invité en défense à l’université Queen’s et prépare un doctorat
au Collège militaire royal du Canada.
Automne 2002 Revue militaire canadienne 45
L’ORGANISATION
P
Géographiquement (la géographie est habituellement un des
facteurs importants qui déterminent la structure d’une force), les
deux pays couvrent de grosses masses terrestres souvent arides, ce
qui a engendré une rude culture de « frontière », distincte de celle
de l’Europe et des États-Unis, et a eu pour résultat de voir des
populations peu nombreuses s’établir dans de longs corridors
plutôt étroits au bord de vastes espaces en grande partie
inhabitables. Les deux pays ont accordé une grande priorité au
développement des transports, de l’infrastructure industrielle, des
services sociaux et des services de santé dans quelques centres
urbains où se regroupe la population. Les vastes superficies
inhabitées ont également suscité la création de systèmes de
surveillance à couverture étendue dans les régions du nord des
deux pays et l’enrôlement d’autochtones dans des unités de
surveillance des secteurs nordiques.
Il y a des tensions dans les deux pays lorsqu’il s’agit de
décider quelle priorité accorder à la défense du territoire et à la
défense avancée. Le Canada et l’Australie ont tous deux une
propension à se fier aux autres pour la grande stratégie,
particulièrement en temps de guerre, car les deux pays n’ont pas
eu beaucoup d’occasions d’exceller dans le domaine militaire au-
delà du niveau tactique. Lorsque l’occasion s’en est présentée, les
armées du Canada et de l’Australie ont bien fonctionné à certains
niveaux, mais les commandants et les politiciens des deux pays ont
rarement été invités par leurs alliés à participer à l’établissement
de la stratégie de haut niveau. Aujourd’hui, les forces des deux
pays affinent toutes deux leurs structures de commandement et de
contrôle au niveau national (ce qui inclut leurs établissements de
formation), mais elles n’en doivent pas moins développer leur
pleine maturité intellectuelle au-delà du niveau tactique de façon à
pouvoir fonctionner confortablement au niveau stratégique5. Les
deux pays ressentent encore l’influence des traditions, des
tactiques et des systèmes de valeurs militaires qu’ils ont hérités
des Britanniques. Même leurs forces actuelles ont des
ressemblances remarquables. Les armées du Canada et de
l’Australie sont dotées de chars Leopard, de véhicules blindés
légers construits au Canada, de véhicules blindés M113 modifiés
de transport de troupes, d’une structure de force régulière à trois
brigades, de forces de milice (ou de réserve) et de seulement
environ 25,000 troupes régulières. Les forces des deux pays
utilisent également les avions FA/CF-18, C130 et P3
(Orion/Aurora), (l’Australie utilise encore le Caribou CC08
construit au Canada), et leurs marines ont adopté des
configurations semblables (bien que le Canada, contrairement
à l’Australie, ne dispose pas de navires amphibies).
LES DIFFÉRENCES
La différence la plus marquante est la culture distincte du
Québec dans la société canadienne et son influence, surtout en
temps de guerre. Le Québec a toujours cherché à sauvegarder ses
droits provinciaux et à se protéger contre l’assimilation car, en
Amérique du Nord, la langue anglaise prédomine. Mais, même
dans ce cas, il y a un équivalent en Australie avec l’influence des
Irlandais catholiques et avec le nationalisme du parti travailliste
australien qui ont cherché à éloigner l’Australie de l’emprise
britannique6. La plus grande menace à peser sur le Canada est
venue de l’intérieur : le risque de désunion basée sur un clivage
linguistique. Par conséquent, l’un des rôles des Forces
canadiennes est de renforcer l’unité nationale en étant une
institution dans laquelle tous les Canadiens peuvent ressentir un
sentiment d’appartenance. Étant donné la divergence des intérêts
et des loyautés dans les régions du pays, le maintien de l’unité
nationale s’est fait aux dépens de la cohérence des politiques
étrangères et de défense du Canada, en particulier pendant les deux
guerres mondiales.
