“Ainsi que Lyell l’a très justement fait remarquer, l’étendue et l’épaisseur de nos
couches de sédiments sont le résultat et donnent la mesure de la dénudation1 que la
croûte terrestre a éprouvée ailleurs. Il faut donc examiner par soi-même ces énormes
entassements de couches superposées, étudier les petits ruisseaux charriant de la
boue, contempler les vagues rongeant les antiques falaises, pour se faire quelque
notion de la durée des périodes écoulées [...]. Il faut surtout errer le long des côtes
formées de roches modérément dures, et constater les progrès de leur
désagrégation. [...] Rien ne peut mieux nous faire concevoir ce qu’est l’immense
durée du temps, selon les idées que nous nous faisons du temps, que la vue des
résultats si considérables produits par des agents atmosphériques2 qui nous
paraissent avoir si peu de puissance et agir si lentement. Après s’être ainsi
convaincu de la lenteur avec laquelle les agents atmosphériques et l’action des
vagues sur les côtes rongent la surface terrestre, il faut ensuite, pour apprécier la
durée des temps passés, considérer, d’une part, le volume immense des rochers qui
ont été enlevés sur des étendues considérables, et, de l’autre, examiner l’épaisseur
de nos formations sédimentaires. [...]
J’ai vu, dans les Cordillères4, une masse de conglomérat4 dont j’ai estimé l’épaisseur
à environ 10 000 pieds [3km] ; et, bien que les conglomérats aient dû probablement
s’accumuler plus vite que des couches de sédiments plus fins, ils ne sont cependant
composés que de cailloux roulés et arrondis qui, portant chacun l’empreinte du
temps, prouvent avec quelle lenteur des masses aussi considérables ont dû
s’entasser. [...] M. Croll démontre, relativement à la dénudation produite par les
agents atmosphériques, en calculant le rapport de la quantité connue de matériaux
sédimentaires que charrient annuellement certaines rivières, relativement à
l'entendue des surfaces drainées, qu'il faudrait six millions d'années pour désagréger
et pour enlever au niveau moyen de l'aire totale qu'on considère une épaisseur de
1000 pieds [305 mètres] de roches. Un tel résultat peut paraitre étonnant, et le serait
encore si, d'après quelques considérations qui peuvent faire supposer qu'il est
exagèré, on le réduisait à la moitié ou au quart. Bien peu de personnes, d'ailleurs, se
rendent un compte exact de ce que signifie réellement un million”.
Darwin, C. Du laps de temps écoulé, déduit de l’appréciation de la rapidité des
dépôts et de l’étendue des dénudations. L'Origine des espèces. (p. 393 - 398).
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