page 42 page 43Me François-David Bernier et Nikolas-Samuel Baron BernierMe François-David Bernier et Nikolas-Samuel Baron Bernier
termes de stigmatisation, de douleur psychologique et de
stagnation sociale, ou encore pour le système de justice
et le système de santé.
Pour des gens qui ont été obligés de fuir leur pays
justement parce que leur quête de justice a rencontré
une cruelle impasse, pour cette population hautement
vulnérable, le rôle que la justice et le droit devraient
jouer serait de générer des conditions d’égalité et de
dignité, mais également, par exemple, de générer des
opportunités pour pouvoir poursuivre leurs carrières là
où elles ont été brusquement arrêtées.
Nous soulevons succinctement ici, à titre d’exemple,
trois problèmes reliés à l’accès à la justice des réfugiés
qui ont été remarqués parmi les victimes du conit
armé colombien au Canada et tentons d’y proposer, ou
plutôt d’y ébaucher brièvement des pistes de solution.
Il faut cependant comprendre l’expression « accès à la
justice » non pas seulement comme « accès aux services
juridiques » tel qu’elle est traditionnellement utilisée,
mais l’élargir au sens d’accès à des chances justes ou
encore comme « rétablissement de la justice » après une
trajectoire de vie brisée violemment et des pertes subies
incommensurables.
Notons que ces problèmes spéciques à la condition
des réfugiés, et en particulier des victimes de guerre,
peuvent être conjuguées avec les problèmes plus
généraux d’accès à la justice des personnes vulnérables,
notamment à cause des conditions socio-économiques
précaires, à leur arrivée au Canada et dans les premières
années. Ensuite, ayant accédé à la classe moyenne,
certains peuvent se retrouver avec les mêmes problèmes
d’accès à la Justice que plusieurs familles québécoises
et canadiennes, gagnant un peu trop pour avoir droit à
l’Aide Juridique, mais trop peu pour pouvoir se permettre
de payer un avocat.
En relevant les trois problématiques suivantes, qui ne
représentent sans doute pas un portrait exhaustif des
problèmes rencontrés par les réfugiés victimes de guerre,
nous voulons surtout ouvrir la réexion et invitons
autant juristes, intervenants du système judiciaire,
intervenants sociaux et réfugiés à nous communiquer
idées et témoignages, dans le but d’améliorer l’ecacité
du système. C’est pour cela qu’en termes de solutions,
nous posons volontairement davantage de questions que
nous n’apportons de réponses..
LES 3 BARRIÈRES :
1. LES BLESSURES DE GUERRE
Les atrocités qu’ont subi les réfugiés victimes de
la guerre dans leur pays ont causé des dommages
psychologiques qui perdurent et peuvent nuire à leur
intégration dans la société d’accueil (voir les articles
de Ingrid Garcia, de Laura Gallo Tapias, de Amparo
Jiménez et de Elizabeth Garcia du Nodo Quebec de
la Comision de la Verdad). La justice ayant souvent
été une des victimes les plus durement violentées,
la méance développée par ces réfugiés continue
fréquemment de distordre la perception du système
judiciaire ici. En eet, comment croire que le système
judiciaire puisse en toute intégrité répondre aux
besoins de la population, quand pendant toute une vie
on n’ a vécu qu’impunité des crimes et des massacres,
corruption institutionalisée, quand à chaque fois
qu’on a voulu dénoncer l’injustice ou le délit, on en a
chèrement payer le prix?
De la méance au comportement d’évitement
entretenant ignorance et incompréhension, il n’y a
qu’un pas. Sur un autre plan, les traumatismes de
guerre non soignés peuvent causer de la détresse
psychologique et déclencher la spirale connue
qui conduit de la maladie mentale à des actes
répréhensibles, sur sa propre personne ou sur autrui
Selon Elizabeth Garcia, avocate spécialisée en droit
des minorités en Colombie et aujourd’hui citoyenne
canadienne et fondatrice d’ASOVICA, « Le Canada
ne peut pas se contenter d’ouvrir les portes de ses
frontières et de sa citoyenneté aux réfugiés, il doit
aussi à partir de ce moment assumer sa responsabilité
et accompagner toutes ces hommes, ces femmes et
ces enfants à devenir des citoyens à part entière an
qu’ils accèdent réellement à l’égalité. (…) Par exemple,
les victimes de la guerre devraient systématiquement
être accompagnées dans un processus de guérison
de leurs traumatismes et de leurs blessures, et cela
bénécierait à tout le monde puisqu’ils pourraient
enrichir la société canadienne et québécoise en
exerçant leur plein potentiel, que ce soit sur le plan
humain ou professionnel. (…) Le refuge doit cesser de
n’être qu’un droit et devenir un foyer. »
Investir davantage pour que cette période de
transition soit garante d’un meilleur épanouissement
en tant que citoyen sain, éclairé et participant à la
démocratie, rapporterait à toute la société.