Le Canada se sent, à bon droit et plus que
n’importe quel autre pays, à l’abri des menaces
extérieures; mais cela a créé une certaine
insouciance et a parfois accru la tentation de
limiter, au nom d’une politique de réalisme, les
interventions militaires à l’étranger et de ne
conserver que des capacités de créneau pour
appuyer les objectifs de la politique étrangère
canadienne. Le Canada est membre de
l’OTAN en grande partie à cause de sa
tendance à se tourner vers l’Europe. Le
Canada vit également aux portes de son
principal partenaire commercial et allié, les
États-Unis; les Américains ont eu une
influence économique, culturelle et
idéologique plus profonde sur les Canadiens
que sur les Australiens qui, eux, sont plus
homogènes, plus britanniques et plus
physiquement éloignés des autres pays
« occidentaux ». En outre, la plupart des
échanges commerciaux du Canada se font par
voies terrestres alors que ceux de l’Australie se
font essentiellement par voies maritimes et
avec plus de partenaires. Bien que les deux pays aient accepté un
grand nombre d’immigrants asiatiques, les échanges commerciaux
avec l’Asie sont beaucoup plus importants en Australie qu’au
Canada, ce qui contrebalance l’influence de l’économie américaine
au Canada7.
Le corollaire militaire de cette différence dans les échanges
commerciaux a été le maintien de capacités amphibies limitées
dans les Forces australiennes de défense, en particulier depuis la
Seconde Guerre mondiale. Le Canada n’a pas maintenu de forces
amphibies, ce qui reflète son sentiment d’avoir la liberté de choisir
à volonté ses capacités militaires bien qu’il ait à l’occasion pris des
engagements qui semblaient requérir des capacités amphibies et
qu’il ait de l’intérêt pour les questions de sécurité dans des régions
comme les Antilles (une région qui se compare d’une certaine
façon à ce qu’on appelait autrefois les Indes orientales ou à la
région du Pacifique du Sud-Ouest pour l’Australie)8. L’Australie
quant à elle est géographiquement éloignée de ses racines
européennes et des autres branches néo-européennes du Nouveau-
Monde, ce qui la fait se sentir isolée et vulnérable. Les craintes des
Australiens ont atteint leur sommet pendant la Deuxième Guerre
mondiale alors que les envahisseurs japonais se rapprochaient de
plus en plus de leur pays. Les préoccupations au sujet de menaces
visant l’Australie ont diminué depuis ce temps, en particulier après
le retrait des militaires australiens du Vietnam en 1972, bien
qu’elles se soient ravivées récemment en partie à cause de
46 Revue militaire canadienne Automne 2002
Des soldats du 2nd South Australian Mounted Rifles en Afrique du Sud vers 1900, alors que des troupes
canadiennes et australiennes combattaient aux côtés des Britanniques durant la guerre des Boers.
Photo P00220 001 du Australian War Memorial
Tableau ART12208(4) du Australian Wa rMemorial
l’immigration illégale. Aujourd’hui, plusieurs Australiens croient,
comme les Canadiens, qu’aucune menace militaire
conventionnelle précise ne pèse sur eux. En fait, le défi de
déterminer une menace crédible rend la vie dure aux planificateurs
de la défense australienne, ce qui n’est pas sans rappeler les
difficultés que connaissent leurs collègues canadiens lorsqu’ils
veulent tenir en échec ceux qui s’opposent à la hausse des
dépenses en matière de défense. Toutefois, étant donné la nature de
l’« arc d’instabilité » au sud duquel se trouve l’Australie, les
responsables de la planification militaire du pays comprennent
clairement que, tout bien considéré, l’Australie doit être capable
de se défendre elle-même.
Bien que les menaces qui pèsent sur le pays n’aient souvent
pas un caractère direct et précis, le sentiment d’isolement des
Australiens fait en sorte qu’ils ne voient pas la place des forces
armées de la même façon que les Canadiens. Le Canada n’a pas
d’équivalent du Anzac Day, une fête légale qui commémore un
haut fait militaire par lequel l’Australie a prouvé son identité
nationale, et les Australiens ont
tendance à considérer que leurs forces
armées jouent un rôle important dans
leur projet national. Le mythe de
«l’homme rude » s’est ajouté au
sentiment de vulnérabilité pour pousser
les planificateurs de la structure de la
force australienne à lui donner une
capacité « à usage général » bien
balancée ( la capacité canadienne est,
quant à elle, « polyvalente »), ayant
plus d’autonomie et étant capable de
s’adapter à une plus grande variété de
circonstances qui pourraient se
présenter à court terme9.
