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LE SENS DES RESPONSABILITES - JOHN WHEELER

(Entretien extrait de son livre ‘’Shining in plain view’’)
Question : Rien n’est particulièrement problématique. Il est clair pour moi qu’il n’y a pas
d’auteur/acteur, ni personne pour s’approprier des mérites, ni moi, ni ceci, ni cela.
Cependant, il reste encore un problème subtil concernant le pouvoir d’agir.
John : Je pense que cela sort un peu trop facilement de votre bouche ! Réellement voir qu’il
n’y a pas de moi et toutes les implications que cela implique ne laisserait ni doutes, ni
questions, ni aucune souffrance, au demeurant. La conviction première d’être une personne
distinct(iv)e est le point de départ de tous les problèmes. S’il n’y a pas de moi, alors qui ou
qu’est-ce qui serait l’agissant ? Qui serait responsable, etc. ? C’est donc une question
profonde qui a probablement besoin d’un regard neuf. La question de la nature du soi est la
question ultime. Y répondre de façon concluante, c’est résoudre tous les problèmes et tous
les doutes possibles, parce que ceux-ci proviennent tous d’un manque de clarté fondamental
concernant qui nous sommes. En fait, les autres problèmes ne doivent même pas être
abordés séparément, puisque la croyance en un moi séparé est la cheville ouvrière de tout le
réseau de questions, de doutes et de problèmes.
Q : Le problème réside dans la responsabilité.
J : Ceci présuppose quelqu’un qui soit responsable. Les devoirs, les actions et les tâches ne
sont pas un problème. Votre cœur, vos reins, vos poumons et toutes les fonctions
corporelles opèrent sans discontinuer depuis la naissance, sans être perturbés par le sens
des responsabilités à l’égard de leur travail bien nécessaire. Le problème émane du
sentiment d’être un ‘’je’’ qui sent qu’il est là et responsable. Tout ceci m’arrive à ‘’moi’’ qui
opère. C’est le hic et la véritable source du problème. Vous verrez que tout revient à la
problématique du sens de soi qui est centrale.
Q : J'ai une famille à soutenir et cela, avec d'autres expériences de la vie, ne m’a pas laissé
vraiment rêveur (même si je puis admettre que tout soit un Rêve).
J : Le corps et l’esprit soutiennent la famille qu’ils ont créée ! Où se situe la difficulté ? Il doit
y avoir une autre idée en jeu comme ‘’on me prive de ma liberté, on m’empêche de faire
d’autres choses que je veux faire’’. Quelle est l’origine du problème ?
Q : Peu importe ce que l'on me dit sur le fait qu’il n’y a personne qui choisit et que personne
n'est responsable, je ne peux pas y arriver à partir d'ici. Je regarde autour de moi et j'observe
des nations entières et des individus isolés qui sont affectés par les conditions de la
mentalité. L’Inde et sa pauvreté et ses vaches sacrées deviennent un exemple classique
d’une attitude de non-choix/non-responsabilité.
J : Il y a certainement des choix qui sont faits et des décisions responsables qui sont prises.
Ceci n’est pas non plus un problème. La question de savoir s'il y a une entité présente qui fait
le choix ou qui est responsable est une autre paire de manches. Nous pensons ‘’je fais ceci’’
et c’est là que le problème se pose. Il n'y a aucun problème par rapport aux décisions, aux
responsabilités, aux pensées, aux affaires des nations, etc. Il n’y a qu’une seule pierre
d’achoppement dans le tableau : une croyance erronée en ce que nous sommes ou une
mauvaise identification de notre nature réelle avec quelque chose qu’elle n’est pas. Là est le
problème et la résolution de ce problème libère tout – tout en laissant tout intact et
continuant comme auparavant. Cela revient à un changement de perspective, pas à un
changement particulier dans ce qui se passe. Je vous garantis que les choix, les actions et
tout le reste peuvent continuer et qu’ils continueront, mais il est inutile que la souffrance
continue.
Q : Pour l’instant, évitons la dualité de l’acteur et de l’acte. Indépendamment du corpsmental, il y a un sentiment de choix et de responsabilité, qu’il soit phénoménal ou subtil,
mais même ainsi, on pourrait soutenir qu’un choix s’opère.
J : Oui et il n’y a aucun problème avec cela. Ce n’est que si nous ramenons tout cela à un
centre personnel avec ses croyances, ses convictions et ses préférences que les problèmes
commencent.
Q : Il y a quelque chose qui a un effet et cet effet est produit par les conditions de l’esprit.
J : Tout cela est vrai.
Q : Et si je crois qu’un manque de responsabilités entraîne de mauvais choix à cause d’un
état d’esprit passif ou d’un conditionnement des neurones ? Voulez-vous dire que je devrais
plutôt considérer qu'il n'y a ni cause, ni effet ? Tout cela arrive, c’est tout ? Que je le crois ou
non, cela arrivera ? C’est ce à quoi je ne puis arriver. C’est carrément effrayant !
