Écrire par amour: Femmes et amour dans la littérature

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Écrire par amour
Comment la littérature contemporaine des femmes traduit-elle le vertige amoureux?
Dans sa thèse de doctorat, Valérie Lebrun explore la manière dont l’amour donne
forme à l’écriture des femmes.
Illustration: Pierre-Antoine Robitaille
RECHERCHE ARTS DIPLÔMÉS
Par
12 février 2019 à 14 h 02
Mis à jour le 12 février 2019 à 14 h 02
Claude Gauvreau
6/4/25, 11:09 AM
Écrire par amour | UQAM
On ne compte plus le nombre de romans, de nouvelles et de poèmes
qui cherchent à définir la vérité du sentiment amoureux. Et si les actes
d’écrire et de lire étaient eux-mêmes des gestes d’amour? Dans sa
thèse de doctorat menée sous la direction de la professeure du Dé-
partement d’études littéraires Martine Devaux, Valérie Lebrun (Ph.D.
études littéraires, 2018) explore la manière dont l’amour donne forme
à l’écriture, celle des femmes, ainsi que la séduction exercée sur les
lectrices par la littérature ayant l’amour pour sujet de prédilection.
«J’ai voulu comprendre comment on arrive à écrire avec et par amour,
comment on recrée le vertige provoqué par l’amour, tout en témoi-
gnant de ma propre expérience de lectrice amoureuse», explique la
diplômée.
Intitulée «Trajet d’une lectrice amoureuse: lecture de l’amour dans la
littérature contemporaine des femmes (Québec-France, 1990-2016)»,
la recherche de Valérie Lebrun s’intéresse aux œuvres d’auteures
telles que Nelly Arcan, Christine Angot, Martine Delvaux, Camille Lau-
rens et Catherine Mavrikakis. «Alors que la femme est souvent un ob-
jet d’amour pour les hommes, que ceux-ci cherchent à posséder, j’ai
voulu parler des femmes en tant que sujets, en tant quamoureuses,
souligne la diplômée. Une figure relie ces écrivaines, à laquelle elles
font explicitement référence dans plusieurs écrits. Il sagit d’Antigone,
personnage tragique de la mythologie grecque, une femme assoiffée
de justice qui refuse d’être victime en se révoltant contre l’autorité du
roi Créon pour mieux affirmer son amour
Valérie Lebrun fait intervenir d’autres auteures, comme Marguerite
Duras, Virginia Woolf, Françoise Sagan et Susan Sontag, dont les
œuvres ont aussi été écrites par amour, que ce soit pour la littérature,
pour le cinéma ou pour des femmes ou des hommes. «Plusieurs au-
teures évoquent Marguerite Duras, qui a incité de nombreuses
femmes à écrire, note la diplômée. Ainsi Catherine Mavrikakis écrit:
Duras, je l’aime… Son écriture me bouleverse, me hante… Je dois
l’avouer: j’aurais bien aimé être son Yann Andréa
Dans l’ensemble des œuvres étudiées, l’adresse amoureuse, qui se
traduit par une écriture au je, le pronom de l’intimité, est récurrente.
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«Quelle prenne la forme de lettres ou d’un journal intime, l’adresse
amoureuse implique l’appel ou l’élan vers l’autre à travers la littérature,
poursuit Valérie Lebrun. Quand on parle d’amour, on parle toujours à
quelquun ou de quelquun.»
«Dans la vie de tous les jours, l’amour est parfois décevant. La littérature est le
seul espace, sans limites, qui peut rendre justice au rêve que l’on a de l’amour, qui
peut lui donner tout son souffle.»
Valérie Lebrun,
Faire de l’amour un cinéma 
La diplômée sest penchée sur «le cinéma que les femmes font de
l’amour», cette manière de donner toute la place à la fiction de
l’amour, en en faisant le seul sujet, la seule mesure de la littérature.
«Dans la vie de tous les jours, l’amour est parfois décevant, observe
Valérie Lebrun. La littérature est le seul espace, sans limites, qui peut
rendre justice au rêve que l’on a de l’amour, qui peut lui donner tout
son souffle.»
