Gérer les attentes

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Gérer les attentes, les défis et le stress dans le ministère pastoral
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Publié dans le cahier n° 87 - 1er trimestre 2013
Quand un pasteur arrive dans une Église, la communauté nourrit toutes sortes
d'attentes à son égard : nombreuses sont celles qui sont clairement exprimées, mais
d'autres demeurent 'implicites". Parallèlement à cette multiplicité d'attentes, le pasteur
doit faire face à divers défis inhérents à ce ministère si particulier. Cette juxtaposition
d'attentes et de défis à relever est certainement génératrice de pressions, de
frustrations et de stress qui, selon le type de personnalité du pasteur, peuvent prendre
des proportions inquiétantes. Fort de son expérience de pasteur et de
psychothérapeute, Paul Millemann fait le point sur ces différents domaines. Les
pasteurs ont besoin d'être encouragés et équipés pour gérer de façon appropriée les
attentes, les défis et le stress dans leur ministère.
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Un collègue pasteur a partagé récemment une question à laquelle il a été confronté
dans le cadre d'une enquête de société sur les différentes professions et les dangers
qui y sont liés. La question était la suivante : "Pratiquez-vous une profession à risque ?"
La question a de quoi surprendre quand elle s'applique à la fonction pastorale. Être
pasteur, est-ce réellement un métier comme les autres ? Est-il possible de parler de
métier en considérant la fonction pastorale ? Même sur le plan du droit du travail, des
divergences existent dans les relations qui unissent un pasteur à son Église. D'un côté,
il y a ceux qui suivent les exigences du code du travail formalisées par un contrat, ainsi
que les exigences du régime général. De l'autre, les pasteurs dépendent du régime
spécifique des associations cultuelles et ne relèvent pas du droit du travail. Il existe
donc une certaine singularité de la fonction pastorale. Sans horaires de travail stricts, il
est parfois délicat pour le pasteur, comme pour ses paroissiens, de savoir ce qui, dans
ses activités, rentre dans le cadre d'un métier ou non, ni même parfois de savoir ce qu'il
fait ou ne fait pas. Cette zone de flou, tout comme la diversité des attentes réciproques,
montre la difficulté de l'engagement pastoral. Jonathan Ward souligne :
"Quand certaines Églises demandent un pasteur, elles désirent une personne avec la
puissance d'un aigle, la douceur d'une colombe, la grâce d'un cygne, l'œil perçant d'un
faucon, la fidélité d'une hirondelle, l'endurance noctambule d'un hibou, l'activité d'un
pivert, l'allure d'un paon, la persistance d'un jars... et quand elles trouvent cet "oiseau
rare", elles veulent qu'il vive sur le menu d'un canari(1), www.lecnef.org
De telles attentes, dont certaines sont peu réalistes, ouvrent la voie à des tensions, des
incompréhensions et des conflits pouvant aller jusqu'à des ruptures de collaboration. Si
dans le monde du travail les situations d'épuisement professionnel (ou de burn-out),
comme celles de harcèle-ment moral sont de plus en plus fréquentes aujourd'hui, la vie
de nos Églises ne semble pas non plus épargnée par de telles problématiques.
Si de multiples raisons conduisent à la réalité des abandons dans le ministère, Étienne
Lhermenault, en évoquant l'usure dans le ministère, précise que :
"... les serviteurs de Dieu ont des limites et ne peuvent les ignorer sans mettre leur vie
en danger. Nous tendons à oublier ce principe simple, parce que nous vivons dans une
société de la performance qui exige le dépassement de soi et déteint sur les pasteurs
que nous sommes, ne serait-ce que parce que nos frères et sœurs vivent sous cette
pression et nous communiquent leur stress "(2).
Comment bien vivre le ministère pastoral ? Comment fonctionner dans le respect des
limites de chacun ? Comment bénéficier de la richesse du travail en équipe ? Comment
servir sans s'asservir ? Comment gérer les attentes et les non-dits dans le cadre du
travail pastoral ? Sans prétendre pouvoir répondre en détail à ces questions de fond, il
nous semble utile de considérer la réalité de la pression des attentes, quelques défis
propres au ministère pastoral, ainsi que des considérations spécifiques sur la gestion
du stress.
