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ANALGÉSIE-SÉDATION CHEZ LA FEMME ENCEINTE
EN SITUATION D’URGENCE NON OBSTÉTRICALE
Correspondance :
Gilles Bagou, SAMU-SMUR de Lyon, Hôpital Edouard-Herriot, 69437 Lyon cedex 3.
Les points essentiels
La grossesse n’est pas un justificatif à une oligo-analgésie.
La dépression respiratoire maternelle éventuelle a un retentissement fœtal plus
marqué.
Le choc postural peut provoquer une souffrance fœtale et doit être prévenu.
Le paracétamol et le dextropropoxyphène peuvent être utilisés quel que soit le
terme sans modification des posologies.
La morphine est l’antalgique de palier 3 de référence chez la femme enceinte
en se méfiant du risque respiratoire pour le nouveau-né en cas d’utilisation
dans les heures qui précèdent sa naissance.
Les AINS sont contre-indiqués au 3
e
trimestre et à éviter avant.
Une anesthésie est réalisée avec une induction en séquence rapide, une
inclinaison latérale permanente et l’utilisation d’une sonde d’intubation d’un
diamètre réduit de 0,5 mm.
Le risque d’intubation difficile est majoré et l’oxygénation doit être privilégiée.
L’approche de la douleur chez la femme enceinte obéit aux règles habituelles
d’évaluation et d’exploration de la douleur. Seules les thérapeutiques sont sus-
ceptibles d’être adaptées compte tenu des modifications physiologiques et ana-
tomiques maternelles liées à la grossesse et du retentissement éventuel sur
Chapitre
33
Analgésie-sédation
chez la femme enceinte
en situation d’urgence
non obstétricale
G. B
AGOU
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l’enfant, des médicaments et des techniques utilisés. On ne s’intéressera qu’aux
situations d’analgésie ou d’analgésie-sédation en urgence, donc dans une situa-
tion aiguë et pour une administration de courte durée.
1. Modifications physiologiques lors de la grossesse
Les modifications physiologiques lors de la grossesse sont biologiques, liées à
l’influence des hormones, et mécaniques, liées au développement de l’utérus
gravide
(1)
. Certaines ont un impact direct sur l’analgésie et la sédation en situa-
tion d’urgence.
Sur le plan hémodynamique, le débit cardiaque augmente précocement pour per-
mettre une bonne perfusion placentaire ; ces augmentations atteignent leur maxi-
mum au 2
e
trimestre : débit cardiaque + 50 %, fréquence cardiaque + 25 %,
volume d’éjection systolique + 30 %. Les résistances vasculaires diminuent sous
l’action des prostaglandines. En décubitus dorsal, la compression aortique et surtout
cave inférieure, diminue le débit cardiaque de 20 %. Même asymptomatique chez
la mère, cette compression peut provoquer une hypoperfusion placentaire et une
souffrance fœtale. Le décubitus latéral, ou à défaut l’inclinaison latérale de 15 à
30°, préférentiellement du côté gauche, améliore significativement l’hémodyna-
mique
(2)
. Si cette installation ne peut être réalisée, il convient de repousser
manuellement en permanence l’utérus vers la gauche
(3)
. À terme, la circulation
utérine représente 10 % du débit cardiaque passant de 6 à 300 ml/min pour
chaque artère utérine au cours de la grossesse. Elle n’est pas autorégulée et dépend
directement de la pression artérielle maternelle
(4)
. Les alpha-mimétiques (adréna-
line, éphédrine) peuvent détourner tout ou partie du débit placentaire vers la mère
et ne doivent être utilisés qu’en dernier recours, comme sauvetage maternel, afin
d’éviter une détresse circulatoire fœtale
(5)
. La volémie augmente de 35 à 50 % à
terme avec une anémie relative par hémodilution. Il existe une hypercoagulabilité.
Les modifications respiratoires favorisent la survenue d’une hypoxémie. La
consommation d’oxygène augmente (+ 20 % en fin de grossesse). Si la ventila-
tion minute est augmentée par la progestérone (+ 45 % à + 70 % à terme), la
capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) est abaissée (– 20 %) avec une relative
insuffisance respiratoire restrictive due à la compression diaphragmatique par
l’utérus gravide. Cette diminution de la CRF multiplie par 2 la vitesse de décrois-
sance de la PaO
2
en cas d’apnée
(6)
. Toute hypoventilation peut ainsi entraîner
une hypoxémie brutale. Le maintien de la perméabilité des voies aériennes est
rendu plus difficile par les évolutions anatomiques secondaires à la prise de
poids, à l’hyperhémie et à l’œdème de la muqueuse des voies aériennes supé-
rieures et des cordes vocales, y compris en l’absence de pathologie gravidique
telle la pré-éclampsie. L’intubation difficile est reconnue comme 5 à 8 fois plus
fréquente chez la femme enceinte (1/250) en milieu hospitalier
(7)
. Ce risque,
certainement majoré en situation d’urgence notamment extrahospitalière, doit
être intégré à la réflexion sur le choix des techniques d’analgésie-sédation.
