- Le modèle : l’histoire économique française des XVIIe-XVIIIe s., fondée sur le
dépouillement de grandes séries : registres paroissiaux pour la démographie (Goubert,
Beauvaisis), comptes de dîme (Le Roy Ladurie, Languedoc), registres fiscaux, archives
marchandes… Comme les historiens modernistes, on croit aux chiffres, aux statistiques,
aux causalités économiques… Pour le haut Moyen Âge, la rareté des sources pose
toujours un problème de légitimité.
Parmi les grandes thèses d’histoire rurale : Fourquin, Le Roy Ladurie offraient il y a 40 ans le modèle
de thèse quasi unique… Les médiévistes français ont produit depuis 1945, et pendant un demi-siècle, plusieurs
dizaines de thèses régionales, plus ou moins sur le même plan et avec les mêmes problématiques.
Les études sur le commerce et la production artisanale, et sur la société urbaine, sont
également nombreuses à la même époque : Ph. Wolff sur les marchands de Toulouse, L.
Stouff et N. Coulet sur les villes provençales, M. Mollat sur le commerce atlantique, Y.
Renouard, Les hommes d’affaires italiens. Les dernières études de ce genre sont publiées
dans les années 70 : Racine sur Plaisance ; Balard sur la Romanie génoise, Hocquet sur le
commerce du sel vénitien.
Le chef d’œuvre des monographies d’histoire urbaine : La Roncière, Prix et salaires à
Florence, 1280-1380. Modèle insurpassable de l’analyse quantitative sur une documentation
sérielle. Florence est unique par ses archives, et La Roncière a utilisé des comptabilités. Ce
genre de recherche requérait 15 ou 20 ans de travail (sans ordinateurs !). La Roncière a
achevé sa thèse en 1975, à 44 ans, mais elle n’a été publiée qu’en 1982, alors que ce type de
travail commençait à susciter moins d’intérêt ; encore l’Ecole française de Rome n’en a –t-
elle publié que les deux tiers : trop gros (ces deux tiers = 850 pages) ; la troisième partie
(L’influence de la ville sur la campagne) a été publiée en 2006 en italien, ce qui suggère un
renouveau de l’intérêt en Italie pour les questions économiques.
Je m’arrête un peu sur le livre de La Roncière, qui incarne la réussite la plus complète des
ambitions et des méthodes de cette génération (j’ai aussi une grande admiration pour
l’homme La Roncière) : de la « vraie » histoire économique, pure et dure, bourrée de
graphiques et de statistiques :
-1) prix et salaires = établissement et analyse des niveaux et de l’évolution des prix des
différentes denrées et des salaires que l’on peut atteindre –assez peu, et pas les principaux,
en fait : notamment rien sur les salaires des ouvriers du textile, qui forment la masse de la
main d’œuvre ; c’est un bon exemple de la dépendance de l’histoire de l’économie médiévale
envers ses sources : ce qui est important dans la Florence du Trecento, c’est la production
de draps de laine, qui fait travailler des milliers d’ouvriers ; mais on n’a guère de comptes
d’entreprises textiles, et ils ne permettent pas ce genre de recherche (ils en ont suscité
d’autres, de permier ordre aussi, sur la condition ouvrière). En revanche on a conservé des
livres de comptes d’institutions religieuses, hôpitaux surtout : contiennent les salaires
versés aux ouvriers qui construisent les bâtiments, aux jardiniers… C’est de ces sources
que se sert La Roncière pour établir des budgets-types de couples de travailleurs (j’en parle
ensuite)
-2) deuxième partie du livre : Formation des prix et des salaires à Florence : essaie d‘évaluer
le poids relatif dans la formation des prix des facteurs monétaires, démographiques,
climatiques, des problèmes du ravitaillement. On n’a plus rien écrit de tel depuis parmi les
médiévistes français, à la fois parce qu’il n’y a guère de sources équivalentes, et parce que le
goût de ce genre de travail a disparu –avec la foi dans les chiffres, peut-être-.
Cette génération des années 60-70 prend aussi en compte des phénomènes jusque là passés
inaperçus : Villages désertés et histoire économique, 1965 (avec les premières fouilles
archéologiques d’habitats ordinaires) : c’est l’étude du reflux de l’habitat après la grande
peste du milieu du Trecento ; dans une veine voisine, la découverte des fortifications de
terre (mottes) par Michel de Boüard dans les années 60 –à l’aube de l’archéologie médiévale
moderne-, avec fréquente insertion dans un contexte économique : mottes liées à des
défrichements par ex.
Noter cependant la rareté des grandes enquêtes collectives (contrastant avec la façon de travailler
actuelle) : la thèse de doctorat d’Etat épuise les énergies et le temps des chercheurs ; quelques
congrès, autour d’un thème, en tiennent lieu –mais pas vraiment- : Prato… De grandes enquêtes ont