EXPLIQUER POURQUOI
LES LIENS RÉCIPROQUES
SONT SI TÉNUS
Plusieurs facteurs ont empêché une
plus grande collaboration entre les
forces des deux pays. Tant dans le cas
de l’Australie que du Canada, la
présence d’un puissant ami a éclipsé
toute autre relation, situation que vient
accentuer, entre autres, le manque de
liens commerciaux solides et le
manque de concurrence sur les
marchés pour lesquels les deux pays exportent le même type de
produits. Par ailleurs, une orientation militaire vers de puissants
amis a souvent abouti à l’adoption de doctrine, de structures et
d’équipements britanniques ou américains qui devaient être
modifiés avant d’être appliqués à l’échelle locale plus petite.
L’adhésion du Canada à l’OTAN et son expérience en Normandie
et en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale (en comparaison
des engagements de l’Australie en Afrique du Nord, dans l’est de la
Méditerranée et dans le Pacifique) ont également prédisposé les
Forces canadiennes à se tourner vers l’Europe pour obtenir d’autres
exemples, au moins jusqu’à la fin de la guerre froide, malgré le fait
que ce pays a lui aussi un littoral qui donne sur le Pacifique et sur
l’Asie. En outre, un attachement sentimental pour certaines
différences comme les préférences au niveau du sport (hockey sur
glace plutôt que rugby, Aussie rules et cricket) ont limité la
connaissance et la compréhension mutuelles par les sports. Les
préférences politiques de chaque pays ont aussi souvent été en
porte-à-faux, ce qui a fait diminuer les perspectives de
collaboration; l’Australie a en effet eu tendance à porter des
conservateurs au pouvoir alors que le Canada a plutôt élu des
libéraux (progressistes). Pour les Australiens unilingues,
l’influence linguistique et culturelle du français au Canada a
masqué encore plus les traits qu’ils ont en commun avec les
Canadiens. Pour ce qui en est des Canadiens, l’éloignement de
l’Australie, son climat d’antipode, la proximité et le poids des
États-Unis ainsi que les influences européennes ont nuit à une
collaboration plus étroite.
La quête d’une identité nationale distinctive dans les deux
pays a peut-être joué un rôle d’égale importance en poussant
certains observateurs à ne pas fouiller des ressemblances qui
auraient contredit la perception du caractère unique de cette
identité. Par exemple, les historiens qui traitent de la bataille
d’Amiens, qui fut si décisive en 1918, adoptent des points de vue
remarquablement différents selon leur nationalité. Les historiens
australiens mentionnent à peine la présence du Corps canadien
alors que les historiens canadiens ignorent tout autant le Corps
australien10; pourtant ces deux corps combattaient côte à côte et
étaient d’égale importance, et la victoire ne fut acquise que parce
qu’ils se battirent ensemble. Seule et, à plus forte raison, sans
l’apport important de la Grande-Bretagne et même de la France, ni
l’une ni l’autre force militaire n’aurait pu obtenir la victoire. Depuis
lors, la quête de l’identité nationale a encouragé, pour des raisons
d’ordre émotif plutôt qu’au nom de faits concrets, un refus de
reconnaître ce que les deux pays ont en commun. Dans leurs efforts
pour se prouver leur propre identité, l’Australie et le Canada ont
donc eu tendance à se dédaigner l’un et l’autre, un peu comme des
frères qui chercheraient à impressionner la mère patrie britannique
ou le grand oncle américain. En outre, comme il est le plus ancien
des dominions qui forment maintenant le Commonwealth et que,
contrairement à l’Australie, il fait aussi partie du G8, ce groupe de
huit pays qui dirigent l’économie mondiale, le Canada a tendance,
on le comprendra, à traiter de haut son plus petit et plus jeune
partenaire dans le Commonwealth. Pour leur part, les militaires qui
mettent en pratique la stratégie australienne ont eu tendance à
ignorer l’expérience militaire canadienne à cause de l’approche en
apparence peu musclée que le Canada adopte dans les missions de
maintien de la paix et à cause de sa réticence à engager des forces
terrestres en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale
et auprès des troupes américaines et australiennes au Vietnam. En
général, les Australiens ne comprennent pas la mentalité des
Canadiens toujours préoccupés par l’unité nationale, mentalité faite
d’ordre et de modération et qu’incarne pour eux le policier de la
Automne 2002 Revue militaire canadienne 47
L’ORGANISATION
Au cours de la bataille d’Amiens, les troupes canadiennes et australiennes combattirent côte à côte et remportèrent
une des plus grandes victoires de la Première Guerre mondiale; le 8 août 1918 fut qualifié par le commandant
allemand, le général Ludendorff, de « jour noir de l’Armée allemande ».