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Les effets de la grossesse sur la vidange gastrique sont débattus (diminuée ou
inchangée) mais il est certain que le travail obstétrical la ralentit
(8-10)
. Quoi
qu’il en soit, l’hypotonie du cardia, l’augmentation de l’acidité gastrique et le
refoulement de l’estomac vers le haut, augmentent le risque d’inhalation de
liquide digestif à partir de 18 SA. Ceci fait considérer toute femme enceinte
comme « une patiente à estomac plein ». Ainsi, l’obturation de l’œsophage par
la compression externe du cartilage cricoïde (manœuvre de Sellick)
(11)
est
recommandée malgré l’absence d’étude clinique prouvant définitivement son
efficacité et son innocuité. Son application rigoureuse est complexe et doit être
apprise, donc anticipée, car sa réalisation est difficile et volontiers imparfaite en
situation d’urgence notamment extrahospitalière : une tierce personne doit exer-
cer sur le cricoïde une pression de 10 à 20 N avant l’endormissement puis de
30 à 40 N dès la perte de connaissance et jusqu’au gonflement du ballonnet de
la sonde d’intubation dont la bonne position a été affirmée (auscultation et sur-
tout capnographie). Sa mauvaise réalisation est exceptionnellement traumatique
(rupture œsophagienne, fracture du cricoïde) et habituellement inefficace voire
gênante pour l’intubation
(12, 13)
.
En somme, pour ce qui est de l’analgésie-sédation en urgence, la grossesse
majore les risques de choc postural, d’hypoxie, de régurgitations et d’intubation
difficile qui ne se traduisent essentiellement que lors d’une sédation importante
ou d’une anesthésie. Ces risques graves pour la mère et l’enfant doivent être
prévenus.
2. Médicaments et grossesse
En fonction de la période de la grossesse, certains médicaments sont susceptibles
de provoquer trois types d’effets sur le développement embryo-fœtal :
les effets tératogènes ou malformatifs, liés aux expositions du premier tri-
mestre de la grossesse ;
les effets fœtotoxiques : atteinte de la croissance ou de la maturation histolo-
gique ou fonctionnelle des organes en place (à partir du deuxième trimestre de
la grossesse) ;
les effets néonataux, liés le plus souvent à des expositions survenues en fin de
grossesse ou pendant l’accouchement.
De plus, la grossesse modifie la cinétique des médicaments en raison d’une aug-
mentation de leur fraction libre (par hémodilution et hypoprotidémie) et du
volume de distribution. Cependant, les conséquences cliniques sont difficiles à
objectiver, notamment dans le cadre de l’utilisation en situation d’urgence des
molécules analgésiques et sédatives.
En dehors des effets secondaires délétères identifiés, la tératogénicité et la
fœtotoxicité supposées d’une substance sont le principal frein à son utilisation
chez la femme enceinte. Les mécanismes de la tératogénicité sont nombreux et
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incluent la disjonction chromosomique, la mutation, l’interférence avec les subs-
trats précurseurs, le déséquilibre osmotique, la déplétion énergétique, l’inhibition
enzymatique et l’altération membranaire
(14)
.
Pratiquement tous les agents pharmacologiques peuvent être responsables de
tératogenèse mais celle-ci n’est possible que si la conjonction de trois facteurs
est présente : une espèce donnée, une dose particulière et un moment précis de
la grossesse. Les études expérimentales animales ne sont pas directement trans-
posables à l’homme et les nouveaux médicaments ne sont jamais testés chez la
femme enceinte. Les études ayant évalué les effets tératogènes des agents anes-
thésiques dans l’espèce humaine sont très rassurantes. Par ailleurs, des études
expérimentales indiquent que le taux de mort cellulaire programmée (apoptose)
des neurones immatures semble augmenter après exposition à des substances à
effet anti-NMDA ou GABA-ergiques
(15)
. Il est enfin possible que les anesthésies
répétées de jeunes enfants favorisent les difficultés d’apprentissage
(16, 17)
.