J : Le problème, c’est que nous nous considérons comme une entité distinctive, à part de la
réalité plus profonde. C’est la méprise fondamentale. Tout part de là. Le sentiment d’être
l’auteur de l’action, la responsabilité, le conditionnement, la peur – tout cela part d’un
manque de clarté et dépend d’un manque de clarté en ce qui concerne qui nous sommes et
il n’y a aucune résolution de tout cela aussi longtemps que la question fondamentale n’est
pas abordée.
Qui dit que vous devez arriver à quelque chose ? Vous êtes la réalité ultime, mais vous ne le
voyez pas encore clairement. Etant la réalité qui est la paix éternelle et le contentement
même, qu’y a-t-il à faire – si ce n’est évacuer l’idée d’être quelque chose d’autre ? C’est
seulement la personne séparée imaginée qui a peur, parce qu’elle ne sait pas qui elle est et
parce que ses idées l’effrayent elle-même.
Q : C’est une chose de le dire, mais le faire est autre chose. (Oui, je sais, encore une autre
dualité.) Pourquoi est-ce si effrayant ? Parce que l’esprit peut anticiper l’avenir et les voies
futures.
J : Mais le futur n’est qu’un concept imaginaire, il n’existe pas vraiment. Une caractéristique
particulière qui apparaît après avoir trouvé la clarté par rapport à votre identité, c’est une
absence de préoccupation presque totale concernant le passé et l’avenir.
Q : La mentalité ‘’ce qui adviendra adviendra’’ engendre le type de conditionnement qui
affecte des nations, comme des personnes. L’Inde hindoue, encore une fois !
J : C’est vous qui le dites. Ceux qui se considèrent comme des personnes sont très
préoccupés par le passé et par l’avenir et par ce qui va se passer, mais êtes-vous simplement
une personne ou quelque chose de plus ?
Q : Je n’ai peut-être pas de preuve que j’emprunterai en fait une voie moins souhaitable,
mais je puis regarder autour de moi et voir les conséquences de divers types de mentalités
ou conditionnements. Ainsi que je l’ai dit, les exemples abondent dans les sociétés et chez
les individus. Ceux qui ont un certain degré d’inquiétude s’occupent de leur survie et de celle
d’autrui, tandis que ceux qui en sont dépourvus pourraient tout aussi bien finir dans les
marais de la désespérance. Succinctement, pourquoi cette appréhension est-elle présente, si
ce n’est pour des objectifs de survie valables ?
J : Le corps-esprit possède un instinct de survie intégré et une peur animale, sans aucun
doute, mais êtes-vous le corps ? Toutes les peurs et les doutes concernent le corps-mental.
Nous imaginons que c’est ce que nous sommes et nous nous chargeons de ces peurs (et
nous en rajoutons), parce que nous n’avons pas vu ce que nous sommes réellement.
Q : Il y a encore une question sur le plan pratique. Nous présumons qu’il y a une ‘’réalité’’ en
soi qui n’est pas simplement juste une idée dans la conscience et il semblerait que l’on
ignore la biologie à ses périls. Cependant, nul n’est là pour l’ignorer, mais veuillez pardonner
cette fichue syntaxe dualiste qui nous est infligée.
J : Tout va revenir à ce qui est notre hypothèse de ce que nous sommes. N’êtes-vous qu’un
corps-mental ou autre chose ? Etes-vous un ‘’moi’’ séparé, limité par le temps et par l’espace
et soumis au changement ? Y a-t-il même un moi séparé ? Tous les problèmes dépendent
d’un manque de clarté fondamentale concernant cette question. C’est le cœur de la
question. Et il n’y a aucune solution aux problèmes et aux dilemmes du mental sans clarifier
cela résolument de manière décisive. Même suivre les enseignements non-duels ne sera pas
très utile jusqu’à ce que la nature du problème soit comprise et que vous trouviez les
réponses par vous-même.
Si vous voulez aller au fond des choses ou essayer de les mettre en perspective, réfléchissez
à ce que vous considérez être. Qu’est-ce que vous êtes ? Quelles idées entretenez-vous
concernant qui vous êtes et ce que vous êtes ? Ce sont les croyances que nous entretenons
nous concernant qui déterminent notre expérience sur le plan pratique et quotidien.1
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Dans cette optique d’auto-analyse ou d’auto-découverte, je suggère la base du schéma des cinq koshas qui
sont présentés dans l’article du Dr Samuel H. Sandweiss, Le système des koshas. C’est le système du védanta,
mais les bouddhistes possèdent également un très bon système assez analogue. Ces systèmes sont
intéressants, parce que l’on peut vérifier par soi-même, petit à petit, à son propre rythme, ce qu’il en est
réellement. NDT.