Gendarmerie royale du Canada. Les Canadiens, si jamais ils sont au
courant de la mentalité des Australiens, ont tendance à largement
les percevoir comme des gens qui ont une confiance sans nuance et
exagérée en eux-mêmes et dont le prototype est ce rustre
d’« homme rude » que la mythologie australienne appelle un
« digger ». Il serait peut-être temps que les Australiens et Canadiens
abandonnent de tels stéréotypes d’adolescents. Sans nier les
différences de situation, il faut reconnaître qu’il existe un nombre
surprenant de parallèles durables entre les deux pays, ce qui laisse
deviner les avantages qu’il y aurait pour eux à travailler plus
étroitement ensemble afin de répondre et de s’adapter au nouvel
environnement de sécurité dans le monde et à la révolution dans les
affaires militaires qui est en cours. Pour que de telles comparaisons
soient utiles, il faut mieux en comprendre l’étendue et les
limitations en les replaçant dans leur contexte historique.
RÉEXAMINER L’HÉRITAGE COMMUN
De l’imitation des modèles britanniques
jusqu’à l’expérience de Corée
Au début du XXesiècle, la Grande-Bretagne était la seule
puissance vraiment mondiale. Toutefois, après les deux
guerres mondiales qui l’affaiblirent, la Grande-Bretagne était
devenue une puissance secondaire par comparaison aux États-
Unis. Parallèlement à ce changement, tant le Canada que
l’Australie devinrent moins dépendants, acquirent une plus grande
maturité industrielle et développèrent un sens plus poussé de leur
identité, ce qu’avaient déjà annoncé les événements du temps de
guerre. Pourtant, tout au long de cette période, le Canada et
l’Australie continuèrent à simplement réagir aux événements et
eurent habituellement assez peu l’occasion d’influencer la
stratégie.
Les événements qui se produisirent au XIXesiècle donnèrent
lieu à des mesures de défense semblables dans les deux pays à
l’aube du XXesiècle. Par exemple, les craintes que la Russie
suscita vers la fin des années 1870, provoquèrent la mise en place
d’installations de défense côtière pour protéger les ports du
Canada et de l’Australie11. Pendant la guerre des Boers, des unités
d’infanterie à cheval de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-
Zélande furent intégrées à une brigade commandée par le major-
général Hutton et prirent part aux combats. Si l’on ne tient pas
compte de leur altruisme et de leurs liens émotifs avec la mère
patrie, l’économie de ces trois pays dépendait tellement de la
Grande-Bretagne qu’ils n’eurent guère d’autres choix que de
combattre aux côtés des troupes britanniques pendant les années
qui suivirent12.
Le major-général Sir William Throsby
Bridges, un ancien élève-officier du
Collège militaire royal du Canada de
Kingston, fut le premier Australien à
commander une division; c’était à
Gallipoli, et il y fut blessé mortellement en
1915. Les troupes australiennes et
canadiennes se battirent par la suite
pendant la Première Guerre mondiale en
ayant le sentiment de faire partie de
l’Empire, bien qu’elles se soient rarement
bien entendues, probablement un peu parce
que les deux « frères » ne sentaient ni l’un
ni l’autre le besoin d’impressionner son
homologue ou de s’en attirer les bonnes
grâces. Bien qu’habituellement affectés à
différents secteurs, ils combattirent à tour
de rôle à Passchendaele à l’été et à
l’automne de 1917. L’année suivante, le
Corps canadien et le Corps australien
sebattirent côte à côte et jouèrent un rôle
clé lors de la bataille décisive d’Amiens, le
8 août 1918, qu’on a qualifié de « jour noir
de l’armée allemande ». Ces Corps étaient
commandés par deux des meilleurs
généraux que les alliés ont produits
pendant la guerre : le lieutenant-général canadien Sir Arthur
Currie et le lieutenant-général australien Sir John Monash13.
