LL13 - peau de chagrin (3) (1)

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Mort de Raphaël (extrait)
Raphaël tira de dessous son chevet le lambeau de la Peau de chagrin, fragile et petit comme
la feuille d’une pervenche, et le lui montrant : -Pauline, belle image de ma belle vie, disons-
nous adieu, dit-il.
- Adieu ? répéta-t-elle d’un air surpris.
- Oui. Ceci est un talisman qui accomplit mes désirs, et représente ma vie. Vois ce qu’il
m’en reste. Si tu me regardes encore, je vais mourir…
La jeune fille crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla chercher la lampe.
Éclairée par la lueur vacillante qui se projetait également sur Raphaël et sur le talisman, elle
examina très attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la Peau
magique. En la voyant belle de terreur et d’amour, il ne fut plus maître de sa pensée : les
souvenirs des scènes caressantes et des joies délirantes de sa passion triomphèrent dans son
âme depuis longtemps endormie, et s’y réveillèrent comme un foyer mal éteint.
-Pauline, viens ! Pauline !
Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils
violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux
de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce
désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le
salon voisin dont elle ferma la porte.
- Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te
veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !
Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à
demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein, et
pour se donner une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle.
« Si je meurs ; il vivra ! » disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux
étaient épars, ses épaules nues, ses vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les
yeux en pleurs, le visage enflammé, se tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à
Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec la
légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre dans ses bras.
Honoré de Balzac, La Peau de Chagrin, 1831
Introduction :
Doit-on vendre son âme au diable pour être heureux ? Balzac, un romancier français connu
pour “ La Comédie Humaine”, invite le lecteur à y réfléchir à travers le personnage de
Raphaël dans son roman intitulé La Peau de chagrin”. Dans le dénouement de ce roman,
Raphaël ne parvient pas à sortir de son piège mortel ; le romancier mise sur le caractère
spectaculaire de cette fin qui réintroduit une atmosphère sombre et fait écho à l'incipit du
roman.
Le fil conducteur de cet extrait montre le caractère destructeur de la passion.
Le premier mouvement évoque la révélation du secret de la peau, le second montre la
passion amoureuse intense des personnages, puis le troisième mouvement relate le passage
de l’amour à la mort.
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Mouvement 1 : la révélation du secret du Talisman à Pauline (de l.1 à l.9)
1. Cet excipit débute avec un renseignement sur le statut de la peau qui est devenue un
“lambeau” l.1, et Raphaël cache cet objet pour tenter d’oublier son destin tragique.
2. En addition, la comparaison « comme la feuille d’une pervenche » l.1-2 indique que le
beau cuir initial est désormais rabougri et révèle la fragilité de la peau, ce qui signifie
que Raphaël se rapproche de sa fin, puisque la peau représente sa vie.
3. À la ligne 2, il interpelle Pauline et la qualifie d’une “belle image”, ainsi la répétition
de l'adjectif belle” souligne l’amour porté pour elle.
4. Ensuite, Raphaël annonce sa mort à Pauline avec un ordre à l’impératif : “disons-nous
adieu” l.3, ce qui surprend la femme comme l’indique linterrogation dans “Adieu ?”
et “un air surpris” à la ligne 4.
5. Donc, Raphaël doit des explications et c’est ce qu’il fait en montrant 3 aspects :
a. La présentation de la peau avec le démonstratif “ceci”.
b. La définition de la peau de chagrin et de son pouvoir avec l’indication
“accomplit mes désirs”.
c. Et enfin, la révélation que l’objet physique incarne sa propre vie.
Ainsi, Raphaël continue son explication de façon logique d’un phénomène fantastique
qui, avec le jeu de clair-obscur évoqué par “la lueur vacillante” l.8, fait écho avec le
début du roman.
6. De même, nous avons un nouvel écho à l’incipit quand Pauline cherche à comprendre
le mécanisme de la peau : « Elle examina très attentivement » l.9.
Mouvement 2 : La passion amoureuse intense mêlée à la folie (de l.10 à l.20)
1. À partir de la ligne 10, la passion de Raphaël est évoquée par l’oxymore belle de
terreur et d’amour”, ce qui annonce la folie naissante de Raphaël.
2. En plus, les deux expressions : « il ne fut plus maître de sa pensée » l.10 et « des joies
délirantes de sa passion » l.11, combinent l’amour et la folie.
3. En fait, Raphaël est devenu soumis à sa passion comme le montrent les deux verbes
d’action “triomphèrent” et “réveillèrent” l.11-12.
4. Ainsi, la comparaison « comme un foyer mal éteint » l.12 suggère les effets de cette
passion fatale, et le prénom répété de Pauline à la ligne 13 insiste sur l’enfermement
de Raphaël dans ses délires.
5. L’énumération des symptômes de la souffrance aux lignes 14 et 15 traduit la prise de
conscience de la jeune femme. Cette description vive et frappante forme une image
hyperbolique de la souffrance de Pauline.
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6. Par suite, Pauline est interpelée de nouveau à 2 reprises : “Pauline ! Pauline !” l.19, et
l’expression du désir est sans limite quand Raphaël fait de Pauline une idole puis un
objet dans la gradation exclamative “Je t’aime, je t’adore, je te veux !” l.20.
Mouvement 3 : le passage de l’amour à la mort (de l.21 à la fin)
1. La folie atteint son sommet lorsque Raphaël utilise ses dernières forces surhumaines
qui suggèrent qu’il est traversé par un souffle démoniaque : “force singulière”,
“dernier éclat de vie” et “il jeta la porte à terre” l.21.
2. Ensuite, l’accumulation des verbes d’action “roulant”, “se déchirer”, “s’étrangler” et
“serrer” aux lignes 22, 23 et 24 montre que la folie s’empare de Pauline aussi.
3. De même, l’antithèse « Si je meurs ; il vivra ! » l.24 fait écho aux propos de Raphaël
aux l.4-5 « Si tu me regardes encore, je vais mourir » et indique que la survie de l’un
des deux amants s’assure par la mort de l’autre.
4. En fait, une lutte avec la mort se joue entre les deux amants et la métamorphose
violente de Pauline accentue le désir de Raphaël qui a une image double ; à la fois
sauveur et prédateur, il peut aussi bien tuer que sauver comme l'indique la métaphore
“un oiseau de proie” l.28.
Conclusion :
Dans le dénouement de La Peau de Chagrin, Honoré de Balzac construit l’agonie de
Raphaël progressivement : la révélation des pouvoirs du talisman montre la passion
amoureuse ; puis l’intensité des sentiments des amants conduit à la mort tragique.
Nous pouvons rapprocher cet extrait au roman intitulé Le Portrait de Dorian Gray
d’Oscar Wilde dans lequel la fin du roman présente un dénouement tragique pour le
personnage principal. Il doit faire face aux conséquences de ses actions immorales causées
par un objet fantastique : le tableau de son portrait.
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