Entre le commencement de l’amour et la tragédie de sa fin, les
œuvres analysées par la diplômée mettent toutes en scène le désir et
l’impossibilité de conjuguer à la fois l’expérience réelle de l’amour,
avec toutes ses contingences, et son imaginaire, souvent grandiose.
«Comment résoudre cette contradiction? Que signifie vivre par amour,
aimer à en mourir? Ces questions hantent plusieurs écrivaines, dit Va-
lérie Lebrun. Le seul amour qui en vaille la peine, cest l’amour impos-
sible, parce qu’il est infini. C’est d’ailleurs le titre d’un livre de Christine
Angot:
Un amour impossible
«La solitude est une dimension intrinsèque de l’amour, voire une fatalité. Même
en couple, la fusion nest jamais complète. Chez les auteures de mon corpus, la
vraie relation durable est celle qui existe entre la narratrice et l’écriture.»
Une expérience de la solitude
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La diplômée a voulu séloigner du vase clos de la relation – notam-
ment hétérosexuelle – centrée sur le désir, la sexualité et l’érotisme,
pour mettre en lumière la différence entre l’amour comme expérience
de la solitude à travers l’acte d’écrire et une culture de la romance fon-
dée sur la dépense et la consommation des corps. «Quand on écrit ou
quand on aime, on est toujours seul, soutient Valérie Lebrun. La soli-
tude est une dimension intrinsèque de l’amour, voire une fatalité.
Même en couple, la fusion nest jamais complète. Chez les auteures
de mon corpus, la vraie relation durable est celle qui existe entre la
narratrice et l’écriture.»
Plusieurs récits littéraires se réduisent à une chronologie des rapports
amoureux: rencontre, passion, échec, rupture ou réconciliation. Dans
les œuvres quelle a étudiées, la diplômée observe plutôt des allers-
retours constants entre l’imaginaire de l’amour et un discours réflexif
sur l’écriture dont l’amour est le sujet. «La réflexion sur l’amour et celle
sur son écriture sentrelacent, créant une sorte de hors-temps.
Lamour nest plus pensé en termes de souvenir, d’extase ou de crise
au présent ou de rêve dans le futur
Les lieux de l’amour
Valérie Lebrun s’intéresse à la portée amoureuse de lieux – pays, ville,
hôtel, chambre – où rien ne se passe, sinon la genèse des gestes d’ai-
mer et d’écrire. «Dans les écrits de Camille Laurens, Christine Angot
et Martine Delvaux, l’Italie – Rome, en particulier – apparaît comme le
lieu originel qui produit l’amour, observe la diplômée. C’est le lieu de la
passion, qui permet d’ancrer les histoires d’amour dans l’imaginaire
de la tragédie antique et dans ce qu’il y a de plus commun à l’imagi-
naire amoureux.»
New York, Paris ou Londres sont d’autres lieux emblématiques qui
nourrissent l’imagination de l’écrivaine et de la lectrice en suscitant
une foule d’images. «Il suffit de fermer les yeux pour que surgissent un
paysage, une couleur, une lumière, dit Valérie Lebrun. Londres a
donné matière à la quête d’écriture de Virginia Woolf. Dan l’une de ses
nouvelles, l’écrivaine traverse la ville à la recherche d’un crayon.» 
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Un amour immodéré pour l’amour
Valérie Lebrun reconnaît que sa thèse a pour point de départ un
«amour immodéré pour les histoires d’amour», celles que racontent
les livres et les films, et celles dont le souvenir est ravivé par les pho-
tographies. «Ce qui mattirait, dit-elle, cétait le rêve d’amour, son dé-
but et les efforts que l’on déploie pour qu’il ne se termine pas, car on
ne veut jamais que l’amour finisse. Je voulais faire une thèse qui ne
mettrait pas fin à l’amour… le fantasme de la fusion, probablement.
Tout le monde me disait que je risquais de me perdre dans cette
aventure, mais je pense avoir gagné mon pari.»
La diplômée aimerait écrire un jour un livre, un seul. «J’essaierais de
tout y mettre, comme je l’ai fait avec ma thèse.» En attendant, Valérie
Lebrun a entrepris, depuis septembre dernier, des études de bacca-
lauréat en droit à l’Université McGill. «Cela correspond peut-être à
une autre quête de l’impossible, celle de la justice», dit-elle en riant.
Comme quoi Antigone nest jamais loin.
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