1- LA PRESSION DES ATTENTES IMPLICITES
La question des attentes n'est jamais simple à aborder. Un des grands défis dans les
contacts entre le pasteur et l'Église au début d'une collaboration est de bien clarifier les
attentes réciproques. Avec la joie de pouvoir envisager une future collaboration, on ne
pense pas à prendre le temps de parler en détail des attentes réciproques, car les
choses vont sans les dire mais, avec la pratique, on se rend compte que cela va
beaucoup mieux en les disant. La difficulté des attentes se répartit selon une proportion
de l'ordre d'un cinquième d'attentes explicites et claires pour quatre cinquièmes
d'attentes implicites. Ainsi, un des enjeux du dialogue initial entre un pasteur et l'Église
qui va vivre en collaboration avec lui, est de clarifier les attentes, d'essayer de faire
basculer les attentes implicites dans l'explicite. En discutant librement de quelques
points essentiels, un certain nombre d'attentes peuvent être exprimées. La comparaison
entre les attentes des autres et les attentes personnelles peut faire l'objet de
discussions préalables particulièrement enrichissantes et tellement nécessaires.
1. Quelles conceptions de l'appel ou de la vocation ?
La question de la vocation doit susciter un dialogue entre le pasteur et l'Église pour
clarifier les attentes réciproques. Diverses tendances oscillant entre deux extrêmes en
termes d'appel sont observables. Il existe d'un côté une vision "mystique" de la vocation
et à l'opposé une vision plus rationnelle et pragmatique. Les décalages qui peuvent
exister d'une personne à l'autre dans la conception de l'appel vont conduire à des
attentes divergentes et à des frustrations de part et d'autre. Derek Tidball précise :
"Le pasteur est une personne qui répond à un double appel : celui de l'Église (l'appel
extérieur) et celui de Jésus-Christ par son Esprit (l'appel intérieur). Il arrive que des
difficultés et des drames surgissent à cause de mésententes entre des Églises et leurs
ministres. D'autres, plus discrètes peut-être, mais non moins dramatiques, se
produisent quand l'appel personnel et intérieur du pasteur s'atrophie lentement au
détriment de sa personne, sa famille et son Église"(3).
Il faut encore préciser que Dieu est créatif et que l'appel au ministère peut prendre
différentes formes. Il n'y a qu'à comparer les vocations de Jérémie (1.4-9) et d'Ésaïe
(6.8) pour en avoir un premier aperçu.
2. Quel est le rôle attendu du pasteur ?
L'Église a-t-elle besoin d'un enseignant, d'un administrateur compétent, d'une personne
spécialisée dans la relation d'aide et l'accompagnement de la souffrance, d'un
visionnaire pour initier de nouveaux projets, d'un pasteur qui passe bien avec les
jeunes, les personnes âgées... ? Il y a parfois autant d'attentes sur les modalités et le
style d'engagement du pasteur que de personnes participant à la vie de l'Église. Cette
réalité n'est pas simple à aborder et le rôle d'un conseil d'Église, ou d'un collège
pastoral, est déterminant pour accompagner le cheminement et la réflexion de l'Église.
Même si les clarifications ne sont pas des plus simples, il est important d'essayer
d'élaborer une synthèse adéquate d'attentes parfois très diverses.
3. Quel est le style de leadership attendu ?
Il existe différents styles de leadership et le travail pastoral implique la gestion d'une
autorité de serviteur, qui n'est pas simple à promouvoir. Le pasteur est appelé à être
imitateur de Christ et à allier ainsi la double réalité de chef et de serviteur. Il existe
réellement différents styles de leadership. Elias Porter, psychologue américain, s'est
beaucoup intéressé à la question des relations interpersonnelles et a développé un outil
d'appréciation des forces de personnalité, nommé SDI (4), dont le but est de comprendre
les motivations qui déterminent le comportement dans deux contextes différents. Le SDI
met en évidence des différences de réaction dans un contexte où tout se passe bien et
dans un contexte de conflit. Avec le SDI, sept styles de leadership difrents peuvent
être observés en fonction des motivations internes des personnes : (i)
encourageant/habilitant, (ii) coaching/mentoring, (iii) directif/modèle à suivre, (iv)
stratégique/tactique, (v) analytique et autonome/par processus, (vi)
guide/responsabilisant, (vii) orienté vers le travail en équipe et le consensus. Or, une
des difficultés avec le style de leadership est parfois de penser que chacun fonctionne
uniquement avec son propre style de motivations internes, sans penser que les autres
peuvent fonctionner autrement. Une meilleure connaissance de soi, de ses forces et
faiblesses, de ses limites sont des clés essentielles du dialogue pour mieux comprendre
son fonctionnement dans les relations avec les autres.