2. LE LANGAGE ET LES MALENTENDUS CULTURELS
La barrière linguistique peut avoir des conséquences
importantes non seulement sur le degré d’intégration
des réfugiés à la société d’accueil dans toutes
les sphères de la vie (travail, éducation, vie
communautaire, réseau social, etc.) mais également
sur la compréhension au quotidien des règles de
fonctionnement, des avis et directives émis par le
gouvernement (par exemple en Santé publique), des
lois et règlements et du fonctionnement du système
judiciaire.
Dans le cas du Québec, malgré le fait qu’une période
de plusieurs mois soit octroyée à la francisation, dans
les faits on constate que cette période n’est souvent
pas susante à l’acquisition du niveau requis de
maîtrise de la langue pour qu’on puisse considérer
que la personne réfugiée (ou immigrante en général)
possède des chances égales d’accès à l’emploi, à
l’éducation et à la justice, ainsi qu’à une multitude de
services et de droits dont ils peuvent bien souvent tout
simplement ignorer l’existence.
Bien sûr on peut arguer notamment qu’il existe
une panoplie de services de proximité (exemple
les centres de justice de proximité) ou de services
communautaires qui possèdent des interprètes,
mais ce n’est pas le cas partout. Et ce ne peut qu’être
une solution temporaire et transitoire, tôt ou tard
il faut miser sur l’autonomisation de la personne et
sa capacité à développer les outils nécessaires non
seulement pour communiquer et se débrouiller au jour
le jour, mais également pour comprendre les systèmes,
les enjeux et le mode de vie propre à son nouveau
foyer.
Plus spéciquement, en ce qui concerne certains
enjeux judiciaires, le simple fait de ne pas maîtriser
susamment une des 2 langues ocielles peut
occasionner un désintéressement et un détachement
plus ou moins prononcé de l’actualité, des médias,
et plus gravement, des lois et règlements. Ce
phénomène, s’il est conjugué avec l’isolement ou la
ghettoïsation, risque d’entretenir l’ignorance en ce
qui a trait à certaines coutumes, mœurs ou façons
d’agir qui seraient tolérées dans le pays d’origine
mais répréhensibles dans la société d’accueil. Ainsi,
par exemple, il arrive que des personnes subissent
une arrestation pour une infraction et s’étonnent
d’avoir enfreint la loi, s’exprimant sur le fait que ce
comportement était accepté dans leur pays. On parle
même parfois de fossés séparant deux « cultures
juridiques » diérentes.
Évidemment, « Nul n’est sensé ignoré la loi » et il va
de soi que c’est un devoir pour le nouvel arrivant
d’apprendre les us et coutumes ainsi que la Loi du
pays, tout le monde sera d’accord. Mais encore une
fois, nous voulons simplement nous donner des outils
pour mieux comprendre, rester pragmatiques et nous
demandons s’il n’y a pas lieu de faire mieux pour les
aider à accomplir ce devoir, pour le bien de tous?
Les solutions peuvent aller d’une prolongation
du temps de francisation à la formation de plus
d’intervenants du système judiciaire sur ces
diérences culturelles.
3. LA DISCRIMINATION
La discrimination, quelle que soit sa nature, peut
constituer un frein au développement social des
immigrants et des réfugiés, et entrave le chemin de
la justice. Que l’on parle de racisme, de xénophobie,
d’antisémitisme, d’islamophobie, de généralisations
pénalisant en bloc l’ensemble des individus d’un
groupe ethnique ou religieux, ce comportement
dommageable est fréquemment rapporté dans des
situations de travail, d’accès au logement, ou encore
au quotidien dans l’espace public ou de co-voisinage,
sous forme d’injure, d’insulte, de menaces, ou même
de voies de fait.
Dans le cas spécique des réfugiés colombiens,
il peut s’agir par exemple d’une stigmatisation
due à l’amalgame naïf que beaucoup de gens font
avec l’image des narcotraquants véhiculée par la
télévision et le cinéma. Plusieurs colombiens ont
rapporté sourir de cette association outrancière
qui ne correspond pas à leur réalité, ni bien sûr à la
grande diversité de la population colombienne, qui ne
saurait être réduite à un seul stéréotype.
D’autres expériences de discrimination « indirecte »
ont été vécues en lien avec le logement que ce soit au
stade de la recherche, où l’intolérance de plusieurs