Chaque Corps subit des pertes évaluées à environ 60 000 morts14.
Vers la fin de la Première Guerre mondiale, le sens de l’identité
nationale s’était accru et au Canada et en Australie. Les sacrifices
consentis sur les champs de bataille leur permirent d’atteindre et
d’affirmer leur pleine maturité nationale et de jouer un rôle plus
important sur la scène mondiale, ce dont témoigne le fait que c’est
en tant que nations distinctes que le Canada et l’Australie
signèrent le traité de Versailles en 1919, leur premier traité
international.
Une mythologie de la Grande Guerre s’est développée
pendant l’entre-deux-guerres; elle insistait sur le fait que, afin
d’éviter d’énormes pertes de vies humaines, il fallait se tenir loin
des imbroglios européens et, du moins dans le cas du Canada,
entretenir une relation plus étroite en matière de sécurité avec le
voisin américain. Les sacrifices sanglants et disproportionnés
qu’avaient connus les Canadiens rendaient l’isolationnisme
américain attirant pour plusieurs d’entre eux. Cet état d’esprit
amena le Canada à laisser sa capacité de défense s’atrophier
jusqu’à ce que les événements du milieu des années 1930 ne
provoquent son expansion. Pendant toute cette période l’Australie
et le Canada ont également cherché à éviter les engagements de
traités formels, ce qui témoigne bien de la réticence des libéraux
canadiens à souscrire à des engagements en Europe et, à un niveau
moindre, de celle des dirigeants du parti travailliste australien,
dont un bon nombre était d’origine irlandaise15.
Une partie de la différence entre les deux pays et entre la
place qu’y occupent les forces armées dans la mentalité collective
s’explique à la fois par la façon dont s’est confirmée leur identité
nationale et par les événements de la Première Guerre mondiale.
Pour les Australiens, l’événement qui a servi de catalyseur, c’est
Gallipoli. L’événement comparable pour le Canada, ce fut la
bataille de la crête de Vimy, bien que l’histoire militaire antérieure
canadienne et que les retombées amères de la politique intérieure
du Canada au sujet de la conscription en temps de guerre aient fait
48 Revue militaire canadienne Automne 2002
Tableau ART27559 du Australian War Memorial
Opération « Bulimba » en septembre 1942. Alors que les troupes canadiennes s’entraînaient
encore en Grande-Bretagne, prêtes à repousser une éventuelle invasion allemande, les troupes
australiennes acquéraient l’expérience du combat en Afrique du Nord.
de la bataille de Vimy un symbole national moins fort et moins
remarquable16. Au Canada, l’héritage de la Première Guerre
mondiale se serait plutôt fait sentir dans le clivage du système des
partis politiques qui a reposé en partie sur une prise de conscience
de la division et des coûts qu’engendre, particulièrement au
Québec, un engagement envers l’Empire lorsque vient le moment
d’une élection17.
En Australie, le mythe de « l’homme rude » apparut et vint
renforcer le sens de l’identité nationale tout en permettant de
rationaliser les horreurs de la guerre. Sans grand-oncle américain
à proximité et étant donné le manque de conviction des efforts de
la Grande-Bretagne à défendre Singapour, l’Australie n’a jamais
acquis la même assurance de soi que le Canada. La Grande-
Bretagne accorda l’autonomie virtuelle à l’Australie et au Canada
par le traité de Westminster en 1931 (bien que l’Australie ait
attendu jusqu’en 1942 pour adopter une loi qui ratifiait ses
dispositions), ce qui fit de ces deux pays des puissances mineures,
mais pas encore des moyennes puissances.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il y eut des
différences entre les efforts des armées des deux pays, et leurs
troupes terrestres eurent très peu de contacts directs lors des
opérations même si leurs forces aériennes collaborèrent étroitement
dans le cadre du Programme d’entraînement aérien du Common-
wealth britannique18. Le
Canada et l’Australie
déployèrent dans divers
endroits isolés en Asie de
petits groupes de soldats
qui tentèrent en vain de
retenir la poussée des
troupes japonaises. Toute-
fois, le gouvernement
canadien ne voulait pas
trop tôt « se lancer dans la
bataille » de la guerre
terrestre19. Les électeurs
australiens étaient d’ardents
défenseurs de la guerre
alors que les opinions au
Canada n’étaient pas dans
l’ensemble aussi tranchées.