4. Quelles sont les capacités de gestion des conflits ?
Les situations de conflit sont rarement vues comme des occasions de croissance et des
défis à relever pour mieux se connaître et comprendre son fonctionnement. Cependant,
si les conflits sont inévitables dans les Églises, la manière de les appréhender et de les
résoudre est déterminante. L'attente que le pasteur soit un artisan de paix, qu'il trouve
un juste équilibre entre vérité et amour et qu'il se mobilise dans la résolution du
problème est une réelle nécessité. Jeanne Farmer note :
"Tous dans l'Église ne sont pas habilités à répondre de façon adéquate même si le
problème est détecté. Si celles et ceux qui sont en position d'agir ne le font pas, l'Église
va au-devant de gros problèmes. De plus, un responsable doit distinguer (...) entre un
défi pour lequel l'Église a déjà les moyens de répondre, et un défi d'un type nouveau,
qui demandera une adaptation nouvelle et donc un changement en profondeur. Il lui
faudra le courage de mettre les membres de la paroisse devant le problème, de les
obliger à l'affronter même s'ils n'ont peut-être pas envie de le voir, et de proposer une
direction ou au moins d'ouvrir le débat sur la question"(5).
5. Quelles sont les relations entre le pasteur, l'Église et l'union d'Églises ?
La clarification des attentes et des besoins de l'Église peut être accompagnée par des
personnes extérieures, comme certains responsables de l'union d'Églises ou des
membres de la commission des ministères de l'union. Une réflexion menée par un tiers
extérieur pourra aider les membres d'un conseil d'anciens à trouver une meilleure
adéquation entre le futur pasteur et l'Église. Certaines unions d'Églises développent
ainsi l'idée d'une évaluation du pasteur, associée à une évaluation de l'Église, en vue de
trouver des points de convergence et de discuter des points de divergences. La
discussion autour de ces derniers permet d'élaborer des points de vigilance, pour mieux
accompagner les uns et les autres. Il va de soi qu'un pasteur ne peut satisfaire toutes
les attentes et répondre à des besoins très divers, malgré la richesse de ses dons. Mais
un pasteur n'en est pas moins un collaborateur actif au sein d'une équipe, dont les dons
spirituels peuvent compléter ceux des personnes déjà en place au sein d'un collège
d'anciens. L'union d'Église, qui connaît les candidats éventuels aux futurs postes
pastoraux peut accompagner et orienter ces derniers en vue de collaborations
fructueuses.
2- QUELQUES DÉFIS DANS LE MINISTÈRE
Si le ministère pastoral représente une certaine singularité dans la mesure où il ne peut
être reconnu comme une activité professionnelle de même type que n'importe quelle
autre, il existe réellement des défis dans le ministère qui peuvent être vecteurs de
stress ou sources de bien des frustrations. Les huit critères suivants ont été identifiés
par Jonathan Ward dans le cadre des activités du RESAM (REseau de Soutien Au
Ministère), puis présentés dans des conférences publiques sur le sujet de l'épuisement
professionnel dans le ministère pastoral(6).
1. La solitude dans le ministère
Le fait de n'avoir personne à qui se confier, à part éventuellement son conjoint, est une
réelle difficulté pour les pasteurs, qui conduit à un isolement, voire un repli sur soi. Le
serviteur et son conjoint se sentent parfois très seuls dans le ministère et ils auraient
besoin de trouver une oreille neutre et attentive, sans jugement, où la confidentialité est
assurée, et où ils peuvent être compris dans leurs difficultés et leurs questionnements.
C'est dans ce sens que des rencontres pastorales, des accompagnements de proximité
par des collègues plus expérimentés peuvent constituer une réelle alternative.
2. Le stress de devoir vivre avec des ressources financières limitées
Il est parfois bien délicat de discuter de questions d'argent. Lorsque certaines Églises
embauchent un pasteur, elles attendent de son épouse une disponibilité à temps plein,
mais n'ont pas en parallèle la possibilité de soutenir de manière plus conséquente
l'engagement des deux conjoints et souhaitent par ailleurs que la femme du pasteur ne
travaille pas pour être disponible pour ses enfants et pour l'Église. Faut-il avoir fait vœu
de pauvreté pour être pasteur ? Et que peut-il faire, quand le logement de fonction qui
est mis à sa disposition implique des charges qui sont à peine couvertes par le quart du
salaire annuel ? En parallèle, les budgets d'Église sont parfois tellement limités que le
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