Par précaution, les recommandations sur l’utilisation des médicaments chez la
femme enceinte sont donc très restrictives. Ainsi, il y a bien plus de recomman-
dations d’abstention que de contre-indications formelles. Les produits contre-
indiqués le sont quelle que soit la voie d’administration. D’autre part, s’il faut
tenir compte de la molécule active et de ses métabolites, il ne faut pas oublier
les éventuels adjuvants : les sulfites sont par exemple neurotoxiques chez le pré-
maturé.
Enfin, en ce qui concerne les posologies des produits dont l’administration res-
pecte une posologie exprimée précisément en dose pondérale, les études et les
pratiques ne tranchent que rarement entre la référence aux poids avant et en
cours de grossesse.
3. Analgésie en ventilation spontanée
3.1. Analgésique et grossesse
Comme pour tout patient algique
(18)
, il n’existe pas de contre-indication à
l’analgésie chez une femme enceinte. Celle-ci s’impose chaque fois que la
patiente exprime une douleur sur les échelles d’auto-évaluation.
L’influence des analgésiques en cas de grossesse est très variable. Les données
étant susceptibles d’évoluer, il est utile de se référer à des centres de références
tels le Centre de Référence des Agents Tératogènes (CRAT)
(19)
ou le Centre
National de Ressources de lutte contre la Douleur (CNRD)
(20)
:
paracétamol : pas de risque particulier, posologies normales en l’absence
d’insuffisance hépatique ;
aspirine : prescrite à faible dose pendant la grossesse pour des pathologies
obstétricales (effet antithrombotique et antiprostaglandine), utilisable ponctuel-
lement avant 24 SA, contre-indiquée à partir de 500 mg/j au troisième trimestre
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(toxicité rénale fœtale, fermeture prématurée du canal artériel, hémorragie intra-
crânienne néonatale) ;
AINS : contre-indiqués au troisième trimestre et à éviter avant, même en trai-
tement ponctuel ;
dextropropoxyphène : pas de risque particulier ;
codéine : utilisation possible (opiacé faible le mieux évalué en début de gros-
sesse)
(21)
, se méfier de la constipation ;
tramadol : les données sont rares mais rassurantes ;
néfopam : à éviter faute de données cliniques chez l’homme ou l’animal ;
buprénorphine : aucune tératogénicité mise en évidence malgré de nom-
breuses grossesses exposées lors du premier trimestre dans le cadre de traite-
ments substitutifs, mais intérêt très limité ;
– nalbuphine : absence de données ;
morphine : aucun effet tératogène connu, dépression respiratoire du
nouveau-né si un morphinique a été administré à la mère peu de temps avant
la naissance, syndrome de sevrage du nouveau-né au cours des 15 premiers
jours en cas de prise maternelle chronique ;
kétamine : par son action antagoniste sur les récepteurs NMDA, la kétamine
a un effet antalgique qui se manifeste dès les faibles doses (< 1 mg/kg). Ses
effets secondaires notamment psychodysleptiques rendent son utilisation parfois
délicate. Ses effets sur l’utérus dépendent de l’âge de la grossesse : elle peut
provoquer des contractions utérines au premier trimestre, mais pas au cours des
deux derniers. En anesthésie obstétricale, elle ne modifie pas le tonus utérin
basal chez la parturiente mais peut potentialiser les contractions utérines pour
des doses supérieures à 1 mg/kg. Enfin, le passage transplacentaire lors des
doses inférieures à 1,5 mg/kg ne provoque pas de dépression respiratoire et
cardio-vasculaire chez le nouveau-né ;
anesthésiques locaux : la sensibilité du nerf aux anesthésiques locaux est aug-
mentée
(22)
et la dose toxique diminuée mais il n’y a pas de contre-indication
spécifique à la grossesse pour les infiltrations et les anesthésies loco-régionales ;
antimigraineux : les dérivés de l’ergot de seigle sont contre-indiqués car téra-
togènes chez l’animal, un risque ne peut être exclu avec les triptans ;
– antispasmodiques : pas d’effet tératogène connu, utilisables à doses modérées
pendant quelques jours ;
corticoïdes : utilisables chez la femme enceinte quels que soient la voie
d’administration, la posologie et le terme de la grossesse ;
protoxyde d’azote : absence d’effet tératogène prouvé, privilégier l’auto-
administration en veillant à conserver le contact verbal afin de dépister une
dépression neurologique qui favoriserait les troubles de la motricité du carrefour
aéro-digestif.
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