Géographiquement (la géographie est habituellement un des
facteurs importants qui déterminent la structure d’une force), les
deux pays couvrent de grosses masses terrestres souvent arides, ce
qui a engendré une rude culture de « frontière », distincte de celle
de l’Europe et des États-Unis, et a eu pour résultat de voir des
populations peu nombreuses s’établir dans de longs corridors
plutôt étroits au bord de vastes espaces en grande partie
inhabitables. Les deux pays ont accordé une grande priorité au
développement des transports, de l’infrastructure industrielle, des
services sociaux et des services de santé dans quelques centres
urbains où se regroupe la population. Les vastes superficies
inhabitées ont également suscité la création de systèmes de
surveillance à couverture étendue dans les régions du nord des
deux pays et l’enrôlement d’autochtones dans des unités de
surveillance des secteurs nordiques.
Il y a des tensions dans les deux pays lorsqu’il s’agit de
décider quelle priorité accorder à la défense du territoire et à la
défense avancée. Le Canada et l’Australie ont tous deux une
propension à se fier aux autres pour la grande stratégie,
particulièrement en temps de guerre, car les deux pays n’ont pas
eu beaucoup d’occasions d’exceller dans le domaine militaire au-
delà du niveau tactique. Lorsque l’occasion s’en est présentée, les
armées du Canada et de l’Australie ont bien fonctionné à certains
niveaux, mais les commandants et les politiciens des deux pays ont
rarement été invités par leurs alliés à participer à l’établissement
de la stratégie de haut niveau. Aujourd’hui, les forces des deux
pays affinent toutes deux leurs structures de commandement et de
contrôle au niveau national (ce qui inclut leurs établissements de
formation), mais elles n’en doivent pas moins développer leur
pleine maturité intellectuelle au-delà du niveau tactique de façon à
pouvoir fonctionner confortablement au niveau stratégique5. Les
deux pays ressentent encore l’influence des traditions, des
tactiques et des systèmes de valeurs militaires qu’ils ont hérités
des Britanniques. Même leurs forces actuelles ont des
ressemblances remarquables. Les armées du Canada et de
l’Australie sont dotées de chars Leopard, de véhicules blindés
légers construits au Canada, de véhicules blindés M113 modifiés
de transport de troupes, d’une structure de force régulière à trois
brigades, de forces de milice (ou de réserve) et de seulement
environ 25,000 troupes régulières. Les forces des deux pays
utilisent également les avions FA/CF-18, C130 et P3
(Orion/Aurora), (l’Australie utilise encore le Caribou CC08
construit au Canada), et leurs marines ont adopté des
configurations semblables (bien que le Canada, contrairement
à l’Australie, ne dispose pas de navires amphibies).
LES DIFFÉRENCES
La différence la plus marquante est la culture distincte du
Québec dans la société canadienne et son influence, surtout en
temps de guerre. Le Québec a toujours cherché à sauvegarder ses
droits provinciaux et à se protéger contre l’assimilation car, en
Amérique du Nord, la langue anglaise prédomine. Mais, même
dans ce cas, il y a un équivalent en Australie avec l’influence des
Irlandais catholiques et avec le nationalisme du parti travailliste
australien qui ont cherché à éloigner l’Australie de l’emprise
britannique6. La plus grande menace à peser sur le Canada est
venue de l’intérieur : le risque de désunion basée sur un clivage
linguistique. Par conséquent, l’un des rôles des Forces
canadiennes est de renforcer l’unité nationale en étant une
institution dans laquelle tous les Canadiens peuvent ressentir un
sentiment d’appartenance. Étant donné la divergence des intérêts
et des loyautés dans les régions du pays, le maintien de l’unité
nationale s’est fait aux dépens de la cohérence des politiques
étrangères et de défense du Canada, en particulier pendant les deux
guerres mondiales.
Le Canada se sent, à bon droit et plus que
n’importe quel autre pays, à l’abri des menaces
extérieures; mais cela a créé une certaine
insouciance et a parfois accru la tentation de
limiter, au nom d’une politique de réalisme, les
interventions militaires à l’étranger et de ne
conserver que des capacités de créneau pour
appuyer les objectifs de la politique étrangère
canadienne. Le Canada est membre de
l’OTAN en grande partie à cause de sa
tendance à se tourner vers l’Europe. Le
Canada vit également aux portes de son
principal partenaire commercial et allié, les
États-Unis; les Américains ont eu une
influence économique, culturelle et
idéologique plus profonde sur les Canadiens
que sur les Australiens qui, eux, sont plus
homogènes, plus britanniques et plus
physiquement éloignés des autres pays
« occidentaux ». En outre, la plupart des
échanges commerciaux du Canada se font par
voies terrestres alors que ceux de l’Australie se
font essentiellement par voies maritimes et
avec plus de partenaires. Bien que les deux pays aient accepté un
grand nombre d’immigrants asiatiques, les échanges commerciaux
avec l’Asie sont beaucoup plus importants en Australie qu’au
Canada, ce qui contrebalance l’influence de l’économie américaine
au Canada7.
Le corollaire militaire de cette différence dans les échanges
commerciaux a été le maintien de capacités amphibies limitées
dans les Forces australiennes de défense, en particulier depuis la
Seconde Guerre mondiale. Le Canada n’a pas maintenu de forces
amphibies, ce qui reflète son sentiment d’avoir la liberté de choisir
à volonté ses capacités militaires bien qu’il ait à l’occasion pris des
engagements qui semblaient requérir des capacités amphibies et
qu’il ait de l’intérêt pour les questions de sécurité dans des régions
comme les Antilles (une région qui se compare d’une certaine
façon à ce qu’on appelait autrefois les Indes orientales ou à la
région du Pacifique du Sud-Ouest pour l’Australie)8. L’Australie
quant à elle est géographiquement éloignée de ses racines
européennes et des autres branches néo-européennes du Nouveau-
Monde, ce qui la fait se sentir isolée et vulnérable. Les craintes des
Australiens ont atteint leur sommet pendant la Deuxième Guerre
mondiale alors que les envahisseurs japonais se rapprochaient de
plus en plus de leur pays. Les préoccupations au sujet de menaces
visant l’Australie ont diminué depuis ce temps, en particulier après
le retrait des militaires australiens du Vietnam en 1972, bien
qu’elles se soient ravivées récemment en partie à cause de
46 Revue militaire canadienne ●Automne 2002
Des soldats du 2nd South Australian Mounted Rifles en Afrique du Sud vers 1900, alors que des troupes
canadiennes et australiennes combattaient aux côtés des Britanniques durant la guerre des Boers.
Photo P00220 001 du Australian War Memorial