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Langages 161
L’interjectionþ: entre deixis et anaphore
1.0.
Les mots qui nous intéressent ont plusieurs étiquettes dans la littérature
linguistiqueþ: onomatopées, exclamations, cris, particules énonciatives, formules,
jurons, mots-phrases, phrasillons, modalisateurs, marqueurs métadiscursifs. Le
flou terminologique a évidemment des conséquences théoriques et pratiques.
Nous les avons discutées dans
Â
wi
à
tkowska (2000). Nous avons opté pour une
étiquette traditionnelle que la grammaire a attribuée à ce type de mots, c’est-à-dire
interjection
, «þmot jeté entreþ». Wilmet (1997þ: 501) dit
expressis verbis
þ: «þmot
jeté entre deuxþ». Nous croyons que ce
deux
est crucial pour l’interprétation de
ses occurrencesþ: entre deux parties de la phrase, entre deux parties du dialogue,
entre deux parties du texte et même entre ce qui est dit et ce qui est reconstruit.
L’interprétation étymologique de ce que les Latins qualifiaient de
particula inte-
riecta
permet, nous semble-t-il, de prendre en considération aussi bien la manifes-
tation de l’émotion du locuteur qui le pousse à choisir cette forme économique
d’expression que les valeurs fonctionnelles liées à sa position dans le discours et à
son entourage linguistique, décisif pour son interprétation. En plus, le choix de
cette étiquette souligne aussi l’autonomie et l’indépendance syntaxique de l’inter-
jection par rapport aux autres parties de la phrase. Elle est considérée, faute de
trouver mieux, comme un mot-phrase, acte de prédication non-phrastique, doté
de modalités différentes, complément au sens large projectif ou explicatif, ou unité
indépendante. Ce caractère complexe de l’interjection – mot et mot-phrase en
même temps – rend sa description sémantique très difficile et, pour beaucoup, non
pertinente, car impossible en termes de référentialité. Ce n’est pas par hasard que,
dans les études sur l’interjection, on parle de la
nature
de l’interjection, de la
valeur
de l’interjection, de la
fonction
de l’interjection. L’absence d’appui formel
empêche le recours aux notions sémantiques telles que
signification, sens
. La
non-référentialité de l’interjection est à l’origine de ses multiples emplois et c’est à
travers ceux-ci que l’on essaie de dégager les opérations mentales dont elle est une
trace de surface. Les traits caractéristiques de l’interjection ne peuvent être
détectés qu’à travers ses réalisations où «þla partie individuelleþ» du locuteur est
beaucoup plus forte que dans d’autres cas. Et ce n’est pas par hasard non plus que,
traditionnellement, on a divisé les interjections d’après la nature du sentiment
éprouvé par le locuteur. Leur sens serait déterminé par les indices extralinguisti-
ques tels que le geste, la mimique, et surtout par l’intonation.
Dans nos travaux précédents (1993, 1998, 2000), nous avons refusé l’hypothèse
selon laquelle l’interjection ne serait qu’une expression de l’émotion du locuteur.
Dans ce cas, l’effort du linguiste se manifesterait surtout dans l’élaboration d’un
catalogue des émotions et la construction d’une liste des paramètres contextuels et
cotextuels explicatifs pour l’emploi de telle ou telle interjection. Sans négliger le
bagage affectif attribué à des formes particulières dans des contextes déterminés,
décodé souvent d’une façon intuitive, nous plaidons d’abord pour la recherche de
ce qui est présent dans tous ces mots, indépendamment des conditions de leur
emploi. En d’autres termes, nous proposons d’appliquer à la description du
sémantisme de l’interjection des concepts exploités pour la description d’autres
classes de mots. Quels sont donc ces éléments «þdonnésþ» dans chaque interjec-
tion et comment pouvons-nous les détecterþ?
© Armand Colin | Téléchargé le 21/11/2023 sur www.cairn.info via Université Paris - Cité (IP: 195.220.128.226)
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