Par conséquent, l’Armée
canadienne n’a pas pu
participer aux combats en
Afrique du Nord et a
continué à s’entraîner en
Angleterre en se contentant
de regarder les autres
armées du Commonwealth
raffiner leurs techniques de
combat, remplacer des
commandants incompétents et améliorer leurs aptitudes au combat.
Sentant la nécessité de faire davantage que de contribuer à défendre
les côtes de l’Angleterre, le Canada lança un raid avorté sur Dieppe
en 1942 et, dans le cadre de la stratégie globale des alliés en Sicile
et en Italie, il joua par la suite un rôle que certains qualifieraient de
mineur quoiqu’il ait exigé de durs combats. Au moment de
l’invasion de la Normandie, les généraux canadiens n’avaient pas
l’expérience et la confiance nécessaires pour s’échapper de la tête
de pont20. Au cours des mois qui suivirent, l’Armée canadienne a
joué un rôle difficile mais secondaire dans la zone côtière de la
poussée des alliés en Europe de l’Ouest, là où des capacités
amphibies étaient en demande.
Malgré leurs courageux et louables efforts dans leur lutte
contre les Japonais en 1942 et 1943, les Australiens, dirigés et
dominés par le général MacArthur, n’avaient guère plus qu’un rôle
de soutien à jouer en 1944 et en 1945. La situation difficile de
l’Australie ressemblait à celle des Forces canadiennes qui prirent
part à la libération de la Hollande: ses troupes étaient postées en
périphérie du théâtre des opérations et étaient chargées d’éliminer
la résistance des Japonais par des opérations amphibies, y compris
dans les possessions hollandaises d’Indonésie.
Avec à l’esprit l’expérience de deux guerres mondiales et
conscients du peu de place que les grandes puissances leur
laisseraient au plan international, le Canada et l’Australie
décidèrent que ce dont les deux pays avaient besoin pour l’ère de
l’après-guerre, c’était des forces aptes au combat. Avoir de telles
forces assurerait, du moins partiellement, que la politique
étrangère des deux pays soit compatible avec les capacités
militaires dont ils disposaient déjà pour promouvoir leurs intérêts
nationaux et améliorer leur statut de moyennes puissances. Ce
genre de forces permettrait également d’éviter de répéter les
expériences vécues pendant les deux guerres mondiales, entre
autres, de subir des pertes considérables en déployant des forces
mal entraînées et mal équipées contre des forces ennemies
professionnelles et déterminées.
En Corée, les troupes australiennes et canadiennes
combattirent vaillamment côte à côte lors de la bataille de Kapyong
en avril 1951; le deuxième bataillon du Princess Patricia’s
Canadian Light Infantry et le troisième bataillon du Royal
Australian Regiment se méritèrent alors une citation du président
des États-Unis pour avoir contribué à contrer une offensive
chinoise en utilisant des organisations et des équipements
communs inspirés du modèle britannique. Au moment où la guerre
de Corée se trouvait dans une impasse, les deux pays ont affecté des
forces à la seule formation terrestre intégrée faite de troupes de
pays du Commonwealth à jamais avoir été créée, la 1st
Commonwealth Division, bien que l’Australie et le Canada aient à
ce moment déjà commencé à adopter l’équipement, sinon la
doctrine des États-Unis. À la fin de la guerre, l’Australie et la
Nouvelle-Zélande avaient réussi formé une alliance avec les États-
Unis connue sous le nom de ANZUS Pact que les trois pays
signèrent en 1952. Cette alliance rassura les Australiens et leur
servit de justification pour limiter, tout comme les Canadiens, leurs
dépenses de défense. Le pacte de l’ANZUS montrait également que
les forces australiennes s’orientaient de plus en plus vers une
interopérabilité accrue avec les Américains.
Automne 2002 Revue militaire canadienne 49
L’ORGANISATION
Des Australiens à l’œuvre contre les Japonais à Buna en Nouvelle-Guinée où ils affinèrent leur expertise des combats
dans la jungle.
Tableau ART27547 du Australian War Memorial
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