représentative du milieu monastique. Né en France de parents artistes
errants, il engrossa une fille dans une école préparatoire anglaise, buvait
comme un trou au cours de ses activités d'étudiant activiste à Columbia et
affichait davantage de promesses comme rédacteur pour The New Yorker
que comme moine cloîtré. Il reconnut que sa première expérience sexuelle
se passa avec une prostituée viennoise ramassée à Hyde Park.
Pourtant, à l'âge de vingt-six ans, le nouveau converti rejoignit un
monastère cistercien dans un trou perdu du Kentucky, en y apportant la
truculence, la créativité et la recherche incessante de la vérité qui lui
étaient naturelles. Tous ces éléments trouvèrent à s'épanouir dans sa vie
à l'abbaye de Notre-Dame de Gethsémani. Il aimait le silence, la
répétition des psaumes, la simplicité de la vie rurale, et même les signes
de la main utilisés pour communiquer dans le cloître. C'est là qu'il apprit
à se perdre dans l'adoration d'un mystère qu'il ne pouvait nommer. Dans
le cadre de ses fonctions de forestier de l'abbaye et de guetteur
d'incendies, il passait le plus clair de son temps parmi les pins
broussailleux qui recouvrent les collines du centre du Kentucky. A
l’extérieur, les bois le poussaient tout autant à la prière que l'office
quotidien à l’intérieur du cloître.
L'autobiographie de Merton, écrite peu de temps après son entrée au
monastère, fit vite de lui un personnage culte
, et il devint un héros
monastique idéalisé. Dans les années qui suivirent, il s'efforça de casser
cette image. "À cause d'un livre que j'ai écrit, il y a trente ans, dans les
années 1960’’, ressassa-t-il, "je suis moi-même devenu une espèce de
stéréotype du contemplatif qui renie le monde — l'homme qui a dédaigné
New York, craché sur Chicago et foulé aux pieds Louisville pour filer dans
les bois, avec Thoreau dans une poche, saint Jean de la Croix dans une
autre et la Bible ouverte sur l'Apocalypse."
Merton confondait les gens. Quand Jim Forest, du mouvement Catholic
Worker, se rendit en auto-stop à Gethsémani pour le rencontrer au début
des années 1960, on lui demanda d'attendre dans le silence de la chapelle
de l'abbaye. Bientôt, il entendit des rires tonitruants non loin de là. Après
investigation, il trouva Merton en train de discuter avec un ami dans une
guest room, riant aux éclats, allongé par terre, donnant des coups de
pieds dans le vide, sa robe noire et blanche soulevée, et se tenant le bide à
la manière d'un gros frère Tuck. Forest était venu rencontrer le moine le
plus admiré d'Amérique et il avait trouvé en lieu et place un fou furieux.
Voir Thomas Merton, The Seven Storey Mountain (New York: Harcourt, Brace,1948), et
Edward Rice, The Man in the Sycamore Tree: The Good Times and Hard Life of Thomas
Merton (Garden City, NY: Doubleday, 1970).
Merton, “Is the World a Problem?” Commonweal 84:11 (June 3, 1966), 305.
Michael Mott, The Seven Mountains of Thomas Merton (Boston: Houghton Mifflin Co., 1984), 381.
J’ignore s’il s’agit d’une séquelle, mais beaucoup plus tard, Jim Forest a donné cette excellente conférence :
https://www.fichier-pdf.fr/2016/07/24/la-voie-de-la-sainte-folie-jim-forest/, NDT.